Vignette (Photo © Inserm – Patrick Delapierre). L’assistance médicale à la procréation (AMP, également nommée PMA pour procréation
médicalement assistée) n’étant pas une discipline médicale classique, le droit qui
l’encadre reflète des choix politiques en raison de l’impact sur la personne, le corps,
la famille et la filiation. C’est à ce titre qu’un mécanisme spécifique de révision a
été conçu pour les lois dites de bioéthique1,,
actuellement tous les sept ans2,, avec la tenue préa
lable des États généraux3, permettant d’expérimenter
une forme de débat public4,, suivie par la
soumission de plusieurs avis et études5. Cette
méthode de réexamen régulier pourrait être considérée comme une preuve de l’importance
aux yeux du législateur de ces sujets sociétaux sensibles, de son ouverture à l’égard
des demandes de la société civile et de sa réactivité face aux avancées technologiques
dans ce domaine. Ces « rendez-vous » législatifs ne sont pas nécessairement en phase
avec l’évolution des mentalités, rendant cette obligation législative un exercice
délicat, pouvant jouer un rôle catalyseur des revendications et d’exacerbation des
passions des citoyens. En tout état de cause, même en dehors de toute obligation légale, les revendications
sociétales dans le domaine de la PMA se sont progressivement renforcées au fil du temps,
ne laissant aucun doute sur la nécessité d’une réflexion collective. Ce point est
intéressant, car contrairement à d’autres domaines inclus dans la présente révision,
tels que la génomique ou l’intelligence artificielle, le domaine de la PMA n’a pas connu
depuis la dernière révision de 2011 une évolution vertigineuse des techniques. En
d’autres termes, il s’agit principalement de la question de l’éligibilité d’accès de
certaines catégories de personnes à des techniques « classiques » de PMA et de
l’autorisation de certaines techniques existantes. Néanmoins, nous allons essayer de
présenter les raisons pour lesquelles cette révision pourrait être considérée comme un
véritable bouleversement conceptuel d’un modèle bâti en 1994. Afin d’introduire le lecteur dans l’univers français de la PMA, nous allons brièvement
décrire son contour normatif : Le recours aux techniques de la PMA6, est inscrit
dans un contexte strictement médical, l’accès étant autorisé soit en cas d’infertilité
dont le caractère pathologique est médicalement diagnostiqué7,, soit en cas de risque de transmission à l’enfant ou à un membre
du couple d’une maladie d’une particulière gravité7,. Par ailleurs, seuls sont éligibles les couples stables8,, formés d’un homme et d’une femme, vivants et en âge de
procréer9,. Le don de gamètes, sperme ou
ovocytes, est autorisé (mais pas le double don, dans lequel aucun des gamètes n’est issu
d’un membre du couple10,). La loi impose son strict
anonymat11, (l’état civil de l’enfant n’indique
ni l’identité du donneur, ni le fait du recours à un don de gamètes12,), une dérogation n’étant prévue qu’en cas de nécessité
thérapeutique13,. La gestation pour autrui
(GPA) est interdite14,. Ce cadre juridique, marqué
par une prise en charge généreuse par la collectivité15 [1], n’a pas
substantiellement changé depuis sa mise en place en 1994 et à travers les révisions. Les sujets évoqués dans le cadre de la prochaine et imminente révision dans le domaine de
la PMA ont en commun de revendiquer un assouplissement des conditions d’accès à ces
techniques, ou d’en autoriser certaines : accès des couples de femmes et des femmes
seules ; autorisation de la procréation post mortem (utilisation du
sperme d’un homme décédé) ; élargissement de l’éligibilité à l’autoconservation
ovocytaire ; et levée de l’anonymat du don de gamètes. Nous n’aborderons pas la question
de la gestation pour autrui, la probabilité de l’autorisation de cette pratique étant
minime16. Notons que les quatre questions sont
étroitement liées au contexte globalisé, à savoir la possibilité de recours des
ressortissants français à des traitements procréatifs à l’étranger pour contourner les
limitations ou les interdictions en droit interne. Ce sont ces pratiques qui encouragent
l’alignement du régime français sur d’autres régimes plus permissifs, d’où l’intérêt
d’intégrer une dimension comparative dans l’analyse de ces questions. À l’heure de la rédaction de ces lignes, le Comité consultatif national d’éthique pour
les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a publié son avis n° 12917, globalement favorable à de telles réformes, sauf à
l’autorisation de la GPA. Cet avis définira les contours du futur projet de loi. Après une présentation thématique de ces sujets ainsi que la description de la situation
juridique en France et dans d’autres pays occidentaux, nous allons analyser les raisons
pour lesquelles leur mise en question pourrait être considérée comme un véritable
tremblement de terre dans le paysage bioéthique français. Car, comme le concluent les
auteurs du récent rapport du Conseil d’État, « l’apparente technicité de la matière ne
doit pas masquer que cette révision des lois de bioéthique, encore plus que les
précédentes, interpelle le législateur sur le sens et la cohérence du cadre juridique
construit en 1994. Jamais l’actualité des principes figurant dans le Code civil n’a été
autant questionnée »18. |
Les questions soulevées dans le cadre de la prochaine révision – situation
juridique en France et ailleurs Plusieurs questions relevant du champ de la PMA sont soulevées : Accès à la PMA des couples de femmes et des femmes seules Une telle ouverture supprimerait la condition d’existence d’une pathologie, en
admettant que le projet parental puisse émaner non exclusivement des couples
hétérosexuels. Prolongeant la reconnaissance de nouvelles configurations
familiales, une telle ouverture s’appuierait sur de nombreuses études
scientifiques confirmant qu’en termes de niveau cognitif, compétences sociales
et identité sexuelle, les enfants nés dans un cadre homoparental ne diffèrent
pas de ceux nés d’un couple hétérosexuel [ 2-7].
Cette revendication s’est fortement exprimée ces dernières années, surtout
depuis la loi du 17 mai 2013 19, ouvrant le
mariage aux couples homosexuels et autorisant un égal accès à l’adoption de tous
les couples mariés 20,. Par ailleurs, le
recours des femmes seules et des femmes homosexuelles 21, à des dons de sperme à l’étranger (principalement en
Belgique, en Espagne et au Danemark) a été considéré par la Cour de cassation
comme ne faisant pas obstacle en soi à l’adoption de l’enfant par l’épouse de la
mère 22,. Comme le relève le Conseil
d’État, aucun principe juridique ne s’oppose à une telle évolution, ce choix
étant donc purement politique et relève de l’appréciation souveraine du
législateur 23,. En tout état de cause,
cette mesure a reçu le soutien à titre personnel du candidat aux élections
présidentielles de 2017 Emmanuel Macron 24,,
et de celui du CCNE 25,. Dès lors, se posent
deux questions supplémentaires : premièrement, dans un souci de sécurité
juridique pour l’enfant 26,, l’établissement
d’un double lien de filiation, à savoir non seulement avec la femme qui l’a mis
au monde 27, mais aussi avec sa partenaire.
L’établissement d’un tel lien peut se faire par plusieurs mécanismes juridiques,
avant et / ou après la naissance [ 8]. Deuxièmement, la question de la prise en charge se pose
également, car comme l’on a vu, le régime actuel inscrit la PMA dans une logique
purement thérapeutique, ce qui permet d’intégrer les coûts de traitements
d’infertilité dans le champ de la santé publique, pris en charge par la
collectivité, en vertu du principe de solidarité 28. Dans une perspective internationale, notons que l’accès à la PMA des femmes
seules n’est pas autorisé partout, mais une telle interdiction semble être rare
: comme en France, en Suisse et en Italie, où seuls les couples hétérosexuels y
ont droit. Dans d’autres pays, comme l’Autriche, seuls les couples,
hétérosexuels ou homosexuels, sont éligibles, les femmes seules étant exclues.
D’autres régimes ne posent pas de conditions d’accès spécifiques à certaines
catégories, telles que les couples de femmes ou les femmes seules : aux
Pays-Bas, la matière a été laissée à la discrétion des praticiens d’hôpitaux et
des cliniques. En Belgique, une telle décision relève aussi de la compétence des
équipes médicales, avec la possibilité d’invoquer une clause de conscience. Au
Danemark, la condition d’avoir un partenaire masculin a été supprimée en 2006.
Les femmes ont accès à des traitements d’infertilité indépendamment de leur
statut civil – seules, en partenariat, ou mariées. En Espagne, toute femme âgée
de plus de 18 ans, seule ou mariée, indépendamment de son statut matrimonial et
de son orientation sexuelle, a le droit d’accès à la PMA. En Grande-Bretagne,
aucune condition légale d’accès à la PMA sur le fondement d’âge, d’orientation
sexuelle ou de statut matrimonial n’a jamais existé29. Procréation post-mortem La question de la procréation post-mortem est intimement liée à
l’accès à la PMA des femmes seules car, du moment où on autorise cet accès, il
n’y a aucune raison d’interdire à des femmes dont le partenaire consentant à ce
projet procréatif est décédé d’y procéder, la considération du critère de
l’intérêt de l’enfant étant identique. En l’état actuel du droit, cette
possibilité est explicitement exclue 30,,
qu’il s’agisse d’une insémination avec le sperme de l’homme décédé (prélevé
avant ou après sa mort) ou d’un transfert d’embryon conçu avec le sperme du
défunt. Concrètement, au moment du décès, le membre du couple survivant peut
choisir de donner les embryons conservés à un autre couple, ou à la recherche,
ou d’en demander la destruction 31,. En ce
qui concerne les gamètes, ceux-ci sont automatiquement détruits en cas de décès
de celui qui a procédé à leur don 32. Au niveau européen, en l’absence de consensus entre les États membres sur la
définition scientifique et juridique du début de la vie, faisant du point de
départ du droit à la vie un sujet que la Cour européenne des droits de l’homme
(CEDH) laisse à la marge d’appréciation des États33, il n’a pas été possible de dégager une position unique en
matière de transfert d’embryon post-mortem. Les pays européens qui autorisent la procréation post-mortem,
comme la Belgique34,, l’Espagne35,, et la Grande-Bretagne36,, ne font pas de distinction entre l’utilisation du
sperme conservé et le transfert d’embryon. Cette absence de dissociation est
cohérente si on considère que la volonté du couple de poursuivre le projet
parental doit pouvoir être réalisée au-delà de la mort de l’un des membres du
couple et cela, quel que soit le degré de réalisation du projet. Du point de vue
de l’enfant également, le critère de son bien-être reste inchangé en ce qui
concerne les deux possibilités de procréation post mortem. En
revanche, une dissociation entre les deux pratiques peut intervenir pour
autoriser le transfert d’embryon post-mortem, cette
dissociation pouvant être justifiée par l’absence de symétrie entre les gamètes
et les embryons, et la reconnaissance d’un certain respect à l’égard des
embryons existants37. Les principaux arguments en faveur de l’autorisation du recours à la procréation
post-mortem sont : l’autonomie des femmes veuves
s’engageant à assumer cette situation seules ; la continuation du projet
parental qui, au moins dans l’hypothèse de transfert d’embryon, est mûrement
réfléchi ; statistiquement, s’agissant d’un nombre très restreint de cas,
l’autorisation n’aurait pas d’impact sur la société entière ; l’intérêt de
l’enfant étant de venir au monde, il se sentirait d’autant plus désiré, et
aurait une identité paternelle, certes abstraite, mais certaine. De leur côté, les opposants à une telle autorisation se fondent sur les arguments
suivants : la société dispose d’un droit de regard, car elle est sollicitée pour
aider et programmer la venue au monde d’un enfant orphelin de père ; les
situations de monoparentalité, souvent liées à une certaine pauvreté, sont à
éviter ; l’intérêt de l’enfant serait bafoué, car il grandirait sans père, ni
structure familiale complète ; la procréation post mortem est
un désir égoïste, une dérive de la PMA, contre nature, qui ne mérite pas d’être
encouragée ; cette pratique méprise la condition mortelle humaine qui est le
sort de tous, elle est la réalisation d’un désir de se perpétuer mal placé38 ; l’impossibilité d’avoir un consentement
véritablement éclairé de la part de l’homme qui, même vivant, ne peut pas se
rendre compte de la mesure de son engagement ; les femmes se trouvant dans une
telle détresse sont sujettes à pression ; parfois leur demande reflète une
incapacité à faire le deuil, plus qu’un véritable désir d’enfant ; l’embryon
n’étant pas considéré comme une personne juridique, cela exclut toute
autorisation de transfert d’embryon post mortem sur ce
fondement ; enfin, des complications potentielles dans le domaine du droit de la
filiation, et surtout dans le droit de succession, pouvant être source de
chantage. L’interdiction de toute forme de procréation postmortem a donné
lieu à plusieurs actions en justice en France ; la possibilité d’autorisation du
transfert post-mortem a été envisagée déjà à l’occasion des
précédentes révisions et soutenue à plusieurs reprises par le CCNE39. Concrètement, l’autorisation supposerait un encadrement précis40 : vérification du consentement du père défunt ;
encadrement dans le temps de cette possibilité (délai minimal à compter du décès
et délai maximal) ; aménagement du droit de la filiation et du droit des
successions afin que l’enfant puisse hériter de son père comme ses frères et
sœurs. Autoconservation ovocytaire Si la conservation de spermatozoïdes par congélation répondait aux critères de
sécurité et d’efficacité dès les années 1970, celle des embryons depuis les
années 1980, la congélation des ovocytes a donné des résultats moins efficaces.
Le développement de la technique de vitrification (congélation ultra rapide)
d’ovocytes a changé la donne 41,, car
désormais les femmes peuvent conserver leurs ovocytes, ce qui peut aussi avoir
des conséquences sur la congélation d’embryons 42, dont la charge éthique est différente. En l’état actuel du droit, toute personne, homme ou femme, peut conserver ses
gamètes dans les trois hypothèses suivantes : dans le cadre d’un projet parental
concret ; le cadre d’un traitement contre une pathologie risquant de la rendre
infertile ; le cadre d’un don à une personne, celui-ci étant accompagné d’une
conservation pour soi-même43. En d’autres
termes, la possibilité de prévenir l’infertilité liée à l’âge par la
conservation par une femme de ses propres ovocytes en vue de concevoir plus tard
est exclue (sauf si la femme fait à cette occasion don d’une partie de ses
ovocytes, ce qui peut être ressenti comme du chantage). Le modèle actuel
reposant sur une conception d’infertilité pathologique n’intègre pas
l’infertilité liée à l’âge, ce qui exclut les femmes ayant un projet procréatif
retardé, faute de trouver un partenaire ou pour toute autre raison. L’autoconservation ovocytaire peut être considérée comme relevant de la médecine
préventive, car elle évite d’autres traitements d’infertilité inefficaces à un
âge plus avancé [9].
L’accès à un tel traitement est défendu par certains professionnels [10] ; d’autres mettent en
avant la disproportion entre la lourdeur du traitement et la simple probabilité
d’avoir ensuite besoin pour la femme concernée de recourir à ses ovocytes
vitrifiés pour concevoir un enfant44,. En
tout état de cause, l’utilisation de cette technique à des fins non-médicales
est un sujet controversé dans certains pays, le grand risque étant que les
femmes entrent intentionnellement dans « le cercle vicieux de l’infertilité ».
En d’autres termes, dès lors que cette technique devient disponible, de
nombreuses femmes voudraient (ou plutôt ressentiraient la pression de leurs
employeurs) pour l’utiliser45. Une fois
les ovocytes congelés, les femmes ne se sentiraient plus pressées à entamer une
grossesse ; or, plus la grossesse serait reportée à plus tard, plus ses chances
de déclenchement et de succès diminueraient. La question se pose alors de savoir
si l’autorisation d’accès à l’autoconservation ovocytaire, sous prétexte
d’émanciper les femmes, ne permettrait pas d’éviter la question du besoin de
faciliter la vie professionnelle des femmes et de mieux assurer les structures
de garde de manière qu’elles puissent avoir une carrière et élever des enfants.
Cependant, des études menées dans ce domaine ces dernières années confirment que
les femmes décident de congeler leurs ovocytes pour des raisons personnelles
plutôt que pour des raisons professionnelles, le plus souvent car elles n’ont
pas encore trouvé le bon partenaire [11, 12]. Cette mesure pourrait également avoir comme impact la réduction
de la demande de dons d’ovocytes et l’augmentation du nombre d’ovocytes
disponibles au don dans le cas où ils ne seront pas utilisés ultérieurement. Comme les précédents sujets de réforme, l’autoconservation ovocytaire fait aussi
partie d’un contexte globalisé, de nombreux pays autorisant cette pratique.
Ainsi, certaines femmes françaises se rendent en Grande-Bretagne, en Belgique,
en Espagne et en République tchèque. D’autres pays l’autorisent aussi, comme les
États-Unis, le Canada et Israël. Par contre, peu de pays, comme l’Autriche et
Malte, le prohibent. Le fait que de nombreux pays autorisent l’accès à cette
technique s’explique principalement par l’absence d’un cadre strictement
pathologique, comme c’est le cas en France. Anonymat du don de gamètes L’ultime sujet de révision ne concerne pas une question d’éligibilité ou
d’autorisation d’accès à une technique particulière, mais la levée de l’anonymat
des donneurs de gamètes en général, suite à la revendication de transparence de
la part des enfants nés d’une PMA avec don de gamètes. Ces derniers expriment
leur souffrance d’être privés de la possibilité d’accéder à leurs origines
biologiques et de s’inscrire dans une lignée généalogique. En effet, certains
pays occidentaux, tels que l’Allemagne et la Norvège, n’ont jamais instauré une
norme d’anonymat du don de gamètes ; d’autres l’ont fait, mais ont choisi de la
supprimer (Suède, Royaume-Uni). Enfin, certains pays, comme la France,
maintiennent ce principe, avec l’Espagne, l’Italie et Israël. La possibilité d’accès à l’identité du donneur se ferait à partir de l’âge de la
majorité de l’enfant (cet accès concerne uniquement l’enfant et pas ses parents)
et n’aurait pas d’incidence en matière de filiation et de succession : les
parents sociaux resteraient les parents légaux, et le donneur n’aurait aucun
statut juridique. Notons également que la question de l’accès à l’identité du
donneur doit être dissociée de celle du mode de conception de l’enfant. Aucune
trace n’est en effet laissée dans les documents d’état civil de l’enfant du fait
du recours même à un don de gamètes. En pratique, peu d’enfants sont conscients
du fait que la réalité sociale ne correspond pas à la réalité biologique. Même
dans les pays qui ont levé l’anonymat ou qui n’ont jamais instauré une telle
norme, on ne trouve pas d’obligation faite aux parents de révéler à l’enfant le
recours à un don de gamètes, cette obligation étant considérée comme une
intrusion dans leur vie privée. Il est intéressant d’observer un changement de
mentalités dans ce domaine : si, pendant les années 1970 dans la plupart des
pays occidentaux, les parents étaient encouragés par les équipes médicales à
rester discrets sur ce « secret de famille », ils sont progressivement incités à
aborder cet aspect avec leur enfant. Historiquement, le modèle français du don de gamètes a été conçu selon le modèle
du don de sperme, lui-même assimilé au don de sang46 [14],
pratique anonyme et bénévole depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La règle de l’anonymat a été conçue comme étroitement liée au principe de non
patrimonialité47,, dont elle garantit
la bonne application, en évitant des risques de trafic et de pressions puisque
donneur et receveur ne risquent pas de s’entendre. Elle permet aussi, par sa
discrétion, de préserver la paix des familles48 et surtout, comme l’a démontré la sociologue Irène Théry [16], la séparation entre
la scène du don de gamètes et celle de la PMA : la première est constituée sur
le modèle du don de sang, le corps médical est donc absent ; la deuxième, celle
de la PMA, présente implicitement le corps médical comme propriétaire des
gamètes, et c’est le donneur qui disparaît cette fois-ci. « Dans cette vision
clivée qui sépare le don (idéalement sans médecin), et la procréation
médicalisée (idéalement sans donneur), il n’y a pas de place pour se représenter
ce qui a vraiment permis la naissance d’un enfant, c’est-à-dire la coopération
de tous les acteurs au sein d’un même et unique processus complexe » [16] (p117). Et avec l’invention de la
cryoconservation, le droit a instauré une coupure symbolique radicale entre le
don et son usage. Le donneur fait un don à l’institution biomédicale (aux
Centres d’étude et conservation des œufs et du sperme humains, CECOS), comme
s’il n’y avait pas de receveur, ce qui exclut toute logique contractuelle entre
le donneur et le receveur. |
Un bouleversement conceptuel La révision envisagée en 2019 constitue un véritable bouleversement du « modèle
bioéthique » français. « Toute révision de lois de bioéthique est un exercice
juridiquement semé d’embûches, qui relève de l’art du mikado, sur lequel plane en
outre l’ombre de la théorie des dominos : il est souvent difficile d’apporter une
modification ponctuelle sans ébranler l’édifice dans son ensemble »49,. À titre d’exemple, l’ouverture de la PMA à
des couples de femmes et à des femmes seules pourrait induire une pénurie de
gamètes, le nombre de naissances qu’i est possible d’obtenir à partir d’un donneur
étant limité à dix50, ce qui, par conséquence,
prolongerait le délai d’attente. Cette pénurie pourrait se réduire si le législateur
acceptait de supprimer le principe de gratuité : certains hommes acceptant de faire
un tel don en contrepartie d’une rémunération. Or, une telle évolution normative est
inconcevable, tant le principe de gratuité est ancré dans le modèle bioéthique
français. En effet, si certains principes, tels que celui de la gratuité, jouissent d’une
pérennité dans le temps, la base même du fondement d’accès à la PMA, à savoir, une
condition pathologique aucunement sociale, est perçue différemment aujourd’hui. Cela
tient principalement au fait que les techniques liées à la PMA peuvent être
détournées à des fins non-prévues au départ, fins non-médicales pouvant ouvrir des
possibilités procréatives à des personnes qui ne sont pas forcément infertiles,
comme les femmes homosexuelles. Cette conjonction des possibilités techniques avec
des phénomènes sociaux constitue la principale raison du bouleversement du cadre
conceptuel conçu en 1994. Ce cadre a été marqué par plusieurs facteurs : tout d’abord, le souci de codification
(le droit français appartenant à la famille de droit romain), mais surtout la
volonté de définir un statut général du corps humain par un minutieux et ambitieux
dispositif légal. Cela diffère du système de la Common Law51, tradition juridique plus
souple, où la liberté du juge l’incite souvent à favoriser l’autonomie personnelle
des sujets, les deux libertés étant en synergie l’une par rapport à l’autre. Par
ailleurs, contrairement aux droits continentaux, la Common Law
adopte une approche plus souple de la filiation, ce qui permet aux juges et aux
instances de régulation de proposer des solutions qui, dans d’autres pays,
relèveraient de la législation. Ce particularisme des sources du droit peut aussi
bien dicter une attitude plutôt pragmatique, ou un attachement à des grands
principes. L’Allemagne illustre bien ce particularisme : le législateur a choisi
d’intervenir sur des axes préférentiels, comme la protection de l’embryon, en fixant
des limites sous forme d’infractions pénales, tout en laissant le corps médical
ériger des normes déontologiques ponctuelles. Celles-ci ne proposent pas un
dispositif complet ni un positionnement concernant certaines questions éthiques (à
titre d’exemple, le principe de gratuité du don de sperme le don d’ovocyte étant
interditest absent du dispositif). Ensuite, le cadre conceptuel français a été marqué par la dimension collective de la
PMA. Ce sont l’intervention de la technique et l’organisation qu’elle requiert qui
impliquent une dimension collective plus évidente que celle des procréations
spontanées. Cela s’intègre dans une logique globale, traduisant la perception du
rôle de la loi et le degré légitime d’interférence dans la sphère privée. En France,
le législateur intervient en toute légitimité, et la PMA est considérée comme un
projet de société. En revanche, en Grande-Bretagne, il existe une certaine ambiguïté
vis-à-vis de l’interférence de l’État dans ce domaine, considéré comme relevant de
la sphère privée, ce qui conduit à réduire son ingérence. La collectivité est également impliquée en raison du financement accordé par l’État,
ce qui n’est pas étonnant en France, étant donné que le régime de la PMA s’inscrit
dans une logique de santé publique, à propos d’une pathologie. Plus la PMA sera
conçue dans un cadre thérapeutique plutôt que sociétal, plus l’intervention de
l’État sera perçue comme légitime pour enraciner la technique dans un cadre
hétérosexuel traditionnel. En revanche, si la société considère la PMA comme un mode
de procréation autonome et assume son caractère non thérapeutique, ce que suggère la
révision envisagée, la fonction de la loi se bornera à suivre les avancées
technologiques en effectuant un contrôle de qualité, sans jugement de valeur sur les
usages de la technique ; cela peut aboutir à l’effacement de la frontière du
scientifique et du politique, que l’on retrouve dans de nombreux pays occidentaux où
les questions soulevées par cette révision ne semblent pas correspondre à un tel
enjeu sociétal. |