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Med Sci (Paris). 35(5): 405–407.
doi: 10.1051/medsci/2019084.

Rôle inattendu des IAP dans la régulation transcriptionnelle

Baptiste Dumétier,1 Valérie Glorian,1 Jennifer Allègre,1 and Laurence Dubrez1*

1Lipides, nutrition et cancer, UMR1231, Inserm, 21079Dijon, France
2Université de Bourgogne Franche-Comté, 7, boulevard Jeanne d’Arc, 21079Dijon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Mort cellulaire, Régulation de l'expression des gènes, Humains, Protéines IAP, Tumeurs, Transcription génétique, génétique, physiologie, anatomopathologie

 

Les IAP (inhibitors of apoptosis), en particulier cIAP (cellular IAP) 1, cIAP2 et XIAP (X-linked IAP) sont des régulateurs incontournables de la réponse immunitaire et de l’inflammation [1, 2] ().

(→) Voir la Synthèse de J. Cartier et al., m/s n° 1, janvier 2012, page 69

Ils catalysent l’assemblage de complexes multiprotéiques de signalisation qui permettent l’activation de voies de survie et de différenciation, telles que les voies NF-κB (nuclear factor-kB) et MAPK (mitogen-activated protein kinases). Ils inhibent également la mort cellulaire en bloquant la formation des plateformes d’activation des caspases ou leur activité enzymatique. Quelques études récentes ont montré qu’ils pouvaient également exercer un rôle régulateur sur la machinerie transcriptionnelle.

cIAP1, cIAP2 et XIAP sont des E3 ligases impliquées dans la réaction d’ubiquitinylation des protéines. Ces IAP catalysent la conjugaison d’une molécule ou d’une chaîne d’ubiquitines sur une protéine cible. En fonction de la nature et de la topologie des chaînes d’ubiquitines, cette modification post-traductionnelle affecte la durée de vie, l’activité, la localisation ou le réseau d’interaction des protéines ainsi modifiées. Différents facteurs ou co-régulateurs de transcription s’avèrent être des cibles d’ubiquitinylation des IAP.

Deux études publiées en 2007 et 2012 avaient montré que cIAP1 et XIAP pouvait indirectement stimuler l’activation des facteurs de transcription Myc/Max et TCF (T-cell factor)/LEF (lymphoid enhancer factor-1) en inhibant le recrutement de leur cofacteur répresseur respectif, Mad1 (Max-dimerization protein-1) et Groucho [3, 4]. En 2012, Qi et Xia montrèrent que cIAP1 pouvait également catalyser l’ubiquitinylation dégradative du facteur de transcription CHOP (C/EBP homologous protein), le médiateur essentiel de la mort cellulaire en réponse à un stress réticulaire. cIAP1 protège ainsi les cellules β du pancréas contre l’effet toxique des acides gras saturés [5]. Plus récemment, un rôle direct de cIAP2 ou de XIAP dans l’activation des facteurs de transcription IRF1 (interferon regulatory factor 1) et HIF1α (hypoxia inducible factor-1) a été décrit [5, 6]. Cette activation consiste en la conjugaison sur les facteurs de transcription de chaînes d’ubiquitines non-dégradatives de type K631,. Dans une étude publiée en 2014 [6], Harikumar et al. avaient montré que cIAP2 associé à la sphingosine-1-phosphate était responsable de la conjugaison de chaînes d’ubiquitines de type K63 sur IRF1 en réponse à une stimulation de cellules astrocytaires par l’interleukine-1 (IL-1). Cette ubiquitinylation induit l’activation d’IRF1 et l’expression des chimiokines CXCL10 (C-X-C motif chemokine 10) et CCL5 (chemokine [C-C motif] ligand 5), permettant le recrutement de cellules mononucléées sur le site d’une infection. HIF1α appartient, quant à lui, à une famille de facteurs de transcription permettant une adaptation des cellules à des conditions de stress comme l’hypoxie. Son accumulation dans le noyau des cellules ainsi que son recrutement sur le promoteur de gènes cibles sont contrôlés par une ubiquitinylation de type K63 par XIAP [6]. Nos travaux récents ont identifié un autre facteur de transcription, substrat des IAP, dont l’activité est également contrôlée par une ubiquitinylation de type K63 [6-8].

E2F1

E2F1 est le membre fondateur d’une famille de facteurs de transcription (E2F) contrôlant la progression des cellules dans le cycle cellulaire : il permet la transcription des gènes essentiels à la transition G1-S et à la réplication de l’ADN. La protéine E2F1 s’accumule progressivement lors de la phase G1 pour atteindre un pic à la fin de cette phase. Son taux diminue ensuite en phase S jusqu’au prochain cycle de la cellule (Figure 1). En phase G0 et durant la phase G1, E2F1 est associé à la forme hypophosphorylée de la protéine Rb (retinoblastoma). Cette association stabilise d’une part le facteur de transcription, ce qui permet son accumulation. Elle bloque d’autre part son activité transcriptionnelle. En fin de phase G1, la liaison entre E2F1 et Rb est rompue par la phosphorylation de Rb qui est réalisée par les complexes cycline D/CDCK4/6 (cyclic-dependent kinase 4 /6). E2F1, alors libéré, assure l’entrée en phase de réplication de l’ADN (phase S du cycle). En fin de phase S, le complexe cycline A/CDK2 se lie à E2F1 et le phosphoryle déclenchant sa dissociation de l’ADN et la diminution progressive de son niveau d’expression. Cette régulation négative en fin de phase S est critique pour l’entrée en phase G2. La régulation temporelle d’E2F1 est donc essentielle pour maintenir la périodicité du cycle cellulaire. Paradoxalement, E2F1 contribue aussi à l’arrêt des cellules dans le cycle cellulaire et à l’apoptose en réponse à un stress génotoxique. L’accumulation d’E2F1 est un évènement précoce de réponse des cellules à un dommage à l’ADN. Il permet la transcription des gènes de réparation de l’ADN et de l’apoptose.

L’expression et l’activité d’E2F1 sont finement contrôlées par des modifications post-traductionnelles. Celles-ci sont rapidement effectives et permettent une régulation quasi-instantanée. Des phosphorylations, des méthylations, des NEDDylations2, des acétylations, des sumoylations et des ubiquitinylations d’E2F1 ont ainsi été décrites. Le système ubiquitine-protéasome contribue à la dégradation d’E2F1 en fin de phase S ; il permet de maintenir un faible niveau d’expression d’E2F1 en phase G2 et M (Figure 1).

Nous avons mis en évidence une ubiquitinylation non dégradative de type K63 d’E2F1 lorsque l’activité du facteur de transcription est maximale, c’est-à-dire en fin de phase G1 du cycle cellulaire, mais également à la suite d’un stress génotoxique [8] (Figure 1). Les lysines 161 et 164, situées dans le domaine de liaison à l’ADN d’E2F1, sont les résidus accepteurs de ces chaînes d’ubiquitines. Une mutation de ces lysines empêche le recrutement du facteur de transcription sur les promoteurs de ses gènes cibles et inhibe son activité transcriptionnelle, que ce soit en fin de phase G1 ou après une exposition des cellules à un agent endommageant l’ADN. Nous avons montré que cIAP1 promouvait cette modification : cIAP1 lie directement E2F1 et est recrutée sur les promoteurs de ses gènes cibles uniquement durant les phases d’activation du facteur de transcription. Un séquençage de la chromatine immunoprécipitée (ChiP) a révélé qu’une délétion de cIAP1 par interférence ARN inhibe drastiquement l’association d’E2F1 avec l’ADN [9]. cIAP1 favorise la phosphorylation de Rb et la dissociation du complexe Rb-E2F1 nécessaire à l’activité transcriptionnelle [8] (Figure 1). Inversement, une inhibition de cIAP1 favorise la dégradation protéasomale d’E2F1 catalysée par les complexes enzymatiques SCFskp2 (Skp2 [S phase kinase-binding protein 2]-CDC53 [Cullin]-Fbox) et APC/C (anaphase-promoting complex/cyclosome) actifs en fin de phases S, G2 et M du cycle cellulaire [9] (Figure 1).

cIAP1

La fonction de régulateur transcriptionnel de cIAP1 nécessite son expression nucléaire [10]. cIAP1 a été détectée dans le noyau de cellules souches capables d’autorenouvellement, comme les précurseurs hématopoïétiques de la moelle osseuse, les cellules de la couche basale de l’épiderme et les cellules localisées au fond des cryptes coliques. Au cours de la différenciation cellulaire, cIAP1 est exclue du noyau, ce qui coïncide avec l’arrêt de prolifération associé à la différenciation [11]. cIAP1 est aussi détectée dans le noyau de certaines cellules tumorales. Cette expression nucléaire a été corrélée avec un mauvais pronostic.

Ainsi, une ubiquitinylation de type K63 d’IRF1 [5], d’HIF1α [6] ou d’E2F1 [8, 9] catalysée par un membre de la famille des IAP représente un signal important d’activation qui induit leur recrutement sur leurs promoteurs-cibles respectifs. Toutefois, les mécanismes moléculaires mis en jeu ne sont pas connus. Les chaînes K63 d’ubiquitines pourraient être reconnues par des co-facteurs spécifiques porteurs de domaines de liaison d’ubiquitines et présents sur la chromatine.

Des propriétés oncogéniques ont été attribuées à cIAP1. L’expression de cette protéine est altérée dans de nombreux échantillons tumoraux d’origine différente. Les résultats récents montrant un rôle des IAP dans la régulation transcriptionnelle renforcent l’importance des IAP dans le développement tumoral. En plus de leur capacité de contrôler les réponses immunitaire et inflammatoire, les IAP sont aussi capables de contrôler l’activité d’oncogènes puissants comme c-myc ou l’axe E2F1/Rb. Différentes molécules antagonistes, appelées « mimétique de Smac (second mitochondrial activator of caspases) », sont aujourd’hui en phase d’évaluations pré-clinique et clinique. Ces composés pourraient, à l’avenir, trouver leur place dans la pharmacopée anti-cancéreuse. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 haînes formées par la liaison d’un maillon ubiquitine sur la lysine 63 de l’ubiquitine précédente.
2 La neddylation est un processus de modification post-traductionnelle conduisant à la conjugaison d’un peptide, NEDD8, à la protéine-cible. Contrairement à l’ubiquitination, la neddylation ne conduit pas directement à la dégradation de la protéine-cible.
References
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