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| Med Sci (Paris). 35(5): 417–419. doi: 10.1051/medsci/2019087.Vers la bioproduction de métabolites anticancéreux par
les levures Vincent Courdavault,1* Nicolas Papon,2 and Marc Clastre1 1Université de Tours, EA2106 Biomolécules et biotechnologies
végétales, 31, avenue
Monge, 37200Tours,
France 2Groupe d’étude des interactions hôte-pathogène, GEIHP, EA
3142, SFR ICAT 4208, Université d’Angers, Université de Brest, Institut de
biologie en santé, IRIS, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49100Angers,
France MeSH keywords: Antinéoplasiques, Antinéoplasiques d'origine végétale, Découverte de médicament, Industrie pharmaceutique, Humains, Génie métabolique, Tumeurs, Saccharomyces cerevisiae, Biologie synthétique, Vinblastine, Alcaloïdes de Vinca, - traduction non trouvée, métabolisme, isolation et purification, méthodes, tendances, normes, traitement médicamenteux, analogues et dérivés, biosynthèse, usage thérapeutique |
Les cancers restent à ce jour une cause majeure de morbidité et de mortalité à travers le
monde. À l’échelle du globe, on ne dénombre en effet pas moins de 8 millions de morts
par an dus à des cancers [1]. En
France, bien que des progrès spectaculaires soient régulièrement réalisés dans la prise
en charge de ces pathologies, les chiffres demeurent accablants. C’est encore plus de
400 000 nouveaux cas qui sont diagnostiqués chaque année et ce sont 150 000 hommes et
femmes qui décèdent de ces affections malignes. Chez l’homme, les nouveaux cas restent
majoritairement représentés par le cancer de la prostate, le cancer du poumon, deuxième
cancer le plus fréquent, suivi du cancer colorectal. Chez la femme, le cancer du sein
est de loin le plus fréquent devant le cancer du côlon-rectum et le cancer du poumon
[2]. |
Les traitements actuellement disponibles Aujourd’hui, le schéma thérapeutique proposé dans le cadre de la prise en charge d’un
cancer s’adapte à chaque situation. On peut citer parmi les stratégies curatives
principales, la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. Si, dans le
traitement des cancers, les médicaments de thérapie ciblée (inhibiteurs de tyrosine
kinase, anticorps monoclonaux, etc.) ont connu un très fort développement ces
dernières années dans les pays développés, les cytotoxiques font toujours l’objet
d’une forte demande au niveau mondial. Parmi les composés cytotoxiques anticancéreux
les plus utilisés, on dénombre les agents alkylants (sels de platine), les
intercalants (idarubicine), les scindants (bléomycine), les inhibiteurs de
topoisomérases (irinotécan, topotécan, étoposide), les antimétabolites (raltitrexed,
méthotrexate, cytarabine, etc.) et les molécules ciblant le fuseau mitotique
(vinca-alcaloïdes, taxanes) [3]. |
Les anticancéreux d’origine végétale Les anticancéreux ciblant le fuseau mitotique des cellules tumorales ont pour
caractère commun d’être extraits de plantes médicinales. Ils sont majoritairement
représentés par deux séries de molécules biologiques : les taxanes de l’if européen
(Taxus baccata) et les vinca-alcaloïdes de la pervenche de
Madagascar (Catharanthus roseus) [3, 4]
(→).
(→) Voir la Synthèse de L. Faye et Y. Champey, m/s n° 11,
novembre 2008, page 939
Les vinca-alcaloïdes anticancéreux (vinblastine, vincristine et dérivés
semi-synthétiques) inhibent la polymérisation de la tubuline dans les cellules en
division. Ils sont utilisés dans le traitement d’un grand nombre de cancers. La
vinblastine demeure un antimitotique majeur de l’arsenal thérapeutique aujourd’hui
disponible pour traiter par exemple les cancers de l’ovaire, de la vessie, du rein,
du sein, du testicule, les choriocarcinomes, les histiocytoses, les lymphomes non
hodgkiniens, les maladies de Hodgkin, ainsi que les sarcomes de Kaposi [5]. Le faible taux de biosynthèse de ces alcaloïdes in planta a conduit
l’industrie pharmaceutique à produire ces molécules par condensation chimique de
leurs deux précurseurs, la vindoline et la catharanthine, présents en quantité plus
importante dans les feuilles de la plante. Celle-ci est donc cultivée à grande
échelle et utilisée comme source de matière première. De fait, l’approvisionnement
en vindoline et catharanthine reste fluctuant et dépendant de divers facteurs
externes, dont les aléas climatiques et géopolitiques. |
Vers des alternatives de bioproduction à haut rendement L’intérêt thérapeutique des vinca-alcaloïdes anticancéreux, la faible abondance de
leurs précurseurs dans la plante et leur coût de production sont à l’origine de
nombreux travaux de recherche visant à améliorer les rendements de production de ces
molécules. Le marché mondial pour la vincristine et la vinblastine se situe autour
de 300 millions de dollars, avec une valeur marchande, bien que très variable selon
les fournisseurs, de plusieurs milliers de dollars le gramme. Depuis de nombreuses années, un certain nombre d’équipes de recherche à travers le
monde ont donc porté leurs efforts sur l’identification des enzymes impliquées dans
la voie de biosynthèse des vinca-alcaloïdes anticancéreux de la pervenche de
Madagascar [6]. Une fois
identifiés, les gènes codant ces enzymes végétales pourraient en effet être
transférés dans des microorganismes (en particulier la levure Saccharomyces
cerevisiæ) qui seraient alors capables de produire en grande quantité
les précurseurs vindoline et catharanthine. De telles approches dites « d’ingénierie
métabolique » ont déjà porté leurs fruits dans le domaine de la santé.
L’incontournable artémisinine, molécule végétale antipaludique extraite initialement
de l’armoise annuelle (Artemisia annua)1 [7]
(→) a ainsi été le premier médicament produit par ingénierie
métabolique et commercialisé en 2013. Cette molécule a en effet été biosynthétisée,
par une levure modifiée, à l’échelle de plusieurs dizaines de tonnes par an [8].
(→) Voir Repères de D. Mazet et M. Thellier, m/s n° 1,
janvier 2016, page 106
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Identification des dernières étapes inconnues menant à la vindoline et la
catharanthine Les vinca-alcaloïdes anticancéreux et leurs précurseurs, vindoline et catharanthine,
appartiennent à la famille des alcaloïdes indoliques monoterpéniques (AIM) [9]. La voie de biosynthèse des
AIM dans la plante est très complexe. Elle fait intervenir plus d’une trentaine
d’étapes enzymatiques [10].
Si les enzymes impliquées au début et au milieu de la voie de synthèse ont été
progressivement identifiées et caractérisées au cours des dernières décennies, les
derniers chaînons en fin de voie restaient encore à élucider. En collaboration avec
le groupe de recherche du Dr Sarah O’Connor du John Innes Centre
(au Royaume-Uni), notre équipe a participé à une avancée majeure touchant le secteur
des biotechnologies appliquées à la santé humaine et qui a été récemment publiée
dans la revue Science [11]. Nous avons en effet identifié et caractérisé les dernières
enzymes clés qui manquaient jusqu’alors pour compléter la voie de biosynthèse
conduisant aux précurseurs vindoline et catharanthine (Figure 1). Nous avons pu montrer l’implication de
deux enzymes, une oxydase et une réductase, qui transforment l’acétate de
stemmadénine en acétate de dihydroprécondylocarpine. Ce dernier est ensuite modifié
et cyclisé par deux hydrolases pour aboutir soit à la catharanthine, soit à la
tabersonine (les étapes menant de la tabersonine à la vindoline avaient été
préalablement caractérisées). Plus précisément, l’acétate de stemmadénine est
séquentiellement converti en catharanthine par les enzymes précondylocarpine acétate
synthase (PAS), dihydroprécondylocarpine synthase (DPAS) et catharanthine synthase
(CS). Parallèlement, l’acétate de stemmadénine peut être converti en tabersonine
grâce à l’action des enzymes précondylocarpine acétate synthase (PAS),
dihydroprécondylocarpine synthase (DPAS) et tabersonine synthase (TS) (Figure 1).
 | Figure 1.
Caractérisation des enzymes de la voie de biosynthèse menant
à la catharanthine et à la tabersonine. L’acétate de stemmadénine est converti en catharanthine par les
enzymes précondylocarpine acétate synthase (PAS),
dihydroprécondylocarpine synthase (DPAS) et catharanthine synthase (CS).
Parallèlement, l’acétate de stemmadénine peut être également converti en
tabersonine grâce à l’action des enzymes précondylocarpine acétate
synthase (PAS), dihydroprécondylocarpine synthase (DPAS) et tabersonine
synthase (TS). Les étapes menant de la tabersonine à la vindoline ont
été caractérisées dans de précédentes études. |
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Demain, des levures de bière produiront les précurseurs des vinca-alcaloïdes
anticancéreux… Notre équipe est à l’origine de la découverte de bon nombre d’enzymes impliquées dans
la biosynthèse des AIM [12]. Il est donc envisageable dès à présent de développer à court terme des
levures capables de bioproduire par ingénierie métabolique et « à grande échelle »
les précurseurs vindoline et catharanthine qui pourront être utilisés pour
l’hémisynthèse des vinca-alcaloïdes anticancéreux. Au-delà de ces résultats prometteurs et en s’inscrivant dans la transition
chimie-bioproduction opérée dans l’industrie pharmaceutique, il sera possible, dans
un futur proche, de transposer cette approche à la bioproduction de diverses
familles chimiques d’anticancéreux, mais également à d’autres molécules d’intérêts
pharmaceutiques. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
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Footnotes |
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