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| Med Sci (Paris). 35(5): 479–482. doi: 10.1051/medsci/2019082.Des souris, des rats et des hommes En quoi les modèles rongeurs restent indispensables pour la
production de connaissances Hélène Hardin-Pouzet1* and Serban Morosan2 1Sorbonne Université, UM 119, Inserm UMRS 1130, CNRS UMR
8246, Neuroscience Paris Seine, Institut de Biologie Paris
Seine, 7, quai
Saint-Bernard, 75005Paris,
France 2Sorbonne Université, UMS 28, Inserm, Faculté de
Médecine, F-75013Paris,
France |
Vignette (Photo © Hélène Gilgenkrantz). L’appartenance des rongeurs à la classe des mammifères les rend proches de l’homme, même
s’ils n’en partagent pas toutes les caractéristiques. Parmi les mammifères, leurs
propriétés zootechniques (petite taille, reproduction rapide et en grand nombre) leur
confèrent une qualité indéniable d’organismes-modèles, et ils sont largement répandus
dans les divers laboratoires de par le monde. Le Tableau I en est un témoignage, avec la longue liste des Prix
Nobel dont les découvertes ont été obtenues grâce aux modèles rongeurs, le premier étant
celui de Nicolle en 1928. Il a été suivi en 1939 par celui décerné à Domagk pour la
découverte du premier antibiotique commercialement exploitable, le sulfamidochrysoïdine
(ou Prontosil®), qui a été rapidement supplanté par la pénicilline, ayant valu elle-même
le Prix Nobel en 1945 à Fleming, Flore et Chain !
Tableau I.
Année |
Lauréats |
Thèmes |
1928 |
C. Nicolle |
Pathogenèse du typhus |
|
1939 |
G. Domagk |
Effets antibactériens du Pronostil® |
|
1943 |
E.A. Doisy, H. Dam |
Découverte de la fonction de la vitamine K |
|
1945 |
A. Fleming, E.B. Chain, H. Florey |
Découverte de la pénicilline |
|
1951 |
M. Theiler |
Vaccin contre la fièvre jaune |
|
1954 |
J.F. Enders, T.H. Wellers, F.C. Robbins |
Vaccin contre la poliomyélite |
|
1964 |
K.E. Bloch, F. Lynen |
Régulation du métabolisme du cholestérol et des acides
gras |
|
1966 |
F.P. Rous, C.B. Huggins |
Virus induisant des tumeurs et traitement hormonaux des
cancers |
|
1968 |
R. Holley, G. Khorana, M. Nirenberg |
Interprétation du code génétique et synthèse des
protéines |
|
1970 |
J. Axelrod, B. Katz, U. von Euler |
Physiologie des neurotransmetteurs |
|
1974 |
A. Claude, C. de Duve, G. Palade |
Organisation fonctionnelle et structurale des
cellules |
|
1975 |
H.M. Ternin, R. Dulbecco, D. Baltimore |
Interactions entre les virus oncogènes et le
génome |
|
1980 |
J. Dausset, J.D. Snell, B. Benaceraff |
Description et fonction du complexe majeur
d’histocompatibilité |
|
1982 |
S.K. Bergström, B.I. Samuelsson, J.R. Vane |
Découverte des prostaglandines |
|
1984 |
N. Jerne, G. Köhler, C. Milstein |
Principe de production des anticorps monoclonaux |
|
1985 |
M.S. Brown, J.L. Goldstein |
Découverte de la régulation du métabolisme du
cholestérol |
|
1986 |
S. Cohen, R. Levi-Montalcini |
Facteur de croissance des nerfs (NGF) et facteur de
croissance épidermique (EGF) |
|
1987 |
S. Tonegawa |
Principes génétiques à l’origine de la diversité des
anticorps |
|
1988 |
J. Black, G.B. Bion, G.H. Hitchings |
Découverte des facteurs les plus importants pour la
conception des médicaments |
|
1996 |
P. Doherty, R. Zinkernagel |
Reconnaissance par le système immunitaire de cellules
infectées par un virus |
|
1997 |
S. Prusiner |
Découverte des prions |
|
1999 |
G. Blobel |
Découverte des signaux intrinsèques des protéines
permettant leur localisation et leur transport dans la cellule |
|
2000 |
A. Carlsson, P. Greengard, E.R. Kandel |
Transduction du signal nerveux |
|
2004 |
R. Axel, L.B. Buck |
Récepteurs olfactifs et organisation du système
olfactif |
|
2007 |
M.R. Capecchi, M.J. Evans, O. Smithies |
Principe de l’introduction spécifique d’une
modification génétique, cellules embryonnaires souches |
|
2008 |
H. zur Hausen, F. Barré-Sinousi, L. Montagnier |
Découverte des papillomavirus et du virus de
l’immunodéficience humaine |
|
2009 |
E. Blackburn, C. Greider, J. Szostak |
Protection des chromosomes par les télomères et la
télomérase |
|
2010 |
R. Edwards |
Développement de la fécondation in
vitro
|
|
2011 |
J. Hoffmann, B. Beutler, R. Steinman |
Système immunitaire inné et cellules dendritiques |
|
2012 |
J.B. Gurdon, S. Yamanaka |
Reprogrammation des cellules pour devenir
pluripotentes |
|
2014 |
J. O’Keefe, M.B. Moser, E.I. Moser |
Centre GSP du cerveau et
positionnement dans l’espace |
Prix Nobel de physiologie ou médecine ayant utilisé des modèles
murins.
|
|
La souris (Mus musculus) est actuellement l’organisme-modèle le plus
utilisé en recherche biomédicale. Elle présente de nombreux intérêts : sa taille (10
cm, 35 grammes en moyenne), sa courte durée de vie (de l’ordre d’un an), son rythme
rapide de reproduction (3 à 8 petits par portée et une gestation de 21 jours) et
son faible coût par rapport à d’autres organismes-modèles. Il est ainsi possible
d’élever des colonies de taille suffisante et dans un laps de temps raisonnable pour
obtenir des résultats ayant une réelle validité statistique. La génétique de la
souris est étudiée depuis longtemps (un des pères de la génétique murine est le
français Lucien Cuénot, 1866-1951) et de nombreux mutants spontanés sont
disponibles. L’isolement de lignées consanguines ou isogéniques a permis de réduire
la variation naturelle entre les sujets et, à l’inverse, de mettre en évidence
l’importance du fonds génétique. C’est le cas par exemple de cette étude de
toxicologie réalisée par Church et al. démontrant l’importance du
fonds génétique dans la toxicité d’un extrait du thé vert [4]. Le séquençage complet du génome de la souris, en 2002, a démontré la proximité
phylogénétique des souris et des hommes : 90 % des gènes humains ont un équivalent
chez la souris, permettant d’élaborer des approches génétiques et fonctionnelles
valides. Lorsque les gènes orthologues produisent des effets différents entre souris
et homme, le remplacement dans le génome du gène de la souris par son équivalent
humain permet cependant la création de lignées humanisées. Ainsi, les souris SCID
(severe combined immunodeficiency) et leurs dérivées, toutes
immunodéficientes, ont permis le développement des modèles humanisés, notamment pour
la production d’anticorps monoclonaux humains à visée thérapeutique, permettant,
entre autres, une bonne prise de greffe lors de transplantation chez l’homme1. L’infectiologie et la parasitologie sont aussi
des domaines qui font appel à des modèles de souris humanisées grâce à la
construction de lignées susceptibles à l’infection par certains micro-organismes,
comme la bactérie Listeria monocytogenes, les virus de l’hépatite B
et C (HBV, HCV) ou encore le parasite Plasmodium falciparum [5]. Le développement des outils de transgenèse et la possibilité de cultiver des
cellules-souches totipotentes (cellules souches embryonnaires ou CSE) ont permis de
créer de nombreux mutants de type knock-in (intégration) ou
knock-out (délétion) : 10 000 gènes avaient ainsi été inactivés
en 2010 et plus 21 000 en 2012. Le prix Nobel de 2007 a d’ailleurs récompensé
Capecchi, Evans et Smithies pour leurs travaux sur la recombinaison homologue et les
CSE. Le raffinement, ces dernières années, des technologies de recombinaison, de
type Cre-lox2 ou CRISPR/Cas9 (clustered
regularly interspaced short palindromic repeat) [24] (→) et de transgenèse
inductible, renforce encore l’intérêt de ces modèles. On peut citer comme exemple
récent la mise au point de modèles bioluminescents, permettant de tester des agents
anti-microbiens contre des infections résistantes aux antibiotiques classiques
[6].
(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2014, page
1066
Le domaine de la génétique n’est pas le seul dans lequel le modèle souris se révèle
performant : les différents systèmes de son organisme présentent une organisation et
une régulation proches de celles de l’homme. Également, les souris sont susceptibles
de contracter certaines maladies humaines telles que le diabète, certains cancers,
des troubles liés à l’anxiété, etc. Ainsi, de nombreux modèles des maladies
d’Alzheimer, de Creutzfeldt-Jakob, de Parkinson ont été développés. Ils ont par
exemple permis de démontrer l’implication de l’alpha-synucléine dans l’étiologie de
la maladie de Parkinson. Ils permettent également de tester de nouvelles
préparations galéniques, comme ce modèle d’étude des effets anesthésiques de
préparation de liposomes sur un bloc nerveux périphérique [7]. Dans le domaine des réponses inflammatoires
et immunitaires, un modèle de souris permettant la déplétion transitoire des
neutrophiles a conduit à de nouvelles avancées dans la compréhension des mécanismes
du choc endotoxinique [8]
(→).
(→) Voir la Synthèse de C.M. Gillis et L.L. Reber, m/s n° 4, avril 2018, page
339
La cancérologie est un champ d’utilisation de modèles souris nécessitant des
caractéristiques particulières : ils doivent permettre le développement des tumeurs
avec une haute pénétrance et reproductibilité, et une possibilité de suivre la
progression de la tumeur et l’effet du traitement [9]. Ces modèles se raffinent progressivement
pour en repousser les limitations [10]. Ils se sont cependant déjà révélés fructueux dans l’étude des
cancers du côlon, du sein, de la peau, des cancers oculaires, etc. Ainsi, les
traitements par le taxol ont été mis au point, entre autres, grâce à des modèles
chimères souris-homme. Actuellement, l’efficacité de certains traitements
anti-cancéreux est en premier lieu testée sur des modèles souris, ce qui a conduit
l’université de Harvard (Beth Israel Deaconess Medical Center et
Harvard Medical School) à développer un centre dédié, le «
Mouse hospital - preclinical murine pharmacogenetics
core »3. Mais, comme pour tout organisme-modèle, il existe des domaines pour lesquels la
souris n’est pas un modèle valide : par exemple, les mécanismes de réponse à
l’ischémie et à l’hypoxie sont différents de ceux de l’homme [11] ou encore ceux impliqués dans la
réponse à un choc septique [12], ce qui nécessite de développer ces champs d’investigation à l’aide
d’autres modèles qu’ils soient in vivo ou in vitro. |
Le rat (Rattus norvegicus) est l’autre espèce de rongeur utilisée en
recherche biomédicale, même si son importance numérique est moindre que celle de la
souris. C’est aussi une espèce de petite taille qui présente l’avantage, par rapport
à la souris, d’être plus proche physiologiquement de l’homme, conférant ainsi aux
résultats des recherches une meilleure performance translationnelle [13]. Ainsi, le rat représente
le modèle de choix pour tester l’efficacité ou la toxicité de molécules avant de
passer aux essais pré-cliniques chez l’homme. Le rat est plus grand que la souris (environ 10 fois plus). Il est ainsi plus facile
à manipuler, par exemple pour des gestes chirurgicaux. Sa taille autorise aussi des
volumes de prélèvement plus importants et une imagerie plus facile qu’avec la
souris. Il a une durée de vie plus longue que la souris (de l’ordre de deux ans)
permettant des études sur les mécanismes du vieillissement ou les phénomènes
neurodégénératifs [14]. Sa
neuroanatomie est proche de celle de l’homme en termes de fonction des territoires
cérébraux et de connectivité. Sa plus grande taille facilite la possibilité de
mettre en œuvre des techniques d’optogénétique permettant de stimuler très
précisément certains réseaux neuronaux. Cette espèce présente également une très
grande variété de profils de comportements, ce qui la rend particulièrement
intéressante pour les études sur les mécanismes de l’apprentissage et de la
mémorisation ainsi que pour les mécanismes de la récompense et de l’addiction [15,16]. On peut prendre pour exemple le Prix Nobel
de Physiologie ou Médecine 2014, attribué à O’Keefe, Moser et Moser, mettant en
évidence les cellules de lieu dans l’hippocampe4, ou encore ce modèle de binge drinking (consommation
d’alcool excessive en un temps court), le premier modèle pré-clinique réaliste,
élaboré par Jeanblanc [17].
Le modèle rat a également permis des avancées dans l’étude des cancers. Ainsi, pour
les cancers de la prostate qui sont classés au 2e rang dans les cancers
de l’homme avec plus de 300 000 décès en 2012, le rat s’avère avoir une sensibilité
aux hormones proche de la sensibilité humaine et il présente un développement
histologique des tumeurs similaire. Sa taille permet en outre de suivre par imagerie
la carcinogenèse [18]. Dans
le cas des études portant sur l’endométriose, le premier modèle qui a été développé
l’a été chez le rat [19].
Il a permis de nombreuses avancées dans la compréhension de la physiopathologie,
notamment en démontrant le rôle des métalloprotéases matricielles (MMP) dans
l’établissement des lésions ectopiques [20]. Ce modèle est actuellement utilisé pour explorer les
effets d’une exposition à des perturbateurs endocriniens comme facteurs étiologiques
de l’endométriose [21]. Plusieurs modèles de rats mutants spontanés sont utilisés, notamment dans le domaine
de la recherche cardio-vasculaire avec la souche SHR (spontaneously
hypertensive rat) atteinte d’hypertension artérielle, dans celui de la
physiologie rénale avec la souche Brattleboro atteinte de diabète insipide d’origine
centrale, ou enfin dans le domaine de l’obésité avec la souche Zucker. Les modèles rats ont souffert pendant longtemps des difficultés à mettre en œuvre les
outils de l’édition du génome dans cette espèce. Les premiers rats déficients en un
gène (knock-out) ont été générés en 2010 par recombinaison de CSE
[22]. Cependant, les
cellules ES de rat sont plus fragiles que celles de la souris, ce qui limite leur
usage. Les techniques d’édition (ou modification) du génome sont maintenant
disponibles chez le rat (zinc finger nucleases [ZFN],
transcription activator-like effector nucleases [TALEN],
CRISPR/Cas9) [23], ce qui
suggère que la transgénèse devrait se développer maintenant très rapidement. |
Comme nous venons de le voir dans ces différents exemples, le recours aux modèles
animaux reste indispensable à la production de connaissances dans différents champs
disciplinaires de la biologie. Les rongeurs constituent des organismes-modèles
présentant de multiples avantages, notamment liés à leur physiologie proche de celle
de l’homme. Cependant, ils présentent aussi leurs limites, en termes de zootechnie,
de diversité génétique ou d’infectiosité. Ces limites peuvent être contournées par
l’usage d’un éventail plus large de modèles expérimentaux, autres
organismes-modèles, méthodes alternatives, ou méthodes d’investigation non invasives
chez l’homme lui-même, la complémentarité entre différentes approches constituant en
outre une source de robustesse des résultats expérimentaux. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
|
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