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Med Sci (Paris). 35(6-7): 515–518.
doi: 10.1051/medsci/2019108.

Identification de cibles thérapeutiques et repositionnement de médicaments par analyses de réseaux géniques

Andrée Delahaye-Duriez,1,2,3 Clémence Réda,1,4 and Pierre Gressens1

1NeuroDiderot, UMR 1141, Inserm, Université de Paris, Sorbonne Paris Cité, Hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019Paris, France.
2Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, UFR de santé, médecine et biologie humaine, 93000Bobigny, France.
3Service histologie-embryologie-cytogénétique-biologie de la reproduction-CECOS, Hôpital Jean Verdier, AP-HP, 93140Bondy, France.
4École Normale Supérieure Paris-Saclay, 94230Cachan, France.

MeSH keywords: Découverte de médicament, Repositionnement des médicaments, Régulation de l'expression des gènes, Réseaux de régulation génique, Humains, Récepteurs de surface cellulaire, méthodes, analyse

Développement et validation de thérapies

Malgré les avancées technologiques et l’amélioration des connaissances sur les maladies humaines, les progrès thérapeutiques restent lents. L’identification et la validation de cibles thérapeutiques demeurent des étapes critiques du processus de découverte de médicaments. Le développement de nouvelles molécules est long et coûteux. La validation de l’efficacité des molécules candidates et les démarches nécessaires pour obtenir une mise sur le marché représentent des investissements importants pour l’industrie pharmaceutique. Une alternative efficace est le repositionnement de médicaments ou drug repurposing. Le repositionnement de médicament consiste à utiliser des molécules déjà présentes sur le marché pour les appliquer à d’autres maladies qui ne relèvent pas de l’indication médicale d’origine [1] ().

(→) Voir l’Éditorial de C. Martinat et M. Peschanski, m/s n° 12, décembre 2018, page 1019

Identification des réseaux de régulation génique perturbés en pathologie

La caractérisation d’une maladie en termes de perturbations de réseaux de régulation génique, ou GRN (gene regulatory network) offre des opportunités considérables pour accélérer l’identification de cibles thérapeutiques et guider le repositionnement de médicaments. Les GRN sont des réseaux complexes de gènes, de protéines, et de petites molécules dont les interactions contrôlent les fonctions biologiques. Grâce aux efforts concertés de la génétique, de la biologie moléculaire, de la biochimie et de la physiologie, des quantités énormes de données portant sur les différents composants de ces réseaux sont maintenant disponibles. Les domaines de la génomique fonctionnelle et de la biologie des systèmes développent et utilisent des modèles mathématiques afin d’étudier et de prédire le comportement de ces GRN. Une des approches pour les identifier est d’étudier la co-expression des gènes. Si l’on dispose de suffisamment de profils d’expression recueillis à partir de plusieurs échantillons et selon plusieurs conditions expérimentales, on peut alors évaluer la similarité de l’expression de chaque paire de gènes et construire un réseau génique à partir duquel il sera possible de regrouper les gènes présentant un profil d’expression similaire et ainsi construire des modules de gènes co-exprimés (Figure 1). Ces modules sont intéressants sur le plan biologique. Ils sont en effet fonctionnellement liés et codent des protéines qui, pour la plupart, interagissent entre elles. Ils reflètent également les GRN en révélant leur contrôle et les liens de régulation qui les régissent [2]. L’intégration avec des données de susceptibilité génétique ou des informations phénotypiques permet de connecter des modules de gènes co-exprimés ou des GRN à des états pathologiques. Ainsi, on peut identifier des voies de transmission de signaux cellulaires impliqués dans une maladie et leurs régulateurs comme de nouvelles cibles thérapeutiques [3]. Il existe plusieurs exemples fructueux dans lesquels l’application d’approches de cartographie d’expression de traits quantitatifs d’expression (expression quantitative trait loci, eQTL) à des modules de gènes co-exprimés associés à une maladie a permis l’identification de régulateurs clés comme celle de possibles cibles thérapeutiques [4-6]. Pourtant, les régulateurs identifiés ne constituent pas toujours des cibles facilement exploitables d’un point de vue thérapeutique. C’est pourquoi d’autres approches intègrent les régulations liées spécifiquement aux protéine kinases, comme X2K (programme eXpression2kinase) [7] ou aux récepteurs membranaires [8].

Exemple d’identification d’un récepteur membranaire comme cible thérapeutique

Dans un travail interdisciplinaire coordonné par Michael Johnson et Enrico Petretto, en collaboration avec UCB Pharma et Clarivates Analytics, une série d’analyses appelée CRAFT (causal reasoning analytical framework for target discovery) a été développée de façon à sélectionner les récepteurs membranaires participant à la régulation de l’expression génique dans la direction opposée à celle observée en pathologie [8]. Comme preuve de concept, CRAFT a été appliqué à l’épilepsie et a permis d’identifier CSF1R (colony-stimulating factor 1 receptor) comme une cible thérapeutique. Dans un modèle murin d’épilepsie du lobe temporal (TLE, temporal lobe epilepsy) induite par l’injection de pilocarpine, les réseaux de transcription dans les hippocampes ont été analysés et des modules de gènes co-exprimés associés à la maladie épileptique ont été isolés. Douze modules se sont révélés être différemment co-exprimés de manière significative entre des hippocampes épileptiques et des hippocampes témoins (100 échantillons dans les deux cas). Pour hiérarchiser davantage les modules en fonction de leur relation à l’épilepsie, la corrélation entre l’expression de chaque module et la fréquence des crises a été explorée. Parmi les 9 modules dont l’expression était reliée aux crises, le module 18 s’est révélé être le plus significativement corrélé aux convulsions. Ce module était particulièrement enrichi en gènes connus pour coder des protéines impliquées dans les processus inflammatoires ainsi qu’en gènes marqueurs des cellules microgliales. Sept modules, dont ce module 18, sont conservés chez l’homme. Ils sont également co-exprimés de manière significativement différente dans les pièces chirurgicales d’hippocampes de patients atteints d’épilepsie du lobe temporal par rapport aux données obtenues à partir de prélèvements post-mortem sur des hippocampes d’individus dépourvus d’antécédent psychiatrique ou neurologique. La suite d’analyses CRAFT a été appliquée aux 7 modules candidats sélectionnés. CRAFT permet de modéliser les différents scénarios de régulation induite par des récepteurs membranaires sur des facteurs de transcription et leurs gènes cibles. Des tests statistiques ont permis d’ordonner ces récepteurs membranaires selon leur influence sur les gènes du module testé, dans une direction opposée à celle observée dans les hippocampes épileptiques. CSF1R (colony-stimulating factor 1 receptor) a été ainsi prédit comme un régulateur de deux des sept modules candidats (dont le module 18). Il a alors été émis l’hypothèse que le blocage de ce récepteur pourrait être une cible thérapeutique dans le traitement de l’épilepsie. La disponibilité du PLX3397 (Pexidartinib), un inhibiteur connu de CSF1R, a permis de tester expérimentalement cette hypothèse. Le blocage de CSF1R a atténué les crises épileptiques dans trois modèles précliniques d’épilepsie, ce qui a permis de confirmer qu’il était une cible thérapeutique potentielle pour lutter contre l’épilepsie acquise. CSF1R est un récepteur membranaire exprimé par les cellules de la lignée myéloïde, notamment les monocytes, les macrophages et la microglie. Il a été suggéré que la survie des cellules microgliales dépendait de la signalisation induite par CSF1R, un traitement prolongé à fortes doses de PLX3397 (c’est-à-dire 5 à 6 fois supérieure à celle utilisée dans le travail de Srivastava et al. [8]) entraînant une réduction du nombre de cellules microgliales dans le cerveau de souris naïves [9]. Aux doses faibles de PLX3397, telles qu’utilisées par Srivastava et al. [8], il n’y a pas de mort cellulaire des cellules microgliales, mais les changements d’expression des gènes du module 18 associés à l’épilepsie sont inversés. L’efficacité antiépileptique de PLX3397 a été démontrée dans deux modèles murins d’épilepsie du lobe temporal : le modèle utilisant la pilocarpine et celui impliquant le kainate1,. Dans les deux modèles, PLX3397 a significativement réduit la fréquence ou la durée des crises spontanées. En revanche, PLX3397 n’a pas montré d’efficacité dans trois modèles de crises aiguës chez les souris non épileptiques : le modèle de crise par électrochoc maximal, le modèle de crise à 6 Hz2, et le modèle au PTZ (pentylènetétrazole)3. Ces données distinguent clairement le PLX3397 de tous les médicaments antiépileptiques/anticonvulsivants actuellement utilisés, qui sont généralement efficaces dans de tels modèles de crises épileptiques. Cette étude démontre donc que la restauration de l’expression des modules liés à la maladie vers un état sain permet de prédire l’efficacité thérapeutique et ouvre le pas à une accélération de l’identification et de la validation de nouvelles cibles thérapeutiques non seulement pour le traitement de l’épilepsie, mais également pour celui d’autres maladies.

Application pour le repositionnement de médicaments

La quantification de l’inversion des changements d’expression génique associés à un état pathologique peut être exploitée pour prédire l’efficacité des médicaments. Les composés thérapeutiques sont alors jugés non pas par leur affinité de liaison avec une protéine particulière, mais par leur capacité à induire une réponse transcriptionnelle anti-corrélée au programme de régulation de l’expression génique qui sous-tend l’état pathologique ou l’exposition à un facteur de risque. Les approches fondées sur ce paradigme de l’inversion de signature bénéficient de bases de données publiques de profils d’expression des gènes de lignées cellulaires traitées avec des composés chimiques, comme CMap (connectivity map) [10]. Par exemple, parmi les nombreux médicaments référencés dans cette base de données, l’acide valproïque, un médicament antiépileptique largement utilisé, a été prédit comme le meilleur pour inverser la signature d’expression génique d’un module associé à l’épilepsie [11]. Dans la continuité de CMap, la base de données LINCS (library of integrated network-based cellular signatures, http://www.lincsproject.org) des NIH (National institutes of health, États-Unis) s’enrichit considérablement et contient aujourd’hui des profils d’expression pour plus de 20 000 molécules [12,13]. Ces données en accès libre représentent une énorme ressource pour effectuer des criblages in silico de molécules. La création de méthodes d’exploitation systématique de ces données pour générer de nouvelles hypothèses d’efficacité de médicaments est un défi qui nécessite la collaboration de chercheurs spécialisés en mathématiques, en informatique et en biologie. Ces recherches préparent la médecine de précision de demain qui aura, en plus, le défi d’intégrer les données individuelles des patients pour adapter leur traitement de façon personnalisée.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Deux agents convulsivants qui induisent une épilepsie chronique.
2 Correspondant à des décharges de pointe-ondes de 6 Hz.
3 Le pentylènetétrazole (PTZ) est un agent pharmacologique convulsivant.
References
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