Vignette (Photo © Inserm - Bruno Clément).
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Med Sci (Paris). 35(6-7): 519–526. doi: 10.1051/medsci/2019094.La polyploïdie hépatique Dr Jekyll ou Mr Hyde 1Centre de Recherche des Cordeliers, Inserm, Sorbonne
Université, USPC, Université Paris Descartes, Université Paris Diderot,
équipe Proliferation, Stress and Liver Physiopathology,
15, rue de l'École de
Médecine, 75006Paris,
France Corresponding author. | ||||
Vignette (Photo © Inserm - Bruno Clément). | ||||
Chez les eucaryotes, les organismes contiennent généralement dans leurs cellules deux jeux complets de chromosomes homologues, ce qui définit l’état diploïde (soit 2n chromosomes). Toutefois, le nombre d’exemplaires de jeu de chromosomes peut varier d’une cellule à l’autre ou d’une espèce à une autre, c’est ce que définit la ploïdie. Les cellules possédant une seule copie de chaque chromosome (donc n) sont dites haploïdes, celles en présentant deux copies (soit 2n) sont diploïdes, si elles possèdent trois copies (soit 3n) elles seront dites triploïdes, et pour quatre copies (4n), elles seront tétraploïdes, etc. (Figure 1A). La polyploïdie définit donc un patrimoine chromosomique de plus de deux jeux complets de chromosomes [1, 2]. Il est important de noter que le ou les jeux supplémentaires de chromosomes peuvent provenir du même individu (autopolyploïde) ou de l’hybridation de deux espèces différentes (allopolyploïdes). Les variations du nombre de chromosomes peuvent survenir au sein d’un seul et unique noyau définissant la ploïdie nucléaire et permettre l’émergence de populations mononucléées (Figure 1B) [3]. Les cellules multinucléées présentent une répartition du matériel génétique dans deux noyaux ou plus, c’est ce qui caractérise la ploïdie cellulaire (Figure 1B) [3].
Chez les eucaryotes, la polyploïdie n’est pas un phénomène rare. Elle est désormais considérée comme un mode de spéciation commun ayant des conséquences majeures pour l'évolution des plantes, la biodiversité et l'écologie [2, 4]. La polyploïdisation est en effet très fréquente dans le règne végétal [5]. Des cas ont aussi été rapportés chez certains insectes, chez des poissons, des amphibiens ou des reptiles [6]. Chez les mammifères, la polyploïdisation d’un organisme entier est exceptionnelle. Elle entraîne généralement une létalité précoce, des avortements spontanés ou des résorptions embryonnaires [3]. Elle est exceptionnelle, mais pas impossible : le rat viscache (Tympanoctomys barrerae) et ses proches parents (comme son cousin Pipanacoctomys aureus) sont en effet entièrement tétraploïdes [7] ! Chez les mammifères, l’émergence de cellules polyploïdes est associée au développement et à la différenciation de certains tissus. On trouve notamment des cellules polyploïdes dans le cœur (cardiomyocytes : 4n), le placenta (cellules géantes du trophoblaste : 8n à 64n), la moelle osseuse (mégacaryocytes : 16n à 128n) et le foie (hépatocytes : 4n à 8n) [8, 9]. Le processus de polyploïdisation intervient aussi en réponse à des stress mécanique, métabolique ou génotoxique. Conserver un état polyploïde est un véritable défi pour l’organisme. En effet, outre l’augmentation du matériel génétique, la polyploïdie est également associée à une amplification du nombre de centrosomes. Lors de la progression des cellules polyploïdes en mitose, la présence de chromosomes et centrosomes surnuméraires est très souvent associée à des erreurs de ségrégation chromosomique, favorisant la mise en place d’une instabilité chromosomique [10, 11]. De nombreux travaux illustrent d’ailleurs la contribution des intermédiaires polyploïdes dans le génome des cellules cancéreuses [12, 13]. | ||||
Dans un contexte physiologique ou pathologique, il existe un certain nombre de mécanismes qui favorisent la genèse des cellules polyploïdes (Figure 2).
La fusion cellulaire (ou ploïdie cellulaire) Il s'agit du seul processus conduisant à la polyploïdie sans impliquer
d’altérations du cycle cellulaire (réplication et division) (Figure 2A). Par ce mécanisme, la
fusion de membranes des cellules et le mélange de cytoplasmes conduisent à la
génération de cellules majoritairement multinucléées (sans fusion des noyaux).
De nombreuses espèces (comme les levures ou les nématodes) et types de cellules
(les gamètes ou les myoblastes) procèdent à une fusion physiologique pour
maintenir leur homéostasie [14]. Les infections virales jouent également un rôle important dans
la formation de cellules polyploïdes en induisant la fusion des cellules qu’ils
infectent [15].
L’exemple le mieux documenté est l’infection par le virus du papillome humain
(VPH) qui est un facteur de risque très élevé dans le développement du cancer du
col de l’utérus. L’expression de l’oncoprotéine virale VPH-16 E5 à la surface
des cellules épithéliales du col utérin infectées est en effet suffisante pour
la formation de cellules binucléées tétraploïdes [16]. L’expression concomitante des
oncoprotéines VPH-16 E6 et VPH-16 E7 induit un état favorable pour la
prolifération du contingent de cellules tétraploïdes et, en conséquence, la mise
en place d’une instabilité chromosomique [16].L'endoréplication (ou ploïdie nucléaire) Ce processus caractérise un cycle cellulaire sans caryodiérèse ni
cytodiérèse1 qui aboutit à la formation
d’une cellule polyploïde mononucléée (Figure 2B). Les cellules enchaînent des cycles de
réplication de l’ADN (phase S) en omettant totalement (endocycle) ou
partiellement (endomitose) la mitose [17]. Différents mécanismes d’inhibition de la mitose sont
d’ores et déjà connus pour favoriser l’endoréplication [18]. L'un d’eux est la régulation
négative de l'activité des complexes cyclines/CDK (cyclin-dependent
kinase) mitotiques (M-CDK) par protéolyse, via
l’ubiquitine ligase E3 APC/C (anaphase-promoting
complex/cyclosome), ou par interaction des CDK avec des inhibiteurs
(les CKI [CDK inhibitor] p21 et p57) [19]. L’oscillation de l’activité du
complexe cycline E/CDK2 (de faible à élevée entre les phases G et S) permet aux
cellules d’initier des cycles d’endoréplication séquentiels. Ce processus a fait
l'objet de nombreuses études chez Drosophila melanogaster. Il a
notamment été montré que les cellules de la plupart des tissus larvaires, ainsi
que de nombreux tissus adultes, se divisent par endoréplication. Chez les
mammifères, lors de l’implantation des blastocystes, les cellules géantes du
trophoblaste (TGC) effectuent des cycles d’endoréplication et peuvent accumuler
jusqu’à 1 000 jeux de chromosomes. Un lien étroit existe entre cycles
d’endoréplication et instabilité du génome [19]. Ces mécanismes ont particulièrement été explorés au cours du
cycle de division de lignées de cellules transformées présentant des
altérations de la réplication de l’ADN (stress de la réplication) ou de
l’intégrité des télomères induisant, en phase G2, l’activation du programme
de réponse aux dommages de l’ADN (DNA damage response, ou DDR)
[8]. Lorsque les dommages sont
irréparables, la persistance du DDR induit un arrêt irréversible du cycle
cellulaire et la cellule sort de réplication en omettant l’étape de mitose
[20].La cytodiérèse incomplète (ou ploïdie cellulaire) Ce mécanisme se traduit par un cycle cellulaire avec caryodiérèse (division du
stock chromosomique du noyau en deux lots) mais sans cytodiérèse (partage du
cytoplasme), ce qui aboutit à la formation d’une cellule polyploïde binucléée
(Figure 2C). Il
est admis, depuis des dizaines d’années, que la cytodiérèse incomplète est un
processus physiologique qui participe au développement de certains tissus, comme
le cœur [21] et la
moelle osseuse [22]. Si
nous prenons l’exemple du tissu cardiaque, après la naissance, les
cardiomyocytes ventriculaires répondent à une amplification du flux sanguin par
une augmentation adaptative du volume (hypertrophie). Ce passage de
l'hyperplasie à l'hypertrophie est clairement associé à une polyploïdisation. La
cycline G1 a été identifiée comme un acteur important de la machinerie
moléculaire contrôlant ce processus. Son expression dans les cardiomyocytes
néonataux favorise la transition du cycle cellulaire G1/S mais inhibe la
cytodiérèse, favorisant ainsi la binucléation des cellules [23]. Une altération de l’expression
et/ou de la localisation de protéines contrôlant la formation et la contraction
de l’anneau d’actino-myosine (les petites GTPases : RhoA, Cdc42, Rac1 ; les
kinases ROCK [Rho-associated coiled-coil containing protein
kinase]-I et -II ; et l’anilline) est également observée [24, 25]. Le mécanisme de cytodiérèse
incomplète associé à la génération de contingents de cellules polyploïdes a
aussi été rapporté dans de nombreuses pathologies, notamment le syndrome de
Wiskott-Aldrich, la neutropénie liée à l’X, l’anémie de Fanconi, le syndrome de
Lowe, la neurofibromatose de type II ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge
(DMLA) [26]. | ||||
Déterminer la fonction spécifique des cellules polyploïdes est un défi majeur. Dans différents tissus de mammifères, la polyploïdie a été reliée à une modification du génome, de l'épigénome, du transcriptome et du métabolome [27]. Différents avantages ont été associés au statut de polyploïdie, tels que la résistance à l’apoptose, la modification du métabolisme ou la réparation des tissus [17]. Cao et al. ont récemment démontré, dans une étude très élégante réalisée chez le poisson zèbre, le bénéfice pour un tissu d’être polyploïde [28]. Leurs travaux montrent en effet qu’à la suite de la résection d’un partie de l'épicarde2, le processus de régénération induit la prolifération de deux populations cellulaires : des cellules polyploïdes, au plus proche de la lésion (les cellules « leader »), et des cellules diploïdes, plus éloignées de la lésion (les cellules « follower »). Les cellules polyploïdes sont formées par cytodiérèse incomplète induite par une tension mécanique accrue. Elles sont essentielles au processus de régénération et, en fin de processus, elles sont éliminées par apoptose, ce qui suggère une fonction spécifique de ces cellules pour la régénération de l’épicarde lésé. Un bénéfice similaire a également été démontré dans le tissu rénal dans lequel les cellules polyploïdes sont générées par endocycle et permettent le maintien de la fonction du rein [29]. Citons enfin l’avantage pour le tissu de la glande mammaire murine de contenir des contingents de cellules polyploïdes. Dans ce tissu, les cellules alvéolaires devenues binucléées par un cycle de division sans cytodiérèse ont été identifiées comme des « super productrices de lait » [30]. La poursuite des recherches sur le rôle de la polyploïdie dans les fonctions tissulaires devrait révéler la polyvalence de ces cellules et renforcer les données déjà publiées sur le rôle de ces cellules notamment dans la croissance, la régénération et les fonctions vitales. | ||||
Le foie est un organe qui remplit de nombreuses fonctions essentielles, telles que la synthèse et la distribution de nutriments, le métabolisme des acides aminés, des lipides et des glucides, ainsi que la détoxification des xénobiotiques. Ces fonctions sont principalement remplies par les hépatocytes, qui représentent 70 % des cellules du foie, dont l’une des caractéristiques est d’être polyploïdes [3]. L’existence de cet état polyploïde a été révélé il y a près d’un siècle (en 1925) par W. Jacoby3. Le degré de polyploïdisation dans le foie varie selon l’espèce : chez les rongeurs, plus de 90 % des hépatocytes sont polyploïdes ; chez l’homme, le pourcentage d’hépatocytes polyploïdes atteint 30 à 40 % dans le foie adulte, les hépatocytes étant majoritairement tétraploïdes. | ||||
Le développement hépatique est un processus prolongé qui perdure au cours de la vie post-natale. Différents travaux ont défini, dans des modèles rongeurs (rat, souris), les mécanismes associés à la génération des hépatocytes polyploïdes : jusqu’au 21e jour (J.21) après la naissance, la majorité des hépatocytes sont diploïdes (2n) et se divisent classiquement en donnant naissance à deux cellules filles diploïdes. Notre équipe a montré qu’un processus de cytodiérèse incomplète intervient après J.21. Il permet la formation du premier contingent de cellules polyploïdes : l’hépatocyte tétraploïde binucléé (2 × 2n) [31]. Cet hépatocyte va jouer un rôle pivot dans la mise en place de la polyploïdisation physiologique. Lors de la transition de l’allaitement au sevrage, un hépatocyte diploïde (2n) peut s’engager dans deux cycles de division différents (Figure 3) : soit un cycle de division normal avec genèse de deux hépatocytes fils diploïdes (2n), soit un cycle cellulaire associé à une cytodiérèse incomplète avec génération d’un hépatocyte tétraploïde binucléé (2 × 2n). Cet hépatocyte est capable de progresser de nouveau dans un cycle de division. Il pourra s’engager soit vers un cycle de division complet, qui aboutira à la formation de deux hépatocytes fils tétraploïdes mononucléés (4n), soit vers un cycle de division incomplet, qui génèrera un hépatocyte octoploïde binucléé (2 × 4n). Notons que dans le foie, lors de la division des contingents de cellules polyploïdes, le regroupement des centrosomes permet de maintenir l’intégrité génomique [31]. Nos travaux ont montré que le mécanisme de cytodiérèse incomplète prend place au cours de la transition entre allaitement et sevrage, en raison d’une augmentation du taux d’insuline [32–34] (→). (→) Voir la Dernière Heure de S. Celton-Morizur et C. Desdouets, m/s n° 6-7, juin-juillet 2009, page 651
La signalisation insulinique contrôle en effet ce processus, en régulant la voie PI3K (phosphatidylinositol 3-kinase)/AKT (protein kinase B) [32, 33]. L’activation de la voie PI3K/AKT empêche la formation de l’anneau contractile, notamment par une absence de réorganisation du cytosquelette au plan de division [35]. Les facteurs de transcription E2F1 et E2F8 contrôlent aussi la genèse des hépatocytes binucléés [9, 36]. En effet, chez la souris, la délétion du gène E2f8 induit dans le parenchyme hépatique une diminution drastique du contingent de cellules binucléées, le tissu adulte restant alors majoritairement diploïde. Ces deux facteurs de transcription réguleraient de façon antagoniste des programmes régulant des gènes de la cytodiérèse [9, 36]. Plus récemment, une étude a révélé l’importance d’un microARN, miR-122, dans le processus de polyploïdisation post-natal. Dans le tissu hépatique, miR-122 inhiberait l’expression de gènes codant des protéines activatrices de la cytodiérèse [37]. Ainsi, la polyploïdie physiologique prend place dans le tissu hépatique par des cycles de division sans cytodiérèse. Dans le tissu sain, les hépatocytes polyploïdes seront majoritairement binucléés (ploïdie cellulaire). | ||||
La polyploïdie n’est-elle qu’une manifestation de la croissance du tissu hépatique ? A-t-elle une fonction particulière ? La signification biologique de la polyploïdisation du foie reste encore assez énigmatique, bien que différentes hypothèses aient été proposées. Première hypothèse : l’économie d’énergie Cette théorie repose sur l’idée qu’un cycle de division court représente un gain
d’énergie pour la cellule. En effet, les évènements de cytodiérèse incomplète
permettraient, en échappant à la mitose, une économie en ressources
énergétiques. Ce phénomène est particulièrement bénéfique lors d’une croissance
tissulaire importante et rapide. Dans le cas du tissu hépatique, la transition
entre allaitement et sevrage est une période de forte consommation énergétique,
associée à d’importantes modifications du métabolisme lipidique, glucidique,
hormonal et du taux de prolifération cellulaire [38]. Pandit et al. ont
ainsi suggéré que la polyploïdisation hépatique permettrait de maintenir
l’homéostasie énergétique [9]. Les travaux
d’Anatskaya et al. étayent cette idée. Ils démontrent par des
approches hauts débits que la signature polyploïde est associée à une production
d'énergie anaérobie et à une production d’ATP provenant plutôt des glucides que
des acides gras [39].
Ces résultats suggèrent qu’un état polyploïde permettrait au foie de passer en «
mode économie d’énergie ».Deuxième hypothèse : le gain de fonction L’état polyploïde permettrait d’augmenter ou de spécifier les capacités
fonctionnelles du foie. L’amplification de deux à quatre fois de l’expression
des gènes pourrait créer, en fait, un « super hépatocyte ». Initialement, les
travaux de Lu et al. semblaient pourtant réfuter cette
hypothèse. En effet, l’analyse différentielle de profils d’expression
d’hépatocytes diploïdes et polyploïdes (4n et 8n) ne met en évidence que 50
gènes candidats différemment exprimés selon le degré de ploïdie [40]. D’autres travaux ont
également conforté cette idée. Ainsi, l’abolition de la polyploïdie dans un
modèle transgénique murin (délétion d’E2f8) ne modifie pas les
fonctions métaboliques et régénératives du tissu, suggérant le peu de rôle de
l’état polyploïde en conditions physiologiques. D’autres données de la
littérature sont néanmoins contradictoires. Ainsi, l’analyse des génomes de
tissus hépatiques présentant différents niveaux de polyploïdie, a révélé un lien
entre polyploïdie et expression génique associée à la survie cellulaire, au
métabolisme, à la synthèse des protéines du sang et à l’immunité [39, 41, 42]. Des études complémentaires sont donc nécessaires pour
déterminer si la production globale de transcription ou de traduction par
cellule varie entre les hépatocytes diploïdes et polyploïdes et pourrait ainsi
moduler certaines fonctions du tissu hépatique.Troisième hypothèse : la protection d’un état de transformation Le foie est considéré comme la « poubelle » de l’organisme. Il est en effet
responsable de la métabolisation et de l’élimination de nombreux composés
toxiques. L’acquisition de plusieurs lots de chromosomes pourrait atténuer
l’effet délétère de mutations inactivatrices qui seraient induites par des
agents causant des dommages à l’ADN. Étayant cette hypothèse, des études
réalisées dans les années 1980 ont montré que l’injection de carcinogènes
chimiques (diéthylnitrosamine et 2-acétylaminofluorène) dans le tissu hépatique
induisait effectivement une amplification spécifique de la population
hépatocytaire diploïde au cours des différents stades du processus de
tumorigenèse [43]. Ces
résultats suggéraient qu’un état polyploïde, dans ce contexte particulier,
protégeait les cellules de la transformation. Des études récentes révèlent
l’existence d’un lien entre régulation de la cytodiérèse, ploïdie cellulaire
(genèse de cellules binucléées) et prolifération de cellules cancéreuses [44–46]. Les protéines régulatrices de
la cytodiérèse, telles que l'anilline et la protéine activant la GTPase Rac 1
(RACGAP1) sont en effet surexprimées dans les carcinomes hépatocellulaires (CHC)
[45, 46]. Les hépatocytes malins sont ainsi
moins susceptibles de générer des hépatocytes binucléés polyploïdes. De même,
dans plusieurs modèles de souris présentant des CHC, l’inhibition de
l’expression de l’anilline réduit le développement des tumeurs [46]. L'inhibition de la cytodiérèse, et
donc l’induction d’une ploïdie cellulaire (genèse de cellules binucléées),
pourraient ainsi protéger de la progression tumorale. | ||||
Tout au long de la vie, le foie est constamment exposé à diverses agressions. Les hépatocytes conservent la propriété unique d'auto-renouvellement : ils sont capables de rétablir le foie ad integrum. De nombreux travaux ont montré, dans le foie adulte, l’existence d’une relation entre des modulations de la polyploïdie et une variété de stress cellulaires (surcharge métabolique, dommages de l'ADN et lésions hépatiques induites par des produits chimiques) [3]. Cependant, les mécanismes associés aux altérations de la polyploïdie n’ont pas été identifiés [3]. Dans de récents travaux, nous avons observé que des hépatocytes saturés en triglycérides enchaînent préférentiellement des cycles d’endoréplication modifiant ainsi la polyploïdie physiologique du tissu hépatique. La stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD, pour non alcoholic fatty liver disease) est l’hépatopathie chronique la plus fréquente dans les pays industrialisés. Elle est associée, notamment, à l’obésité et au diabète de type 2. Cette pathologie se caractérise par une accumulation atypique de triglycérides dans l’hépatocyte. Bien que souvent asymptomatique, cette accumulation peut entraîner une réponse inflammatoire, faisant évoluer la NAFLD en stéatohépatite non alcoolique (ou NASH), qui favorise l’apparition d’une cirrhose et, dans certains cas, le développement d’un carcinome hépatocellulaire. En utilisant des techniques combinant des approches in vitro et in vivo dans des modèles murins de NAFLD, nous avons observé dans le tissu stéatosique une diminution drastique des hépatocytes binucléés (ploïdie cellulaire physiologique) et, à l’inverse, l’émergence d’hépatocytes mononucléés polyploïdes (ploïdie nucléaire, hépatocytes mononucléés 4n ou plus de 8n) (Figure 4). L’amplification de ces contingents de cellules mononucléées polyploïdes a été confirmée dans le parenchyme hépatique de patients ayant développé une stéatose. Ces hépatocytes sont générés par endoréplication en réponse à l’activation du point de contrôle DDR (constituée de la voie de signalisation ATR[ATM and Rad3 related]/p53/p21) [47, 48]. Le stress oxydatif (production d’espèces réactives de l’oxygène-ROS) est responsable de la mise en place des cycles d’endoréplication, provoquant ainsi une polyploïdisation pathologique au sein du tissu hépatique stéatosique [47, 48].
Le développement d’une stéatose hépatique est donc associé à une amplification de cellules mononucléées polyploïdes (ploïdie nucléaire) (Figure 4). Ces contingents de cellules, générés à la suite d’une induction de signalisation dépendante des ROS, présenteraient un fort potentiel d’instabilité génomique et pourraient participer à la carcinogenèse hépatique. | ||||
Le foie est un organe fascinant qui peut modifier son état de ploïdie dans des contextes physiologiques et pathologiques (Figure 4). Un défi futur sera d’examiner et de comprendre notamment : physiologiquement, comment les cellules polyploïdes tolèrent une amplification de chromosomes et de centrosomes et si ce contingent de cellules polyploïdes réoriente les fonctions du tissu (métabolique, régénératif, etc.) ; dans des conditions pathologiques, si l’amplification de la ploïdie nucléaire est associée à d’autres maladies hépatiques, et comment ces cellules se comportent dans les foies endommagés et peuvent participer au processus de tumorigenèse hépatique. | ||||
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. | ||||
Nous tenons à remercier l’ensemble des financeurs essentiels à la réalisation de nos projets : l’Inserm, la Fondation pour la Recherche Médicale (Equipe FRM : EQU201903007824), l’Institut national du cancer (PRTK-2017, PLBIO 2018-140), le Cancéropôle Ile-de-France (Émergence 2015), l’Association française pour l’étude du foie (AFEF-SUBV 2017), EVA-Plan Cancer Inserm HTE et l’Agence nationale de recherche (ANR-16-CE14). | ||||
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