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Med Sci (Paris). 35(6-7): 562–564.
doi: 10.1051/medsci/2019102.

Face aux « revues prédatrices », comment cesser d’être des lapins ?

Quentin Gaday1,2*

1Unité de microbiologie structurale, Institut Pasteur, UMR 3528 CNRS, 25, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
2Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Humains, Diffusion de l'information, Métaphore, Évaluation de la recherche par les pairs, Périodiques comme sujet, Édition, Lapins, normes

 

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Vignette (Photo © Inserm- Koulikoff, Frédérique/Pinci, Alexandra).

2018 sera-t-elle l’année de la victoire contre les parasites intergalactiques ? C’est en tout cas ce que laissait penser un article intitulé « Newer tools to fight inter-galactic parasites and their transmissibility in zygirion simulation »1, paru dans la revue ARC Journal of Pharmaceutical Sciences, en septembre 2018 [1]. Cet article était bien évidemment parodique : il s’agit d’une référence à la série télévisée américaine de science-fiction Rick & Morty, qui fait mention à plusieurs reprises de tels parasites. Le nom de la première auteure de l’article, Beth Smith, est lui-même en réalité celui d’un personnage récurrent de la série. L’anecdote peut faire sourire, mais la publication d’un tel article dans une revue scientifique interpelle sur la qualité de l’évaluation des recherches publiées dans cette revue.

Le véritable auteur de l’article est Farooq Ali Khan, un professeur assistant de l’Institut national d’Éducation et de recherche pharmaceutique en Inde. Celui-ci a voulu dénoncer l’existence de « revues prédatrices » (de l’anglais predatory journals) dans le monde de la recherche. Farooq Ali Khan a soumis son article, intentionnellement fantaisiste et jalonné de fautes et de néologismes, à quatorze revues déjà critiquées à diverses reprises par d’autres scientifiques [2]. Parmi celles-ci, trois ont accepté de le publier directement. Une seule a rétrospectivement retiré l’article, prétextant que celui-ci avait déjà été publié dans un autre journal. Les différentes revues que Farooq Ali Khan a contactées lui ont demandé entre 75 et 2 000 dollars pour publier son article. Ce dernier a cependant pu contourner le problème en rattachant son auteure fantôme, Beth Smith, à différentes universités de pays du Sud (le Maroc ou l’Inde, par exemple), ayant réalisé que ces revues étaient enclines à « accorder une exonération à certains pays à revenus faibles ou moyens ».

Le terme de « revues prédatrices » recouvre un ensemble de critères, parmi lesquels on retrouve l’absence d’évaluation des articles avant publication [2]. Ce constat est alarmant : le système d’évaluation par les pairs (peer review en anglais) est le premier contrôle interne de vraisemblance et de qualité des articles scientifiques. Il permet d’assurer que ce qui est publié est un minimum reconnu par des scientifiques travaillant dans le domaine d’intérêt de l’article. L’absence d’évaluation par les pairs conduit donc à la publication d’articles pouvant être bâclés (manque de contrôles, expériences à refaire), voire trafiqués (montages photographiques). Alors que la communauté scientifique dispose d’outils de dialogue et d’échange, tels que le site PubPeer [3], pour discuter d’articles ne faisant pas l’unanimité après leur publication, ces outils collaboratifs restent malheureusement méconnus de nombre de chercheurs et de chercheuses. Les conséquences sur les politiques publiques peuvent être désastreuses : par exemple, plusieurs articles parus depuis le début des années 2000 ont remis en cause l’innocuité des vaccins et ont établi des liens de causalité entre certains d’entre eux et différentes affections. Ces articles ont ensuite été réfutés par la majorité de la communauté scientifique, du fait de faibles échantillonnages ou de biais méthodologiques, et des études rigoureuses ont été réalisées depuis, qui ont conduit à des conclusions opposées [4]. Néanmoins, comme l’écrivait le philosophe et scientifique anglais Francis Bacon (1561-1626) « Audaciter calomniare semper aliquid haeret »2 et, en 2016, une étude a évalué à 45 % la proportion de Français(e)s émettant des doutes quant à la sécurité des vaccins [5].

Certains scientifiques justifient leur choix de publier dans ces revues mises au ban par la majorité de leur communauté par une critique du système même d’évaluation par les pairs. Contacté par le journal The Guardian [6], Milton Wainwright, professeur de biologie à l’université de Sheffield en Angleterre, a expliqué « utiliser ces journaux à l’arbitrage léger pour contourner le rôle de gatekeeping de l’évaluation par les pairs et proposer un document qui pourra être utilisé à l’avenir par des scientifiques pour évaluer [leur] travail ». Ce chercheur travaille sur la panspermie, la théorie controversée expliquant que la vie terrestre est originaire de l’espace3. Le gatekeeping, qui ne bénéficie pas de traduction exacte en français, est une pratique qui consiste à filtrer ou bloquer les informations. Milton Wainwright craint ainsi que « le système d’évaluation par les pairs refuse de façon active l’accès de ses travaux aux autres chercheurs »

OMICS : le premier pôle éditorial de journaux prédateurs à être sévèrement condamné aux États-Unis

En 2006, Srinubabu Gedela est un jeune étudiant en thèse. Son université* n’a pas les moyens de payer les souscriptions aux grandes revues scientifiques. Chaque mois, ce jeune étudiant se rend en bus à Hyderabad (à plus de 900 km) pour aller consulter les articles qui l’intéressent. En 2008, il achète un domaine internet pour créer une maison d’édition de revues scientifiques en « open access ». Il appelle sa compagnie OMICS Online Publishing et publie, en avril 2008, le premier article de sa première revue Journal of Proteomics & Bioinformatics. Progressivement, une logique économique implacable va prendre le dessus sur l’idéal de départ. Depuis la fondation de sa société, Srinubabu Gedela va créer plus de 700 journaux (dont 350 ont disparu !) et mettre également en place un département pour organiser et gérer, selon ses dires, 3 000 conférences par an (activité qui engendre 60 % des revenus de sa compagnie). En 2016, OMICS atteint un chiffre d’affaire de 11,6 millions de dollars et un bénéfice de 1,2 million de dollars.

C’est alors que les ennuis commencent, car la commission fédérale du commerce des États-Unis (US Federal Trade Commission, FTC) à Washington entame des poursuites contre OMICS devant la Cour de Justice du Nevada (OMICS étant enregistrée aux États-Unis dans cet état). Elle accuse celle-ci d’avoir des pratiques de publications mensongères : fausses assertions d’indexations dans PubMed/Medline, facteurs d’impact créés par la compagnie elle-même pour certains de ses journaux, noms de scientifiques affichés dans les comités éditoriaux n’ayant jamais accepté d’en être membres, acceptation de publications sans processus d’expertise, voire expertise inexistante, avec des listes d’experts n’ayant jamais accepté ce rôle, et … enfin, ambiguïté sur le fait que les auteurs doivent bien évidemment payer pour être publiés.

Le 29 mars 2019, la juge fédérale Gloria Navarro de l’état du Nevada a condamné OMICS International à payer une amende de 50 130 810 dollars**. C’est un premier signal, sévère, adressé aux journaux et sociétés organisatrices de conférences prédatrices, mais la guerre ne fait probablement que commencer…

*L’université d’Andhra à Visakhapatnam, Inde.

**Case 2:16-cv-02022-GMN-VCF : https://www.courthousenews.com/wp-content/uploads/2019/04/Publishing.pdf

On peut en effet redouter que le système d’évaluation par les pairs, censé être impartial (les rapporteur.se.s devant informer le journal d’éventuels conflits d’intérêt qui les empêcheraient d’évaluer correctement l’article avant publication), ne soit pas à l’abri de vendettas personnelles ou de connivences, surtout dans la constellation de microcosmes que constitue le monde de la recherche. Ces frictions sont malheureusement exacerbées dans un contexte de forte pression à la publication à laquelle sont soumis.e.s les chercheur.se.s (publish or perish) [7] ().

(→) Voir le Forum de B. Fusulier, m/s n° 3, mars 2016, page 297

Quelles mesures peut-on imaginer pour lutter contre ces revues prédatrices ? La question est complexe : ces revues ont pu se développer en profitant des critiques à l’égard de l’actuel système d’évaluation par les pairs, attisées par une course permanente à la publication due en partie au système d’évaluation des chercheur.se.s et de leurs laboratoires et à la raréfaction des financements accordés à la recherche. Il est difficile alors d’imaginer une réponse à cette crise de confiance sans passer par une refonte d’un système qui semble s’essouffler. L’existence de garde-fous, comme PubPeer cité plus haut, permet une meilleure discussion entre les chercheur.se.s, mais ces plateformes peinent à s’imposer, dans un contexte grandissant d’accès à l’information à l’ère du tout-numérique. En attendant de pouvoir amorcer un changement du système de publication, qui est en cours de discussion au sein des instances responsables4, il semble donc crucial de mieux éduquer non seulement les étudiant.e.s, mais également le grand public, à la pensée critique et à une meilleure compréhension du fonctionnement de la recherche. À une époque où nous ne sommes qu’à quelques clics d’une réponse à une question que nous nous posons, sans filtre ni censure, savoir séparer le bon grain de l’ivraie devient primordial. D’ici là, il semblerait qu’il faille attendre encore un peu avant de se débarrasser de ces revues prédatrices et des parasites intergalactiques.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 De nouveaux outils pour combattre les parasites intergalactiques et leur transmissibilité dans une simulation zygirionienne.
2 « Calomniez audacieusement, il en restera toujours quelque chose », Francis Bacon, « De dignitate et augmentis scientiarum » (« De la dignité et de l’accroissement des savoirs »).
3 Il ajoute d’ailleurs un peu plus loin lors de son interview « … However, we believe that the peer-review system is actively denying academics access to our work on panspermia (i.e., that life originates from space) … »!
4 Voir le Manifeste de Leiden et la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (DORA) : https://www.hceres.fr/fr/decoder/evaluation-de-la-recherche-criteres-et-indicateurs et http://www.insu.cnrs.fr/node/9663
References
1.
Smith B, Khan FA, Beauregard C, et al. Newer tools to fight inter-galactic parasites and their transmissibility in zygirion simulation . ARC J Pharm Sci. 2018; ; 4 : :8.–12.
4.
Jain A, Marshall J, Buikema A, et al. Autism occurrence by MMR vaccine status among US children with older siblings with and without autism . JAMA. 2015; ; 313 : :1534.–1540.
5.
Larson HJ, de Figueiredo A, Xiahong Z, et al. The state of vaccine confidence 2016: global insights through a 67-country survey . EBioMedicine. 2016; ; 12 : :295.–301.
7.
Fusulier B.. L’expérience de la carrière scientifique aujourd’hui : zoom sur le vécu de chercheurs postdoctorants . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 : :297.–302.