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| Med Sci (Paris). 35(6-7): 584–585. doi: 10.1051/medsci/2019115.La bactérie Wolbachia bloque
l’infection des moustiques par différents pathogènes humains Marwan Naciri1 1École normale supérieure de Lyon, département de biologie,
Master biologie, Lyon, France MeSH keywords: Aedes, Animaux, Antibiose, Culicidae, Virus de la dengue, Humains, Longévité, Lutte contre les moustiques, Vecteurs moustiques, Wolbachia, microbiologie, virologie, méthodes, physiologie |
Actuellement, de nombreux pathogènes émergent ou ré-émergent, principalement du fait du
dérèglement climatique et de l’augmentation de la densité de population et des mobilités
individuelles. C’est en particulier le cas des pathogènes transmis par les arthropodes
hématophages et notamment par le moustique, dont certaines espèces tolèrent bien
l’augmentation de température et s’adaptent efficacement aux environnements urbains. Les
plus meurtriers de ces pathogènes sont le virus de la Dengue (DENV) et le virus
Chikungunya (CHIKV), appartenant au groupe des arbovirus (arthropod-borne
viruses), ainsi que le protozoaire Plasmodium, responsable
du paludisme. Au total, ce sont plus de 500 millions de personnes qui sont infectées par
ces pathogènes chaque année, dont plus de 700 000 en meurent [1]. Une stratégie proposée pour lutter contre ces pathogènes consiste à diminuer la durée de
vie des moustiques qui en sont les vecteurs. L’objectif est que celle-ci soit inférieure
à la durée d’incubation minimale des pathogènes, c’est-à-dire la durée de développement
minimale au sein du vecteur dont ont besoin les pathogènes avant qu’ils puissent être
transmis à l’homme. Pour cela, il est possible d’introduire in natura
des moustiques porteurs de certaines souches bactériennes du genre
Wolbachia. Le genre Wolbachia regroupe des espèces
de bactéries Gram-négatives qui sont associées à de très nombreux arthropodes. On estime
en particulier que 40 à 60 % des espèces d’insectes sont associées à
Wolbachia. Lorsque Wolbachia infecte un organisme,
elle pénètre dans les cellules et y persiste au sein de vésicules.
Wolbachia infecte préférentiellement les cellules des organes
sexuels, ce qui lui permet de manipuler la reproduction de son hôte de façon telle que
la propagation de la bactérie au sein de la population hôte est favorisée. En
laboratoire, il est possible d’infecter des moustiques par certaines souches de
Wolbachia qui ne les infectent pas naturellement, comme par exemple
des souches bactériennes isolées de drosophile. Contrairement aux infections qui
surviennent naturellement, certaines de ces trans-infections provoquent la diminution de
l’espérance de vie du moustique : introduire des moustiques porteurs d’une souche de
Wolbachia adéquate est ainsi une stratégie envisagée pour lutter
contre des pathogènes humains [2]. Moreira et al. ont étudié un autre effet sur le moustique
de la trans-infection par Wolbachia : la modulation de sa résistance à
l’infection par les pathogènes humains DENV, CHIKV et Plasmodium [3]. |
La bactérie Wolbachia bloque l’infection de son hôte par différents
pathogènes Moreira et al. ont d’abord étudié l’impact de l’infection de
moustiques avec la souche wMelPop de Wolbachia sur
la capacité du DENV à les infecter. Des moustiques Aedes aegypti
très répandus dans l’hémisphère sud et principaux vecteurs de nombreux virus dont le
DENV et le CHIKV, issus d’élevage ou capturés, ont été infectés ou non par
Wolbachia puis par le DENV. Ces expériences ont montré que la
présence de Wolbachia est corrélée à un nombre de copies d’ARN du
DENV jusqu’à 104 fois plus faible par rapport aux moustiques non associés
à la bactérie. Plus intéressant encore, chez les moustiques portant
Wolbachia, aucune trace du virus n’était détectable dans la
salive (par laquelle la transmission à l’homme a lieu lors d’une piqûre). Les
auteurs ont en outre observé que chez les moustiques portant
Wolbachia et infectés par le virus, bactérie et virus
n’infectent pas les mêmes cellules. Le même effet de Wolbachia contre une infection par le CHIKV et par
Plasmodium a pu être mis en évidence. Le fait que
Wolbachia interfère avec l’infection du moustique par des
pathogènes aussi divers indique que le mécanisme d’action est probablement
général. |
Comment la bactérie Wolbachia bloque-t-elle l’infection par ces pathogènes
? Moreira et al. ont ensuite cherché à élucider les mécanismes
responsables de ce blocage. Des travaux antérieurs avaient démontré que l’expression
de gènes de l’immunité de A. aegypti est activée lors d’une
infection par le DENV. De même, le microbiote intestinal du moustique peut également
activer l’expression de certains de ces gènes [4]. Les auteurs ont donc avancé l’hypothèse que
l’activation du système immunitaire du moustique par Wolbachia
permet à celui-ci de lutter plus efficacement contre une infection ultérieure par un
autre pathogène. Ils ont donc étudié par RT-qPCR (reverse transcription
quantitative polymerase chain reaction) le taux d’expression de
certains de ces gènes à l’échelle de l’organisme entier, en présence ou non de
Wolbachia. Ils ont ainsi démontré que
Wolbachia a pour effet d’activer l’expression de gènes
impliqués dans la lutte antimicrobienne, dont les gènes codant des peptides
antimicrobiens comme les cécropines, les défensines et les lectines de type C, ce
qui en retour pourrait limiter la propagation d’autres microorganismes, comme les
arbovirus et Plasmodium étudiés ici. Les auteurs de cette étude suggèrent également que l’inhibition de l’infection par le
DENV par Wolbachia peut être due, en partie du moins, à une
compétition entre les deux pathogènes pour certains composants cellulaires. Le
cholestérol de l’hôte est un candidat sérieux puisqu’il est nécessaire à la survie
de nombreuses bactéries parasites [5] ainsi qu’à l’infection, la réplication et la transmission de certains
arbovirus [6,7] et au développement de
Plasmodium au sein de son hôte [8]. Cela serait cohérent avec l’exclusion
réciproque de Wolbachia et du DENV à l’échelle cellulaire observée
par les auteurs de cette étude. Dans des travaux plus récents, plusieurs équipes ont
confirmé cette hypothèse et ont démontré que des lipides, en particulier le
cholestérol, jouent en effet un rôle dans le blocage de la réplication du DENV
[9,10]. Geoghegan et al.
ont notamment montré que Wolbachia perturbe le métabolisme et le
transport du cholestérol dans les cellules de moustique, et que lorsque
l’homéostasie du cholestérol est restaurée grâce à une drogue, le DENV retrouve sa
capacité de réplication habituelle [9]. Ces
découvertes n’excluent pas la possibilité que l’activation du système immunitaire
par les bactéries en amont de l’infection virale joue également un rôle dans ce
blocage mais les résultats concernant cette hypothèse sont contradictoires. Alors
que certaines équipes rapportent la nécessité de cette pré-activation du systéme
immunitaire [11, 12], d’autres observent
qu’elle n’est pas indispensable au blocage de la réplication virale [13]. Plusieurs études (dont la première de Moreira et al.) démontrent que
l’effet de Wolbachia sur la réduction de l’infection par un autre
pathogène est d’autant plus fort que la densité de la bactérie au sein de l’hôte
moustique est importante [14, 15]. Or, la
densité de Wolbachia d’une souche donnée tend à être plus
importante au sein d’hôtes qui ne sont pas infectés naturellement par cette souche.
L’ensemble de ces découvertes indique donc que, pour exploiter au mieux ce phénomène
d’interférence entre l’infection bactérienne et l’infection par des pathogènes
humains dans le cadre de la lutte contre la transmission de ces derniers, il
faudrait introduire des moustiques parasités par une souche de
Wolbachia ne les infectant pas naturellement. L’identification
de souches de Wolbachia présentant une très bonne efficacité
d’inhibition de l’infection par des pathogènes humains et une capacité de
propagation importante au sein des populations de moustiques constitue actuellement
un défi pour la communauté scientifique. |
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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2. Brownstein
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