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Med Sci (Paris). 35(6-7): 586–588.
doi: 10.1051/medsci/2019116.

Une plante, une chenille, une guêpe et des microorganismes symbiotiques
Des interactions multitrophiques emboîtées

Paul Clémençon,1 Diane Letourneur,1 Pélagie Ratchinski,1 and Sozerko Yandiev1

1École normale supérieure de Lyon, département de biologie, Master biologie, Lyon, France

MeSH keywords: Animaux, Catechol oxidase, Glucose oxidase, Interactions hôte-microbes, Peroxyde d'hydrogène, Lycopersicon esculentum, Oviposition, Feuilles de plante, Phénomènes physiologiques des plantes, Polydnaviridae, Symbiose, Inhibiteurs trypsiques, Guêpes, biosynthèse, physiologie, métabolisme, virologie

 

Au cours de son cycle de reproduction, la guêpe parasitoïde Microplitis croceipes pond ses œufs dans le corps de son hôte, la chenille Helicoverpa zea. Le développement de la guêpe parasitoïde repose sur l’intervention d’un virus endogène peu connu, le polydnavirus. Ce virus à ADN circulaire double brin a un cycle viral atypique [1, 2]. Le virus est intégré dans le génome des cellules germinales de la guêpe et se transmet donc de façon verticale au sein de cette population hôte. La guêpe produit également des particules virales qui sont injectées dans la chenille au moment de la ponte, en même temps que les œufs. Ces particules virales permettent l’expression de facteurs de virulence qui altèrent la physiologie de la chenille, mais elles ne contiennent pas les gènes nécessaires à la réplication virale : le virus ne peut donc pas se répliquer dans la chenille. Le polydnavirus a ainsi un hôte primaire, la guêpe, dans lequel le virus se transmet verticalement et dans lequel des particules virales se forment, et un hôte secondaire, la chenille parasitée par la guêpe, dans lequel le virus ne se multiplie pas. La multiplication virale dépend ainsi entièrement du succès reproducteur de la guêpe. Les facteurs de virulence codés par le virus et exprimés dans la chenille induisent une immunosuppression locale et perturbent le développement de la chenille, en altérant son métabolisme et en modifiant ses taux hormonaux. Cela permet aux larves de guêpes de se développer en consommant les tissus de la chenille tout en la maintenant vivante, et ainsi au virus de persister dans cette nouvelle génération de guêpes.

Ce système de poupées russes est parfois encore plus complexe et peut impliquer un quatrième acteur, la plante consommée par la chenille parasitée. La chenille Helicoverpa zea broute des feuilles de tomate, et le glucose de la plante est oxydé par l’enzyme glucose-oxydase (GOX) présente dans la salive de la chenille. Un produit de cette réaction, le peroxyde d’hydrogène (H2O2), est perçu par la plante qui synthétise alors des molécules de défense qui repoussent la chenille, telles que la polyphénoloxydase (PPO) et la protéine inhibitrice de trypsine (TI). L’étude menée par l’équipe de Gary W. Felton s’est intéressée à l’influence du polydnavirus sur le processus de prise alimentaire de son hôte secondaire, la chenille, et en particulier sur les mécanismes de défense de la plante consommée [2].

Influence du polydnavirus sur la physiologie de la plante consommée

Les auteurs ont d’abord infecté des chenilles par des guêpes parasitoïdes porteuses ou non du polydnavirus, et mesuré la production de molécules de défense par les feuilles broutées par ces chenilles. Ils ont ainsi montré que les feuilles broutées par les chenilles parasitées par des guêpes porteuses du polydnavirus produisent moins de molécules de défense telles que la PPO. Ce phénomène s’explique par la diminution d’expression de l’enzyme GOX salivaire de la chenille, qui limiterait ainsi la production de H2O2 à l’origine de l’activation des défenses de la plante.

Afin de démontrer l’effet direct du polydnavirus sur la production de l’enzyme GOX de la chenille et des protéines de défense de la plante broutée, le virus seul a été injecté directement dans les chenilles. Les auteurs ont observé que la salive de ces chenilles contenait alors moins d’enzyme GOX, et les plantes en contact produisaient moins de molécules de défense. Le polydnavirus est ainsi suffisant pour faciliter la prise alimentaire de son hôte secondaire en limitant indirectement les réactions de défense de la plante consommée.

Enfin, des feuilles de tomate ont été traitées par de la salive de chenilles non parasitées ou par celle de chenilles parasitées par des guêpes porteuses du virus. Ces feuilles traitées ont ensuite été broutées par d’autres chenilles parasitées. Les chenilles broutant des feuilles traitées par de la salive de chenilles parasitées ont une prise de poids plus élevée, ce qui suggère une meilleure croissance de ces chenilles due à l’inhibition des mécanismes de défense de la plante consommée.

Les chercheurs ont conclu en proposant le scénario suivant : en l'absence du virus, l’enzyme GOX salivaire de la chenille provoque, lors de la prise alimentaire, la production d’espèces réactives de l’oxygène telles que le H2O2, qui à leur tour induisent la synthèse de molécules de défense par la plante : la PPO et la TI. Grâce à ces substances, la plante repousse la chenille qui alors se nourrit moins. Mais en présence du virus, la sécrétion de la GOX est diminuée. Le virus diminue ainsi la réaction de défense de la plante et favorise la prise de nourriture de son hôte secondaire, favorisant ainsi le développement de son hôte primaire et donc sa propre multiplication virale (Figure 1).

Les auteurs ont ainsi mis en évidence un nouvel aspect des interactions hôte-parasitoïde. Le parasitoïde perturbe non seulement la physiologie de son hôte secondaire, mais également celle de la plante consommée par cet hôte herbivore. Néanmoins, le mécanisme exact permettant cet effet du virus sur la production de GOX n’est pas encore connu. Plusieurs scénarios sont envisageables. L’expression des facteurs de virulence viraux pourrait indirectement générer des signaux réduisant à distance la synthèse de la GOX dans les glandes salivaires. Le virus pourrait également infecter les glandes salivaires de la chenille et impacter directement la production de la GOX, bien que l’infection des glandes salivaires n’ait pas été documentée à ce jour.

Les microorganismes symbiotiques façonnent les chaînes trophiques

Un acteur supplémentaire peut venir s’ajouter à cette chaîne trophique complexe. Les parasitoïdes peuvent en effet être eux-mêmes sujets aux attaques d’hyperparasitoïdes, des parasitoïdes de parasitoïdes. Un exemple de cette situation emboîtée est le suivant : une plante (Brassica oleracea) est consommée par une chenille (Pieris brassicae), qui est parasitée par une guêpe parasitoïde (Cotesia glomerata), dont la larve est elle-même parasitée par une guêpe hyperparasitoïde (Lysibia nana). Les chercheurs de l’équipe du professeur Feng Zhu ont mis en évidence qu’un virus endosymbiotique de la guêpe parasitoïde Cotesia glomerata modifiait indirectement les composés volatils émis par la plante lorsqu’elle est consommée par la chenille parasitée [3]. Ces signaux chimiques attirent alors les guêpes hyperparasitoïdes telles que Lysibia nana. Dans ce cas précis, le virus de la guêpe parasitoïde Cotesia glomerata diminue la valeur sélective de son hôte, en augmentant indirectement la probabilité de rencontre et d’infestation par les guêpes hyperparasitoïdes.

Un autre exemple de l’importance des microorganismes endogènes dans la modulation des relations interspécifiques est celui de l’interaction complexe décrite entre (1) la guêpe parasitoïde Aphidius ervi, (2) son hôte, le puceron du pois, (3) la bactérie Hamiltonella defensa, un endosymbionte du puceron, et (4) des phages endogènes de la bactérie H. defensa. La bactérie H. defensa confère au puceron une résistance vis-à-vis de la guêpe parasitoïde, et ce de façon strictement dépendante de la présence des phages [4]. En effet, les génomes viraux comportent des séquences codant des toxines qui, libérées par la bactérie H. defensa, inhiberaient le développement du parasitoïde sans affecter celui du puceron. Dans cet exemple, ce sont les virus associés à l’hôte parasité et non plus au parasite qui jouent un rôle primordial dans la régulation de cette relation étroite.

La plante, dernier acteur de la chaîne trophique étudiée, est également associée à une grande diversité de microorganismes épiphytes (qui vivent à sa surface) ou endophytes (qui vivent à l’intérieur), constituant son microbiote. Une partie de ce microbiote, dit rhizosphérique, est associé aux racines et joue un rôle essentiel dans la nutrition végétale, mais également dans la sensibilité à l’herbivorie. Des chercheurs de l’université du Wyoming ont analysé des plants de Boechera stricta, une crucifère, cultivés dans des sols inoculés avec différents ensembles de bactéries présentes dans des sols naturels [5]. Les résultats montrent que les différences en termes de sensibilité à l’herbivorie par des pucerons sont plus fortement liées à la composition de la rhizosphère qu’au fond génétique des plants. Ainsi, dans ce cas, c’est le phénotype étendu de l’association plante-microorganismes qui se manifeste.

Conclusion

Ainsi, dans l’interaction complexe entre une plante, un herbivore et un parasitoïde, les microorganismes associés aux trois acteurs jouent un rôle clé dans la régulation des différentes relations interspécifiques. Ces microorganismes agissent au niveau du phénotype étendu de leur hôte, mais leur action s’étend en réalité bien au-delà de leur hôte et a des conséquences sur la physiologie des individus interagissant avec cet hôte.

L’identification de ces relations complexes permet de revisiter l’utilisation des parasitoïdes comme agents de lutte biologique. En effet, en raison de l’effet ravageur de certains insectes herbivores sur les cultures, l’introduction de guêpes parasitoïdes a été proposée comme une alternative aux pesticides pour protéger les cultures. Cependant, comme discuté dans cette nouvelle, la guêpe parasitoïde Microplitis croceipes, loin de réduire le broutage de feuilles de tomate par sa chenille hôte, l’augmente au contraire en trompant les défenses immunitaires de la plante. Des chercheurs de l’université de Leyde avaient déjà formalisé cette idée en postulant l’existence d’un conflit d’intérêt entre plantes et guêpes parasitoïdes [6]. Dans ces conditions, l’introduction de guêpes parasitoïdes pourrait donc conduire à un effet encore plus néfaste des herbivores sur les cultures agricoles. Une compréhension fine et complète des réseaux de relations interspécifiques est donc nécessaire pour optimiser les stratégies de lutte biologique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Strand MR, Burke GR. Polydnaviruses: From discovery to current insights . Virology. 2015; ; 479–80 : :393.–402.
2.
Tan CW, Peiffer M, Hoover K, et al. Symbiotic polydnavirus of a parasite manipulates caterpillar and plant immunity . Proc Natl Acad Sci USA. 2018; ; 115 : :5199.–5204.
3.
Zhu F, Cusumano A, Bloem J, et al. Symbiotic polydnavirus and venom reveal parasitoid to its hyperparasitoids . Proc Natl Acad Sci USA. 2018; ; 115 : :5205.–5210.
4.
Oliver KM, Degnan PH, Hunter MS, Moran NA. Bacteriophages encode factors required for protection in a symbiotic mutualism . Science. 2009; ; 325 : :992.–994.
5.
Hubbard CJ, Li B, McMinn R, et al. The effect of rhizosphere microbes outweighs host plant genetics in reducing insect herbivory . Mol Ecol. 2019; ; 28 : :1801.–1811.
6.
Meïjden EVD, Klinkhamer PGL. Conflicting interests of plants and the natural enemies of herbivores . Oikos. 2000;; 89 : :202.–8.
7.
Shikano I, Rosa C, Tan CW, Felton GW. Tritrophic interactions: microbe-mediated plant effects on insect herbivores . Annu Rev Phytopathol. 2017; ; 55 : :313.–331.