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Med Sci (Paris). 35(8-9): 619–621.
doi: 10.1051/medsci/2019122.

Virus Lassa et cellules dendritiques myéloïdes
Un tropisme privilégié pour la suppression de la réponse lymphocytaire T

Sylvain Baize1*

1Unité de Biologie des Infections Virales Émergentes, Institut Pasteur, Lyon - Centre International de Recherche en Infectiologie, Université Lyon I, Inserm, CNRS, ENS de Lyon, 46, allée d’Italie, 69364Lyon Cedex 07, France.
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Présentation d'antigène, Arenaviridae, Cellules cultivées, Helicase, Cellules dendritiques, Réservoirs de maladies, Humains, Échappement immunitaire, Médiateurs de l'inflammation, Virus de Lassa, Activation des lymphocytes, Monocytes, Murinae, Virus recombinants, Récepteurs viraux, Spécificité d'espèce, Spécificité antigénique des récepteurs des lymphocytes T, Lymphocytes T, Protéines virales, Tropisme viral, génétique, immunologie, physiologie, cytologie, métabolisme, microbiologie

 

La fièvre de Lassa est une fièvre hémorragique causée par un Arénavirus, le virus Lassa (LASV), qui est endémique en Afrique de l’Ouest. Ce virus y est responsable de plusieurs dizaines de milliers de cas d’infection, dont plusieurs milliers de patients qui décèdent par an [1]. À ce jour, aucun vaccin n’est disponible contre cette maladie qui représente un problème majeur de santé publique dans cette région. Le seul traitement disponible, la ribavirine1,, n’est pas une solution optimale en zone d’endémie, et son efficacité réelle reste à démontrer. Le virus Lassa se transmet à l’homme à partir de son réservoir naturel principal, le rongeur péridomestique Mastomys natalensis 2. La transmission peut également survenir d’homme à homme, par contact cutanéo-muqueux. Les données obtenues dans les modèles animaux et dans le cadre d’essais vaccinaux suggèrent que le contrôle de la survie des patients infectés dans le cas de la fièvre de Lassa est associé à l’induction de réponses anticorps T-dépendantes [2, 3]. La sévérité de l’infection résulterait quant à elle d’une réponse inflammatoire et cellulaire inadaptée et excessive [4].

Les cellules présentatrices d’antigènes (CPA), cellules dendritiques et macrophages, représentent des cibles privilégiées et précoces du virus. Elles permettent très probablement, avec d’autres cellules, les premiers cycles de réplication du virus au site de l’infection [5] ().

(→) Voir la Nouvelle de N. Futsch et al., m/s n°2, février2018, page117

Nous avons montré que les cellules dendritiques humaines dérivées de monocytes (moCD) et les macrophages humains étaient permissifs au LASV, et qu’ils permettaient sa réplication de manière prolongée [6]. Le LASV n’active cependant pas ces cellules et, notamment, n’induit pas la maturation des moCD, pourtant indispensable à l’induction de réponses lymphocytaires T spécifiques. Aucune réponse lymphocytaire T (CD8+ ou CD4+) spécifique du virus n’est induite par des moCD infectées par le LASV dans un modèle in vitro [6]. Au contraire, le virus Mopeia (MOPV), un Arénavirus très proche génétiquement du LASV et issu du même réservoir naturel, mais non pathogène pour les primates non humains (PNH) et jamais associé à un cas clinique humain, induit une activation des CPA, qui sont ensuite capables de générer dans ce modèle in vitro une réponse lymphocytaire T CD8+ et CD4+-spécifique [7, 8]. La différence de pathogénicité des virus Lassa et Mopeia semble donc en grande partie liée à leur différence d’immunogénicité, et notamment à leur capacité respective à induire une réponse interféron (IFN) de type I dans les CPA [9]. Parmi les mécanismes utilisés par le LASV pour inhiber la réponse innée, le domaine exonucléasique contenu dans la nucléoprotéine (NP) joue un rôle essentiel en digérant les ARN double brin produits pendant la réplication virale, empêchant ainsi la stimulation des hélicases et donc la réponse IFN de type I [10]. Bien que présentant un domaine identique et fonctionnel, MOPV est beaucoup plus immunogène que LASV, peut-être en raison d’autres mécanismes immunosuppresseurs présents uniquement chez LASV ou de différences en termes de quantité et/ou de qualité d’ARN viraux susceptibles d’activer les récepteurs de reconnaissance de pathogènes.

Afin de confirmer ces résultats dans un modèle in vitro plus pertinent que les moCD, nous avons étudié les interactions entre les virus Lassa et Mopeia et les cellules dendritiques myéloïdes (mCD) humaines primaires [11]. Les mCD sont des CPA très importantes et efficaces pour l’induction des réponses lymphocytaires T. À l’instar des moCD, elles peuvent être infectées par les deux virus, mais l’infection dans ces cellules n’est pas productive en raison d’une forte induction des IFN de type I par le LASV et, plus encore, par le MOPV. L’analyse du transcriptome des mCD infectées a montré une forte induction des gènes impliqués dans la reconnaissance innée des pathogènes, dans la réponse inflammatoire et dans la maturation des CD, de manière plus intense avec MOPV qu’avec LASV. Certains médiateurs inflammatoires, comme l’IL-6 (interleukine-6), l’IL-15, ou MCP-3 (monocyte-chemotactic protein 3) sont au contraire sécrétés en plus grande quantité en réponse au LASV. Ces différences de réponse, par comparaison aux moCD, confirment que ces dernières ne reproduisent que partiellement le comportement des mCD primaires. Ces différences peuvent s’expliquer par une plus grande réactivité des mCD vis-à-vis des signaux de danger produits lors d’une infection virale. Ainsi, la présence du domaine exonucléasique immunosuppresseur n’empêche pas une réponse IFN de type I substantielle dans ces cellules.

La mise en contact des mCD infectées avec des lymphocytes T autologues a révélé des différences majeures entre les deux virus. Si l’intensité de l’activation des mCD infectées par le MOPV et de la réponse IFN de type I n’est pas modulée par la présence des lymphocytes T, une suppression complète de ces réponses a été observée lorsque les mCD sont infectées par le LASV en présence de lymphocytes, par comparaison à celles des mCD infectées en leur absence. Les mCD infectées par le MOPV, mais pas par le LASV, induisent une réponse lymphocytaire T CD4+ et CD8+ robuste, illustrée par une forte activation et une prolifération des cellules, et l’acquisition d’un phénotype cellulaire cytotoxique. Ces résultats, similaires à ceux observés avec les moCD [6], suggèrent que la présence des lymphocytes T supprime la réponse innée des mCD infectées par le LASV ainsi que leur capacité à générer une réponse adaptative.

Cette étude n’a cependant pas permis d’identifier les mécanismes cellulaires participant à ce processus. Grâce aux outils de génétique inverse3, les facteurs viraux impliqués dans cette différence d’immunogénicité ont été identifiés. La proximité génétique des virus Lassa et Mopeia a en effet permis de générer des virus chimériques dans lesquels le précurseur des glycoprotéines (GPC), la NP ou la protéine de matrice Z, étaient permutés entre les deux virus. La capacité de ces virus chimériques à induire une activation des mCD et une réponse lymphocytaire T a été mesurée, et trois profils de virus ont été identifiés: les virus se comportant comme le MOPV, ceux se comportant comme le LASV, et ceux présentant un phénotype intermédiaire (Tableau I). Le MOPV exprimant la GPC de LASV et les LASV exprimant la GP de MOPV ou ayant des mutations abrogeant le domaine exonucléasique de la NP se comportent comme le MOPV sauvage (Tableau I). En revanche, le LASV codant la protéine Z de MOPV et le MOPV contenant la NP de LASV se sont révélés immunosuppresseurs (Tableau I). Un phénotype intermédiaire a été observé lorsque la région intergénique (IGR) a été échangée entre les deux virus. Ces résultats démontrent que la NP du LASV, et plus particulièrement son domaine exonucléasique, est suffisante pour induire une immunosuppression (Tableau I). En revanche, la protéine Z du LASV ne semble jouer aucun rôle dans ce processus. Le résultat le plus surprenant a été l’observation que la présence de la GPC de MOPV au sein du génome LASV permettait d’abolir le caractère immunosuppresseur du virus, malgré la présence de la NP de LASV (Tableau I). Cette observation explique l’immunogénicité de MOPV en dépit du domaine exonucléasique fonctionnel de sa NP, et pourrait résulter d’un adressage du matériel viral par les GP de LASV et MOPV vers différents compartiments cellulaires, influant sur leur capacité à échapper ou stimuler l’immunité innée. Bien que ces deux virus utilisent le même récepteur d’attachement, l’α-dytroglycane, leur récepteur de fusion est différent (LAMP1 [lysosomal-associated membrane protein1] pour LASV). Enfin, les structures secondaires différentes des IGR, épingle à cheveux double pour MOPV et simple pour LASV, peuvent être à l’origine du phénotype intermédiaire en permettant une plus forte stimulation des hélicases dans le cas de l’IGR de MOPV.

Si ces résultats n’ont pas de conséquence directe pour ce qui concerne une approche thérapeutique de la fièvre de Lassa, ils sont riches d’enseignement dans le domaine vaccinal. En effet, la GPC et la NP de LASV étant des antigènes très importants pour induire une immunité protectrice, il semble important d’inactiver le domaine exonucléasique de la NP utilisée dans les vecteurs vaccinaux afin de conserver une immunogénicité maximale. De plus amples investigations sont cependant nécessaires pour totalement élucider le rôle des facteurs viraux dans l’immunogénicité et l’immunosuppression respectives des virus Mopeia et Lassa.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Cette molécule est un analogue nucléosidique de la guanosine, à large spectre antiviral.
2 Mastomys est un genre africain de rongeurs de la sous-famille des murinés.
3 La génétique inverse cherche à comprendre la fonction de gènes par l’analyse des mutants correspondants.
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