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| Med Sci (Paris). 35(8-9): 622–624. doi: 10.1051/medsci/2019124.Le bercement améliore le sommeil et la
mémoire Aurore Perrault,1 Charles Quairiaux,1 and Laurence Bayer1,2* 1Département de neurosciences fondamentale, Université de
Genève, 1, rue Michel
Servet1206Genève,
Suisse. 2Centre de médecine du sommeil, Hôpitaux universitaires de
Genève, 2, chemin du
Petit-Bel-Air, Site Belle-Idée, bâtiment Les Cèdres,
1225Chêne-Bourg,
Suisse. MeSH keywords: Accélération, Adulte, Animaux, Lits, Ondes du cerveau, Conception d'appareillage, Humains, Consolidation de la mémoire, Souris, Souris transgéniques, Déplacement, Périodicité, Polysomnographie, Sommeil, Sommeil à ondes lentes, Maladies vestibulaires, Labyrinthe vestibulaire, physiologie, génétique, physiopathologie |
Depuis la nuit des temps et dans différentes cultures, les parents bercent leurs enfants
pour les endormir. Il y a environ mille ans, des populations amérindiennes inventent le
«nid des anges», appelé aujourd’hui «hamac», et c’est à partir de la fin du
XVesiècle, à travers les récits de l’explorateur Christophe Colomb, que
l’idée des effets positifs du bercement sur l’endormissement commence véritablement à se
répandre en Europe. Mais comment, par quels mécanismes, un tel mouvement lent et répété
de balancement favorise-t-il l’induction et le maintien du sommeil? Cette question
n’avait jamais été réellement abordée par la communauté scientifique. Nos deux études,
l’une chez l’homme [1] et l’autre
chez la souris [2], permettent
d’apporter certains éléments de réponse. Lorsque nous dormons, nous ne répondons pas aux stimulations externes, d’un point de vue
comportemental, comme nous le ferions pendant la veille. Néanmoins, le traitement
sensoriel ne cesse pas complétement pendant le sommeil: pour preuve, une stimulation
sonore, comme un trafic routier trop intense, peut perturber notre sommeil quand, à
l’inverse, le bercement léger du train ou d’un hamac semble le favoriser. Dans les
années 1970-1980, des scientifiques ont commencé à étudier l’effet du balancement sur le
sommeil des bébés. Par l’utilisation d’un matelas à eau, qui mimait un mouvement
oscillant passif sous l’effet du poids du corps, il a été montré que le sommeil des
enfants survenait plus rapidement, et était maintenu sur une plus longue période [3]. En 2011, nous avons conçu, à
l’université de Genève, un lit berceur (Figure
1B), qui nous a permis de tester chez l’adulte l’effet du
balancement sur le sommeil durant une sieste de 45 minutes l’après-midi. Ce lit est
suspendu à un cadre par quatre tiges métalliques, rendant ainsi le sommier mobile. Ce
dernier est relié à un moteur silencieux, qui lui imprime un mouvement périodique
horizontal, régulier et continu. Les paramètres de balancement qui ont été retenus sur
la base du confort subjectif des sujets sont: une fréquence de 0,25Hz (4 secondes pour
un mouvement d’aller et retour complet) et une amplitude latérale de 10cm. Dans l’étude
initiale, nous avions comparé les siestes de 12 bons dormeurs en condition «balancée» et
en condition «statique», grâce aux enregistrements polysomnographiques1,, et avions conclu que non seulement le bercement
accélérait l’entrée en sommeil et favorisait un sommeil plus profond, mais qu’il
augmentait également la survenue de deux marqueurs neurophysiologiques du sommeil lent,
ou sommeil NREM2, sur l’électroencéphalogramme
(EEG): les «fuseaux de sommeil» (spindles) et les ondes «lentes»,
définies comme étant de fréquence <4Hz [4]. Le sommeil NREM est en effet caractérisé par l’apparition
progressive d’ondes lentes, qui sont le reflet d’une activité synchronisée entre les
neurones des circuits thalamo-corticaux. Plus les ondes lentes sont abondantes, plus
l’individu est plongé dans un sommeil profond correspondant au stade 3 (N3) du sommeil
NREM. Les spindles, d’origine thalamique, sont également
caractéristiques du sommeil NREM. Ils surviennent selon un mode phasique, avec une
fréquence oscillatoire de 9-15Hz, et sont directement liés à la stabilité et à la
qualité du sommeil [5].
Spindles et ondes «très lentes» (slow
oscillations, de fréquence <1Hz) du NREM sont aussi les marqueurs d’un
phénomène comportemental intrigant: la consolidation de la mémoire pendant le sommeil
[6, 7]. Les données de la littérature, conjuguées aux résultats prometteurs de notre première
étude sur l’effet du bercement dans la transition veille-sommeil, nous ont ensuite
conduits à étudier les effets du bercement sur l’architecture complète du sommeil
nocturne et sur le renforcement mnésique chez 18 volontaires, bons dormeurs, qui
passaient une nuit complète sur le lit en mouvement (nuit «balancée») et une deuxième
nuit sur le même lit en position stationnaire (nuit «statique»). Les sujets ont
également été testés pour la mémoire déclarative: une liste de 46 paires de mots était
apprise le soir, puis répétée le soir-même avant de dormir et le matin après le réveil.
L’étape de «répétition» des mots consistait à présenter un mot, et le sujet devait alors
se souvenir du deuxième mot de la paire apprise auparavant. Ce protocole (Figure 1A) nous a permis d’étudier les
répercussions du mouvement continu à 0,25Hz sur: (1) l’architecture et le maintien du
sommeil, (2) l’entraînement des oscillations cérébrales spécifiques du NREM
(spindles et slow oscillations), et (3) la
consolidation mnésique durant la nuit.
| Figure 1.A. Représentation schématique du protocole
expérimental, dans lequel les 18 sujets dormaient une nuit sur le lit qui
balance, et une deuxième nuit sur le même lit immobile.
B. Le lit « berceur » est animé d’un
mouvement latéral périodique d’amplitude 10 cm et de fréquence 0,25 Hz.
C. Distribution des différents stades
de sommeil (moyenne ± s.e.m., en pourcentage de la période totale de
sommeil) pendant les nuits « stationnaire » et « balancée ». L’astérisque
indique une différence statistiquement significative, au risque d’erreur 5
%. D. Variation moyenne, exprimée en
pourcentage (± s.e.m.), des micro-éveils, des spindles, et des slow
oscillations (SO) dans la condition « balancée » comparée à la condition «
stationnaire » durant le stade N3 de sommeil profond.
E. Illustration, sur un participant de
l’étude, du couplage phasefréquence entre phase de la SO et activité
spectrale des spindles (fréquence dans la bande sigma, 12-15 Hz) durant le
stade N3 en condition « nuit balancée » [ 1]. La puissance spectrale de la bande sigma des spindles
apparaît prédominante durant la transition « down-state to up-state » de la
SO. F. Représentation circulaire de la
préférence de phase SO-fréquence des spindles pour chaque participant durant
N3 en condition « nuit balancée » : tous les points rouges représentant la
modulation de l’activité spectrale des spindles de chaque participant sont
situés dans une zone proche de 360°, correspondant à la « up-state » des
SO. |
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Le bercement consolide l’architecture du sommeil et les ondes EEG associées, et
améliore les performances mnésiques Comparées aux nuits «statiques», les nuits «balancées» s’accompagnent, chez tous les
sujets, d’une modification de l’architecture du sommeil en faveur d’une meilleure
qualité. Nous avons observé: (1) un raccourcissement de la latence d’endormissement,
(2) une augmentation du sommeil de stade N3 au détriment du sommeil plus léger
(stades N1 et N2) (Figure 1C),
et (3) une diminution du nombre de micro-éveils (Figure 1D). Même si les micro-éveils sont des
événements brefs (3 à 15 secondes), fréquents et spontanés, ils sont néanmoins
considérés comme reflétant une activation corticale qui fragmente le sommeil. La
diminution du nombre de micro-éveils est particulièrement marquée pendant la période
N3, et est ainsi corrélée avec la durée de sommeil profond. La durée prolongée de N3
est associée à une augmentation de 20% des slow oscillations et de
29% des spindles (Figure 1D).
Il a été montré que les spindles ne survenaient pas au hasard, mais
préférentiellement durant la «up-state» des slow
oscillations (Figure 1E–F)3,. Ce couplage thalamo-cortical entre spindles et
slow oscillations coïncide aussi avec l’émergence de rythmes
spécifiques de l’hippocampe: des oscillations rapides, ou
«ripples», de fréquence 100-200Hz. Cette triple association
(phase-coupling) semble importante pour la plasticité corticale
responsable des processus de consolidation mnésique dépendant de l’hippocampe
pendant le sommeil [6]. En accord avec cette
hypothèse, nous avons montré que les performances mnésiques après le réveil étaient
nettement améliorées par la nuit «balancée», et que cette augmentation était
corrélée avec l’activité spectrale de la bande sigma correspondant aux
spindles [1]. |
Le bercement entraîne les oscillations/ondes cérébrales spécifiques du
sommeil Il était intéressant de savoir si l’émergence des slow oscillations
et des spindles pendant le sommeil profond était entraînée,
synchronisée par le mouvement périodique du balancement. L’analyse de l’EEG a montré
que ces ondes spécifiques du NREM survenaient préférentiellement avec une
périodicité d’environ 2 secondes, correspondant à chaque changement de direction du
lit (matérialisé par un signal sur l’EEG), suggérant ainsi que le mouvement de
balancement entraîne une activité synchronisée des circuits thalamo-corticaux.
Comment le balancement entraîne-t-il cette synchronisation des ondes cérébrales au
bénéfice d’un sommeil de meilleure qualité et d’un renforcement de la mémoire?
L’implication probable du système vestibulaire, le système sensoriel qui nous permet
de détecter les accélérations et contribue ainsi à l’équilibration, a pu être
confirmée par l’étude que nous avons menée conjointement chez la souris [2]. Nous avons d’abord montré qu’un balancement
horizontal «à une fréquence optimale de 1Hz» induisait des effets bénéfiques sur le
sommeil des souris, à l’image de ceux observés chez l’homme. Dans une deuxième
étape, nous avons utilisé des souris transgéniques présentant un dysfonctionnement
des organes sensoriels vestibulaires qui les rend incapables de détecter les
accélérations linéaires, et nous avons montré que l’architecture du sommeil n’était
alors plus modifiée par le balancement. Ce résultat obtenu chez l’animal apporte la
preuve mécanistique que l’effet du bercement sur le sommeil passe par le système
sensoriel vestibulaire, qui comporte des projections neuronales directes sur le
thalamus. |
Ces dernières années, des efforts ont été déployés pour trouver des méthodes
non-invasives afin d’améliorer la qualité du sommeil par le biais, par exemple, de
stimulations auditives ou de stimulations magnétiques trans-crâniennes [8, 9]. Ces études ont réussi à stimuler les ondes
cérébrales du sommeil NREM associées à une consolidation des facultés mnésiques,
mais sans renforcer la qualité architecturale du sommeil, contrairement au
bercement. Le bercement pourrait ainsi constituer une alternative
non-pharmacologique pour améliorer la qualité du sommeil chez des individus
souffrant de troubles du sommeil. Parce que notre étude montre également une
amélioration des capacités mnésiques après une «nuit balancée», le bercement
pourrait également constituer une aide pour les personnes âgées, dont le sommeil et
les performances cognitives se dégradent souvent avec les années. Notons enfin
qu’une étude récente a montré qu’une réduction du sommeil profond est associée à
certains biomarqueurs des maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer
[10]. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
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Footnotes |
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