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Med Sci (Paris). 35(8-9): 625–628.
doi: 10.1051/medsci/2019126.

Une immunodéficience combinée causée par une mutation du gène ICOSLG

Lucie Roussel,1** Marija Landekic,1 Makan Golizeh,1 Christina Gavino,1 Ming-Chao Zhong,2 Jun Chen,2 Denis Faubert,3 Alexis Blanchet-Cohen,4 Luc Dansereau,5 Marc-Antoine Parent,6 Sonia Marin,7 Julia Luo,1 Catherine Le,1 Brinley R. Ford,1 Mélanie Langelier,1 Irah L. King,8,9 Maziar Divangahi,8,9,10 William D. Foulkes,11,12 André Veillette,2,9,13 and Donald C. Vinh1,2,9,12*

1Le Programme en maladies infectieuses et immunité en santé mondiale, Centre universitaire de santé McGill, Institut de recherche, 1001 Decarie, H4A3J1Montréal, Québec, Canada.
2Laboratoire d’oncologie moléculaire, Institut de recherches cliniques de Montréal, Montréal, Québec, Canada.
3Plateforme de spectrométrie de masse et protéomique, Institut de recherches cliniques de Montréal, Montréal, Québec, Canada.
4Bio-informatiques, Institut de recherches cliniques de Montréal, Montréal, Québec, Canada.
5Département de médecine interne, Hôpital de l’Archipel, Centre intégré de santé et de services sociaux des Îles, Les Îles-de-la-Madeleine, Québec, Canada.
6Département de médecine familiale, Centre intégré de santé et de services sociaux des Îles, Les Îles-de-la-Madeleine, Québec, Canada.
7Hôpital de l’Archipel, Centre intégré de santé et de services sociaux des Îles, Les Îles-de-la-Madeleine, Québec, Canada.
8Laboratoires Meakins-Christie, Centre universitaire de santé McGill, Institut de recherche, Montréal, Québec, Canada.
9Département de médecine, Université McGill, Montréal, Québec, Canada.
10Département de microbiologie et immunologie, Université McGill, Montréal, Québec, Canada.
11Département de médecine génétique, Centre universitaire de santé McGill, Institut de recherche, Montréal, Québec, Canada.
12Département de génétique humaine, Université McGill, Montréal, Québec, Canada.
13Département de médecine, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada.
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Substitution d'acide aminé, Présentation d'antigène, Chimiotaxie des leucocytes, Appareil de Golgi, Humains, Immunogénicité des vaccins, Ligand de la protéine inductible de costimulation du lymphocyte T, Protéine inductible de costimulation du lymphocyte T, Activation des lymphocytes, Mâle, Mutation faux-sens, Phénotype, Transport des protéines, Récidive, Immunodéficience combinée grave, Lymphocytes T, composition chimique, déficit, génétique, immunologie, étiologie

 

Les immunodéficiences primaires sont des maladies génétiques du système immunitaire qui se traduisent par une susceptibilité accrue aux infections, à l’auto-inflammation, à l’auto-immunité, à l’atopie, et par une augmentation du risque de syndromes prolifératifs ou de cancers [1]. Le spectre microbien des infections associées à ces immunodéficiences est variable, mais il peut être à l’origine d’infections foudroyantes et potentiellement mortelles, ou d’infections chroniques qui résistent aux traitements standards [2]. Pour les chercheurs, l’étude des immunodéficiences primaires constitue une opportunité exceptionnelle de progresser dans l’immunobiologie humaine.

Parmi les immunodéficiences primaires, les immunodéficiences combinées constituent un sous-groupe hétérogène de maladies causées par un déficit quantitatif ou fonctionnel des lymphocytes T, avec ou sans anomalie intrinsèque des lymphocytes B [3, 4]. La forme la plus sévère se manifeste dès la petite enfance. Elle nécessite de recourir à une greffe de cellules souches pour la survie du patient. Les formes non-sévères ou atténuées sont de mieux en mieux identifiées. Bien qu’elles ne menacent pas d’emblée la survie des patients dans l’enfance, elles s’accompagnent d’une morbidité significative.

Dans un article publié récemment dans Journal of Experimental Medicine [5]. nous décrivons une nouvelle forme d’immunodéficience primaire comportant un déficit immunitaire combiné, causée par une mutation du gène ICOSLG, qui code ICOSL (inducible T cell costimulator ligand), une molécule exprimée par les cellules présentatrices d’antigène qui co-stimule les lymphocytes T exprimant ICOS [6].

Phénotype clinique et immunologique

Le patient dont l’étude a permis cette découverte est un homme âgé de 38 ans, de parents francophones originaires d’une île géographiquement isolée de la province du Québec (Canada), et dont les ascendants directs n’ont pas de lien de consanguinité connu. Dès la petite enfance, il a souffert d’otites, de sinusites, et de bronchites récurrentes. Vers l’âge de 16 ans, sont apparus des condylomes (verrues) dans la région génitale, récurrents malgré différents traitements, et qui ont envahi progressivement les régions scrotale, péri-anale, périnéale, et inguinale, jusqu’à atteindre l’urètre à l’âge de 33 ans. Depuis l’adolescence, ce patient présente des réactivations récurrentes d’infection par le virus Herpès simplex dans la région oro-labiale, et des chéilites angulaires, également récurrentes, qui évoquent une infection par la levure saprophyte Candida. À l’âge de 29 ans, des ulcères aphteux sont apparus dans la bouche, accompagnés d’épisodes fébriles, pour lesquels aucun agent pathogène n’a pu être identifié.

Des tests immunologiques de première intention ont montré l’existence d’une hypo-gammaglobulinémie associée à une pan-lymphopénie de proportion normale. Une neutropénie, s’aggravant avec l’âge, a également été diagnostiquée. Cependant, aucune infection pyogénique caractéristique d’une neutropénie (e.g., infections périodontales, infections de la peau et des tissus mous) n’a été notée. La persistance de la neutropénie a justifié une biopsie de la moelle osseuse, dont l’analyse a montré l’absence d’hypercellularité (myélokathexis) ou de myélodysplasie, et l’absence d’anomalie de la maturation granulocytaire. La neutropénie a régressé après un traitement par une forme recombinante du G-CSF (granulocyte-colony stimulating factor), mais elle est réapparue à l’arrêt du traitement. Les vaccinations contre le tétanos, la diphtérie, ou les infections dues à Haemophilus influenzae n’ont pas été suivies de la séroconversion attendue. La fréquence des infections respiratoires a diminué après un traitement par des immunoglobulines polyclonales injectées par voie intraveineuse.

Des examens immunologiques complémentaires ont ensuite permis de caractériser le phénotype immunitaire anormal (Tableau I), qui suggérait une anomalie de l’interaction entre lymphocytes T et lymphocytes B. Il comporte une lymphopénie T sanguine résultant d’une réduction du nombre absolu de lymphocytes CD4+ et CD8+, dont le rapport était cependant préservé. Une diminution du nombre de lymphocytes T CD4+ naïfs et mémoires a également été notée. Parmi cette sous-population de cellules T, celle des lymphocytes T auxiliaires folliculaires (Tfh), qui sont impliqués dans la production des anticorps par les lymphocytes B, est apparue déséquilibrée: l’effectif de la sous-population effectrice était élevé, alors que celui de la sous-population mémoire était fortement diminué [7]. Le nombre de lymphocytes B était également fortement diminué, avec une quasi-absence de la sous-population de cellules B mémoires. Les taux sériques des immunoglobulines (Ig) d’isotype G (IgG) étaient normaux (mais le patient était alors sous traitement par immunoglobulines), tandis que ceux des IgA étaient diminués. À noter que le taux sérique des IgE n’était pas augmenté. Ces analyses ont également révélé une neutropénie modérée et un nombre de lymphocytes NK (natural killer) légèrement diminué. Enfin, les nombres de cellules monocytaires CD14+, de cellules dendritiques conventionnelles, et de lymphocytes T régulateurs étaient comparables à ceux d’individus normaux.

Analyses génétique et fonctionnelle

Pour déterminer la cause génétique de ce phénotype immunologique anormal, nous avons effectué le séquençage des exons de tous les gènes (exome entier) du patient. Des gènes candidats ont été analysés, en comparant leurs séquences chez le patient avec celles obtenues chez d’autres membres de la famille non-atteints par la maladie. Compte tenu de l’isolement géographique des différents membres de cette famille, nous avons fait l’hypothèse d’une transmission de la maladie sur le mode autosomique récessif, et avons identifié une variation de séquence dans le gène ICOSLG (c.657C>G), présente à l’état homozygote uniquement chez ce patient, et dont l’analyse bioinformatique prédisait l’effet délétère sur la protéine. Ce variant, qui transforme un résidu asparagine en lysine en position 219 de la séquence protéique (p.N219K), n’était pas présent dans les bases de données issues de l’analyse de génomes de référence. En analysant des cellules du patient [8], mais aussi des lignées cellulaires transfectées synthétisant la protéine ICOSL mutante, nous avons montré que cette mutation empêchait l’adressage normal de la protéine à la membrane plasmique. Par une analyse de ces cellules en microscopie confocale, nous avons observé l’accumulation anormale de la protéine mutante dans le réticulum endoplasmique ou l’appareil de Golgi. L’analyse bioinformatique prédit que cette mutation ponctuelle modifie la structure de la protéine, sa stabilité, sa rigidité, et son hydrophobicité, ce qui pourrait expliquer son incapacité à se localiser correctement à la surface de la cellule. Nos analyses fonctionnelles in vitro ont permis de montrer que l’absence de la protéine ICOSL à la surface des cellules présentatrices d’antigène empêchait non seulement sa fonction de co-stimulateur des lymphocytes T [9]1, mais aussi le passage de ces cellules et des polynucléaires neutrophiles à travers la paroi des vaisseaux sanguins, entre les cellules endothéliales, qui expriment elles aussi ICOSLG [10, 11]. La mutation d’ICOSLG semble entraîner une diminution de l’expression de certaines molécules d’adhérence par les cellules endothéliales. Ce lien entre mutation de ICOSLG et sous-expression de ces protéines a été confirmé dans une lignée cellulaire endothéliale normale, en utilisant des anticorps neutralisant ICOSL, ou par complémentation de cellules mutées avec la protéine sauvage.

Conclusion

Les travaux que nous avons réalisés ont donc permis l’identification d’une nouvelle forme génétique du syndrome d’immunodéficience combinée. Ses manifestations cliniques semblent être liées à des dysfonctionnements de cellules hématopoïétiques, mais aussi de cellules non hématopoïétiques. Une thérapie par greffe de cellules souches hématopoïétiques ne corrigerait donc pas nécessairement tous les aspects de cette maladie. Pour orienter la recherche du traitement le mieux adapté à cette forme génétique particulière, il sera nécessaire de progresser d’abord dans la compréhension du rôle de la protéine ICOSL dans le fonctionnement normal du système immunitaire.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs tiennent à remercier le patient et les membres de sa famille qui ont participé à l’étude. Les auteurs tiennent également à remercier les membres de l’équipe multidisciplinaire ayant contribué aux soins du patient.

 
Footnotes
1 ICOSL, exprimé par les cellules présentatrices de l’antigène, se lie à ICOS, exprimé par les lymphocytes T, ce qui permet leur stimulation.
References
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