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| Med Sci (Paris). 35(8-9): 682–688. doi: 10.1051/medsci/2019132.L’imagerie élémentaire par spectroscopie
LIBS De nouvelles applications en médecine Marine Leprince,1,2 Lucie Sancey,2 Jean-Luc Coll,2 Vincent Motto-Ros,1 and Benoît Busser2,3* 1Institut Lumière Matière, CNRS UMR 5306, Lyon 1
University, Villeurbanne, France. 2Institute for Advanced Biosciences (IAB), Team « Cancer
Targets and Experimental Therapeutics », Inserm U1209, CNRS UMR5309,
Grenoble Alpes University, allée des Alpes, 38700Grenoble,
France. 3Clinical Cancer Laboratory, Biochemistry Department,
Grenoble Alpes University Hospital, Grenoble,
France. |
La technique de spectrométrie sur plasma induit par laser, ou LIBS (laser-induced
breakdown spectroscopy), a été développée dans les années 1960. Son
principe est le suivant : un faisceau laser pulsé envoyé sur un échantillon va créer un
plasma par ablation, vaporisation et excitation d’une petite quantité de matière. Les
différentes espèces excitées par le laser (ions, atomes, molécules) vont retourner à des
niveaux d’énergie inférieurs en émettant une lumière qui peut être collectée, puis
analysée par un ou plusieurs spectromètres. Chaque élément possède des raies d’émission
à des longueurs d’onde qui lui sont spécifiques. L’analyse du spectre collecté permet
non seulement d’identifier les espèces élémentaires présentes dans l’échantillon, mais
également d’en estimer la concentration relative (Figure 1).
 | Figure 1. Représentation schématique des principaux composants du système
LIBS. Sont présentés le laser pulsé, l’objectif du
microscope, l’échantillon, la plateforme motorisée et la collection du
signal transmis par fibre optique au spectromètre. Les spectres LIBS
(laser-induced breakdown spectroscopy) générés ont des
longueurs d’ondes caractéristiques des éléments présents dans l’échantillon.
L’analyse point par point permet de reconstituer une image en deux
dimensions pour chaque élément d’intérêt. Gd : gadolinium ; Na : sodium. |
La quasi-totalité des éléments chimiques répertoriés dans la classification périodique de
Mendeleïev peut être détectée par cette méthode. Le couplage de l’analyse élémentaire
LIBS à un microscope à champ large apporte une nouvelle dimension à cette technique. En
effet, cela permet de visualiser la répartition et la concentration des composés dans
l’espace, et donc de créer des images élémentaires de l’échantillon étudié. Cette technique possède des applications dans des domaines très variés, allant du
biomédical à l’exploration spatiale, en passant par la géologie ou l’industrie
(Figure 2).
 | Figure 2.
Principales caractéristiques et exemples d’application du
LIBS.
|
|
Les métaux en biomédecine Les métaux alcalins et certains alcalino-terreux, comme le sodium (Na), le potassium
(K), le magnésium (Mg) et le calcium (Ca), sont des entités dynamiques qui
transmettent des signaux. Les métaux de transition redox-actifs1, tels que le zinc (Zn), le cuivre (Cu) et le fer (Fe), sont
des cofacteurs impliqués dans des fonctions structurales ou catalytiques. Certains
d’entre eux, lorsque leur homéostasie est perturbée, peuvent déclencher un stress
oxydatif et des dommages à l’ADN [1, 2]. Les métaux
ont donc des fonctions biologiques pléiotropes indispensables à de très nombreuses
activités cellulaires et tissulaires. L’homéostasie des métaux résulte de l’étroite coordination entre leur absorption,
leur implication dans les voies de signalisation, leur métabolisme et leur
excrétion. La quantité disponible de chaque métal est étroitement régulée dans
l’espace et au cours du temps [3]. En conditions normales ou pathologiques, l’analyse in
situ des éléments chimiques, en particulier les métaux, présente un
intérêt considérable pour objectiver des variations de répartition ou de
concentration et pour permettre d’interpréter leurs effets sur les tissus et les
organismes. En effet, toute carence ou surcharge en métaux affecte fortement les
tissus et peut entraîner des maladies graves, voire mortelles. Les métaux sont potentiellement incriminés dans la survenue des maladies
neuro-dégénératives associées à l’âge comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de
Parkinson. Ces pathologies peuvent être liées aux effets toxiques de métaux lourds
(par exemple, le cadmium Cd, le plomb Pb, et le mercure Hg), à l’abondance des
métaux biologiquement importants (par exemple, le zinc Zn et le manganèse Mn), ou
des métaux non biologiques (l’aluminium Al, par exemple) [4]. L’imagerie élémentaire des métaux dans les
tissus présente donc un fort intérêt pour permettre de comprendre les mécanismes
pathologiques et, idéalement, pour identifier des cibles potentielles de nouveaux
traitements. |
Les méthodes de cartographie des composants élémentaires Diverses techniques permettent de déterminer la composition élémentaire des
échantillons, comme la spectrométrie de fluorescence des rayons X (microanalyse de
rayonnement synchrotron : XRF en anglais) [5], la nano-spectrométrie de masse d’ions secondaires
(nano-SIMS, pour nano-scale secondary ion mass spectrometry) [6] ou l’ablation laser couplée
à la spectrométrie de masse par plasma à couplage inductif (en anglais LA-ICP-MS,
pour laser ablation-inductively-coupled plasma mass spectroscopy)
[7]. Ces approches
offrent de hautes performances en termes de sensibilité, mais la complexité des
équipements nécessaires rend difficile, voire impossible, leur utilisation en
routine. |
Les avantages de l’imagerie LIBS L’analyse élémentaire LIBS est applicable sur des échantillons solides, liquides ou
gazeux et se réalise à température et pression ambiantes [8]. C’est une technique simple, rapide, peu
dommageable pour l’échantillon, et qui permet une analyse de l’ensemble des éléments
avec une seule impulsion laser. Elle est sensible (quelques parties par million, ou
ppm, sont détectables pour la plupart des éléments) et présente une large gamme
dynamique de détection (de la présence de trace jusqu’à des quantités importantes).
Contrainte par la limite de diffraction de la lumière et la nature de l’échantillon,
la résolution spatiale peut aujourd’hui descendre jusqu’à 8 micromètres. Il n’existe
en revanche aucune restriction quant à la forme des échantillons. |
Les premières applications de l’imagerie LIBS Initialement développée pour l’étude des matériaux, l’analyse élémentaire LIBS a été
ensuite appliquée en biologie à des spécimens minéralisés ou calcifiés, comme les
calculs biliaires, les os et les dents. L’imagerie des tissus non minéralisés est en
revanche récente car il a été nécessaire de s’affranchir de l’hétérogénéité des
tissus biologiques et de maîtriser tous les paramètres de l’ablation laser pour ces
matériaux considérés comme « mous ». L’utilisation possible de l’analyse élémentaire LIBS non résolue dans l’espace a été,
pour la première fois, démontrée pour les applications biomédicales, après une
transformation matricielle (c’est-à-dire le mixage, le séchage ou la granulation du
tissu) employée pour améliorer l’efficacité de l’ablation laser et donc accroître le
rapport signal sur bruit [9].
À l’aide de cette transformation, l’analyse élémentaire LIBS a permis de confirmer
un diagnostic de cancer du sein [10], de cancer colorectal [11], et de mélanome [12]. Dans cette dernière étude, les auteurs ont mesuré les
éléments contenus dans des tissus homogénéisés en pastilles, mais également dans les
tissus cutanés directement excisés d’animaux porteurs de mélanomes. Leurs résultats
indiquent que le magnésium (Mg) et le calcium (Ca) pourraient représenter des
biomarqueurs pour discriminer un mélanome d’une peau saine, ce qui suggère une
application clinique directe potentielle de l’analyse élémentaire LIBS pour le
diagnostic des tumeurs humaines [12]. Différents instruments LIBS équipés de lasers pulsés nanoseconde ou femtoseconde
[22] (→)
ont été progressivement développés pour des analyses par double impulsion2, avec de nombreuses applications bio-médicales.
L’analyse élémentaire LIBS peut ainsi aider à discriminer les tissus sains et
pathologiques en temps réel lors d’une chirurgie laser ou pour une biopsie [13].
(→) Voir l’article Nobel de S.R. Mordon, m/s n° 2,
février 2019, page 176
Dans cette revue seront présentées les avancées récentes du LIBS résolu dans
l’espace, en particulier, l’apport de l’imagerie LIBS pour les tissus biologiques.
Nous décrirons également certaines des applications les plus prometteuses en
santé. |
Principe de l’analyse élémentaire LIBS Un laser pulsé de haute énergie est concentré à la surface de l’échantillon,
induisant l’ablation de quelques nanogrammes de matière, vaporisés sous forme de
plasma. Les éléments et les ions ainsi excités vont retrouver des niveaux d’énergie
inférieurs en émettant des rayonnements lumineux qui leur sont propres. Fondée sur
le principe de spectroscopie d’émission atomique, cette lumière sera analysée par
des spectromètres équipés de détecteurs couplés à une caméra CCD
(charge-coupled device). Pour chaque impulsion laser, le
spectre enregistré constitue une signature unique de l’échantillon traité. Chaque
élément du tableau périodique possède ses lignes d’émission caractéristiques. Sur le
spectre d’émission enregistré (Figure
1), les intensités des pics correspondant à chaque ligne
d’émission (par exemple 330 nm pour le sodium) sont directement corrélées à la
quantité de l’élément présent dans l’échantillon analysé. Une imagerie élémentaire
LIBS pourra être réalisée en balayant l’intégralité de la surface de l’échantillon
par le laser afin d’obtenir une résolution spatiale. Les images élémentaires seront
créées par extraction des données spectrales enregistrées pour chaque élément
d’intérêt. Cette technique est aujourd’hui entièrement compatible avec la
microscopie optique. Elle fournit des images élémentaires avec une sensibilité
importante (de l’ordre d’une partie par million pour la plupart des métaux). Les
cartographies élémentaires (ou mapping) ainsi obtenues représentent
(selon l’intensité de la coloration) l’abondance relative des éléments chimiques
révélés. Pour en connaître la concentration exacte, il sera indispensable de
réaliser au préalable une calibration avec des standards externes de concentrations
connues. |
Une des applications prometteuses de l’imagerie LIBS pour les études précliniques est
la détection ex vivo, à partir de tissus prélevés chez l’animal, de
médicaments ou de nanocomposés (NC) contenant des métaux lourds, comme le gadolinium
(Gd) ou l’or (Au) (Figure 3).
La distribution dans l’espace de ces nanocomposés d’intérêt est réalisée en deux
dimensions (2-D), à l’échelle d’un organe entier. La LIBS détecte directement les
nanocomposés métalliques, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer de modifications
chimiques ou des marquages avec des colorants.
 | Figure 3.Images LIBS obtenues à partir d’échantillons biologiques.
A. Tumeur pancréatique représentée par le
phosphore (P, en bleu) chargée en nanocomposés d’or (Au, en jaune).
B..Cinétique d’élimination rénale
de nanocomposés de gadolinium (Gd-NC, en vert). Le sodium est représenté
en rouge. C. Image haute résolution (600 x
410 pixels) d’un rein de souris. Le gadolinium est représenté en vert et
les fortes concentrations de calcium, en rouge.
D. Images en trois dimensions d’un
rein de souris montrant la répartition du gadolinium (en vert), du
calcium (en violet) ou du sodium (en rouge) (figure adaptée de [ 21]). |
Ainsi, des nanocomposés contenant de l’or (Au-NC) injectés à des souris
immuno-déficientes présentant des tumeurs pancréatiques permettent de cibler les
cellules cancéreuses en vue d’un traitement ultérieur par irradiation [14] (Figure 3A). De même, l’analyse de
tissus biologiques murins congelés, ou inclus en paraffine, a permis de déterminer
la distribution, le métabolisme, l’accumulation de nanocomposés Gd-NC (contenant du
gadolinium), leur temps de résidence, mais également les cinétiques d’élimination
par les reins des animaux [15]. Dès 2014, l’amélioration de la résolution spatiale à environ 35 μm
a facilité le repérage de ces Gd-NC dans les structures anatomiques et donc leur
localisation précise dans les organes, notamment le rein. Une cinétique
d’élimination rénale des Gd-NC à différents temps après qu’ils aient été injectés à
l’animal est montrée dans la
Figure 3B
. La résolution latérale obtenue est fortement influencée par la nature de
l’échantillon : de 40 à 100 µm pour des sections congelées [16], jusqu’à 8 à 10 µm pour des échantillons
durs inclus en résine époxy (Figure
3C) [17]. En plus des métaux exogènes composant les nanocomposés métalliques, les éléments
endogènes qui constituent les tissus biologiques peuvent également être mis en
évidence. C’est le cas du phosphore P, du fer Fe, du sodium Na, du calcium Ca et du
magnésium Mg. L’imagerie LIBS permet d’effectuer la projection en 2-D de la distribution
élémentaire au sein de l’échantillon. Elle ne permet pas en revanche d’obtenir
d’informations sur la composition élémentaire en profondeur. Pour contourner cette limite, nous avons développé le concept d’imagerie élémentaire
LIBS en trois dimensions (3-D) sur organes biologiques. Dérivant de la méthode
d’imagerie LIBS 2-D que nous avons décrite pour étudier la cinétique rénale des
Gd-NC, deux stratégies différentes, mais complémentaires, ont été appliquées pour
collecter la distribution des éléments d’intérêt en profondeur dans les organes
d’animaux [17]. L’analyse élémentaire LIBS a d’abord été utilisée pour réaliser des images d’éléments
comme le Gd, le Ca et le Na dans une série de sections coronales adjacentes de reins
murins. Les images ont ensuite été regroupées afin de reconstruire la distribution
élémentaire au sein de l’organe entier, en 3-D (Figure 3D) [17]. Pour la seconde approche, la capacité du LIBS à effectuer un profilage en profondeur
par ablation répétée de la même surface d’intérêt a été exploitée. Une région de
plus petite taille que celle analysée avec la première approche a été cartographiée
à plusieurs reprises, tout en conservant une résolution spatiale élevée (10 µm) pour
obtenir un profil élémentaire 3-D complet et très résolu. La configuration utilisée
pour les instruments a permis la détection simultanée de la plupart des éléments
endogènes présentant un intérêt biologique : le phosphore P, l’aluminium Al, le
magnésium Mg, le sodium Na, le zinc Zn, le silicium Si, le fer Fe et le cuivre Cu.
L’ensemble de ces travaux réalisés sur des tissus animaux dans le cadre d’études
précliniques nous a permis d’envisager de travailler sur les applications médicales
de l’imagerie LIBS. |
Les applications médicales de l’imagerie LIBS La technique d’imagerie multi-élémentaire LIBS possède des applications pour la
médecine très variées, allant de la visualisation d’éléments endogènes dans des
conditions physiologiques ou pathologiques, à la détection in situ
de métaux lourds exogènes dans les tissus après exposition professionnelle ou
environnementale. Nous avons récemment réalisé une étude de faisabilité [18], puis une étude descriptive de la
distribution des éléments endogènes dans différentes biopsies de peau humaine [19]. Ces biopsies cutanées
provenaient de tissus sains, mais également de carcinomes à cellules de Merkel, de
carcinomes épidermoïdes, et de métastases cutanées de mélanome (Figure 4). Confrontées aux images
réalisées sur des sections adjacentes par histologie (coloration par
hématoxyline/éosine/safran, HES), les images élémentaires obtenues à partir de ces
biopsies ont permis la visualisation et l’identification de trois différentes
couches physiologiques du tissu cutané qui correspondent parfaitement à
l’architecture et à l’organisation retrouvées lors de l’examen histologique. Dans le
cas du mélanome métastatique, les images élémentaires de la tumeur ont révélé un
gradient de concentrations en Ca, P et Mg, qui contraste avec l’apparente
distribution homogène des cellules de mélanome lorsqu’observées au microscope.
L’existence de larges plages dynamiques des concentrations en éléments, tels que Ca,
Na, Mg et Fe, comprenant des gradients avec des zones de faibles concentrations et
d’autres élevées, démontre la grande complémentarité de l’imagerie élémentaire LIBS
et de l’analyse histopathologique conventionnelle. Cette étude a été réalisée sur
des tissus fixés au formol tamponné puis inclus en paraffine. Les tissus paraffinés
représentent la forme la plus fréquente de matériel humain archivé dans les services
d’anatomo-pathologie. Ce savoir-faire permet donc d’envisager l’emploi de la
technologie LIBS pour analyser au moment du diagnostic ou a
posteriori, de très nombreux échantillons présentant un intérêt
médical.
 | Figure 4.Analyse LIBS de différents éléments
endogènes. Différentes biopsies humaines cutanées
sont comparées à l’analyse histologique classique. HES : coloration
hématoxyline/éosine/safran (figure adaptée de [ 21]). |
Dans une troisième étude, nous avons sélectionné des échantillons de patients pour
lesquels les anatomo-pathologistes retrouvaient des anomalies lors de l’examen
histo-pathologique [19]. La présence
d’anomalies tissulaires (réactions granulomateuses, pigments, vacuoles, ou même
corps étrangers) est fréquemment rapportée par les pathologistes lors de leurs
analyses de routine, mais leur nature élémentaire est rarement examinée de façon
approfondie, principalement par manque de technologies accessibles. C’est pourquoi
ces anomalies demeurent souvent largement inexpliquées. Nous avons effectué une analyse multi-élémentaire LIBS sur des lésions nodulaires
sous-cutanées survenues après une vaccination. Les sels d’aluminium sont des
adjuvants standard des vaccins et sont susceptibles de provoquer des effets
indésirables, comme par exemple des gonflements temporaires ou persistants au niveau
du site d’injection. Ces nodules parfois prurigineux ou douloureux peuvent être à
l’origine d’une gêne considérable pour les patients. Un diagnostic histologique de
ces nodules est généralement effectué pour permettre de distinguer sa nature qui
peut être un simple granulome ou une panniculite3, ou encore un pseudo-lymphome. Nous avons analysé la distribution en
LIBS de l’aluminium. Afin de recréer l’image obtenue par histologie et de visualiser
l’organisation et l’architecture globale du tissu, nous avons utilisé du phosphore
ou du sodium, éléments constitutifs des cellules. |
Hypersensibilité aux sels d’aluminium L’analyse LIBS de la distribution de l’aluminium a permis de révéler la présence de
quantités importantes de cet élément métallique dans un granulome post-vaccinal
(Figure 5A). Sa
localisation réalisée par analyse du sodium correspond parfaitement aux zones
granulomateuses pathognomoniques dans lesquels certains histiocytes contiennent des
granules basophiles intracytoplasmiques tel que révélés après coloration à
l’hématoxyline-éosine safranée.
 | Figure 5.Analyse LIBS de différents éléments exogènes.
A. Un granulome post-vaccinal humain est représenté
par les analyses histologiques (coloration HES, panneau de gauche) et
les images LIBS (panneau de droite). L’analyse LIBS met en évidence la
très forte présence dans cette biopsie d’aluminium (Al, en vert). Le
sodium (Na) est représenté en rouge (figure adaptée de [ 19]).
B. Accumulation de titane dans un
ganglion lymphatique « pigmenté ». Le phosphore est en bleu, le titane
en jaune. C..Cicatrice de mastectomie
présentant des dépôts multiples de titane, cuivre, tungstène et chrome
(barre d’échelle : 1 mm). |
|
Ganglions lymphatiques pigmentés Lors de l’évaluation macroscopique d’un ganglion lymphatique, la présence d’une
couleur noire peut évoquer la présence de cellules de mélanome qui contiennent de la
mélanine [20]
(→).
(→) Voir la Synthèse de F. Gesbert et L. Larue, m/s n° 5,
mai 2018, page 407
Il s’agira alors d’une métastase ganglionnaire du mélanome. La migration de
particules exogènes d’encre provenant de tatouages cutanés peut cependant être
également responsable de la pigmentation de certains ganglions lymphatiques. La
nature des pigments de couleur sombre retrouvés par les chirurgiens ou les
anatomo-pathologistes lors de biopsies ou dissections ganglionnaires doit donc
impérativement être étudiée, tout particulièrement pour les patients ayant un
antécédent de mélanome. Nous avons analysé un ganglion inguinal provenant d’un patient ayant un historique de
mélanome localisé au niveau de la jambe, qui avait été opéré plusieurs années
auparavant. Dans un contexte de récidive locale, un curage ganglionnaire inguinal a
été réalisé. Au cours de cette chirurgie, huit ganglions ont été excisés, dont un
était macroscopiquement suspect (texture ferme et de couleur noire). L’examen
histopathologique du ganglion pigmenté (ou « tatoué ») suspect a révélé la présence
de pigments granulaires noirs formant des dépôts extracellulaires dans les sinus du
ganglion, mais absents du tissu adipeux, ainsi que dans de rares histiocytes
présentant de petites quantités de particules pigmentées dans leur cytoplasme (
Figure 5B
, panneau de gauche). L’analyse du phosphore par LIBS a permis de
visualiser l’architecture des ganglions lymphatiques, et l’étude multi-élémentaire a
révélé la présence de niveaux élevés de titane (Ti) (
Figure 5B
, panneau de droite) dans différentes zones du ganglion analysé,
correspondant parfaitement à la topographie du pigment noir retrouvé à l’examen
histopathologique. Les analyses complémentaires immuno-histochimiques, réalisées par
le pathologiste, ont confirmé l’absence de cellules de mélanome. L’origine du titane
responsable de la pigmentation des ganglions n’a pas été recherchée. |
Particules exogènes post-chirurgicales Chez une patiente ayant subi une ablation du sein à la suite d’un cancer, le rapport
histopathologique de la cicatrice avait révélé la présence de différentes anomalies
liées au processus de résorption dans le derme fibrotique : (1) des cellules géantes
multinucléées entourant une substance étrangère anhistique4, ; (2) des infiltrations histiocytaires présentant un pigment
basophile dans leur cytoplasme ; et (3) un petit agrégat d’histiocytes ou de
granulocytes avec de petites granulations positives à l’acide periodique de
Schiff5 (
Figure 5C
, panneau de gauche). Une analyse LIBS a été réalisée sur les tissus
cicatriciels. Les images multi-élémentaires LIBS ont révélé la présence d’un taux
élevé de titane, en plus de la présence de cuivre et de particules localisées de
tungstène (W) ou de chrome (Cr), confirmant la présence de débris métalliques
résultant de l’acte chirurgical (
Figure C
panneau de droite) pouvant expliquer les anomalies observées. La présence de corps étrangers dans les tissus après chirurgie est largement
documentée et plusieurs substances exogènes, telles que des particules ou des
débris, peuvent provenir de la libération de composants d’instruments chirurgicaux,
de sutures, d’agrafes, d’implants, ou d’autres sources. Lorsqu’elle est associée à une analyse histopathologique de routine, la technologie
LIBS, simple à mettre en œuvre, peut donc aider les pathologistes à établir et/ou
confirmer des diagnostics dans une large gamme d’applications médicales, notamment
pour identifier la nature de composés retrouvés dans un tissu qui sont
potentiellement exogènes. La combinaison de différentes techniques peut être nécessaire pour obtenir des
informations complémentaires. Bonta et al. ont associé l’analyse
élémentaire LIBS à une analyse par LA-ICP-MS de tissus humains de mésothéliome
pleural malin [16]. L’analyse LIBS a ainsi
permis d’identifier des éléments qui ne pouvaient être quantifiés par LA-ICP-MS (des
éléments majoritaires, notamment le carbone, l’oxygène et l’hydrogène). La
technologie ICP-MS repose, elle, sur la spectrométrie de masse. Elle permet donc la
quantification absolue de tous les éléments chimiques du tableau périodique. Son
excellente sensibilité rend possible le rendu en image de la distribution de
certains éléments présents à des concentrations extrêmement faibles (quelques
parties par milliard, ou ppb). |
La méthode d’imagerie multi-élémentaire LIBS repose sur un système entièrement fondé
sur l’optique. Elle est rapide et facilement utilisable sur différents types de
matrices (tissu inclus en résine époxy ou en paraffine). Avec un laser à 10 Hz de
fréquence, l’instrument LIBS permet de scanner une surface d’environ
6 cm2 en 3 heures, ce temps diminue jusqu’à 20 minutes si
l’instrument est équipé d’un laser à 100 Hz [19]. L’imagerie LIBS permet une analyse avec une sensibilité de l’ordre
de plusieurs dizaines d’attomoles (10-15 moles) et la distribution de
nombreux éléments métalliques dans les tissus biologiques est visualisable. La
préparation du tissu et la configuration du microscope LIBS répondent aux exigences
de détection des éléments dans la plupart des applications biomédicales, notamment
en termes de résolution et de sensibilité. Ses capacités uniques permettent
d’analyser des éléments métalliques majeurs, mineurs et même à l’état de traces dans
divers matériaux biologiques [8]. Les
informations collectées sont directement issues de mesures réalisées au sein du
tissu et analysées de façon semi-quantitative. L’inconvénient majeur de l’imagerie LIBS est indéniablement son caractère
destructeur, bien que seule une très petite quantité de matériel biologique (moins
de 1 ng) soit prélevée pour la mesure. L’avantage des techniques utilisant
l’ablation laser est néanmoins de permettre d’acquérir des profils de distribution
en profondeur afin de créer des images en 3 dimensions avec une résolution latérale
de quelques micromètres seulement. L’analyse élémentaire LIBS des tissus biologiques donne des résultats complémentaires
à ceux obtenus par des méthodes classiques utilisées en médecine, telles que la
microscopie électronique à transmission et l’analyse histologique couplée à
l’immunohistochimie [21]. Elle peut être
associée à des techniques plus complexes offrant des performances supérieures, mais
dans des conditions plus restrictives, comme l’ICP-MS, la nano-SIMS ou la µXRF.
L’équipement LIBS peut également être directement couplé à des systèmes d’imagerie
Raman ou de fluorescence. L’intérêt croissant pour la distribution des éléments métalliques et organiques dans
les tissus biologiques suggère que cette technologie deviendra probablement un outil
d’investigation précieux pour l’imagerie multi-élémentaire directe, c’est-à-dire ne
requérant aucun marquage. Cette approche est très polyvalente puisqu’une grande
majorité des éléments, en particulier les métaux, peut être détectée avec une grande
sensibilité. Elle peut également être aisément utilisée dans les laboratoires de
recherche pour les analyses élémentaires de routine dans les domaines de la
nanotechnologie et en biologie. À l’avenir, la médecine devrait pouvoir bénéficier
de ces développements : découverte de nouveaux biomarqueurs pour l’identification du
tissu cancéreux, recherche d’éléments exogènes et aide au diagnostic médical. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
|
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