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| Med Sci (Paris). 35(10): 725–727. doi: 10.1051/medsci/2019157.Les cellules souches humaines sont capables de
néo-biosynthétiser des nanoparticules magnétiques après avoir dégradé des
nanoparticules synthétiques Aurore Van de Walle,1* Ali Abou-Hassan,2 Nathalie Luciani,1 and Claire Wilhelm1** 1Laboratoire matière et systèmes complexes, CNRS UMR 7057,
Université Paris Diderot, 10 rue Alice Domon et Léonie Duquet, 75205Paris Cedex 13,
France 2Sorbonne Université, CNRS, Physico-chimie des électrolytes
et nanosystèmes interfaciaux, PHENIX, 75005Paris,
France MeSH keywords: Voies de biosynthèse, Humains, Champs magnétiques, Nanoparticules métalliques, Nanoparticules, Cellules souches, métabolisme |
Les nanoparticules magnétiques, qui contiennent du fer, sont au cœur de la nanomédecine ;
elles ont des applications multiples dans divers domaines allant de l’imagerie à la
médecine régénérative. Ces applications nécessitent généralement la pénétration des
nanoparticules dans l’organisme, et plus particulièrement dans des cellules. La question
de leur devenir à long terme dans cet environnement vivant est donc essentielle. Les
résultats récents et assez inattendus que nous avons obtenus en utilisant des cellules
souches humaines donnent quelques clés quant à ce devenir [1]. Ces cellules sont en effet capables, non
seulement de dégrader et d’assimiler les nanoparticules par les voies du métabolisme du
fer, mais également de synthétiser des nanoparticules de novo. La
présence de nanoparticules magnétiques biogéniques avait déjà été observée chez l’homme,
mais leur biosynthèse n’avait jamais été démontrée jusqu’à présent. |
Les nanoparticules magnétiques sont utilisées en nanomédecine pour le diagnostic en
imagerie par résonance magnétique nucléaire [2], comme agents anticancéreux par hyperthermie [3] ou pour le ciblage de médicaments
[4], ou encore comme
agents pour la fabrication d’assemblages cellulaires en ingénierie tissulaire [5]. Mais que deviennent les
nanoparticules magnétiques après avoir accompli leur mission diagnostique ou
thérapeutique ? Cette question est indissociable de celle du développement de leurs
applications biomédicales afin d’en garantir la sécurité, et s’inscrit dans une
réflexion bioéthique nécessaire sur le devenir de ces nanoparticules. L’attention
portée au « cycle de vie » et à l’évolution à long terme des nanomatériaux est
pourtant relativement nouvelle dans le domaine de la nanomédecine, qui s’est jusqu’à
présent davantage focalisée sur la multi-fonctionnalité des nanoparticules et leur
efficacité à court terme que sur leur devenir à long terme. |
Nous avons étudié le devenir de nanoparticules magnétiques synthétiques pendant
plusieurs semaines après leur incorporation dans des cellules souches, en utilisant
le magnétisme des cellules comme un marqueur de la présence et de l’intégrité des
nanoparticules [1]. Afin de déterminer
l’influence de la différenciation cellulaire sur le devenir intracellulaire de ces
nanoparticules, nous avons utilisé différentes conditions de culture qui favorisent
la différenciation des cellules souches dans la voie de la chondrogenèse
(transformation en chondrocytes), ou celle de l’adipogenèse (adipocytes) ou de
l’ostéogenèse (ostéocytes), ou pour simplement maintenir ces cellules dans leur état
indifférencié [1]. |
Le devenir des nanoparticules suivi par la mesure du magnétisme des
cellules Au cours de cette étude, nous avons utilisé une approche originale de nanomagnétisme
en milieu vivant : les nanoparticules sont tout d’abord incorporées dans des
cellules souches humaines (Figure
1), qui sont ensuite soumises à différents environnements, en
culture 2D (monocouche de cellules avec conditions de maintien dans un état
indifférencié, ou bien conditions de différenciation en adipocytes ou en
ostéocytes), ou en culture 3D (formation de sphéroïdes pour la différenciation en
chondrocytes). Ces modèles tissulaires permettent d’étudier le comportement et le
devenir des nanoparticules sur le long terme dans différents environnements
intracellulaires. Le magnétisme est alors mesuré sur une population de 200 000
cellules, et sa variation reflète directement les processus de transformation des
nanoparticules.
 | Figure 1. Les nanoparticules magnétiques sont incorporées dans les
cellules souches par endocytose, puis stockées dans les
endosomes. L’imagerie en microscopie
électronique à transmission permet l’observation directe des
nanoparticules. |
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Un résultat surprenant : une néo-synthèse de nanoparticules magnétiques après
leur dégradation Dans le modèle de culture 3D en sphéroïdes (condition de la chondrogenèse),
l’aimantation des cellules décroît de manière importante pendant les 10 premiers
jours qui suivent l’incorporation des nanoparticules (Figure 2A) : les nanoparticules sont dégradées en
perdant leur structure cristalline, ce qui entraîne une perte de magnétisme des
cellules les ayant incorporées. Le fer libéré est alors stocké sous forme de
ferrihydrite (non magnétique) à l’intérieur de la ferritine, la protéine de stockage
du fer (Figure 2B). En
revanche, lorsque les cellules sont cultivées en monocouches (2D), qu’elles restent
non différenciées ou qu’elles soient orientées vers d’autres voies de
différenciation (adipogenèse, ostéogenèse), une « re-magnétisation » spectaculaire
des cellules est observée : l’aimantation des cellules diminue, puis augmente de
nouveau (Figure 2C). Les
nanoparticules sont tout d’abord détruites, libérant dans la cellule leur fer, qui
est alors utilisé pour une biosynthèse de nouvelles nanoparticules magnétiques.
Cette biosynthèse se déroule dans les endosomes, et semble liée à l’activité de la
sous-unité H de la ferritine, qui possède une activité ferroxydase. Les
nanoparticules biosynthétisées apparaissent clairement en microscopie électronique
(Figure 2D), tandis
que la ferritine non-magnétique observée précédemment devient difficilement
détectable.
 | Figure 2. Suivi magnétique et par imagerie des nanoparticules dans
les cellules souches. Après incorporation des
nanoparticules, les cellules souches sont cultivées pendant 21 jours
sous forme de sphéroïdes 3D pour induire la chondrogenèse
(A et B), ou bien en monocouches
dans des conditions de culture permettant une différenciation cellulaire
(ostéogenèse et adipogenèse), ou le maintien dans un état non
différencié (C, D). La mesure du
magnétisme des cellules par aimantation, exprimée en pemu
(10−12 emu) (A, C), permet
d’évaluer la transformation des nanoparticules. Une valeur de magnétisme
décroissante indique une dégradation des nanoparticules, alors qu’une
valeur croissante indique une synthèse de nouvelles nanoparticules. Dans
le cas de la dégradation, le fer libéré est stocké dans la ferritine
sous forme non-magnétique (ferrihydrite), comme on peut l’observer sur
les images de microscopie électronique en
(B) : petits spots de diamètre ~ 5-7
nm, peu denses, localisés à la fois dans les endosomes et dans le
cytoplasme. Dans le cas de la néosynthèse, les nanoparticules
biosynthétiques produites in situ, au sein des
endosomes (D), ont une structure
cristalline d’oxyde de fer (maghémite ou magnétite) et apparaissent plus
denses aux électrons. |
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Une preuve de la possibilité d’une synthèse biogénique de nanoparticules
magnétiques par des cellules humaines La présence de nanoparticules magnétiques a été observée dans divers organismes
vivants tels que la truite arc-en-ciel, le pigeon voyageur, ou encore les bactéries
magnétotactiques. Chez ces bactéries, différentes protéines spécifiquement dédiées à
la synthèse des nanoparticules magnétiques ont pu être identifiées [6]. La présence de nanoparticules
magnétiques a également été observée dans des cellules humaines [7], mais l’origine biogénique de ces
nanoparticules n’avait pas été démontrée jusqu’à présent. Dans l’étude que nous
avons menée, la « re-magnétisation » des cellules ne peut être expliquée autrement
que par une synthèse de nanoparticules in situ. Le rôle de ces
nanoparticules n’est cependant pas encore élucidé. En effet, la présence de
nanoparticules magnétiques a parfois été liée à des maladies neurodégénératives,
telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson [8]. Ces résultats sont cependant contradictoires
avec certaines études montrant la présence d’une quantité similaire de
nanoparticules magnétiques chez des individus présentant ces maladies et chez des
sujets témoins en bonne santé. Ce qui est confirmé, en revanche, c’est le
dérèglement de l’homéostasie du fer corrélé à ces maladies et l’augmentation de la
quantité globale de fer sous ses différentes formes de stockage [9]. Dans notre étude, lorsque nous
observons la biosynthèse de nanoparticules magnétiques, la capacité des cellules
souches à se différencier n’est pas affectée, même en présence d’une grande quantité
intracellulaire de fer. Nous faisons donc l’hypothèse que cette néo-synthèse sert à
préserver les cellules d’un excès de fer toxique : le stockage sous forme de
nanoparticules magnétiques permettrait de limiter la quantité de fer libre et la
production d’espèces oxydantes (liée à la réaction de Fenton)1 pouvant endommager les cellules. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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Nous remercions tous les co-auteurs de la publication originale [1]. Ces travaux ont été financés par l’union
européenne (projet MaTissE 648779, ERC-2014-CoG).
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Footnotes |
1. Van de
Walle
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A,
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