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| Med Sci (Paris). 35(10): 739–742. doi: 10.1051/medsci/2019144.La fonction d’un long ARN non codant décodée dans la
fibrose pulmonaire idiopathique Grégoire Savary,1,2 Nicolas Pottier,2,3 Bernard Mari,1* and Christelle Cauffiez2 1Université Côte d’Azur, CNRS, IPMC,
FHU-OncoAge, Valbonne, France 2Université de Lille, EA 4483-IMPECS,
Lille,
France 3Centre hospitalo-universitaire de Lille, Service de
toxicologie et génopathies, Lille, France MeSH keywords: Humains, Fibrose pulmonaire idiopathique, ARN long non codant, génétique, physiologie |
Les ARN non codants : de nouvelles cibles thérapeutiques Les recherches sur les ARN non codants (ARNnc) et leurs rôles biologiques ont
révolutionné notre conception du génome et nos connaissances sur la régulation de
l’expression génique. Il est maintenant établi que la dérégulation des ARNnc joue un
rôle central dans le début et la progression de la plupart des maladies complexes
[1]. Ces ARNnc
comprennent, d’une part, des ARN régulateurs assez bien caractérisés comme les
microARN (miARN) et les piwi-interacting RNA (piARN) et, d’autre
part, des classes d’ARNnc moins bien connues telles que les longs ARN non codants
(lncARN). Les miARN, dont plus de 2 500 ont été répertoriés chez l’homme, sont des petits ARN
d’environ 20 nucléotides agissant en tant que régulateurs négatifs de l’expression
génique capables soit d’inhiber la traduction soit d’induire la dégradation de leurs
ARN messagers cibles [2]
(→)
(→) Voir la Synthèse de C. Hartman et al.,
m/s n° 10, mars 2004, page 894
Les lncARN, quant à eux, sont des transcrits de plus de 200 nucléotides impliqués
dans de très nombreux mécanismes de régulation transcriptionnelle et
post-transcriptionnelle [3]
(→)
(→) Voir la Synthèse de T. Pedrazzini, m/s n° 3, mars 2015,
page 261
Tous ces ARN non codants représentent, par leurs mécanismes d’action et du fait de
leur perturbation dans la majorité des processus pathologiques, de nouvelles cibles
thérapeutiques potentielles, et certains essais cliniques sont d’ores et déjà en
cours [4, 5]. |
La fibrose pulmonaire idiopathique La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est une maladie chronique irréversible
affectant l’interstitium pulmonaire, dont la médiane de survie après diagnostic est
inférieure à 5 ans, et pour laquelle les options thérapeutiques sont limitées [6]. La physiopathologie de la
FPI est particulièrement complexe, et implique notamment une activation excessive
des fibroblastes pulmonaires en myofibroblastes suite à l’altération des cellules
épithéliales alvéolaires en réponse à une agression chronique, dont l’origine reste
inconnue dans la majorité des cas. La fibrose se caractérise par une accumulation de
composants de la matrice extracellulaire sécrétés par les myofibroblastes, à
l’origine de la destruction de l’architecture tissulaire. Sur le plan moléculaire, il est maintenant établi que le transforming growth
factor b (TGF-β) joue un rôle majeur dans l’apparition et la
progression de la fibrose en favorisant le recrutement, la prolifération et
l’activation des fibroblastes pulmonaires [7]. Bien que l’inhibition du TGF-β représente une stratégie
thérapeutique séduisante, cette approche s’est finalement révélée décevante, car
l’administration d’inhibiteurs du TGF-β entraîne de très nombreux effets
indésirables dus à l’action de ce facteur de croissance sur les cellules d’autres
organes ou tissus. De ce fait, l’identification de nouvelles options thérapeutiques
visant à inhiber sélectivement la voie du TGF-β dans les myofibroblastes fait
l’objet de nombreuses recherches. |
DNM3OS, un lncARN profibrotique spécifiquement exprimé dans les
myofibroblastes Nous avions précédemment montré le rôle majeur joué par un « FibromiR », miR-199a-5p,
dans le contrôle de l’activation des myofibroblastes dans la FPI [8,9] (→)
(→) Voir la Nouvelle de I.S. Hénaoui, m/s n° 5, mai 2013,
page 461
MiR-199a-5p, en régulant l’expression du gène codant la cavéoline-1 (CAV1), est un
élément essentiel de la réponse des fibroblastes pulmonaires au TGF-β (Figure 1). En effet, CAV1, une
protéine membranaire essentielle à la formation des cavéoles, est impliquée dans
l’internalisation et la dégradation du complexe formé par le TGF-β et ses
récepteurs. Nous avons maintenant analysé le profil des lncARN dont la synthèse
varie au cours de la différenciation des fibroblastes en myofibroblastes induite par
le TGF-β. Cette analyse nous a permis d’identifier DNM3OS
(dynamin 3 opposite strand), un lncARN fortement induit dans
ces conditions expérimentales. Nous avons montré son rôle clé dans la voie de
signalisation du TGF-β, ainsi que son expression spécifique dans les myofibroblastes
pulmonaires à l’aide d’un modèle murin de fibrose pulmonaire induite par la
bléomycine. Sa surexpression exclusivement dans les myofibroblastes pulmonaires de
patients atteints de FPI a ensuite été confirmée [10].
 | Figure 1.Modèle résumant les effets profibrotiques de DNM3OS lors du
processus de fibrose pulmonaire. L’agression
chronique de l’épithélium alvéolaire induit un relargage du TGF-β
( transforming growth factor β) à l’origine de la
surexpression de DNM3OS ( dynamin 3 opposite
strand) et des trois miARN associés, miR-199a-5p,
miR-214-3p et miR-199a-3p. En ciblant CAV1 (cavéoline-1), miR-199a-5p
amplifie la signalisation du TGF-β, dépendante et indépendante des
facteurs de transcription Smad, en limitant la voie de dégradation des
récepteurs du TGF-β. MiR-214-3p est, quant à lui, impliqué dans
l’activation de la voie du TGF-β indépendante des Smad en inhibant la
production de prostaglandine E2 (PGE2) via le ciblage de COX-2
(cyclooxygénase 2) et en activant la voie Wnt/β-caténine par
l’inhibition d’une deuxième cible, GSK3E ( glycogen synthase
kinase 3 β). Enfin, miR-199a-3p limite les
mécanismes de réparation épithéliale par l’intermédiaire du blocage de
l’expression des facteurs de croissance FGF7 ( fibroblast growth
factor 7) et HGF ( hepatocyte growth
factor). Autres abréviations: AEC1, alveolar epithelial
cell of type 1 ; αSMA, D smooth muscle
actin ; ECM (MEC), matrice extracellulaire (adapté de
[ 10]). |
DNM3OS est un transcrit polycistronique précurseur de trois miARN
matures : miR-199a-5p, préalablement caractérisé par l’équipe [9], ainsi que miR-199a-3p et miR-214-3p, également surexprimés
in vitro en réponse au TGF-β. Ces trois miARN jouent en effet
un rôle synergique essentiel dans le processus de fibrogenèse. Ainsi, miR-214-3p
intervient dans la régulation de la voie de signalisation Wnt / -caténine, une voie
non-canonique de la réponse des fibroblastes au TGF-β, tandis que miR-199a-3p est
directement impliqué dans l’inhibition des mécanismes de réparation de l’épithélium
pulmonaire en inhibant l’expression de deux facteurs de croissance essentiels à la
cicatrisation, HGF (hepatocyte growth factor) et FGF7
(fibroblast growth factor 7). Au total, ces trois miARN
agissent collectivement pour amplifier des mécanismes moléculaires centraux du
processus de fibrogenèse (Figure
1) [10]. |
Vers une thérapie ciblant DNM3OS ou son contenu miARN ? Etant donné la spécificité d’expression de DNM3OS dans les
myofibroblastes, son ciblage paraît particulièrement intéressant pour inhiber
spécifiquement la voie du TGF-β dans ces cellules. Plusieurs stratégies
thérapeutiques visant à interférer avec DNM3OS ont été développées
(Figure 2).
 | Figure 2. Stratégies permettant d’inhiber l’activité pro-fibrotique
de l’ARNnc DNM3OS. Les GapmeR permettent de
cibler directement le transcrit primaire au niveau nucléaire et
d’induire sa dégradation par l’intermédiaire du recrutement de la RNase
H, bloquant ainsi la production des miARN matures (1. Gapmer dirigés
contre DNM3OS). Les anti-miR sont des oligonucléotides
anti-sens complémentaires des miARN matures et forment un duplex les
empêchant d’interagir avec leurs ARNm cibles (2. Anti-miR-199a-5p). Les
TSB (target site blocker), en se fixant sur un ARNm
cible en lieu et place du miARN, empêchent spécifiquement l’interaction
du miARN mature avec sa cible (3. TSB-CAV1). |
D’une part, nous avons ciblé directement le transcrit non codant
DNM3OS à l’aide d’oligonucléotides anti-sens de type « GapmeR »
qui, grâce à leur structure d’hybride ARN / ADN, induisent le recrutement de la
RNAse H et le clivage nucléaire du transcrit ciblé. Cette stratégie a permis
d’inhiber efficacement la surexpression du lncARN et des trois miARN associés dans
un modèle murin de fibrose pulmonaire induite par la bléomycine, limitant ainsi le
développement des lésions de fibrose. D’autre part, le ciblage de miR-199a-5p, le
miARN le plus important dans le contrôle de la voie de signalisation du TGF-β, à
l’aide d’un oligonucléotide complémentaire, a également démontré un effet
anti-fibrotique. Enfin, une dernière approche visant à bloquer spécifiquement l’interaction entre
miR-199a-5p et l’une de ses cibles, l’ARNm de CAV1, a été testée en
utilisant des oligonucléotides de type « TSB » (target site
blocker). Cette dernière stratégie a permis de prévenir le développement
des lésions de fibrose pulmonaire, ce qui montre que les effets pro-fibrotiques de
miR-199a-5p sont essentiellement dus à son interaction avec le transcrit de
CAV1. Nos travaux apportent ainsi un nouvel éclairage sur le rôle des ARNnc dans le
processus de fibrose pulmonaire et montrent l’intérêt de leur ciblage thérapeutique.
A terme, ces résultats pourraient conduire à l’amélioration de la prise en charge
des patients atteints de FPI. De plus, puisque les mécanismes moléculaires décrits
dans cette étude concernent également d’autres maladies fibrotiques, il est
raisonnable de penser que cette stratégie pourrait aussi s’appliquer à d’autres
fibroses d’organes, comme celles touchant le foie, le rein, ou le cœur. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
|
L’étude a été réalisée grâce aux financements suivants : l’Agence Nationale de la
Recherche (ANR) et le « Deutsche Forschungsgemeinschaft » (DFG, Allemagne), la
Fondation pour la Recherche Médicale (FRM, prix Mariane Josso attribué à GS), les
investissements pour le futur (LABEX SIGNALIFE et FRANCE GENOMIQUE), le Pôle de
Recherche Interdisciplinaire sur le Médicament (PRIM), la Société d’Accélération du
Transfert de Technologie Nord (SATT Nord), la Fondation Unice (projet AIR), les
Fonds de Recherche en Santé Respiratoire et la Fondation du Souffle.
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