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Med Sci (Paris). 35(11): I–VII.
doi: 10.1051/medsci/2019251.

Prix Inserm 2019
 

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© Éric Paul Ataouk

Prix Opecst-Inserm 2019 : Hervé Chneiweiss
Un scientifique engagé pour notre communauté
par Marc Peschanski

Directeur Scientifique CECS/AFM, I-Stem, 28, rue Henri Desbrueres, 91100 Corbeil-Essonnes, France mpeschanski@istem.fr

Les prix individuels en recherche ont un petit cachet archaïque à une époque où toute l’activité scientifique repose sur des équipes nombreuses, multiples et collaboratives, sans même parler du socle qu’offre librement la considérable littérature spécialisée. Parfois, néanmoins, c’est bien un parcours singulier qui est mis à l’honneur, apprécié comme tel par l’ensemble de la communauté scientifique qui y trouve un moyen d’exprimer sa reconnaissance, non pas tant pour une participation à l’œuvre commune, mais pour l’action vraiment personnelle du lauréat. Le prix Opecst-Inserm que reçoit cette année Hervé Chneiweiss fait clairement partie de ces cas rares. À côté du travail scientifique d’une équipe de haut niveau, il vient en effet souligner un engagement individuel de plusieurs décennies dans la défense de notre communauté scientifique. Le rôle de l‘Opecst dans l’attribution de ce prix aux côtés de l’Inserm lui donne d’ailleurs explicitement cet éclairage. Et c’est une grande fierté pour médecine/sciences que cette action au service de notre communauté ait été largement portée par notre revue dont Hervé est un pilier depuis 1995.

Hervé Chneiweiss fait partie de ce qui apparaît, pas seulement chronologiquement, comme la deuxième grande génération des neurosciences françaises. Dans les années 1980/1990, ces ­chercheurs ont été aspirés dans le maelstrom scientifique qui a alors imposé ce terme même, grandiloquent, de « neurosciences ». Ils ont trouvé en France pour se former quelques grands anciens, précurseurs charismatiques parmi lesquels on peut citer – à seul titre d’exemples – Jean-Marie Besson, Claude Kordon, Jean-Charles Schwartz, Jean-Pierre Changeux ou Jacques Glowinski. C’est auprès de ce dernier, au Collège de France, qu’Hervé a fait ses classes, dans une école qui a produit un grand nombre de chercheurs de haut niveau en neurochimie, neurobiologie cellulaire et moléculaire. Dans ce laboratoire, les cellules gliales étaient au cœur des préoccupations, ce qui à l’époque était en soi visionnaire puisque les rôles fonctionnels essentiels de ces cellules dans la neurotransmission étaient alors méconnus. Hervé s’attacha en particulier à une protéine, PEA-15, phosphoprotéine identifiée comme abondante d’abord dans les astrocytes, qui s’est avérée par la suite largement exprimée dans différents tissus et hautement conservée chez les mammifères. PEA-15 est modulée par des phosphorylations multiples dépendantes du calcium, ce qui suggérait qu’elle pourrait jouer un rôle majeur dans l’intégration du signal. Et effectivement, Hervé a montré que PEA-15 module des voies de signalisation qui contrôlent l’apoptose et la prolifération cellulaire. En particulier, elle détourne les astrocytes de l’apoptose déclenchée par le TNF-alpha et module les actions de la cascade ERK MAP kinase, en se liant à ERK et en modifiant sa localisation subcellulaire.

Hervé a donc fait ses classes dans la recherche fondamentale. Toutefois, sa formation originale de médecin neurologue l’a rapidement conduit à chercher comment exploiter les résultats de ses approches en laboratoire dans une recherche translationnelle qui le ramènerait au malade. La voie vers le glioblastome était toute tracée. Il l’a empruntée dès qu’il l’a pu, en même temps qu’il commençait à accompagner régulièrement des patients dans le service de neuro-oncologie de l’Hôpital de la Salpêtrière, dans ce que l’on peut considérer comme un véritable sacerdoce médical, tant le pronostic de ce cancer du cerveau reste encore aujourd’hui brutal et dramatique. Depuis plus de 15 ans, l’activité de recherche qu’il poursuit en collaboration avec sa collègue Marie-Pierre Junier vise donc à explorer le rôle de la plasticité cellulaire dans le développement des glioblastomes, afin d’identifier des cibles thérapeutiques exploitables. Ce parcours scientifique explore les hypothèses de travail les plus avancées du domaine, armé à chaque étape des outils méthodologiques et technologiques qu’offre la recherche fondamentale. L’équipe s’est attaquée ainsi à la reformulation de l’identité des – très discutées – « cellules souches cancéreuses », démontrant en passant que leur marqueur supposé spécifique, CD133, était en fait celui d’une forme de plasticité cellulaire. Elle a ensuite contribué à l’identification de microARN qui contrôlent le passage des cellules entre des stades souche et différencié, et que les cellules cancéreuses sont susceptibles de sécréter, modifiant ainsi leur environnement. Poussant l’étude des contrôles épigénétiques, ils ont identifié un gène maître dans la transition entre état souche et différencié codant pour un facteur de transcription, ARNT2. On ajoutera ensuite des analyses associant des marqueurs de l’activité métabolique des cellules cancéreuses et leur agressivité, puis plus récemment des études en single cells qui ont débouché sur l’identification de gènes impliqués dans la synthèse d’acides gras, dont l’inhibition réduit l’agressivité des cellules cancéreuses. Tout cela a permis depuis quelques années à Hervé et à ses collaborateurs de commencer à explorer des pistes thérapeutiques novatrices au travers du repositionnement de composés sur ces cibles mécanistiques. Un premier crible de ligands GPCR a ainsi révélé l’action anti-tumorale – vérifiée chez des modèles animaux – de l’anti-hypertenseur Prazosin. Très récemment, c’est le laxatif Bisacodyl qui a montré une action cytotoxique sur des cellules différenciées de glioblastome, grâce à une interaction avec des co-transporteurs Na+-HCO3. Pour Hervé Chneiweiss et ses collaborateurs, la boucle vertueuse de la recherche translationnelle est donc bien en train de se boucler.

La singularité du parcours d’Hervé Chneiweiss est, toutefois, à trouver dans l’autre facette de son activité, celle qu’il met depuis un quart de siècle au moins – si l’on en date le début par son entrée à médecine/sciences – au service de la communauté scientifique. Commençons donc par cette revue si particulière dans laquelle il accepta, en 1995, l’invitation que je lui faisais de me relayer pour traiter des neurosciences. Quelques années plus tard, il en devenait pour une décennie le rédacteur en chef portant, avec Laure Coulombel, le « message » de médecine/sciences. Car m/s est un outil à part parmi les publications scientifiques. Ni revue de popularisation des sciences biologiques pour le grand public, ni lieu de publications scientifiques originales, c’est un outil d’échange et de promotion au service de la communauté scientifique. Elaboré, construit et écrit par les scientifiques, il est là pour que les avancées d’un domaine de la science irriguent l’ensemble des champs thématiques. Sous la direction charismatique d’Hervé, la revue a continué de marquer la vie de notre communauté scientifique francophone, l’ouvrant notamment de plus en plus aux interrogations sociétales dont il devenait lui-même, en parallèle, l’un des principaux porteurs.

Car l’engagement d’Hervé Chneiweiss au service de la communauté scientifique a rapidement dépassé les frontières des sciences biologiques et médicales. En avril 2000, et pour deux ans, il a ainsi rejoint le cabinet du ministre de la Recherche de l’époque. Connaissant bien son manque de goût pour la chose et sa totale absence de velléité carriériste dans ce monde qu’il appréciait bien peu, je lui avais alors demandé pourquoi ? et pour quoi…, sa réponse était limpide, c’était pour notre communauté, pour la défendre et la promouvoir dans un monde politique où l’illettrisme scientifique est si répandu qu’il en devient une norme presque revendiquée. On se souvient de la période. Après trois ans de déceptions et de provocations d’un ministre qui avait fini par jeter les chercheurs dans la rue aux côtés des enseignants (du fameux « mammouth à dégraisser »), le nouveau ministre souhaitait bien faire mais avouait, juriste, ne rien connaître au monde de la recherche qu’on lui confiait. Certains d’entre nous se rappellent encore cette rencontre un peu surréaliste durant laquelle le ministre, il est vrai arrivé depuis peu, avait interrompu notre porte-parole en demandant « excusez-moi, pourriez-vous me dire ce que signifient les acronymes CR et DR ? ». Hervé Chneiweiss s’engagea donc dans le cabinet ministériel comme un militant de notre communauté. La période avait toutefois des côtés suffisamment enthousiasmants pour que cette action de l’intérieur lui paraisse justifier les heures sans fin qu’il y passait au détriment de tout le reste. En remontant le temps, on peut s’arrêter sur deux dossiers.

Le premier est celui du traité de Lisbonne sur « l’Europe de la connaissance », signé en mars 2000 juste au moment où le nouveau ministère s’installait. La communauté scientifique française voyait enfin poindre à l’horizon – l’objectif était promis pour 2010 – un financement à la hauteur de ses besoins et des investissements réalisés par les grands pays scientifiques. Porter le financement de la recherche des 2,1 ou 2,2 % où il stagnait depuis des décennies jusqu’à 3 % du PIB n’était plus un slogan pour les banderoles syndicales, mais un engagement gouvernemental dans un traité européen. Je me souviens d’Hervé décortiquant ce chiffre dans des réunions pour expliquer ce qu’il signifiait vraiment d’augmentation (en fait limitée) du budget de l’Etat et de retombées exaltantes pour la science, l’industrie et la médecine. Hervé n’aura pas eu le temps, malheureusement, de pousser suffisamment fort à cette roue et, vingt ans plus tard, les rapports qui alarment encore et toujours sur le déclin de notre pays dans la compétition scientifique, rappellent que l’on n’a pas fait bouger le curseur et que les 3 % du PIB demeurent une promesse non tenue. Avec Hervé, nous nous sommes d’ailleurs retrouvés autour de ce qui était redevenu un slogan au moment de la protestation massive de notre communauté, « Sauvons La Recherche », deux ans à peine après sa sortie du cabinet ministériel.

Le second dossier, celui de la bioéthique, a manifestement été un moment essentiel dans sa vie puisqu’il en a fait depuis une de ses préoccupations essentielles. Là encore, souvenons-nous de la période. La Loi de Bioéthique de 1994, fortement marquée du poids des dogmes de l’Eglise, avait introduit pour la première fois dans notre législation des normes et des interdits dans la recherche scientifique elle-même (c’est-à-dire dans son activité cognitive, sans aucune conséquence directe pour un être vivant ou destiné à l’être). L’interdiction de la recherche sur l’embryon humain a, depuis, considérablement gêné le développement de la procréation médicalement assistée dans notre pays. A partir de 1998, la même Loi interdisait incidemment aux laboratoires français de participer aux recherches enthousiasmantes que permettait la découverte des conditions de culture des cellules souches embryonnaires. Hervé fut notre porte-parole acharné et efficace pour que la Loi soit révisée et que nous puissions travailler. La préoccupation électoraliste d’un premier ministre qui se sentit obligé d’en diminuer la portée ne permit pas au texte préparé par Hervé d’aller jusqu’au bout de ce que nous souhaitions, mais voté à la quasi-unanimité en janvier 2002 par l’Assemblée nationale, il nous aurait tout de même permis de rejoindre nos collègues étrangers dans cette recherche. Las ! un rapide changement de majorité et de nombreuses contorsions politiciennes plus loin, il faudra attendre 2013 pour sortir enfin les cellules souches d’une loi d’interdiction, et peut-être quelques mois encore pour que nous trouvions enfin un cadre réglementaire raisonnable pour notre travail de laboratoire… en 2020.

Cette histoire, dans laquelle Hervé Chneiweiss s’est investi profondément, semble avoir été le tremplin de l’activité qu’il développe depuis avec la plus grande vigueur pour que la voix collective des scientifiques soit entendue en tant que telle – et pas seulement au travers de quelques individualités sélectionnées – dans les discussions que provoquent les avancées de la science. Ses éditoriaux et ses forums, dans médecine/sciences notamment mais bien entendu pas seulement, sont toujours marqués par cette vision du rôle particulier que les scientifiques doivent jouer collectivement dans les discussions nées des avancées de leur science. Ils sont aussi très clairs sur la différence à respecter entre les débats fructueux rassemblant scientifiques et membres de la société autour de ces avancées (dès lors qu’ils n’ont pas d’enjeux normatifs inappropriés pour la recherche cognitive), et l’absence de rôle propre des scientifiques, dès lors que les débats quittent ce terrain pour entrer sur celui des questions dites sociétales. Les interventions d’Hervé sur le scandale des « bébés CRISPR » furent ainsi parfaitement claires sur ce qui était le sujet, le rejet de toute expérimentation humaine, et ce qui ne l’était pas, à savoir l’utilisation de la technique CRISPR pour étudier dans un but cognitif les effets d’une altération génomique dans des cellules embryonnaires humaines. Les récentes discussions en vue de la révision de la Loi de Bioéthique ont encore montré combien cette parole scientifique est indispensable pour défendre le travail de notre communauté, puisque certains politiciens faisaient, précisément, l’amalgame entre les deux sujets pour tenter de nouveau d’interdire aux scientifiques l’accès à une recherche cognitive sur les embryons. Président du Comité d’éthique de l’Inserm, Hervé Chneiweiss a su donner notre voix – et parfois de la voix… - dans ces débats dont les conséquences, lorsqu’elles sont outrageusement normatives, peuvent impacter lourdement la liberté de la recherche, dont il se fait ainsi un des premiers défenseurs.

Alors Hervé, bravo !…

et merci.

Prix d’Honneur 2019 : Jean-François Delfraissy

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© Éric Paul Ataouk

par Suzy Mouchet

Conseillère et représentante de l’Inserm pour m/s

Jean-François Delfraissy, médecin-chercheur et professeur des universités, est le président du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) depuis le 4 janvier 2017. À sa nomination, la presse a marqué un certain étonnement et Le Monde, notamment, titrait dans ses colonnes « Jean-François Delfraissy, un “cow-boy” passé à l’éthique ».

Cette nomination s’explique pourtant, comme étant le couronnement de la carrière exemplaire du médecin, du chercheur et de l’humaniste. Il suffit, pour le comprendre, de remonter dans le temps et de suivre Jean-François Delfraissy, dans ses rencontres, avec ses choix, ses convictions et ses engagements.

Il explique que très tôt, lors sa formation médicale et de l’internat, il a eu énormément de chance : « J’ai été l’interne de Gabriel Richet, grand patron, chef de service et directeur d’une unité de recherche Inserm dédiée à la néphrologie à l’hôpital Tenon ; j’étais tenté par la transplantation, mais celui-ci me fit remarquer qu’avec la transplantation, on n’immuno-supprime que des reins prêts et que de nombreuses infections ­apparaissent ; du coup, j’ai complété ma formation en virologie et immunologie. J’ai eu énormément de chance et j’avoue croire d’avantage aux hommes qu’aux structures, parce que j’ai ensuite été interne puis deuxième agrégé à l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart chez un grand monsieur, Jean Dormont ; il m’a formaté pour le restant de ma vie, tant sur les aspects de la recherche que sur la vision du patient, avec une réflexion de fond sur l’éthique de la médecine. »

Le sida ? C’est lors d’un stage aux National Institutes of Health (NIH), aux États-Unis, en 1980, qu’il en découvre les premiers cas. Et de retour en France, Jean-François Delfraissy monte une unité clinique sur le sida, dans le service de Jean Dormont, unité associée à des travaux de recherche plus fondamentale qu’il mène à l’Inserm.

Au début des années 1990, il quitte Clamart et rejoint le Kremlin-Bicêtre, pour lancer des essais thérapeutiques et constituer des cohortes sur le VIH. Après avoir co-dirigé une équipe Inserm avec Marc Tardieu sur la réponse immunitaire anti-VIH systémique et cérébrale, début 2000, ils montent l’unité « Virus, neurones et immunité ». Son lien de chercheur clinicien avec l’Inserm lui permet de contribuer à la création des premières cohortes ANRS de malades du sida.

Avec une équipe américaine, en 1994, Jean-François Delfraissy dirige un essai clinique, dont les résultats entrouvrent les portes à une lueur d’espoir : l’AZT, cette molécule qui ne ralentit pas l’évolution de la maladie chez l’adulte réussit à diminuer le taux de transmission entre la mère et l’enfant pour les deux tiers d’entre eux, lorsqu’elle est administrée chez la femme enceinte. Deux ans plus tard, avec l’arrivée des inhibiteurs de protéases et des trithérapies, le sida devient une maladie chronique, avec de nouveaux enjeux de recherche : le réservoir du virus, le vaccin, les séropositifs qui ne développent pas le sida.

Profondément imprégné par la recherche sur le VIH et par la lutte contre le sida, en 2005, il est nommé directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales, l’ANRS, succédant à Michel Kazatchkine. Et, précise-t-il « J’ai donc mené mes recherches dans une unité Inserm depuis ma fonction de chef de clinique et jusqu’à la date de ma nomination ».

à l’ANRS, une agence de moyen, c’était une autre façon de faire de la recherche, animée par l’exigence d’une coopération étroite entre les pays du Nord et ceux du Sud, comme par le souci de préserver la place nouvelle des patients. « Le milieu associatif en savait presque autant que nous. Avec le sida, nous n’étions plus à l’époque de la médecine triomphante ; nous avons mis le patient au cœur de notre action et les associations sont désormais des acteurs essentiels de nos recherches. J’ai abandonné la posture du chercheur académique pour devenir un médecin chercheur, à l’écoute », raconte-t-il.

Jean-François Delfraissy participe à la consolidation des nombreux sites de recherche de l’Agence au Cameroun, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Vietnam, au Cambodge, au Brésil. Les résultats obtenus contribuent à élaborer les recommandations de l’OMS. En 2008, il prend également la direction de l’Institut thématique multi-organismes d’Aviesan1 Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie (I3M). « J’ai essayé de développer la notion de réseau au niveau international », précise-t-il.

1 Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé.

Il s’est particulièrement impliqué dans les questions de santé publique dans les pays du Sud, en tant qu’expert d’ONUSIDA, co-président du groupe d’experts sur les recommandations ONUSIDA 2004 sur l’utilisation des antirétroviraux dans les pays du Sud, responsable du programme ESTHER au Cambodge et de la recherche clinique du site ANRS « Asie du Sud Est ».

Dès juillet 2014, il met en place et coordonne ­l’organisation de la recherche translationnelle sur le virus Ebola par les équipes françaises dans le cadre d’Aviesan. La même année, il est nommé coordinateur interministériel de l’ensemble des opérations internationales et nationales de réponse à cette épidémie par le Premier ministre.

« L’histoire du VIH m’a beaucoup appris pour de multiples raisons. Je pense qu’il faut être très ouvert, très humble, extrêmement réceptif et multidisciplinaire s’agissant de virus émergents. C’est très clairement de la science, mais on tombe immédiatement sur des problèmes cruciaux de société. C’est aussi vrai pour Ebola que pour le sida, même si l’échelle n’est pas la même, conclut-il. »

Jean-François Delfraissy est désormais président du CCNE. La boucle est bouclée

Et… la nomination au CCNE d’un homme d’honneur, de conviction, d’un humaniste, doublé d’un scientifique était-elle donc si étonnante ?

Grand Prix 2019 : Éric Gilson
Les télomères au cœur des mécanismes du vieillissement
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© Éric Paul Ataouk

Éric Gilson, praticien hospitalier au CHU de Nice et professeur des universités, est plongé dans la biologie du vieillissement, domaine de recherche récent. Il se passionne depuis des décennies pour les télomères, ces séquences génétiques qui coiffent les chromosomes de tous les eucaryotes et qui sont au cœur des mécanismes du vieillissement.

Quand il a entamé ses études de médecine, c’était avec l’espoir de faire de la recherche. En deuxième année, il se présente également au concours d’entrée à l’École normale supérieure (ENS), à Paris qu’il intègre en 1978, à 20 ans, tout en poursuivant ses études de médecine.

De 1981 à 1990, étudiant, post-doctorant, puis chargé de recherche à l’Institut Pasteur, Éric Gilson travaille dans le laboratoire de programmation moléculaire et de toxicologie génétique créé et dirigé par Maurice Hofnung, pionnier de la discipline. Celui-ci a été l’un de ses mentors chez qui, il apprendra l’existence des télomères, ces séquences génétiques répétées que l’on trouve aux extrémités des chromosomes dans les cellules des organismes eucaryotes. Mais il voit aussi que, alors que le patrimoine génétique des bactéries est réuni dans un unique chromosome circulaire qui baigne dans le cytoplasme de la cellule, celui des eucaryotes est organisé en chromosomes linéaires à l’intérieur d’un noyau. « Cette redondance de séquences génétiques était considérée comme de l’ADN “égoïste”, ou ADN “poubelle” ; on ne savait tout simplement pas à quoi cela servait », dit-il. Lorsque, durant sa thèse, il identifiera de telles séquences répétées dans le génome d’Escherichia coli, cela était inattendu et reposait la question de leur fonction.

Post-doctorant à Lausanne, en 1992 et 1993, il rejoint la biologiste suisse Susan M. Gasser, Prix international 2011 de l’Inserm, spécialiste de l’organisation spatiale des chromosomes et de la dynamique de réparation de l’ADN. Il démontre, chez la levure, organisme eucaryote, que l’organisation spatiale des gènes détermine la régulation de leur expression ; ceux qui se trouvent à proximité des télomères sont réprimés ; leur déplacement ailleurs dans le noyau entraîne leur expression. Or, à chaque division des cellules, les télomères raccourcissent. Quand ils sont trop courts, la cellule entre en sénescence ; elle arrête de se diviser. Dans un organisme multicellulaire, cette sénescence contribue au vieillissement de l’ensemble de l’organisme, ce qui contribue au vieillissement de l’organisme. Chez la levure, organisme unicellulaire, il prouve qu’un seul télomère plus court que les autres suffit à induire la sénescence de la cellule.

Éric Gilson s’installe ensuite de 1994 à 2009 à l’ENS à Lyon, et s’attèle aux télomères humains. Il découvre que si la cellule humaine ne confond pas les modifications que subissent les extrémités de ses chromosomes avec des cassures accidentelles de l’ADN, c’est grâce à des protéines (TRF1 et TRF2), qui encapuchonnent l’ADN télomérique. Celles-ci assurent la stabilité des chromosomes. Avec son équipe, il a également montré que TRF2 agit à la croisée entre cancer et vieillissement : sa surexpression dans les cancers contribue à la progression tumorale et sa répression au cours du vieillissement à l’accumulation de cellules sénescentes.

En 2010, il est recruté au CHU de Nice. Arrivé au « vieillissement » par le biais des séquences génétiques répétées des télomères, il fonde l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (Ircan)1. « Le vieillissement est une perte progressive de la fonction des organes et une grande partie de ces pertes s’explique par l’accumulation de cellules sénescentes. Si on les détruit au fur et à mesure qu’elles apparaissent chez la souris, l’animal peut vivre plus longtemps et en meilleure santé.

1 Unité mixte de recherche Inserm 1081/CNRS/université de Nice.

De nombreuses maladies du vieillissement, comme la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), sont associées à une accumulation de cellules sénescentes. La sénothérapie (), nouvelle ­discipline médicale, repose sur l’utilisation de molécules sénolytiques capables de tuer les cellules sénescentes. Des essais cliniques ont commencé. C’est une révolution médicale et sociale.

En 2016, l’Inserm a confié à Éric Gilson la coordination scientifique d’AgeMed, le grand programme transversal sur le vieillissement, un consortium d’une vingtaine d’équipes françaises travaillant sur ce sujet, domaine dynamique aux applications considérables.

Prix International 2019 : Michel Sadelain
La révolution des CAR-T dans le traitement des cancers
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© Éric Paul Ataouk

Michel Sadelain, médecin-chercheur qui vit aux États-Unis, a mis au point une technique révolutionnaire de lutte contre le cancer. Son principe : manipuler le patrimoine génétique des cellules immunitaires du patient pour les armer, avant de les lui réinjecter. Pendant plus 20 ans, il a lutté pour imposer son idée, dérivée de celle de Zelig Eshhar, pionnier de ces cellules armées à l’Institut Weizmann.

En 1986, après sa thèse à Paris, il part au Massachusetts Institute of Technology aux États-Unis, pour se former au transfert de gènes. Il participe à la mise au point des premières méthodes de transfert de gènes dans les lymphocytes T, puis intègre le Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, haut lieu de l’expérimentation thérapeutique. Il va poursuivre son idée d’« instruire » le lymphocyte T : pour cela, il faut y introduire un récepteur, qui guide celui-ci vers des cellules tumorales exprimant la molécule reconnue par ce récepteur. Une fois en contact, ce lymphocyte T va activer son programme toxique pour tuer la cellule cancéreuse. Michel Sadelain insère ainsi dans le génome d’un lymphocyte T un gène synthétique, qui code un récepteur chimérique reconnaissant la molécule antigénique exprimée par la tumeur (le « Chimeric Antigen Receptor », ou CAR). Les cellules CAR-T sont donc des lymphocytes T équipés d’une molécule CAR reconnaissant le cancer à traiter. Une fois la cellule tumorale détruite, les CAR-T se divisent, se multiplient, forment une véritable armée et attaquent toute nouvelle cellule cancéreuse.

À la fin des années 1990, Isabelle Rivière, qui deviendra son épouse, le rejoint. Ils manipulent les lymphocytes T pour reconnaître CD19, qu’expriment les cellules tumorales de nombreuses leucémies et lymphomes. Les essais cliniques débutent en 2007 : la majorité des patients, atteints de lymphomes ou de leucémies réfractaires à tout autre traitement, sont rapidement en rémission complète. Les résultats sont publiés au début des années 2010 et depuis, l’enthousiasme mondial pour ce type de thérapie n’est pas retombé.

Michel Sadelain, dirige le centre d’ingénierie cellulaire du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, à New York. Avec Isabelle Rivière, il a amélioré la « CAR T Cell Therapy ». Les résultats ont été spectaculaires : des malades leucémiques en fin de vie ont vu leur cancer régresser et les cellules cancéreuses devenir indétectables. Michel Sadelain a ainsi ouvert la voie à de nombreux essais thérapeutiques.

Prix Recherche 2019 : Mathilde Touvier
Alimentation et santé en danger
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© Éric Paul Ataouk

Boissons sucrées, viandes rouges, charcuteries, aliments ultra-transformés ? Faut-il en réduire la consommation ? À en croire les travaux dirigés par Mathilde Touvier, leur consommation pourrait être associée à une augmentation des cancers et des maladies cardiovasculaires.

La docteure Mathilde Touvier, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm, dirige depuis le début de l’année 2019 l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren)1.

1 Unité mixte Inserm 1153/Inra 1125/Cnam/université Paris 13, au sein du centre de recherche en épidémiologie (Cress), Paris.

En 2008, elle rejoint Serge Hercberg, ancien directeur de l’Eren et père de l’étude NutriNet-Santé, première grande « e-cohorte » dans le monde sur alimentation et santé, qui recense les données de plus de 165 000 participants. Ses recherches portent sur les liens entre nutrition et santé. Auteure de plus de 190 publications scientifiques dans des revues internationales, elle intervient régulièrement au titre d’experte auprès d’organismes publics (Anses, INCa, IARC/OMS, Commission européenne, Assemblée nationale).

Cette e-cohorte a permis de nombreux résultats. Parmi les thèmes abordés : les aliments ultra-transformés, obtenus avec des procédés industriels et qui contiennent généralement de multiples additifs alimentaires. Les résultats ont montré une association entre une augmentation de 10 % de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire et une augmentation de 10 à 12 % du risque de développer un cancer. Il en est de même pour le risque cardiovasculaire et le diabète.

Mathilde Touvier souhaite cependant aller plus loin dans la compréhension de ces associations : elle s’intéresse plus précisément aux possibles effets des cocktails d’additifs alimentaires contenus dans ces produits. Dans le même temps, grâce à NutriNet-Santé, son équipe a identifié des liens entre la consommation de boissons sucrées et l’apparition de cancers. Un fait nouveau, qui s’ajoute aux effets de ces boissons sur la santé cardiovasculaire ou métabolique (diabète, obésité…). Pour elle, un argument de plus pour défendre la taxe sur les boissons sucrées, régulièrement remise en question. « Nous avons déjà réussi à officialiser le logo Nutri-Score », explique-t-elle.

Prix Innovation 2019 : Chiara Guerrera
La protéomique ? Une passion  !
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© Éric Paul Ataouk

Chiara Guerrera, ingénieure de recherche à l’Inserm, est l’une des responsables de la plateforme d’analyse protéomique de l’université Paris Descartes1. Lorsque cette spécialiste de l’analyse des protéines est recrutée à ce poste, en 2006, la plateforme vient juste d’être créée et travaille seulement sur 1 à 2 projets par an. Aujourd’hui, la petite équipe de Chiara Guerrera participe à 80 projets issus de la France entière, chaque année. En effet, « Quand je suis arrivée à l’hôpital Necker, le plateau technique était minuscule, doté de peu d’équipements ». Elle s’est ainsi investie pour créer une plateforme de très haut niveau. Mais bien plus que dans la technique, c’est dans l’approche personnalisée qu’elle a développé qu’elle s’illustre : « Je ne propose pas aux chercheurs un simple service. Je veux comprendre la question biologique qu’ils se posent. Et si nos moyens technologiques ne suffisent pas à répondre, je bâtis une nouvelle stratégie. »

1 Structure fédérative de recherche Necker, associant l’Inserm, l’AP-HP et l’université Paris Descartes, à hôpital Necker-Enfants malades.

Son équipe s’est par exemple spécialisée dans l’étude des nano-vésicules extracellulaires. Au départ, des médecins-chercheurs de Necker qui travaillaient sur la cystinurie, une maladie génétique et orpheline du rein, voulaient identifier quels types de patients allaient en développer une forme grave. Pour répondre à cette question, Chiara Guerrera, avec un étudiant en thèse, a travaillé sur la purification et l’analyse des protéines des vésicules extracellulaires dans l’urine des patients. Par spectrométrie de masse, ils ont pu identifier une série de marqueurs biologiques, marqueurs qui constituent la signature de l’inflammation et permettent de prédire l’évolution possible vers une forme grave de la cystinurie. Les compétences développées ont ensuite été proposées à d’autres équipes et appliquées à d’autres maladies, telle la mucoviscidose, par exemple.