| |
| Med Sci (Paris). 35(11): 881–885. doi: 10.1051/medsci/2019169.Quand science et musique se rencontrent Garance Alberman,1 Jean-Marie Gagez,2 and Judith Miné-Hattab3* 1Directrice artistique du projet Muse-IC,
Paris,
France 2Compositeur, Paris,
France 3Institut Curie-PSL Research University, CNRS, Sorbonne
Université, UMR3664, 26
rue d’Ulm, 75005Paris,
France |
Vignette : Nathalie Dostatni (biologiste à l’Institut Curie) présente ses travaux avant
l’interprétation de la pièce de Denis Ramos « Aion ». Sur scène: de gauche à droite:
Cyril Baleton (violon), Joseph André (violon), Christelle Pochet (clarinette), Nicolas
Tulliez (harpe), Julien Dabonneville (alto), Pauline Bartissol (violoncelle) et Gabriel
Benlolo (percussions) sous la direction de Marc Desmons (photographie © Garance
Alberman, réalisée lors du concert le 12 mars 2019, Salle Cortot, Paris). |
Science et musique : une histoire ancienne Un projet cherchant à rapprocher science et musique… Voilà qui pourrait passer pour
une démarche arbitraire si ces deux domaines de l’activité humaine n’étaient en
réalité déjà reliés par ce sentiment fondamental face au mystère du monde
qu’Einstein voyait comme « le berceau de l’art et de la science
authentique ». En effet, si science et musique nous apparaissent
aujourd’hui comme des domaines bien distincts, voire opposés, il n’en fût pas
toujours ainsi. En voulant les rapprocher, cette démarche, loin d’être anecdotique,
apparaît au contraire comme la réminiscence d’une tradition immémoriale dans
laquelle la musique était elle-même considérée comme une science. Incarnation de l’harmonie universelle, considérée comme « science sœur de
l’astronomie » par Pythagore et Platon qui voyaient en elle le moyen de décrire les
rapports harmoniques du cosmos, la musique sera enseignée comme science du nombre
jusqu’à la Renaissance dans les arts libéraux du quadrivium, siégeant aux côtés de
l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie. Mais si cette place de premier ordre – aux antipodes de notre vision actuelle d’une
musique comme simple divertissement – se révèle capitale pour comprendre l’histoire
de la musique, elle l’est également pour l’histoire des sciences. On oublie trop
souvent que des scientifiques aussi importants que Oresme, Kepler, Galilée, Newton
ou encore Herschel, ont aussi étudié la musique. Du côté des compositeurs, en
revanche, malgré un intérêt certain tout au long de l’histoire, il faut reconnaître
que ces initiatives, bien qu’intéressantes, sont souvent restées circonscrites dans
leurs productions, touchant plus à la théorie qu’au langage musical lui-même. Tout change au début du XXe siècle lorsque, face à l’épuisement du système
tonal qui régissait la musique occidentale depuis le XVIIe siècle, cet
intérêt des compositeurs pour la science va prendre une nouvelle dimension bien plus
fondamentale et déterminante que par le passé. La crise du langage musical et la
question de son renouvellement opèrent progressivement un changement de paradigme
contraignant les compositeurs à explorer de nouvelles voies, à chercher de nouveaux
modèles structurants, resserrant ainsi les liens entre composition et recherche
scientifique. Utilisant les moyens d’investigation offerts par l’évolution de la
technologie, nombre de musiciens deviennent de véritables chercheurs, situation
nouvelle dont témoignera en France la création de l’Institut de recherche et
coordination acoustique/musique (IRCAM), en 1970. Parallèlement, l’accélération fulgurante des progrès scientifiques tout au long du
siècle dernier jusqu’à aujourd’hui apparaît, dès lors, comme une source
d’inspiration providentielle offrant aux musiciens de nouvelles voies
d’investigation. Celles-ci s’élargissent d’autant plus qu’aux rapports traditionnels
avec la physique, les mathématiques et l’astronomie, viennent désormais s’ajouter
les nouvelles perspectives offertes par les découvertes de la biologie. Pour les compositeurs, que ce soit dans la forme globale de l’œuvre, dans le
traitement du matériau musical ou dans la définition du geste instrumental, ces
interactions, plus structurelles que par le passé, ne cessent d’élargir le champ de
la création musicale en variant leurs modes d’appréhension du phénomène sonore : il
ne s’agit plus seulement d’évocations poétiques et de rapports symboliques au sein
d’un système d’écriture tonal possédant sa propre logique, mais d’opérer un
renouvellement du matériau musical au sein de structures originales élaborées à
partir de modèles extérieurs à la musique via la conversion de
données ou la création d’analogies conceptuelles. Du côté de la science, face à une
réalité qui se révèle toujours plus complexe à mesure qu’on l’étudie, cette
dynamique de convergence donne également aux scientifiques la possibilité d’enrichir
leur pratique en se confrontant à une appréhension différente de leur domaine de
recherche. C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet Muse-IC [1] initié en 2017. Né du désir de créer des
musiques originales en symbiose avec des découvertes scientifiques récentes, il se
concrétise grâce à l’aide financière de l’Université Paris Sciences et Lettre1. L’Institut Curie hébergera le projet, ce qui
lui donnera son nom, « Muse-IC ». Il participera au financement du concert final en
2019. Son principe : favoriser la rencontre entre les musiciens, les scientifiques
et le public en commandant à six compositeurs internationaux une œuvre de dix
minutes inspirée par une découverte scientifique récente. Au cours du projet, les
compositeurs ont pu choisir tout ou une partie de la nomenclature proposée : piano,
quatuor à cordes, clarinette, harpe, percussion. Ils ont ensuite choisi le thème
scientifique qui les inspirait le plus parmi une quinzaine de découvertes
préalablement sélectionnées par Judith Miné-Hattab, après un appel réalisé auprès de
scientifiques motivés par le projet. Durant leur processus de création, les
compositeurs ont pu interagir avec les chercheurs concernés au travers de
discussions et de visites de laboratoires afin d’appréhender leur sujet en
profondeur. Pour le chercheur, Muse-IC est une occasion rêvée de partager la beauté de sa
découverte avec un public non scientifique au travers de la musique. Pour le
compositeur, s’imprégner d’un sujet inconnu en pénétrant dans le monde des
laboratoires, est une occasion unique de stimuler sa démarche créative, d’élargir
son champ d’inspiration et parfois de développer de nouvelles techniques de
compositions. Chaque œuvre composée est née d’un échange entre un chercheur et un
compositeur. Les sujets proposés ont été volontairement choisis de manières diverses
avec néanmoins un accent mis sur la biologie, un domaine très peu illustré en
musique. Au fil des mois, confronter ces deux univers s’est avéré une expérience
fascinante : entre discussions et visite de laboratoires, un dialogue naturel et
efficace s’est installé entre chaque « duo chercheur-compositeur ». Aboutissement du projet, le concert du 12 mars 2019 à la salle Cortot (Paris),
organisé par Garance Alberman, a permis de faire entendre au public le fruit de ces
interactions. Chaque œuvre était précédée d’une courte présentation scientifique
destinée à plonger les auditeurs dans le contexte de l’œuvre (Figure 1). Les œuvres, magnifiquement interprétées par huit
musiciens de l’Orchestre philharmonique de Radio France et l’Orchestre national de
France, sous la direction de Marc Desmons (premier chef invité de l’ensemble
TM+)2,, ont été enregistrées lors du
concert3,. Un documentaire4, réalisé par Frédéric Dano, relate également
les différents projets scientifiques illustrés en musique ainsi que les échanges
entre scientifiques et compositeurs au cours de ce projet.
 | Figure 1 Hervé Dole (astrophysicien à l’Institut d’astrophysique
spatiale d’Orsay) présente ses travaux avant l’interprétation
des pièces de Geoffrey Gordon et de Jean-Marie Gagez inspirées
du sujet proposé. Sur scène, de gauche à droite
: Cyril Baleton (violon), Marc Desmons (direction), Joseph André
(violon), Catherine Cournot (piano), Christelle Pochet (clarinette),
Nicolas Tulliez (harpe), Julien Dabonneville (alto) et Pauline Bartissol
(violoncelle) (photographie © Frédéric Dano, réalisée lors du concert le
12 mars 2019, Salle Cortot, Paris). |
|
Les œuvres composées pour le projet Muse-IC Du déroulement multiple et révélé du temps, affleure le bal des
retrouvailles, Emmanuel Hieaux C’est sur un accord arpégé de piano que s’est ouvert le concert. En ouverture,
Emmanuel Hieaux nous propose une pièce intitulée Du déroulement multiple
et révélé du temps, affleure le bal des retrouvailles, inspirée des
travaux de Judith Miné-Hattab et al. (Institut Curie) sur la
dynamique multi-échelles de la chromatine, en réponse aux dommages de l’ADN
[ 2– 5] ( →).
(→) Voir les Nouvelles de J. Miné-Hattab et R. Rothstein,
m/s n° 8-9, août-septembre 2012, page 714, et J.
Miné-Hattab et X. Darzacq, m/s n° 10, octobre 2018, page
778
Cette pièce, écrite pour un ensemble d’instruments original (clarinette en La,
quatuor à cordes, marimba et piano) nous invite à découvrir comment l’ADN long
de 2 mètres s’enroule pour pénétrer dans le noyau cellulaire, puis comment les
cassures de l’ADN affectent son mouvement. Emmanuel Hieaux perçoit dans ce sujet
« une allégorie à la vie dont la mise en musique allait lui permettre
d’unir la description rigoureuse de la découverte à une harmonieuse licence
poétique ». Sous son prisme, la dynamique de l’ADN devient un conte
poétique, une pièce en 3 mouvements : « insouciances, rupture et réparation
»5. « L’ADN double-brin est
interprété par l’alto et la clarinette dont les sons longs et legato
symbolisent le long double brin. Indissociables l’un de l’autre, ils ne
cesseront de dialoguer, toujours unis, que ce soit dans la sérénité,
l’insouciance, le désir, la douleur, la souffrance et la paix retrouvée. Les
histones, autour desquelles s’enroule le double-brin qui sont autant
d’entités indépendantes l’une de l’autre; le piano, le
marimba, le violoncelle et les deux violons chanteront, danseront en un
contrepoint mélodique et rythmique. Un court prélude laisse résonner les
arpèges du piano. Puis, dans un univers peuplé d’entités qui se meuvent dans
une parfaite plénitude, un long double-brin d’ADN apparaît, séduit et mu par
un désir sans cesse grandissant; il s’enroule autour
d’elles, se resserre et devient une minuscule et dense pelote qui, dans un
rythme de plus en plus effréné, danse au-dessus du volcan. Survient la
cassure. Le double-brin fractionné s’affole et souffre d’avoir perdu une
partie de lui-même. S’ensuit le temps de la réparation. Il lui faut
retrouver son double qui lui remettra la partie manquante et lui permettra
de retrouver son unité. Une fois cela accompli, revient la paix, et l’œuvre
s’achève dans un postlude serein ». Quand l’ADN fait des boucles, Amir Bitran L’enroulement et la dynamique complexe de la molécule d’ADN à l’intérieur de nos
cellules est également à l’origine de la pièce composée par Amir Bitran
(scientifique à Harvard University, Boston, États-Unis, et
compositeur) inspiré d’un sujet proposé par Léonid Mirny ( Massachusetts
Institute of Technology, Cambridge, États-Unis). L’équipe de Leonid
Mirny étudie l’organisation tri-dimensionnelle de la molécule d’ADN, en
particulier, les différents niveaux de structures qui forment et hiérarchisent
notre génome. Il a récemment proposé un mécanisme simple pour expliquer la
formation de la structure de la chromatine à l’échelle de quelques kilobases
[ 6, 7]. Notamment, la chromatine, à
l’intérieur d’un domaine, serait organisée en boucles dynamiques : celles-ci
grandiraient de plus en plus grâce à des protéines, permettant ainsi le
rapprochement de régions éloignées du génome. La pièce composée par Amir Bitran
est une peinture musicale de l’ADN de notre corps et de ses dynamiques et
structures changeantes et élégantes à la fois. « Sur le plan musical, ces boucles émergent tout d’abord
de l’alto et sont ensuite transmises à d’autres instruments;
elles grandissent et se rétractent pour créer des textures plus
élaborées évoquant l’action et l’organisation concertées de multiples
boucles dans l’ADN. Mais outre ce processus hautement dirigé et guidé, notre
génome est également sculpté par des forces plus passives s’apparentant à la
gravité, qui provoquent l’effondrement et l’union de différentes parties de
l’ADN. Cet effondrement est décrit musicalement quelques minutes après le
début de l’œuvre par des glissandi descendants ou encore des sonorités
ressemblant à des soupirs. Au fur et à mesure que la pièce avance, on
parvient à distinguer un certain rapprochement entre ces différentes
textures musicales, qui finissent par se transformer en un grand final
rappelant un choral. Les forces qui organisent notre génome à l’échelle
microscopique sont changeantes et chaotiques, mais elles créent
collectivement de magnifiques structures qui génèrent l’incroyable diversité
de la vie sur Terre ». Quiescence, Alexandra du Bois Si les secrets de la molécule d’ADN ont inspiré les deux pièces précédentes,
l’œuvre suivante est inspirée par une découverte récente de biologie cellulaire.
Quiescence, composée par Alexandra du Bois pour clarinette
basse, violon, alto, violoncelle et piano, s’inspire du sujet « Quand
nos cellules sommeillent : quiescence et renaissance » proposé par
l’équipe d’Angela Taddei (Institut Curie). En l’absence d’un ou plusieurs
nutriments, les cellules vivantes ont la capacité étonnante de pouvoir entrer
dans un état alternatif « dormant », appelé « quiescence ». Issue du terme «
quiétude », la quiescence est un état dans lequel la cellule sommeille : son
activité transcriptionnelle est très fortement diminuée. Elle reste alors viable
pendant une période très longue (parfois plusieurs mois) sans aucun apport
nutritif. L’organisation du noyau est alors totalement bouleversée : chez la
levure, les télomères se réorganisent de façon spectaculaire en se regroupant
sous forme d’un hyper-cluster situé au centre du noyau [ 8]; autour de cet hyper-cluster, la
chromatine devient extrêmement dense en suivant une compaction concentrique
allant du centre à la périphérie du noyau. Après s’être nourrie des substances
nutritives manquantes, la cellule renait et le noyau retrouve son organisation
initiale en moins de 30 minutes. Dans le quintette Quiescence, la clarinette basse évoque la
quiescence, le calme, la densité, la profondeur, puis l’intensité du violon
évoque la renaissance de la cellule lors du réveil de quiescence. Le piano
reflète les clignotements de la technique de microscopie super résolution
PALM6 utilisée pour mesurer la
compaction de la chromatine. Aion, Denis Ramos De la cellule vers un organisme entier et la biologie du développement, la pièce
suivante, Aion, composée par Denis Ramos, s’inspire du sujet
De la cellule à l’embryon : ces heures cruciales qui nous
façonnent, proposé par l’équipe de Nathalie Dostatni. Au cours du
processus de développement, les cellules savent exactement où elles se trouvent
et ce qu’elles doivent devenir pour former l’organisme. L’équipe de Nathalie
Dostatni étudie la phase précoce du développement de l’embryon de drosophile, en
particulier comment l’embryon connaît l’orientation de son corps : où se
trouveront le haut, le bas, la gauche, la droite, le devant et l’arrière du
corps. Selon Nathalie Dostatni, les cellules auraient une mémoire leur
permettant de savoir qui était leur mère, et de se souvenir des instructions
transmises, de sorte qu’elles savent où elles se trouvent et ce qu’elles
deviendront [ 9, 10]. Au travers des films de microscopie réalisés par l’équipe, Denis Ramos perçoit «
le temps cyclique qui se répète et l’idée d’éternité ». Il
traduit cela dans sa pièce intitulée Aion, une divinité
primordiale dans la mythologie grecque, ainsi qu’un concept philosophique
antique lié à l’infinitude du temps. Ce mot signifie littéralement « durée de la
vie », puis par extension « destinée » et « éternité ». Dans sa partition, Denis
Ramos a développé « une polyphonie musicale qui se veut le reflet des
processus de division et de prolifération cellulaires. La notion de cycle y
est fondamentale. Le flux polyphonique se répartit en trois groupes
instrumentaux : le quatuor à cordes, le duo clarinette/marimba, et la harpe.
Un préambule et un postambule encadrent et complètent ce long processus
sonore qui se déploie durant près de huit minutes ». Les Voies de la Lumière, Jean-Marie Gagez Seule pièce du concert écrite pour un instrument seul, Les Voies de la
Lumière de Jean-Marie Gagez, s’inspire du sujet Les
premières vibrations de l’univers et la quête des premiers amas de
galaxies proposé par l’astrophysicien Hervé Dole de l’Institut
d’astrophysique spatiale, à Orsay. Ce vaste sujet représente un travail de
grande envergure développé au sein du programme collaboratif Planck [ 11, 12] et rendu accessible à un public
non spécialiste dans l’ouvrage « Le côté obscur de l’univers »
[ 13]. Jusqu’en
380 000 ans après le big bang, le cosmos apparaît dense et
opaque, le mouvement des photons étant entravé par la jungle touffue des
électrons libres. Mais à cette date, sous la dilution et le refroidissement de
l’univers, les électrons perdent leur liberté et se retrouvent confinés dans des
atomes : l’univers devient transparent, laissant ainsi apparaître la lumière du
rayonnement fossile. Le cosmos s’illumine alors, mais cette lumière est diffuse
car les sources de lumière localisées que sont les étoiles et les galaxies n’ont
pas encore fait leur apparition. Mesurer avec une précision sans précédent grâce
au lancement du satellite Planck en 2009 les propriétés de la lumière du
rayonnement fossile, appelée également fond diffus
cosmologique, forme une sorte d’écho lumineux du Big bang traduisant
ses premières vibrations. Cette lumière apporte un éclairage nouveau sur deux
périodes particulièrement énigmatiques : l’inflation juste après le big
bang et la sortie des âges sombres quand les premières étoiles et
galaxies se sont formées. En effet, sous l’effet de son expansion, l’univers se
dilue et se refroidit entraînant l’inversion du rapport énergétique entre
lumière et matière. La lumière va peu à peu perdre de sa dominance et c’est la
matière qui va prendre le contrôle des affaires de l’univers. La gravité va
faire croître les semences de galaxies, détectées comme de minuscules
fluctuations de température du rayonnement fossile. Des structures de plus en
plus élaborées font leur apparition au cours du temps jusqu’à ce que les boules
gazeuses formant les étoiles s’allument, marquant ainsi la fin de l’ère
préstellaire. Dans Les Voies de la Lumière, le paradoxe entre l’immensité du
sujet et le choix d’un unique instrument permet au compositeur Jean-Marie Gagez
de recréer sur scène l’impression d’espace tout en exprimant l’unité primordiale
du fond diffus cosmologique. Dans la pénombre spécialement créée pour
l’occasion, le compositeur travaille tout d’abord sur l’idée de transparence en
faisant naître du silence d’amples respirations dont les vibrations
s’enrichissent progressivement d’harmoniques jusqu’à saturation. Une seconde
phase met en évidence le découpage harmonique du cosmos duquel naît une lente
méditation plus mélodique et rythmique, évoquant la mise en place des premiers
amas de galaxies. Clin d’œil à la théorie des cordes, seules les quatre cordes à
vide de l’instrument et leurs harmoniques naturelles sont utilisées, chaque
corde représentant symboliquement l’une des quatre forces fondamentales qui
régissent l’univers (gravitationnelle, électromagnétique, interaction faible et
interaction forte). Inflation cosmique et la fin des âges sombres, Geoffrey Gordon Également inspirée du sujet proposé par Hervé Dole, la pièce de Geoffrey Gordon
contraste sur tous les points avec la composition de Jean-Marie Gagez. Composée
pour clarinette, harpe, piano et quatuor à cordes, « Inflation cosmique
et la fin des âges sombres » exprime « la violence et la
transparence de ces moments intenses de création ». Geoffrey Gordon
a développé dans sa pièce des effets sonores et des timbres originaux mêlant
sonorités qui semblent en mouvement, harmoniques limpides, pizzicati aux cordes,
glissandi de harpe intermittents et gémissements profonds de la clarinette
basse. En dix minutes concises, la musique de ce moment extraordinaire de la vie
de l’univers est exprimée et explorée. |
Montrant une fois de plus la pertinence et la richesse des interactions réciproques
entre science et musique, le concert du 12 mars 2019 a consacré cette volonté de
rapprochement et d’échange entre scientifiques, compositeurs et public (Figure 2). Ce dernier ne s’y est pas trompé.
Venus nombreux ce soir-là, les auditeurs se sont montrés particulièrement réceptifs
et enthousiastes à ces approches différentes mais complémentaires offrant une porte
d’accès à la fois originale et pédagogique vers la recherche scientifique de pointe
et la musique contemporaine. Les perspectives ouvertes par la mise en valeur de
l’interdisciplinarité dans la recherche et le désir des différents acteurs du projet
d’inscrire cette démarche dans la durée élargissent le champ des possibles en
laissant présager d’une suite dont les modalités restent encore à définir.
 | Figure 2 Salut final lors du concert du 12 mars 2019 Salle Cortot,
Paris. De gauche à droite : Marc Desmons, Cyril
Baleton, Joseph André, Christelle Pochet, Nicolas Tulliez, Julien
Dabonneville, Pauline Bartissol, Alexandra du Bois, Gabriel Benlolo,
Jean-Marie Gagez, Denis Ramos, Emmanuel Hieaux, Amir Bitran et Judith
Miné-Hattab (© Frédéric Dano). |
|
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
|
Nous remercions Emmanuel Hieaux, Denis Ramos, Jean-Marie Gagez, Geoffrey
Gordon, Amir Bitran, Alexandra duBois, Angela Taddei, Nathalie Dostatni, Leonid
Mirny, Hervé Dole pour leur contribution tout au long du projet. Nous remercions
également Fanny Gascuel, Léa Wurgess et Chloé Dupuis pour leur aide
administrative.
Ce projet a été réalisé dans le cadre de l’Idex portant la référence
ANR-10-IDEX-0001-02-PSL. Nous tenons à remercier l’Université Paris Sciences et
Lettres, le labex Deep, le laboratoire de Leonid Mirny ainsi que l’UMR 3664
Dynamique du Noyau pour leur soutien financier.
|
Footnotes |
1. Dolgin
E. The sounds of
science: biochemistry and the cosmos inspire new music .
Nature.
2019; ; 569 :
:190.–1. 2. Miné-Hattab
J,
Rothstein
R. Increased
chromosome mobility facilitates homology search during
recombination . Nat Cell Biol.
2012; ; 14 :
:510.–7. 3. Miné-Hattab
J,
Recamier
V,
Izeddin
I, et al.
Multi-scale tracking reveals scale-dependent chromatin
dynamics after DNA damage . Mol Biol Cell.
2017. pii: mbc.E17-05-0317.. 4. Miné-Hattab
J,
Rothstein
R. Réparation de
l’ADN : comment trouver le bon partenaire ?
Med Sci (Paris).
2012; ; 28 :
:714.–6. 5. Miné-Hattab
J,
Darzacq
X. Dynamique de la
chromatine en réponse aux dommages de l’ADN : une histoire
multiéchelle . Med Sci (Paris).
2018; ; 34 :
:778.–81. 6. Fudenberg
G,
Imakaev
M,
Lu
C, et al. Formation
of chromosomal domains by loop extrusion . Cell
Rep.
2016; ; 15 :
:2038.–49. 7. Goloborodko
A,
Marko
JF,
Mirny
LA. Chromosome
compaction by active loop extrusion . Biophys
J.
2016; ; 110 :
:2162.–8. 8. Guidi
M,
Ruault
M,
Marbouty
M, et al.. Spatial
reorganization of telomeres in long-lived quiescent cells .
Genome Biol.
2015; ; 16 : :206.. 9. Lucas
T,
Ferraro
T,
Roelens
B, et al.. Live
imaging of bicoid-dependent transcription in Drosophila
embryos . Curr Biol.
2013; ; 23 :
:2135.–9. 10. Lucas
T,
Tran
H, Perez
Romero
CA, et al. 3 minutes
to precisely measure morphogen concentration . PLoS
Genet.
2018; ; 14 :
:e1007676.. 11. Ade
PAR,
Aghanim
N,
Arnaud
M, et al. Planck
2015 results. XIII. Cosmological parameters .
Astronomy Astrophysics.
2016; ; 594 : :A13.. 12. Aghanim
N,
Altieri
B,
Arnaud
M, et al.. Planck
intermediate results. XXVII. High-redshift infrared galaxy overdensity
candidates and lensed sources discovered by Planck and confirmed by
Herschel-SPIRE . Astronomy Astrophysics.
2015; ; 582 : :A30.. 13. Dole
H. Le côté obscur de
l’univers . Paris: :
Dunod; , 2017 :
:200. p. |