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| Med Sci (Paris). 35(11): 886–890. doi: 10.1051/medsci/2019243.L’épidémiologie entre le terrain des épidémies et
l’approche populationnelle, XIX-XXe siècle Pierre Corvol,1* Pascal Griset,2** and Céline Paillette3*** 1Président de l’Académie des sciences, Collège de France
membre du Comité pour l’histoire de l’Inserm, Collège de France Chaire de
médecine expérimentale, 11 place Marcelin-Berthelot, 75005Paris,
France 2Professeur Sorbonne Université, Président du Comité pour
l’histoire de l’Inserm, 101 rue de Tolbiac75654Paris Cedex 13,
France 3Secrétaire scientifique du Comité pour l’histoire de
l’Inserm, 101, rue de
Tolbiac75654Paris Cedex 13,
France |
Vignette (Photo © Inserm – Rafael Oriol). L’émergence d’une épidémiologie moderne est fréquemment associée au basculement de la
discipline, d’une science des épidémies vers une science des populations. L’avènement et
le développement d’une épidémiologie fondée sur une approche statistique et mathématique
n’exclut cependant pas la persistance d’une épidémiologie sur le terrain des épidémies,
dans le sillage de l’hygiène publique et de la bactériologie triomphante du tournant des
xixe et xxe siècles. De plus, l’histoire de
l’épidémiologie ne saurait être cantonnée à une histoire de savoirs scientifiques ou de
savoir-faire techniques et organisationnels. Elle doit intégrer, plus sans doute encore
que d’autres branches de la médecine, les dimensions économiques et politiques qui
participèrent à l’institutionnalisation et au développement de la discipline et à son
inscription dans les processus de décision. En France, l’histoire contemporaine de l’épidémiologie s’est écrite autour de Daniel
Schwartz, considéré comme le père fondateur d’une école française de l’épidémiologie
moderne. Au sein de la communauté des scientifiques et des médecins épidémiologistes, ce
sont ainsi communément les travaux de l’un de ses élèves, Alain-Jacques Valleron, qui
font référence pour définir la discipline. L’épidémiologie se comprend alors comme la
science qui étudie « les variations de fréquence des maladies dans les groupes humains
et recherche les déterminants de ces variations. Elle vise en particulier à la recherche
des causes des maladies et à l’amélioration de leurs traitements et moyens de
prévention » [1] (p. 3-4). Dans
les encyclopédies généralistes, les cours introductifs, les manuels d’épidémiologie,
l’approche de Milos Jenicek et de Robert Cléroux est fréquemment citée : l’épidémiologie
y est présentée comme « un raisonnement et une méthode propres au travail objectif en
médecine et dans d’autres sciences de la santé, appliqués à la description des
phénomènes de santé, à l’explication de leur étiologie et à la recherche des méthodes
d’intervention les plus efficaces » [2, 3]. En regard de
ces définitions, sont identifiées de grandes figures pionnières jalonnant les avancées
de la discipline vers ce qu’elle est aujourd’hui devenue. L’épidémiologie contemporaine
retrouve dans cette histoire non seulement ses composantes essentielles – statistiques,
connaissances médicales et enjeux de société – mais aussi des origines pour chacune de
ses facettes. On voit ainsi aux sources de l’épidémiologie clinique et de « la médecine
fondée sur les preuves », à la fois Pierre Louis qui jeta les bases d’une recherche
clinique fondée sur une médecine chiffrée et Claude Bernard, sceptique face à l’emploi
inconsidéré de la statistique et promoteur des expérimentations comparatives. William
Farr pour l’épidémiologie d’intervention et de surveillance, Louis-René Villermé pour
l’épidémiologie sociale, Adolphe Quetelet et sa systématisation du recueil de
l’information, constituent d’autres repères où se croisent les apports de la recherche
internationale et les trajectoires plus spécifiquement françaises [1] (p. 1-36), [4, 5]. |
Lutter contre les maladies et les épidémies au xixe siècle :
statistique, terrain et enjeux globaux Au début du xixe siècle, dans les usages, le terme
« épidémiologie » renvoyait d’abord aux travaux sur les épidémies, leur étiologie,
leur développement, leur description clinique, ainsi qu’aux éventuels traitements ou
aux mesures d’hygiène publique, pour tenter de s’en protéger. Épidémiologie et épidémies : enjeux d’hygiène publique, économiques et
politiques La pénétration sur le territoire de « maladies pestilentielles » telles que le
typhus, la fièvre jaune, la peste d’Orient, fut associée à la multiplication des
échanges commerciaux avec les autres pays. Les mesures de police sanitaire,
comme la loi du 7 mars 1822 en France, visaient à établir les conditions
sanitaires du passage des frontières terrestres et maritimes, afin de permettre
la circulation des marchandises tout en réduisant le risque de propagation des
maladies. Le choléra dit « asiatique », qui frappa pour la première fois
violemment l’Europe au début des années 1830 engendra un renforcement du
contrôle sanitaire sur le territoire et aux frontières [ 6]. D’une manière générale, les mesures de
police sanitaire et les débats questionnant la contagion ou la non-contagion de
ces maladies – notamment autour de la peste d’Orient dans les années 1830 –
s’inscrivaient dans des enjeux non seulement scientifiques, mais aussi
commerciaux et politiques [ 7, 8]. La
concertation entre les États visant à harmoniser les mesures de quarantaine en
conciliant les intérêts marchands à ceux de la santé publique s’inscrivait aussi
dans le jeu des concurrences impérialistes des puissances [ 9, 10], particulièrement dans le bassin
méditerranéen [ 11]. Épidémiologie, statistiques et enquêtes de terrain En même temps que se renforçait l’arsenal sanitaire législatif contre les
épidémies, se développaient de nouvelles méthodes d’investigation sur les
maladies et leurs traitements. En France, au cours des années 1820, le médecin
Pierre-Charles Alexandre Louis mit au point une méthode de recueil et de
classement regroupant des informations notamment sur le patient, ses
antécédents, l’évolution de sa maladie. Pour Pierre Louis, « il faut
nécessairement compter » [ 12] (p. 76). En comparant des groupes de malades, il évalua – et
contesta – l’efficacité de la saignée, s’attirant les foudres de l’illustre
François Broussais. En 1837, dans les débats qui éclatèrent au sein de
l’Académie de médecine, on reprocha à Pierre Louis d’oublier le patient au
profit de la maladie, d’imposer une méthode uniforme, aveugle et mécanique aux
dépens du raisonnement, de l’induction, de l’observation et de l’expérience
propres aux approches classiques de la recherche et de la pratique médicale
[ 13]. Mais Pierre
Louis fit des émules. Ses élèves, venus en France de Grande-Bretagne ou des
États-Unis, et la traduction en anglais de ses travaux assurèrent à la « méthode
numérique » un succès international [ 14] (p. 157-160). Outre-Manche, le Report on the Sanitary Condition of the Labouring
Population of Great Britain (1842) d’Edwin Chadwick établit les
relations entre les conditions de la pauvreté et celles de la maladie, en
s’appuyant sur des outils statistiques. Au sein du Register General
Office, William Farr, ancien élève de Pierre Louis, contribuait au
développement de méthodes de classement et de techniques de calculs sur la
mortalité, grâce notamment aux données collectées sur les naissances et les
décès. Ces Vital Statistics venaient ainsi enrichir les
enquêtes sur les origines et les causes des maladies. Par ailleurs, John Snow
éclaira les mécanismes de transmission du choléra, en mettant en cause le réseau
de distribution de l’eau (1854) [15]. Ces démarches scientifiques et médicales furent
accompagnées par une politique sanitaire – Public Health Act de
1874 – qui fit de l’Angleterre une nation pionnière en matière d’hygiène
publique en Europe. À l’échelle du territoire, brassant des masses
d’informations récoltées sur le terrain ou venues des administrations, les
Medical Officers menaient des enquêtes sur les origines et
la propagation des maladies. Certains étaient désormais reconnus comme des
experts en matière d’épidémiologie [16] (p. 49-54), [17, 18]. Au tournant des xixe-xxe siècles,
l’épidémiologie constituait en France une branche des connaissances médicales
étudiant l’éclosion et la diffusion des épidémies, ces maladies qui frappaient,
dans un même temps et dans un même lieu, un grand nombre d’individus. Ces
recherches bénéficiaient des résultats de la bactériologie et les spécialistes
de l’hygiène publique trouvaient dans les victoires pasteuriennes les points
d’appui solides pour les politiques sanitaires [19]. En Grande-Bretagne, l’épidémiologie
bénéficia alors davantage de l’intégration des statistiques mathématiques [20]. Par ses travaux et
son parcours, Major Greenwood illustrait bien les assises britanniques
scientifiques et institutionnelles de l’épidémiologie moderne. Médecin, formé
aux statistiques auprès de Karl Pearson, il rejoignit le Ministry of
Health à sa fondation, en 1919, et fut le premier professeur
d’épidémiologie et de Vital Statistics à la London
School of Hygiene and Tropical Medicine [21]. Une politique des grands nombres : l’exemple de l’épidémiologie et de
l’hygiène militaire L’hygiène militaire constitua, au tournant des xixe et
xxe siècles, un élément structurant en matière
d’épidémiologie descriptive. En temps de paix, les soldats étaient appréhendés
comme un échantillon permettant d’extraire des données transposables à
l’ensemble de la population. L’exploitation des informations et leur traitement
statistique valaient aussi pour les soldats au combat. Le travail colossal et la
démarche inédite conduite par le médecin principal d’armée et bibliothécaire de
l’école militaire impériale, Jean-Charles Chenu, sur les morts de la guerre de
Crimée et de la campagne d’Italie, permit d’imposer l’idée, chiffres à l’appui,
que, sur le champ de bataille, « la maladie tue plus que le feu » [ 22, 23]. L’évidence de nombres d’observations fut pourtant niée longtemps jusqu’au sein de
l’Académie de Médecine : « Si la phtisie est contagieuse, il faut le dire tout
bas ! » telle était la posture approuvée par certains en 1868… À ces
atermoiements, Henri Bouley répondit : « La phtisie est transmissible par
inoculation. Il est des esprits pusillanimes que cette conclusion effraye et qui
ne voudraient pas la divulguer. On a dit pareille chose du choléra. C’est le
rôle des académies d’arracher tous leurs voiles à toutes les vérités et de les
montrer à tous les yeux dans ce que j’appellerai leur noble impudeur » [24] (p. 122). La guerre
de 1870 mit en lumière le retard français au regard de la préparation de la
plupart des États allemands. La variole, endémique à Paris depuis 1865, où elle
provoqua en moyenne 700 décès par an, devint plus virulente à partir de décembre
1869, provoquant la mort de 4 200 personnes jusqu’en juillet 1870. La maladie
fit près de 24 000 morts dans l’armée française contre moins de 300 soldats
allemands au cours du conflit [25] (p. 27). Le cadre militaire permit également d’aborder, au début du
xxe siècle, la question des « porteurs de germes »,
individus sains pouvant propager des maladies, comme la fièvre typhoïde ou
encore la diphtérie. À plusieurs titres, la Grande Guerre constitua un moment
clé. Les effets conjugués des mesures prises contre les épidémies et de la
puissance considérablement accrue des armes firent que, désormais, « le feu tue
plus que la maladie », alors que les questions de l’infection des plaies de
guerre et de la contamination par le tétanos se posèrent avec acuité [26]. Le surgissement de
la grippe espagnole à partir du printemps 1918 posa des questionnements tant en
termes de contrôle de l’épidémie que d’identification biologique [27]. L’extrême mortalité
de cette grippe n’est aujourd’hui toujours pas élucidée [28]. |
Nouveaux enjeux de santé publique et fondements de l’épidémiologie au
xxe siècle L’épidémiologie dite moderne s’affirma tout d’abord, pour des raisons essentiellement
liées au contexte socio-économique et politique, aux États-Unis et en
Grande-Bretagne. Elle associa l’intégration des mathématiques au changement de
nature des enjeux de santé publique. Un premier recul des maladies infectieuses dans
le monde occidental et dans les élites sociales offrit, par contraste, une plus
grande visibilité aux maladies chroniques et du vieillissement au cours du
xxe siècle. L’épidémiologie devint alors une science des
populations favorisant une approche multifactorielle pour identifier l’origine d’une
maladie. Données du milieu, comportements individuels, données physiologiques et,
plus tard, génétiques y furent intégrés [29]. La médecine assurantielle : le risque au cœur de l’enquête
épidémiologique L’appréhension des facteurs de risque de maladies et la question de la causalité
devinrent des enjeux cruciaux de la discipline [ 30]. L’exemple de la médecine des
assurances est pertinent pour comprendre comment s’instaura la mesure du risque
relatif aux maladies cardio-vasculaires. La pratique des assurances se développa
avec succès aux États-Unis (où, dès les années 1870, l’on comptait un individu
assuré pour 35 contre un pour 350 en France). Assez rapidement, dès que des
mesures de paramètres physiques et biologiques furent disponibles, les médecins
des assurances s’en emparèrent pour pouvoir établir des relations entre le
niveau de la pression artérielle et l’espérance de vie ou bien encore entre le
niveau de la pression artérielle et le risque de maladies cardio-vasculaires.
Les travaux emblématiques à l’originie de cette approche sont ceux du docteur
John Welton Fischer, directeur médical au sein de la Northwestern Mutual
Life Insurance Company, qui s’intéressa à la mesure de la tension
chez les postulants d’assurance sur la vie et imposa l’emploi du
sphygmomanomètre. Dès 1915, les données statistiques ainsi recueillies permirent
de définir la maladie hypertensive sur des références très proches des données
actuelles [ 31] (p.
54-65). La fondation d’un cadre scientifique pour la notion de facteur de risque,
milieu du xxe siècle L’étude de cohorte de Framingham, emblématique des débuts de l’épidémiologie
moderne, s’inscrit dans ce raisonnement. Lancée en 1948 par le Truman
National Heart Act, l’étude sur la population de cette ville du
Massachusetts d’un peu plus de 5 000 habitants donna un cadre scientifique à la
notion de facteurs de risque [ 32]. Elle permit notamment d’établir le risque cumulatif de la
maladie en fonction de l’exposition ou de la non exposition à de multiples
facteurs. Dans la foulée, plusieurs études de cohortes ou études de cas témoins
permirent de donner des estimations du risque relatif, c’est-à-dire de
l’augmentation du risque de la maladie chez les individus exposés ou non
exposés. Ce fut le cas des études fondatrices menées par Austin Bradford Hill
( Medical Research Council, MRC) et Richard Doll
( London School of Hygiene and Tropical Medicine) sur la
relation entre tabagisme et cancer. L’étude lancée en 1951 suivit sur le long
terme une population de 40 000 médecins, visant à établir les relations entre
tabac et cancer du poumon. Les enjeux soulevés et placés au cœur des questions
épistémologiques furent ceux de la causalité et de la manière de tester
justement des hypothèses [ 33]. Le développement tardif d’une école française d’épidémiologie Cette nouvelle épidémiologie s’institutionnalisa plus tardivement en France. Les
enquêtes menées par l’Institut national d’hygiène (INH) fondé en 1941 sur le
typhus ou la diphtérie relevaient davantage des Vital
Statistics que des recherches sur les causalités des maladies
initiées dans l’entre-deux-guerres par le MRC britannique ou le Public Health
Service américain. Après la guerre, l’INH poursuivit ces activités au sein d’un
service des statistiques de mortalité et de morbidité, installé près de
l’hôpital du Vésinet, en banlieue parisienne [ 34] (p. 21). Autour de Daniel Schwartz Les travaux de Daniel Schwartz, polytechnicien, ingénieur des tabacs, sur la
relation entre consommation de tabac et cancer du poumon, apparaissent comme
déterminants dans la fondation d’une école française d’épidémiologie. L’approche
qui intégrait des enquêtes reprenant les méthodes anglo-saxonnes
s’institutionnalisa, avec la création, au sein de l’Institut Gustave-Roussy à
Villejuif, de l’unité Inserm 21 de recherche statistique, sous la responsabilité
de Daniel Schwartz. L’usage du calcul et du raisonnement probabiliste distingue
ces études des précédentes enquêtes de l’INH et permet de les rattacher à
l’épidémiologie moderne. Au sein de l’unité 21, Robert Flamant et Claude
Rumeau-Rouquette, ainsi que les polytechniciens Joseph Lellouch, Philippe Lazar,
Pierre Ducimetière, Alain-Jacques Valleron travaillèrent auprès de Daniel
Schwartz. Ce groupe fit école et essaima au sein de l’Inserm, avec une dizaine
d’unités d’épidémiologie, comme celle dirigée par Claude Rumeau-Rouquette
(recherches épidémiologiques sur la santé des femmes et des enfants, reprise
ensuite par Gérard Bréart) ou bien celle dirigée par Philippe Lazar sur la
recherche épidémiologique et statistique sur l’environnement et la santé [ 30] (p. 341). L’institutionnalisation de la nouvelle discipline fut progressive. Si Daniel
Schwartz affirmait en 1974 que l’épidémiologie n’était plus « la science des
épidémies » [35], sa
défense presque militante d’une épidémiologie moderne reflétait la situation
d’une discipline encore en mal d’assises institutionnelles et académiques. Dix
ans plus tard, Joseph Lellouch pouvait enfin écrire qu’il n’était plus
nécessaire de faire la « défense de l’épidémiologie » qui avait acquis « droit
de cité » [36] (p. V).
Les effectifs du Centre d’enseignement de la statistique appliquée à la médecine
(Césam) atteignaient ainsi désormais 1 200 étudiants en 1985, contre 60 à sa
création, en 1963 [30] (p. 344). Les déterminants sociaux de la santé : enjeu d’épidémiologie et de santé
publique L’épidémiologie en France s’enrichit d’un groupe de médecins formés à la
statistique médicale et à l’informatique, autour de François Grémy, directeur de
l’unité 88, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Marcel Goldberg, Roger Salomon,
Jacques Chaperon, contestaient une épidémiologie qui resterait confinée à
l’analyse de l’étiologie des maladies non transmissibles [ 30] (p. 345-46). En 1982, Marcel Goldberg, succédant à
François Grémy, signait un article dans lequel il appelait à considérer les
déterminants sociaux de la santé et de la maladie [ 37, 38]. L’unité 88 fut alors rebaptisée « Santé publique et
épidémiologie sociale et économique », soulignant le lien étroit établi entre
épidémiologie et santé publique au sein de l’Inserm [ 34] (p. 172). L’épidémiologie, toujours une histoire de maladies infectieuses La création, en 1984, dans les locaux de la fondation Mérieux, de l’Institut pour
le développement de l’épidémiologie appliquée (IDEA), renforçait l’épidémiologie
appliquée ou encore épidémiologie de terrain ou d’intervention. La fondation de
l’association Epiter (Association pour le développement d’une épidémiologie de
terrain), l’année suivante, confirmait ce mouvement qui s’inspirait des
Centers for Disease Control (CDC) américains développant à
l’échelle du territoire national des dispositifs de surveillance et d’alerte des
épidémies [ 30] (p. 348-52). Il
prolongeait également les initiatives du Centre international de l’enfance, créé
en 1949, par Robert Debré. Le Centre développa des pratiques statistiques
prenant la forme d’essais randomisés appliqués à la vaccination de l’enfance.
Avec le soutien et les conseils de Daniel Schwartz, neveu de Robert Debré, les
équipes purent accéder aux calculateurs de Villejuif [ 39, 40]. L’exemple du réseau Sentinelles développé au début des
années 1980 sous l’impulsion d’Alain-Jacques Valleron [ 41], des recherches sur le SIDA [ 42], de l’épidémiologie
d’intervention ou bien encore du développement de protocoles de recherche
clinique, en pleine urgence sanitaire, lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de
l’Ouest, attestent que l’épidémiologie [ 43], malgré ses évolutions, reste bien également orientée
vers les épidémies et les maladies infectieuses. |
D’une manière générale, l’épidémiologie contemporaine fait aujourd’hui face à
l’explosion des données, issues tant des nouvelles technologies issues de la
recherche biomédicale, en biologie et en génétique, que des technologies numériques.
En France, l’étude sur la santé des étudiants i-Share regroupant plus de 19 000
participants repose sur l’utilisation des technologies web et mobiles [44]. L’épidémiologie
environnementale cherchant à identifier et mesurer l’influence des contaminants
environnementaux – polluants atmosphériques, perturbateurs endocriniens, exposome –
exige la collecte, l’exploitation et le traitement de masses de données colossales
[45]. Les nouvelles
méga-cohortes de centaines de milliers d’individus impliquent l’organisation de
consortiums internationaux, au sein desquels l’hétérogénéité des compétences et des
outils disponibles pour traiter et interpréter ces données colossales peut poser
problème [46]. L’accès progressif aux données médico-administratives ouvre aussi des perspectives
prometteuses. La pharmaco-épidémiologie bénéficie de l’utilisation des bases de
données du SNIIRAM (système national d’information interrégimes de l’Assurance
maladie) et PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information), « données
de vie réelle ». Les effets secondaires du Mediator sont, par exemple, repérables
par l’analyse de ces mégadonnées, générées en routine, lors du traitement et du
parcours de soins des patients [47] (p. 13). D’une manière générale, il devient possible d’étudier un
champ plus vaste de pathologies et d’actes médicaux à moindre coût. Mais les biais
possibles et le traitement confidentiel de telles données suscitent des inquiétudes
et des interrogations [48].
Les questions éthiques sont bien présentes. Ces nouvelles tendances apportent avec
elles des problèmes épistémologiques inédits. Le risque d’une épidémiologie
« hors-sol » est évoqué. Pour Pierre Ducimetière, les « révolutions numériques » ne
doivent pas empêcher l’interaction essentielle de la recherche épidémiologique avec
les deux autres piliers de la recherche médicale : la recherche sur les mécanismes
biologiques qui se développe dans les laboratoires et la recherche clinique qui se
déroule au chevet des malades [49]. Enfin, de l’étude de cohortes à l’épidémiologie de terrain,
l’apport des sciences humaines et sociales ne pourra être négligé pour relever les
défis présents et futurs d’une épidémiologie placée plus que jamais au cœur des
systèmes de santé. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
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