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| Med Sci (Paris). 35(12): 1005–1007. doi: 10.1051/medsci/2019199.Les anticorps monoclonaux en neurologie Hélène Blasco1* and Pierre-François Pradat2,3 1Université de Tours, Inserm U1253, laboratoire de biochimie, CHRU
de Tours, France 2Département des Maladies du Système Nerveux, Centre Référent
Maladie Rare SLA, Hôpital de la Pitié-Salpétrière,
Paris,
France 3Sorbonne Université, UPMC Univ Paris 6, CNRS, Inserm, laboratoire
d’imagerie biomédicale, Paris, France |
L’utilisation des anticorps monoclonaux (AcM) figure parmi les avancées les plus
significatives de cette dernière décennie dans tous les domaines, y compris la
neurologie. La neurologie n’a pas été pionnière, et a plutôt suivi le sillage des succès
qui commençaient à se faire marquants dans d’autres domaines de la médecine, notamment
en cancérologie. Parmi les facteurs expliquant ce retard, on pourrait évoquer la
relative complexité des maladies neurologiques et la méconnaissance de leurs mécanismes
qui sont multiples et intriqués. Il était dès lors difficile de cibler un mécanisme
causal ou au moins jouant un rôle critique dans la cascade biologique conduisant aux
manifestations neurologiques. Les insuffisances des modèles animaux sont un autre
facteur, la complexification du système nerveux au cours de la phylogénèse rendant
hasardeuse la translation des résultats obtenus lors d’études précliniques aux essais
thérapeutiques chez l’homme. Mais au-delà de considérations théoriques, un facteur
limitant les traitements par AcM est l’existence de la barrière hémato-encéphalique
(BHE) qui rend difficile le passage de molécules de haute masse moléculaire. Cet obstacle peut être toutefois contourné par divers moyens : simplement parce que la
cible peut se situer en dehors du système nerveux, ou parce que la nature même du
processus pathologique fragilise cette barrière. On peut aussi envisager un mode
d’administration différent de la voie systémique, comme la voie intrathécale. Dans cette
revue, nous nous attacherons à tracer les caractéristiques des processus pathogéniques
apportant un rationnel pour une approche thérapeutique fondée sur les AcM et, pour
chacun d’eux, les avancées concrètes en thérapeutique. Cette revue ayant pour but d’être
brève et synthétique, nous avons pris le parti d’omettre les pathologies tumorales ainsi
que les affections du système nerveux périphérique. |
La sclérose en plaques (SEP) a été la première pathologie et, en fait, longtemps la
seule, pour laquelle ont été utilisés des anticorps monoclonaux dans le domaine de
la neurologie. Plusieurs facteurs expliquent cette primauté qui a permis des succès
thérapeutiques majeurs. Tout d’abord, il s’agit d’une pathologie dont la
physiopathologie est relativement bien connue et qui fait intervenir deux mécanismes
généraux, l’inflammation et l’auto-immunité. Ces mécanismes retrouvés dans d’autres
pathologies, notamment les rhumatismes inflammatoires chroniques, ont été largement
étudiés et ont permis le développement de thérapeutiques innovantes pouvant ainsi
être mis à profit dans la SEP. L’existence de biothérapies déjà efficaces contre
l’inflammation dans la SEP, comme les interférons ou l’acétate de glatiramère,
constituait également un contexte favorable. Un autre facteur essentiel est que la
nature du processus pathologique responsable de la SEP permet de s’affranchir des
limites d’accessibilité au cerveau par la barrière hémato-encéphalique. En effet,
cibler les lymphocytes circulants, dont l’activation périphérique est le facteur
initial de la réaction auto-immune dirigée contre les constituants de la myéline,
est une stratégie pertinente. Le premier anticorps monoclonal approuvé dans la SEP a
été le natalizumab qui se fixe à la sous-unité α4 de l’intégrine α4β1 (ou VLA-4 pour
very late antigen-4) présente à la surface des lymphocytes T.
L’intégrine α4β1 se fixe sur la molécule d’adhérence VCAM (vascular cell
adhesion protein) exprimée par les cellules endothéliales de la BHE. Le
natalizumab bloque le passage des lymphocytes T exprimant l’intégrine α4 à travers
la BHE, diminuant ainsi l’inflammation au niveau du SNC. Les patients traités ont
montré une diminution de 70 % de leur taux de poussées et une amélioration des
lésions, par imagerie par résonnance magnétique (IRM), qui n’avait jamais été
objectivée avec les traitements antérieurs [1]. La survenue bien que rare d’encéphalopathies multifocales
progressives, pathologies opportunistes graves liées au virus JCV, limite toutefois
son utilisation aux formes actives de SEP. Depuis, d’autres AcM, utilisés
initialement pour le traitement d’hémopathies malignes, ont été développés par les
laboratoires pharmaceutiques dans cette indication, comme l’alemtuzumab (qui cible
la molécule CD52 sur les lymphocytes et monocytes), l’ocrelizumab et le rituximab
(tous les deux ciblant l’antigène CD20 exprimé à la surface des lymphocytes B)
[2]. Le tocilizumab, un
AcM anti-IL(interleukine)-6, acteur central de l’inflammation, qui bloque sa
fixation à son récepteur (IL6-R) et donc l’activité pro-inflammatoire de cette
cytokine, a fait l’objet d’un essai de phase II. |
Capturer les protéines dépliées Une hypothèse unificatrice dans les maladies neurodégénératives fait jouer un rôle
central à l’agrégation de protéines mal repliées : l’amyloïde beta (maladie
d’Alzheimer), l’alpha-synucléine (maladie de Parkinson), la protéine tau (maladie
d’Alzheimer, paralysie supranucléaire progressive), la TDP-43 (TAR
DNA-binding protein 43) (majorité des scléroses latérales
amyotrophiques [SLA], certaines démences temporo-frontales) ou encore la protéine
SOD1 (superoxide dismutase 1) (certaines formes familiales de SLA).
Cibler ces protéines toxiques reste actuellement une stratégie de choix dans ces
pathologies et représente la principale justification à l’utilisation d’AcM. L’hypothèse amyloïde dans la maladie d’Alzheimer ayant connu une situation de
monopole pendant plus de 25 ans, la protéine amyloïde beta a été la cible choisie
pour les premiers essais de neuroprotection par des AcM [3]. Ces essais, initiés avec beaucoup d’espoir
et d’enthousiasme, ont certes permis une diminution de la charge en protéine
amyloïde mesurée par tomographie par émission de positons (PET scan) mais n’ont
apporté qu’une amélioration clinique minime, voire discutable. Ils ont de plus
exposé les patients à des complications sous la forme d’amyloid-related
imaging abnormalities (ARIA) pouvant entraîner des œdèmes cérébraux dus
à des dépôts d’amyloïde bêta présents dans les vaisseaux cérébraux. En dehors des
stratégies visant à diminuer les effets des ARIA (par exemple en améliorant le
passage de la BHE afin de délivrer des doses moindres), une tendance actuelle forte
est de sélectionner dans les essais thérapeutiques, des patients à un stade très
précoce de la maladie afin d’optimiser les chances d’interrompre ou de limiter la
cascade de l’agrégation de l’amyloïde beta. Trois anticorps sont actuellement
évalués dans des essais de phase III : ganténérumab, aducanumab et crénézumab. Dans
l’avenir, ce sera peut-être en intervenant à un stade pré-symptomatique, ce qui est
envisageable grâce au développement de biomarqueurs, que cette approche sera plus
susceptible d’être efficace. Une autre stratégie est de cibler la protéine tau
hyperphosphorylée, dont l’accumulation est mieux corrélée avec la démence que la
protéine amyloïde bêta [4].
Fondés sur la bonne tolérance des anticorps anti-tau, des essais de phase II sont
actuellement en cours dans des formes précoces de maladie d’Alzheimer, mais
également dans une autre taupathie, la paralysie supranucléaire progressive [5]. |
Préserver les axones et la myéline Cette stratégie a été utilisée dans la SLA contre la protéine Nogo-A, un inhibiteur
de croissance axonale, dont la surexpression est corrélée avec la progression de la
maladie [6]. Toutefois, un
essai de phase II utilisant un AcM anti-Nogo-A s’est révélé négatif [7]. La protéine Nogo-A, mais également
son co-transporteur LINGO-1 (leucine-rich repeat and Ig domain-containing
1), font également l’objet de développements thérapeutiques dans la
SEP. Le blocage de LINGO-1, qui est surexprimé à la surface des oligodendrocytes et
des neurones dans la SEP, pourrait diminuer la destruction des gaines de myéline,
préserver les axones, et aider à la remyélinisation [8-9]. |
Limiter la vasodilatation cérébrale et la douleur L’avènement des AcM anti-CGRP (calcitonin gene-related peptide)
(érénumab, frémanézumab, galcanézumab) est considéré comme le progrès le plus
important jamais réalisé dans le domaine de la migraine. Le rationnel repose sur de
nombreuses études qui ont montré que le CGRP avait un effet vasodilatateur et est
impliqué dans la douleur. Ces traitements ont fait la preuve de leur efficacité dans
des essais de phase III en montrant notamment une diminution de moitié de la durée
des crises migraineuses chez la moitié des patients et une amélioration de la
capacité à réaliser des activités quotidiennes. Ce traitement bénéficie de
l’autorisation de la FDA depuis mai 2018. |
À travers les différents exemples d’utilisation des AcM en neurologie que nous avons
décrits, nous pouvons être confiants dans la poursuite de ces développements.
L’utilisation de ces agents thérapeutiques très spécifiques de cibles moléculaires
en neurologie, domaine dans lequel l’impasse thérapeutique est marquée, fait écho à
la recherche très active et fructueuse sur les biomarqueurs dans cette discipline.
Les avancées réalisées sur les agents thérapeutiques dérivés d’anticorps comme les
nanobodies, qui permettent un accès plus facile au cerveau, les
modes d’administration améliorant potentiellement la distribution dans le cerveau
(voie intra-nasale par exemple), permettent d’envisager un avenir prometteur pour ce
type de thérapeutiques. La recherche sur les mécanismes physiopathologiques de
certaines maladies neurologiques nous amène de plus à envisager une action
thérapeutique efficace en périphérie et pas uniquement au niveau central,
élargissant ainsi le type d’anticorps utilisable. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article. |
1.
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