Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 35(12): 1008–1013.
doi: 10.1051/medsci/2019200.

Anticorps monoclonaux en infectiologie
Des nouveaux partenaires dans l’arsenal thérapeutique

Guillaume Desoubeaux1,2* and Mireia Pelegrin3,4

1CHU de Tours, Parasitologie-Mycologie-Médecine tropicale, 37044Tours, France
2Université de Tours, Inserm U1100, Centre d’étude des pathologies respiratoires, Faculté de médecine, 37032Tours, France
3Institut de génétique moléculaire de Montpellier, Université de Montpellier, CNRS, Montpellier, France
4IRMB, Univ Montpellier, Inserm, CNRS, Montpellier, France
Corresponding author.
 

inline-graphic msc190008-img1.jpg

Le déficit numérique de traitements efficaces contre un certain nombre de maladies infectieuses, ainsi que l’apparition de résistances vis-à-vis des antibiotiques et de certains antiviraux, ont récemment motivé la diversification des stratégies thérapeutiques. Parmi celles-ci, les anticorps monoclonaux (AcM) et molécules dérivées sont maintenant considérés comme une option viable, y compris contre les infections virales émergentes [1]. À l’heure actuelle, seuls cinq anticorps thérapeutiques à visée anti-infectieuse ont été approuvés par les autorités de santé en France, alors qu’un autre, indiqué dans la maladie associée au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est sur le point de l’être. Cependant, des avancées technologiques récentes ont permis d’isoler efficacement des anticorps à très haut pouvoir neutralisant (broadly neutralizing antibodies, bNAb) vis-à-vis de nombreux agents infectieux, et, par la même occasion, de répondre aux problèmes posés par la variabilité antigénique des différentes souches virales ou bactériennes. Des progrès notables ont également été effectués pour limiter la capacité des virus et bactéries à échapper aux anticorps neutralisants grâce à l’utilisation de thérapies combinées ou de cocktails d’AcM, ainsi que pour améliorer les fonctions effectrices des immunoglobulines. L’exploitation des multiples mécanismes d’action des AcM anti-infectieux ouvre aussi de nouvelles perspectives thérapeutiques pour augmenter leur efficacité. En effet, ils peuvent agir directement sur les pathogènes, mais aussi indirectement sur la physiopathologie de l’infection en modulant/recrutant le système immunitaire de l’hôte [2]. Nous décrivons dans cette revue les produits qui ont été approuvés par les autorités de santé ou qui sont en voie de l’être, car en cours de développement clinique avancé.

Anticorps thérapeutiques en virologie

Approuvé en 1998 par les autorités de santé européennes, le palivizumab (Synagis®) est le plus ancien anticorps thérapeutique anti-infectieux. Il s’agit d’une IgG1 humanisée dirigée contre la protéine de fusion du virus respiratoire syncytial (VRS) qui empêche la fusion du virus avec la membrane de la cellule-hôte [3]. De par l’absence de vaccin anti-VRS sur le marché, le palivizumab est indiqué, à la dose intramusculaire mensuelle de 15 mg/Kg, dans la prévention des troubles respiratoires sévères liés à l’infection par ce virus chez les enfants à haut risque, en période hivernale. Approuvé en 2016 en Inde, l’AcM RMAb pour «Rabies Human Monoclonal Antibody » (Rabishield®) est une IgG1 humaine, autrefois dénommée HuMAb 17C7 ou RAB-1, dirigée contre un épitope conformationnel de la glycoprotéine de fixation du rhabdovirus de la rage à son récepteur [4]. Ce nouvel AcM est indiqué comme immunothérapie passive pour la prophylaxie post-exposition de l’infection rabique. Il est très puissant, nécessitant une dose en moyenne dix fois plus faible que les immunoglobulines antirabiques actuelles, de l’ordre de 3,33 UI/Kg. Plus récemment, en 2018, aux États-Unis, un AcM antiviral a été approuvé par la FDA (food and drug administration) pour la première fois dans le traitement des infections par le virus de l’immunodéficience humaine. Il s’agit de l’ibalizumab (Trogarzo®), une IgG4 humanisée qui cible, non pas directement un constituant du virus, mais la protéine CD4 des lymphocytes T de l’individu infecté, principal récepteur du virus. L’ibalizumab est ainsi capable de bloquer l’entrée du VIH dans sa cellule-hôte, tout en maintenant la fonction CD4 de cette dernière. À la posologie intraveineuse de 800 mg tous les quinze jours, il est indiqué pour le traitement de l’infection à souches VIH-1 multi-résistantes chez les adultes ayant déjà reçu de nombreux traitements antirétroviraux et qui sont en échec thérapeutique. Le PRO-140 est un autre AcM bloquant le processus d’entrée virale qui est maintenant dans une phase de développement clinique très avancée. Il s’agit d’une IgG4 humanisée dirigée contre la molécule CCR5 (C-C chemokine receptor type 5), le co-récepteur du VIH de type 1 à la surface des lymphocytes T CD4+.

Plusieurs autres anticorps thérapeutiques ciblant l’infection par le VIH sont en voie de développement, mais non encore approuvés par les autorités de santé [5]. Par exemple, les anticorps VRC01 et 3BNC117 sont des anticorps neutralisants à large spectre (broadly neutralizing antibodies, bNAb) capables de se fixer sur la glycoprotéine d’enveloppe gp120 de plusieurs souches de VIH-1, bloquant ainsi sa liaison avec son récepteur CD4 sur les lymphocytes T et réduisant la virémie (Tableau I). L’administration de 3BNC117 semble aussi capable de renforcer la réponse humorale endogène, sous la forme d’un effet « vaccine-like » [6]. L’AcM 10-1074 cible la boucle V3 de l’enveloppe virale du VIH-1 au niveau du site de glycosylation sur l’asparagine 332 (ou « super site glycane »). Cet anticorps est ainsi capable de réduire la virémie rapidement, de 1,52 Log10 copies/mL en moyenne [7]. Cependant, le traitement par ces différents bNAb en monothérapie est associé à l’émergence de populations virales résistantes à l’anticorps neutralisant administré [8]. Des nouvelles études utilisant ces anticorps en thérapie combinée sont en cours.

Plusieurs autres AcM spécifiques de virus sont récemment entrés dans des essais cliniques de phase II pour évaluer leurs effets et la tolérance dans le cadre de la prise en charge de la grippe ou de l’infection à cytomégalovirus (CMV) (Tableau I).

Anticorps thérapeutiques en bactériologie

Mis à disposition respectivement en 2012 et 2016, le raxibacumab (ABthrax®) et l’obiltoxaximab (Anthim®) sont deux AcM qui neutralisent l’antigène protecteur (PA) de l’exotoxine de l’anthrax, une toxine produite par le bacille du charbon Bacillus anthracis [9, 10]. Le raxibacumab est une IgG1 humaine indiquée dans le traitement curatif de la maladie pulmonaire chez l’adulte, à la dose intraveineuse de 40 mg/Kg, et chez l’enfant, entre 40 et 80 mg/Kg, en association avec une antibiothérapie conventionnelle appropriée, et dans la prophylaxie si les alternatives ne sont pas envisageables. L’obiltoxaximab est une IgG1 chimérique qui est utilisée dans les mêmes indications, aux doses de 16 mg/Kg chez l’adulte et de 16 à 32 mg/Kg chez l’enfant. Approuvé par les autorités de santé en 2016, le bezlotoxumab (Zinplava®) est une IgG1 humaine capable de neutraliser l’entérotoxine B de Clostridium difficile (codé par le gène tcdB). À la dose intraveineuse unique de 10 mg/Kg, cet AcM est indiqué dans la prévention des rechutes d’infection digestive à C. difficile [11]. Depuis 2007, l’éculizumab (Soliris®) est indiqué dans le traitement du syndrome hémolytique et urémique atypique (SHUa), une complication systémique grave de l’infection à Escherichia coli entéro-hémorragique producteur de shigatoxine. L’éculizumab est un anticorps humanisé qui n’agit pas directement sur la bactérie, mais qui se lie au facteur C5 du complément. Il bloque ainsi le clivage de cette molécule en C5a et C5b, inhibant, en partie, le processus inflammatoire tardif. Cet anticorps a fait ses preuves lors de la flambée de SHUa de 2011 due à la souche E. coli O104:H4 [12]. Il est administré à un rythme hebdomadaire à la dose de 900 mg pendant un mois, puis bimensuel à la posologie de 1 200 mg en phase d’entretien. Les infections à staphylocoque et à agent pyocyanique font actuellement l’objet de plusieurs essais cliniques de phase II ou III, mettant en jeu des anticorps thérapeutiques (Tableau I), même si aucun d’entre eux n’a, à ce jour, été commercialisé.

Conclusion

À la fin de l’année 2018, 304 études cliniques utilisant des anticorps thérapeutiques anti-infectieux étaient entrées en phase II ou III [13]. Elles concernaient 13 produits dirigés contre le VIH, cinq contre la bactérie Staphylococcus aureus ou ses facteurs de virulence, comme la leucocidine de Panton-Valentine ou l’alphatoxine [14] (mais le développement de l’un de ceux-ci a été arrêté prématurément), quatre contre l’agent pyocyanique Pseudomonas aeruginosa [15] (dont le développement de l’un d’entre eux a été également suspendu), sept contre le virus de la grippe influenza A, ainsi que trois autres contre le CMV. Un cocktail d’AcM contre le virus Ebola et un autre contre le virus de la rage sont également en cours d’études cliniques. De nombreuses études précliniques sont également en cours avec des AcM ciblant les virus émergents, tels que le virus Zika, le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, l’Henipavirus, les arbovirus de la Dengue ou Marbug, etc. [1].

Cette tendance globale témoigne ainsi d’une dynamique forte qui pourrait placer les anticorps thérapeutiques comme un complément efficace à l’arsenal anti-infectieux déjà à disposition, aux côtés des drogues antivirales ou des antibiotiques. De nouvelles technologies permettent aujourd’hui d’isoler et de produire plus efficacement les AcM. Ajouté aux stratégies d’amélioration de leurs fonctions effectrices via l’ingénierie de leur région Fc, ainsi qu’au développement d’anticorps bispécifiques, voire tri-spécifiques, de molécules dérivées d’anticorps, etc., elles devraient permettre d’offrir la possibilité de combinaisons curatives plus efficaces, ou tout au moins, offrir des alternatives en cas d’apparition de souches résistantes aux traitements standards.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs adressent leurs remerciements au laboratoire d’excellence MAbImprove (Tours – Montpellier) pour son soutien (ANR-10-LABX -53-01), et en particulier au Dr André Pèlegrin et au Pr Hervé Watier.

References
1.
Salazar G, Zhang N, Fu T-M, et al., Antibody therapies for the prevention and treatment of viral infections . NPJ Vaccines . 2017;;2::19..
2.
Pelegrin M, Naranjo-Gomez M, Piechaczyk M , Antiviral monoclonal antibodies: can they be more than simple neutralizing agents? Trends Microbiol . 2015;;23::653.–665.
3.
Tang PK , Palivizumab prophylaxis in preterm infants . Lancet Respir Med . 2017;;5::171..
4.
Sloan SE, Hanlon C, Weldon W, et al., Identification and characterization of a human monoclonal antibody that potently neutralizes a broad panel of rabies virus isolates . Vaccine . 2007;;25::2800.–2810.
5.
Carrillo J, Clotet B, Blanco J , Antibodies and antibody derivatives: new partners in HIV eradication strategies . Front Immunol . 2018;;9::2429..
6.
Schoofs T, Klein F, Braunschweig M, et al., HIV-1 therapy with monoclonal antibody 3BNC117 elicits host immune responses against HIV-1 . Science . 2016;;352::997.–1001.
7.
Caskey M, Schoofs T, Gruell H, et al., Antibody 10–1074 suppresses viremia in HIV-1-infected individuals . Nat Med . 2017;;23::185.–191.
8.
Nishimura Y, Martin MA , Of mice, macaques, and men: broadly neutralizing antibody immunotherapy for HIV-1 . Cell Host Microbe . 2017;;22::207.–216.
9.
Yamamoto BJ, Shadiack AM, Carpenter S, et al., Obiltoxaximab prevents disseminated Bacillus anthracis infection and improves survival during pre- and postexposure prophylaxis in animal models of inhalational anthrax . Antimicrob Agents Chemother . 2016;;60::5796.–5805.
10.
Migone TS, Subramanian GM, Zhong J, et al., Raxibacumab for the treatment of inhalational anthrax . N Engl J Med . 2009;;361::135.–144.
11.
Lowy I, Molrine DC, Leav BA, et al., Treatment with monoclonal antibodies against Clostridium difficile toxins . N Engl J Med . 2010;;362::197.–205.
12.
Delmas Y, Vendrely B, Clouzeau B, et al., Outbreak of Escherichia coli O104:H4 haemolytic uraemic syndrome in France: outcome with eculizumab . Nephrol Dial Transplant . 2014;;29::565.–572.
13.
Wagner EK, Maynard JA , Engineering therapeutic antibodies to combat infectious diseases . Curr Opin Chem Eng . 2018;;19::131.–141.
14.
Kohler PL, Greenwood SD, Nookala S, et al., Staphylococcus aureus isolates encode variant staphylococcal enterotoxin B proteins that are diverse in superantigenicity and lethality . PloS One . 2012;;7::e41157..
15.
Ali SO, Yu XQ, Robbie GJ, et al., Phase 1 study of MEDI3902, an investigational anti-Pseudomonas aeruginosa PcrV and Psl bispecific human monoclonal antibody, in healthy adults . Clin Microbiol Infect . 2019;;25((629))::e1.–e6.