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Med Sci (Paris). 35(12): 1017–1021.
doi: 10.1051/medsci/2019201.

Anticorps monoclonaux thérapeutiques
En dermatologie aussi !

Aurélie Du-Thanh1,2* and Bernard Guillot1,2

1Univ Montpellier, Département de dermatologie, Hôpital Saint-Eloi, CHU de Montpellier, 80 avenue Augustin Fliche, 34295Montpellier, France
2Inserm 1058, Pathogenèse et contrôle des infections chroniques (PCCI), 34394Montpellier, France
Corresponding author.
 

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Dans son livre, la jeune médecin généraliste Jaddo décrit avec humour ses difficultés à différencier eczéma et psoriasis [1]: « Quel que soit le diagnostic, ça se finira avec des corticoïdes locaux. Alors bon à quoi bon ? ». Jaddo pourra-t-elle bientôt écrire que, quel que soit le diagnostic, ça se finira avec des anticorps monoclonaux (AcM) thérapeutiques ? Pourtant déjà bien installés en dermatologie (hospitalière), les AcM soulèvent encore la question de leur coût et de leur innocuité à long terme (malgré une tolérance immédiate satisfaisante), car, pour la plupart des médecins, les dermatoses inflammatoires chroniques sont sans enjeu vital, et n’ont peu, voire pas, d’enjeu fonctionnel. Les trois cas avérés et une suspicion de leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP)1 [2] chez des patients psoriasiques après traitement ont entraîné le retrait du marché de l’éfalizumab en 2009, alors que ce risque est mieux accepté face à une maladie de Crohn ou une polyarthrite rhumatoïde. Pourtant, l’impact des dermatoses chroniques sévères sur la qualité de vie est important. La peau est en effet un organe à la fois social et intime ; les maladies de peau, parfois défigurantes, et douloureuses (tout comme leurs traitements topiques), sont au 4e rang mondial des pathologies reconnues comme affectant le plus la qualité de vie [3]. Une méta-analyse récente met ainsi en évidence une augmentation des tendances suicidaires chez les patients atteints de dermatite atopique (DA) [4] et les co-morbidités cardiovasculaires directement liées au psoriasis cutané encouragent sa prise en charge active [5].

Trois exemples d’utilisation des anticorps monoclonaux thérapeutiques en dermatologie inflammatoire

Parmi les AcM thérapeutiques utilisés en dermatologie inflammatoire, la majorité sont indiqués dans le psoriasis. Dans l’acné, pourtant première dermatose chronique en France, les AcM ne seront utilisés que dans les formes syndromiques sévères de la maladie et hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Dans la dermatite atopique et l’urticaire chronique spontanée (UCS), ils sont d’utilisation plus récente mais tout aussi prometteurs.

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques dans l’eczéma/la dermatite atopique
La dermatite atopique est une dermatose inflammatoire chronique affectant majoritairement les enfants mais également 4,52 % des adultes français de plus de 15 ans, soit plus de 2 millions de personnes [3]. Elle se caractérise par des lésions cutanées érythémato-vésiculeuses, prurigineuses, avec des topographies variables, y compris les mains et le visage, selon l’âge. Des co-morbidités peuvent s’y associer: asthme, rhinite allergique, etc. La gêne ressentie est « très ou assez importante » dans la vie personnelle chez 50,3 % des patients et dans le cadre professionnel chez 45,3 %. Comparé à la population générale, le score EQ-5D2, montre une altération significative de la qualité de vie des personnes souffrant d’eczéma [3]. Environ 100 000 personnes souffrent de formes sévères de dermatite atopique, soit 6 % des patients. Au moins 3 grands acteurs semblent être impliqués dans la physiopathologie de cette maladie et se potentialiser les uns les autres: un défaut structurel de la barrière cutanée (avec, entre autres, des mutations du gène codant la filaggrine3 chez 1/3 des patients), une polarisation Th2 des lymphocytes avec une sur-expression des IL(interleukines)-4 et 13, et une dysbiose du microbiote de surface avec prédominance de Staphylococcus aureus [6]. Le dupilumab (Dupixent) est le premier AcM disponible dans la dermatite atopique modérée à sévère de l’adulte, en 2e ligne après la ciclosporine. Il s’agit d’un anticorps humain de sous-classe IgG1 dirigé contre la sous-unité alpha du récepteur de l’IL-4, capable de bloquer les voies de signalisation dépendant de l’IL-4 et de l’IL-134. Il s’administre par voie sous-cutanée à la posologie de 300 mg tous les 14 jours après une dose de charge de 600 mg. Le dupilumab a obtenu l’AMM en France en février 2018 après les études pivotales industrielles LIBERTY AD SOLO 1 & 2 et LIBERTY AD CHRONOS, qui ont montré pour la première fois son efficacité [7, 8] en termes d’activité de la dermatite atopique ( Tableau I) et de qualité de vie. Ces 3 études avaient pour critères de jugement une amélioration significative des scores d’activité de la maladie comme l’IGA (investigator global assessment) 0/1 et/ou un score EASI (eczema area severity index) amélioré d’au moins 75 %. Seuls variaient la durée de l’étude (16 ou 52 semaines), la possibilité d’utiliser des traitements topiques additionnels, y compris dans le groupe placebo, et un traitement antérieur par ciclosporine. Dans l’étude LIBERTY AD CHRONOS, menée sur 52 semaines chez 740 patients atteints de dermatite atopique modérée à sévère également traités par dermocorticoïdes, le bon résultat obtenu sous deux doses différentes de dupilumab à la 16e semaine de traitement s’est maintenu durant les 36 semaines restantes. Seuls 13 et 14 % des patients sous dupilumab ont présenté des poussées pendant les 52 semaines (contre 41 % des patients sous placebo, pourtant traités par dermocorticoïdes). La tolérance a été jugée satisfaisante malgré 15 % de conjonctivites au total, contre 38 % dans une étude française en vie réelle [9], retrouvant aussi une éosinophilie supérieure à 500 cellules/mm3, asymptomatique de signification indéterminée, chez 57 % des 241 patients de cette étude. Dans les recommandations européennes, le dupilumab figure au même rang que les traitements immunosuppresseurs pour les formes sévères de dermatite atopique de l’adulte [10]. D’autres AcM thérapeutiques sont en cours d’étude, tels que des AcM dirigés spécifiquement contre les cytokines de type Th2 (IL-4, IL-13, IL-5, IL-31), mais aussi, en particulier, un anticorps anti-IL-17 (déjà disponible pour le psoriasis, intéressant pour certaines formes cliniques de dermatite atopique), et un anticorps anti-TSLP (lymphopoïétine stromale thymique). Les cibles thérapeutiques sont donc multiples et probablement combinables.

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques dans l’urticaire chronique spontanée

Si 20 % de la population générale aura au moins un épisode d’urticaire aiguë, moins de 10 % développeront une urticaire chronique (UC) qui durera au moins 6 semaines. Aiguë ou chronique, l’urticaire se manifeste par des plaques érythémateuses et œdémateuses prurigineuses et/ou des angiœdèmes, fugaces et mobiles. L’impact de l’UC sur la qualité de vie est majeur, avec des scores de qualité de vie comparables à ceux des insuffisants coronariens [11]. Depuis 2015, les patients adultes et adolescents à partir de 12 ans, avec une UC spontanée rebelle aux anti-histaminiques seuls (environ 10 % des cas) peuvent bénéficier d’un traitement additionnel par omalizumab (Xolair®) 300 mg par voie sous-cutanée toutes les 4 semaines. Il s’agit d’un anticorps monoclonal humanisé de sous-classe IgG1 anti-IgE, dont le mécanisme d’action est mal compris dans l’UC : il préviendrait la dégranulation mastocytaire par internalisation des récepteurs de la région Fc des IgE de type I (RFceI) non occupés [12]. Trois études pivotales industrielles, ASTERIA I et II et GLACIAL [13-15], ont permis de montrer son efficacité et sa bonne tolérance chez 978 patients urticariens. Les critères de jugement comportaient des scores d’activité, tels que l’UAS (urticaria activity score) et le score de sévérité du prurit (ISS, itch severity score). Dans le groupe de patients traités par omalizumab à 300 mg, l’amélioration des scores a été significative par rapport au placebo (Tableau II). Dans les recommandations internationales sur l’urticaire chronique de 2018, l’omalizumab figure en 3e ligne de traitement, après échec des anti-histaminiques (1re ligne), des anti-histaminiques à posologie augmentée (2e ligne) [16]. D’autres molécules sont en cours de développement et/ou d’étude dans l’urticaire chronique, comme le ligélizumab (NCT03580356).

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques dans les angiœdèmes héréditaires

L’angiœdème héréditaire, dû à un déficit en inhibiteur de la C1 estérase (C1 inhibiteur, C1-INH), est une maladie rare (1 naissance sur 50 000, en Italie) caractérisée par la survenue imprévisible de crises d’angiœdème de topographie variable, y compris au niveau de la muqueuse intestinale. L’atteinte laryngée touchera la moitié des patients au moins une fois et sera létale sans traitement dans 25 % des cas [17]. Il s’agit d’une affection autosomique dominante par mutation du gène SERPING1 codant le C1-INH. La forme mutée de C1-INH n’exerce plus son contrôle négatif sur la production de bradykinine par les kininogénases5. Cette surproduction de bradykinine entraîne alors une extravasation plasmatique brutale par fixation à des récepteurs membranaires endothéliaux, responsable des symptômes. La prophylaxie à long terme des crises est proposée en cas de crises fréquentes (plus de 5 par an en France, Tableau III ), mais l’utilisation au long cours des molécules disponibles est parfois problématique chez certains patients avec des antécédents thromboemboliques ou avec un capital veineux appauvri. Le lanadélumab, un AcM humain dirigé contre la kallikréine inhibe son action protéolytique sur le kininogène de haute masse moléculaire. Il prévient donc la formation excessive de bradykinine (Figure 1). Il est administré à la posologie de 300 mg toutes les 2 semaines par voie sous-cutanée, actuellement en phase post-ATU (autorisation temporaire d’utilisation) de cohorte, chez les patients de plus de 12 ans. L’étude HELP [18] a montré une diminution significative du nombre mensuel de crises avec le lanadélumab versus placebo, passant respectivement de 3,5 et 4 crises par mois à 0,26 (contre 1,97) avec une bonne tolérance clinique immédiate, en dehors de douleurs aux points d’injection.

Conclusion

En dermatologie inflammatoire, les AcM thérapeutiques sont toujours plus nombreux, toujours plus performants. Des questions concernant leur place, leur coût, leur innocuité à long terme, la durée du traitement, la définition de marqueurs clinico-biologiques prédictifs de leur efficacité, se posent encore à l’heure où de nouvelles molécules telles que les inhibiteurs de la kinase Janus font déjà leur apparition dans le même champ de dermatoses. Leur utilisation et celle des traitements topiques ou des anti-histaminiques ne sont pas mutuellement exclusives dans l’eczéma et l’urticaire chronique, de même que le recours à l’éducation thérapeutique du patient, qui devrait être un pré-requis à leur prescription pour s’assurer d’abord de sa pertinence, puis de son optimisation.

Liens d’intérêt

L’auteure est consultante ponctuelle pour les laboratoires Novartis, Sanofi, Janssen, AbbVie. Elle a bénéficié de prises en charge de frais de congrès.

 
Footnotes
1 La LEMP est une affection subaiguë démyélinisante du système nerveux central, attribuable à une infection par le virus JC.
2 Le score EQ-5D est un instrument pour mesurer la qualité de vie liée à la santé (QdVS). Il s’agit d’un questionnaire simple et rapide qui permet d’évaluer l’impact de l’état de santé sur la qualité de vie selon 5 dimensions: mobilité, autonomie personnelle, activités courantes, douleurs/gêne et anxiété/dépression. Chaque item a cinq niveaux de réponse.
3 La filaggrine est un acteur majeur de la différenciation terminale des kératinocytes et de la formation de la barrière cutanée.
4 Les récepteurs de type II lient l’IL-4 et l’IL-13. Ils sont constitués d’une chaîne IL-4Rα et d’une chaîne IL-13Rα1.
5 L’hydrolyse du kininogène par les kininogénases conduit à la production de la bradykinine qui agit sur les muscles lisses, ce qui dilate les vaisseaux sanguins, et qui augmente la perméabilité des capillaires.
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