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Med Sci (Paris). 35(12): 1098–1105.
doi: 10.1051/medsci/2019218.

La région charnière des anticorps thérapeutiques
L’importance capitale d’une courte séquence

Quentin Deveuve,1 Valérie Gouilleux-Gruart,1,2 Gilles Thibault,1,2 and Laurie Lajoie1*

1Université de Tours, EA7501 GICC (Groupe Innovation et Ciblage Cellulaire), équipe FRAME (Fc Récepteurs, Anticorps et MicroEnvironnement), 37032 Tours, France
2Service d’immunologie, CHRU de Tours, 37044Tours, France
Corresponding author.
 

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L’importance des anticorps monoclonaux (AcM) thérapeutiques a été illustrée en 2018 par le prix Nobel de physiologie ou médecine décerné à James Allison et Tasuku Honjo pour leurs recherches sur le traitement des cancers par inhibition des points de contrôle immunitaire. Actuellement, les AcM thérapeutiques sont utilisés dans diverses pathologies et agissent selon différents mécanismes (agonisme/antagonisme, neutralisation, cytotoxicité) résultant de leur dualité structurale et des nombreux formats développés par ingénierie. Ainsi, le choix du format optimal demeure un enjeu majeur dans le développement des nouveaux AcM.

Les immunoglobulines G humaines (IgG) : relation structure/fonctions

Les AcM thérapeutiques ayant obtenu à ce jour une autorisation de mise sur le marché (AMM) ont dans leur grande majorité une structure d’immunoglobuline G (IgG) humaine intégrale et possèdent ainsi une dualité fonctionnelle. On distingue la région Fab (fragment antigen binding) permettant la liaison à l’antigène, et la région Fc (fragment crystallisable), assurant les fonctions effectrices de l’anticorps. En effet, cette dernière est capable d’activer la voie classique du complément par le recrutement de la protéine soluble C1q ou les effecteurs cellulaires par l’intermédiaire des récepteurs pour la région Fc des IgG (RFcγ). Ces différents effecteurs de l’immunité peuvent ainsi agir sur l’antigène ou la cellule qui l’exprime. La région Fc est également capable de se lier au récepteur néonatal pour la région Fc des IgG (FcRn) impliqué dans leur demi-vie. Ces deux régions, Fab et Fc, sont reliées par la région charnière qui est essentielle à la conformation spatiale de l’anticorps.

S’il existe classiquement quatre sous-classes d’IgG chez l’homme, définies par la nature de leur chaîne lourde (γ1, γ2, γ3 et γ4), seuls des AcM au format d’IgG1, IgG2 et IgG4 sont présents sur le marché. La structure de type IgG1 est celle retenue pour les AcM dits « cytolytiques » qui ont, après leur liaison à l’antigène cible, une forte capacité à recruter les effecteurs de l’immunité. L’effet cytolytique peut résulter d’un mécanisme de cytotoxicité dépendante du complément (CDC), de la phagocytose cellulaire dépendante des anticorps (ADCP) ou encore de la cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC). Lorsque le recrutement des effecteurs immunitaires n’est pas désiré, la structure privilégiée est alors celle des IgG2 ou des IgG4. C’est notamment le cas des AcM qui ciblent la molécule inhibitrice PD-1 (programmed cell death 1), tels que le nivolumab (Opdivo®) et le pembrolizumab (Keytruda®), tous les deux des IgG4. Ces anticorps empêchent l’interaction de PD-1 avec son ligand PD-L1 (programmed death-ligand 1), permettant ainsi la levée de l’anergie des lymphocytes T présents dans l’environnement tumoral. Les AcM de classe IgG3 n’ont pas été développés à des fins thérapeutiques, essentiellement en raison de leur faible demi-vie (8 jours). Cependant, les IgG3 possèdent de très fortes capacités de recrutement des effecteurs de l’immunité et l’absence d’AcM de ce format en clinique reste discutable.

Bien que la séquence protéique de leurs chaînes lourdes soit très conservée (90 % d’homologie), chacune des sous-classes possède des capacités fonctionnelles propres résultant largement des différences localisées dans la région charnière (29 % d’homologie).

La région charnière : pivot des mécanismes de recrutement des effecteurs

La région charnière (hinge en anglais) est une région hydrophile longtemps considérée comme un simple lien flexible entre les régions Fab et la région Fc de l’immunoglobuline. Cependant, sa taille et sa composition protéique conditionnent la flexibilité générale des IgG ainsi que la fonctionnalité de l’anticorps de par ses interactions avec les effecteurs de l’immunité. Selon la sous-classe, la région charnière des IgG est codée par un exon (IgG1, IgG2 et IgG4) ou plusieurs (IgG3). Toutefois, la structure de la région charnière inclut une partie du domaine CH2 de la chaîne lourde. En effet, au niveau protéique, le motif APEXX(G)GP (Figure 1), codé par l’exon du domaine CH2, possède une structure lâche et désorganisée similaire à celle de la charnière [1]. Ainsi, comme le suggère Burton et al., nous définirons la région charnière en 3 sous-parties : la charnière haute qui débute au niveau du glutamate en position 219 (E219), en position C-terminale du domaine CH1, sachant que la position de ce glutamate peut être décalée de ± 2 unités selon l’AcM considéré; la charnière centrale, riche en proline et cystéine, qui contient les ponts disulfures liant les deux chaînes lourdes; et la charnière basse, qui s’étend jusqu’à la proline en position 241 pour les IgG1, 237 pour les IgG2, 288 pour les IgG3 et 238 pour les IgG4, précédant la partie N-terminale du premier brin β du domaine CH2 (Figure 1 et Table 1).

La charnière basse
Cette charnière basse est composée d’une séquence d’acides aminés (AA) impliquée dans la liaison aux RFcγ et au C1q (en jaune dans la Figure 1 ). Ces interactions asymétriques n’impliquent pas les mêmes AA de chacune des deux chaînes lourdes. La fixation aux RFcγ repose directement sur des liaisons avec les AA de la région charnière (Figure 2A). En revanche, bien que le C1q interagisse uniquement avec des AA du domaine CH2, la structure tridimensionnelle de la charnière, proche du site d’interaction, conditionne cette liaison (Figure 2B) [2]. Le rapprochement des régions Fc de plusieurs molécules d’anticorps, via des interactions au niveau de la zone d’interface CH2-CH3, est indispensable pour former une structure multimérique permettant la liaison efficace du C1q. L’hexamère d’Ig est ainsi la structure optimale pour l’ancrage des six têtes globulaires du C1q, alors que le trimère, et plus récemment le pentamère, ont été décrits somme les structures minimales pour la liaison du C1q et l’activation de la voie classique du complément [3]. Les substitutions présentes dans la séquence des IgG2 et IgG4 (Figure 1) sont associées à une diminution de leur interaction avec les RFcγ et le C1q [4, 5], et à des activités de CDC, ADCP et ADCC faibles, voire nulles. L’ensemble de ces données montre que le choix de la charnière basse et/ou de la sous-classe d’IgG est un point clé dans le développement d’un AcM thérapeutique.

La charnière haute et centrale
Si la région basse de la charnière est nécessaire à l’activation des fonctions effectrices, elle n’est pas suffisante. Guddat et al. ont révélé, à l’aide de la cristallographie, qu’en l’absence des charnières haute et centrale, les régions Fab d’une IgG1 étaient très proches de la région Fc. Cet encombrement stérique empêche alors l’accès du C1q à son site de fixation, sans compromettre l’accessibilité à celui du RFcγI [6]. La charnière haute et centrale est constituée de 11 AA pour les IgG2 et les IgG4, 14 pour les IgG1, et 61 pour les IgG3. La taille que donne ce nombre d’AA joue un rôle prépondérant pour obtenir la distance suffisante entre les Fab et le Fc favorable au déclenchement des réponses effectrices. Il est important de noter que les acides aminés supplémentaires que présentent les IgG1 par rapport aux IgG2 et IgG4, favorisent le recrutement des effecteurs (Figure 1).

La structure protéique des charnières haute et centrale module la conformation spatiale des IgG. Plusieurs études de cristallographie et de dynamique moléculaire ont ainsi montré que les charnières haute et centrale permettent la torsion, la flexion et l’extension des régions Fab, définissant ainsi la notion de flexibilité de la charnière des anticorps (Figure 3) [7]. Par une approche d’interaction entre anticorps et anticorps anti-idiotype1, Roux et al. ont montré la variabilité de cette flexibilité. Dans ce modèle, l’interaction entre des IgG1, par les régions Fab, entraîne la formation d’une grande quantité de dimères, démontrant la capacité de ces régions à adopter une conformation « fermée ». Au contraire, l’interaction entre des IgG2 génère une forte proportion de tétramères, la rigidité de la charnière de cette sous-classe ne permettant pas aux régions Fab d’adopter une conformation fermée. Un ratio important dimère/tétramère indiquera ainsi une flexibilité accrue de la charnière.

La flexibilité des sous-classes varie selon l’ordre suivant : IgG3>IgG1>IgG2=IgG4 ; la charnière des IgG3 conférant le plus de flexibilité aux régions Fab et Fc de par sa grande taille [8]. Bien que cette flexibilité soit associée à la capacité de chaque sous-classe à interagir avec les effecteurs de l’immunité, elle n’explique que partiellement leur activité. En fait, plus la structure de la charnière est flexible, plus la capacité à recruter les effecteurs de l’immunité est élevée [9]. La région charnière des IgG3, presque 4 fois plus longue que celle des IgG1, permettrait le meilleur recrutement des effecteurs immunitaires. Toutefois, la flexibilité des IgG1 permet d’offrir un angle optimal à la fixation des RFcγ et du C1q [10]. Les IgG2 possèdent une charnière courte et peu flexible. Cette rigidité s’explique par la conformation de cette sous-classe et par la présence de quatre ponts disulfures au sein de sa charnière centrale. Plusieurs appariements possibles entre les cystéines des chaînes lourdes et légères entraînent la formation d’isomères naturels de cette sous-classe dont la fonction reste à explorer [11].

Les deux charnières centrales des IgG4, constituées de la séquence CPSC, possèdent la particularité de pouvoir se dissocier in vivo et générer des hémi-IgG4. La présence d’une sérine à la place d’une proline en position 228 entraîne le rapprochement des cystéines d’une même chaîne conduisant à la formation de ponts disulfures intra-chaînes [12]. C’est le cas du natalizumab (Tysabri®, une IgG4 anti-intégrine α4β1) qui, sous la forme d’hémi-IgG, peut se réassocier avec une hémi-IgG4 endogène et former un anticorps bispécifique indésiré [13]. Cette particularité résulte également de la présence d’une arginine en position 409, qui diminue les interactions entre domaines CH3. La courte charnière des IgG4 entraîne une faible flexibilité qui ne permet pas aux effecteurs immunitaires d’accéder à leur site de liaison sur l’immunoglobuline [14]. L’ensemble des caractéristiques que nous avons décrites font ainsi de la région charnière une région pivot pour la modulation de l’activité immunologique des AcM thérapeutiques. En modifiant la séquence ou le nombre de ponts disulfures de la région charnière d’un AcM, il est ainsi possible de modifier à façon ses propriétés.

L’ingénierie de la région charnière pour l’optimisation des fonctions effectrices

Les nombreux progrès en ingénierie moléculaire ont permis, par l’humanisation des AcM thérapeutiques, d’augmenter leur demi-vie, de réduire leur immunogénicité et d’accroître ainsi leur efficacité. Toutefois, au sein de la diversité des formats dérivés de la structure des IgG, les modifications de la région charnière représentent un point clé pour la modulation de leur fonctionnalité. Ainsi, la mutation S228P2, en stabilisant la région charnière des IgG4 et, par conséquent, en inhibant la formation d’hémi-IgG [15], a permis une avancée majeure dans le développement des AcM sous ce format. C’est le cas pour le nivolumab et le pembrolizumab utilisés chez les patients atteints de cancer, et de l’ixekizumab (Taltz®, IgG4 anti-IL(interleukine)17) dans le traitement du psoriasis [16]. L’introduction de cette mutation n’améliore cependant pas les fonctions effectrices de cette sous-classe, ce qui en fait la sous-classe de choix pour les AcM pour lesquels une fonction cytotoxique n’est pas recherchée. Il est à noter que la rigidité de la région charnière des IgG4 ne permet pas une accessibilité optimale des régions Fab aux antigènes ciblés. Plusieurs laboratoires ont développé des AcM dont la structure est fondée sur celle d’une IgG1, mais dépourvue d’activité cytolytique. Il est ainsi possible de combiner les mouvements des régions Fab de cette sous-classe à des mutations de la région charnière, permettant d’éteindre les fonctions effectrices : une méthode que l’on appelle Fc silencing.

Une première stratégie consiste à muter les acides aminés de la charnière basse directement impliqués dans l’interaction avec les effecteurs de l’immunité. Ainsi, la substitution L239A (Leucine239 en Alanine) et G241A (Glycine241 en Alanine), permet au védolizumab (Entyvio®, une IgG1 anti-intégrine α4β7), utilisé dans des pathologies inflammatoires chroniques, d’empêcher l’accès des lymphocytes T mémoires au site inflammatoire mais les préserve de la lyse [17]. L’anifrolumab (une IgG1 anti-récepteur de l’IFN[interféron] α) est un autre exemple de silencing pour un AcM actuellement en phase III dans le traitement du lupus. Dans ce cas, il s’agit d’un triple mutant L234F/L235E/P331S3 qui permet d’abolir toutes les fonctions effectrices de l’immunoglobuline [18, 19].

Les mutations réalisées au sein de la région charnière ont en majorité pour but d’abolir les fonctions effectrices. Toutefois, il est possible de potentialiser l’effet antagoniste d’un AcM par des mutations touchant la charnière haute. La rigidité de la structure ainsi obtenue limite les mouvements des régions Fab, empêchant la dimérisation de la cible à la surface de la cellule4 [20].

La mutation S219C (sérine219 remplacée par une cystéine) du rituximab (Mabthera®), une IgG1 anti-CD20, potentialise l’effet pro-apoptotique de l’AcM in vitro en restreignant les mouvements des régions Fab de l’anticorps. La charnière basse n’étant pas modifiée, le rituximab conserve sa capacité à activer les fonctions effectrices [21]. Ces récentes études précisent l’importance de certains AA de la région charnière pour l’optimisation des AcM à usage thérapeutique.

La région charnière est également un élément clé pour la bioconjugaison des anticorps « armés » (antibody drug-conjugated, ADC). En effet, si le bras de conjugaison est couplé aux cystéines des ponts disulfures de l’AcM, sa structure générale pourra s’en trouver modifiée, inhibant ainsi les fonctions liées à sa région charnière. Cette région peut également être capitale dans la conception de nouveaux formats d’AcM. Wang et al. ont montré qu’un anticorps « triple tandem », c’est-à-dire possédant deux régions Fab et trois régions Fc reliées par une région charnière, présentait une meilleure CDC et une efficacité augmentée dans un modèle d’infection à Klebsiella pneumoniae [22]. Cette stratégie permet d’améliorer l’avidité de l’AcM pour les effecteurs de l’immunité en multipliant les sites d’interaction. L’ensemble des exemples que nous avons décrits montre ainsi l’intérêt majeur de considérer la région charnière comme une région clé pour le développement de nouvelles molécules thérapeutiques utilisant une région Fc.

Le clivage de la région charnière

Bien qu’il soit possible d’améliorer les capacités fonctionnelles d’un AcM en modifiant la région charnière, il est indispensable de préciser que cette région présente la particularité d’être sensible au clivage protéolytique. Historiquement, ce phénomène a permis l’obtention des fragments5 Fab et F(ab’)2 par l’utilisation respectivement de la papaïne et de la pepsine [23, 24]. Ces 2 protéases ont été d’une grande utilité pour caractériser et comprendre la structure des anticorps.

Implication du microenvironnement dans le clivage in vivo
Des études récentes ont montré que la région charnière des IgG était sensible au clivage par des protéases qui sont retrouvées dans le microenvironnement tumoral et/ou inflammatoire, telles que les métalloprotéinases matricielles (MMP3, MMP7, MMP12, MMP9) et la cathepsine G, ou encore dans des situations infectieuses (comme l’IdeS, pour immunoglobulin-degrading enzyme of Streptococcus pyogenes ou la glutamyl endopeptidase GluV8 de Saphyloccocus aureus)[25]. Bien que ce phénomène ait été évalué in vitro, plusieurs études rapportent la détection d’IgG clivées dans des biopsies de tumeurs ainsi que dans le liquide synovial de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde [26]. Les protéases présentes dans des biopsies issues de patients atteints de maladies inflammatoires intestinales sont d’ailleurs capables de cliver l’adalimumab (Humira®, IgG1 anti-TNF-α), l’infliximab (Remicade®, IgG1 anti-TNFα) et l’étanercept (Enbrel®, protéine de fusion TNFR-Fc) [27]; l’étanercept, composé d’une région charnière et de la région Fc d’une IgG1, est plus facilement clivé par la MMP3 et la MMP12 que ces deux AcM anti-TNF-α. La structure de la molécule thérapeutique est donc un point clé dans ce mécanisme de clivage protéolytique puisque la nature de la charnière basse conditionne la susceptibilité au clivage.
Cinétique de clivage
Pour la plupart, les protéases décrites clivent séquentiellement la charnière basse des IgG au niveau de sites spécifiques conservés entre les sous-classes (Figure 4). Un premier clivage rapide de l’une des deux chaînes lourdes entraîne la formation d’IgG simple clivée (scIgG). Le clivage de la seconde chaîne lourde, plus lent, produit un fragment F(ab’)2 et libère le fragment Fc. Bien que l’hypothèse n’ait pas été vérifiée, il est postulé que le premier clivage modifie la conformation des scIgG, limitant la vitesse du second clivage [28]. La cinétique de clivage est propre à chacune des protéases. Pour une même IgG1, le clivage par l’IdeS s’effectue en quelques minutes tandis que celui réalisé par la MMP3 et la MMP12 nécessite plusieurs heures [25, 26]. La cinétique de clivage des IgG2 par l’IdeS est plus lente [29] et les substitutions d’AA au sein de la charnière de cette sous-classe (Figure 1 ) la rendent complètement résistante au clivage par les MMP, au contraire des IgG1 et IgG4. Finalement, la structure de la molécule thérapeutique (IgG versus protéine de fusion) ainsi que la composition de la région charnière sont les seuls paramètres connus capables d’influencer la susceptibilité au clivage protéolytique.

Le clivage se situant dans la région charnière basse a des conséquences fonctionnelles très importantes. Il est évident que la génération de fragments F(ab’)2 d’un AcM entraîne une perte des fonctions effectrices reposant sur la région Fc et une élimination rapide de l’anticorps, qui n’est plus pris en charge par le FcRn. Pour les scIgG, en revanche, les interactions des glycanes des deux chaînes lourdes ainsi que celles des domaines CH3 permettent de conserver la structure de l’IgG (c’est-à-dire avec une région Fc complète) [25], et leur fixation au FcRn n’est pas altérée. La demi-vie in vivo des scAcM est ainsi comparable à celle des AcM intacts [25].

Mécanismes d’échappement aux thérapies dépendantes d’une région Fc
Le simple clivage d’un anticorps anti-CD20 entraîne une inhibition de son interaction avec les RFcγIIa, les RFcγIIIa, alors que l’interaction avec le RFcγI est peu diminuée. Les fonctions effectrices associées telles que l’ADCC ou la CDC ne sont également plus activées efficacement lorsque les effecteurs immunitaires sont stimulés par le sc-trastuzumab ou le sc-pertuzumab (Perjeta®, IgG1 anti-HER2/neu), les formes scIgG des AcM [30]. De même, Fan et al. ont montré que le sc-trastuzumab est incapable d’éliminer efficacement les cellules tumorales HER2/Neu+ chez des souris xénogreffées [31]. Le clivage des AcM entraîne donc des conséquences fonctionnelles favorisant l’échappement au traitement par les anticorps.

Si le clivage de la charnière basse semble capital lorsqu’il s’agit des fonctions effectrices reposant sur la région Fc, il ne faut toutefois pas négliger le clivage de la charnière haute des IgG par plusieurs protéases, telles que l’élastase humaine qui est sécrétée par les neutrophiles. Ce type de clivage devient problématique lors du développement d’un anticorps bispécifique qui perdrait une des 2 régions Fab suite à la coupure protéique. Le mécanisme premier de ce type d’anticorps serait alors aboli.

Des modifications de la charnière basse peuvent être envisagées pour contrer ce phénomène protéolytique. Ainsi, une étude a récemment montré que la substitution des résidus ELLG de la charnière basse d’une IgG1 par les résidus PVA de la charnière basse d’une IgG2 permettait de rendre un AcM anti-CD20 résistant au clivage par la MMP3 et la MMP12 (Figure 1). Il a néanmoins été nécessaire d’introduire les mutations S239D et I332E afin de restaurer les fonctions effectrices de l’AcM [32]. Cette approche représente un premier pas vers l’élaboration d’anticorps résistant au clivage protéolytique.

Détection du clivage des IgG endogènes
Le clivage des IgG engendre des néoépitopes, dès la forme scIgG, qui sont à l’origine de la production d’anticorps anti-charnière (AHA ou anti-hinge antibody). Ces AHA sont spécifiques des AA C-terminaux du site de clivage mais ne reconnaissent pas la région charnière d’IgG non clivée [33]. Physiologiquement, ces AHA soulèvent de nombreuses questions, puisqu’une étude rapporte qu’ils sont détectables chez 70 % des sujets sains [34]. Leur présence suggère donc que le clivage des IgG se réalise in vivo, dans la population générale. In vitro, ces AHA peuvent restaurer indirectement les fonctions d’ADCC et de CDC à des scIgG et des fragments F(ab’)2, en procurant une région Fc fonctionnelle aux molécules clivées une fois fixés à celles-ci [35]. Si l’importance clinique de ces AHA reste à explorer, leur spécificité permet de les utiliser comme outils. Par une approche d’immunisation peptidique, Ryan et al. ont en effet développé des AHA dirigés contre les sites de clivages de la MMP3, de la cathepsine G et d’IdeS [26]. Cette stratégie reste néanmoins discutable puisqu’elle utilise des peptides linéaires excluant ainsi la reconnaissance d’épitopes conformationnels.
Marqueur de pronostic clinique chez les patients
L’utilisation d’AHA a permis de montrer qu’une augmentation de scIgG dans le tissu tumoral chez des patientes présentant un cancer du sein était associée à une évolution clinique péjorative, en particulier à la présence de métastases dans les ganglions axillaires drainants [36]. Biancheri et al. ont montré qu’un niveau élevé de scIgG dans le sérum de patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin est également associé à une mauvaise réponse clinique à des traitements par des anticorps anti-TNF-α [27].

Le clivage des AcM thérapeutiques in vivo apparaît donc possible. Si la présence des scIgG a pu être détectée ex vivo, la proportion des formes clivées des AcM thérapeutiques chez les patients traités n’a pas été évaluée à ce jour. Au vu des conséquences fonctionnelles du clivage, qui n’influencent cependant pas la fixation au FcRn, il paraît nécessaire de développer des méthodes de quantification de ces formes clivées chez le patient. Finalement, évaluer la quantité de formes clivées d’AcM circulantes permettrait d’améliorer les modèles pharmacocinétiques et d’adapter les doses d’anticorps dans la prise en charge des patients.

Application de la susceptibilité au clivage de la région charnière à la réduction de la pathogénicité d’(auto-)anticorps
En clinique, il est possible de tirer profit du mécanisme de clivage des anticorps dans le cas où le traitement repose sur l’élimination d’anticorps pathogènes. Dans un modèle animal du syndrome de Guillain-Barré impliquant des anticorps pathogènes développé chez le lapin, il a en effet été montré que la survie des animaux traités par l’IdeS de Streptococcus pyogenes (qui clive les anticorps) était augmentée en comparaison de celle de lapins contrôles [37]. L’utilisation de protéases est donc envisageable dans des maladies nécessitant une élimination rapide des anticorps responsables de la pathologie. Une étude a ainsi récemment montré que l’utilisation d’IdeS (Imfilidase®) était bénéfique dans l’élimination des anticorps anti-Human Leukocyte Antigen (HLA) (donor specific antibody ou DSA) pour la prévention du rejet de greffe rénale induite par ces anticorps [38,39]. Le clivage des anticorps pathogènes par l’IdeS semble également être une piste prometteuse dans le traitement des thrombocytopénies induites par l’héparine [40].
Conclusion

L’utilisation des AcM et des protéines de fusion pour le traitement de cancers et de maladies inflammatoires chroniques est aujourd’hui en plein essor. Une grande proportion de ces biomédicaments a la particularité d’être pourvue d’une région Fc capable d’interagir, via la charnière basse et le domaine CH2, avec les effecteurs de l’immunité. Les progrès en ingénierie moléculaire ont permis de générer des formats d’AcM adaptés à des pathologies données. Les modifications apportées, plus particulièrement au niveau de la charnière basse, ont permis de moduler l’efficacité de ces molécules thérapeutiques. La compréhension de la relation structure/fonction des charnières haute et centrale reste cependant à approfondir. Parmi ces nombreuses innovations, la problématique du mécanisme de clivage protéolytique concerne l’ensemble des formats. De nouvelles modifications de la région charnière semblent nécessaires afin de rendre les formats d’AcM résistant à la protéolyse in vivo. Les conséquences fonctionnelles de ce phénomène rendent également compte de la nécessité de développer des outils permettant leur quantification in vivo chez les patients afin de déterminer si les formes clivées représentent des marqueurs d’intérêt en clinique humaine. Dans l’affirmative, cette approche théranostique permettrait d’améliorer la prise en charge des patients traités par ces biomédicaments.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Q. Deveuve est financé par l’agence nationale de la recherche dans le cadre du programme Investissements d’avenir (n° ANR-10-LABX-53-01).

 
Footnotes
1 Un anticorps anti-idiotype reconnaît le domaine variable d’un autre anticorps.
2 Sérine en position 228 remplacée par une proline.
3 Leucine234>phénylalanine ; leucine235>glutamate ; proline331>sérine.
4 WO2010064090: Process for the modulation of the antagonist activity of a monoclonal antibody.
5 Le fragment F(ab’)2 est constitué de deux Fab liés par deux ponts disulfures.
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