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Med Sci (Paris). 35(12): 1163–1170.
doi: 10.1051/medsci/2019231.

Développabilité

Jacques Dumas,1a Sylvain Huille,2b and Catherine Prades1c

1Biologics Research/Sanofi R&D, 13 quai Jules Guesde, 94403Vitry-sur-Seine, France
2Biologics Drug Products Development/Sanofi R&D, 13 quai Jules Guesde, 94403Vitry-sur-Seine, France
Corresponding author.
 

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De nos jours il ne suffit pas de découvrir un anticorps capable de faire ce pourquoi il a été « designé » (conçu structuralement et fonctionnellement), c’est-à-dire reconnaître une cible antigénique, qu’elle soit circulante ou membranaire, puis bloquer ou stimuler l’activité biologique de la dite cible, mais il faut en plus que cette molécule soit un agent thérapeutique « développable ». Par développable, nous entendons que l’anticorps thérapeutique doit être produit avec un certain rendement (ratio quantité/qualité/coût) et doit être compatible avec le mode d’administration visé (infusion intraveineuse, injection par voie sous-cutanée avec ou sans dispositif d’injection) dans une formulation qui en assure la stabilité selon les conditions bien décrites par l’ICH (conseil international d’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrement des médicaments à usage humain, ICH Q6B et Q5C concernant les produits biologiques) appliquées par les agences règlementaires américaine (food and drug administration, FDA) et européenne (agence européenne des médicaments, EMA) et les industries pharmaceutiques… faute de quoi le projet se verrait stoppé après que des sommes importantes aient été dépensées en recherche et développement.

Il est donc nécessaire, dès les phases de recherche, de mettre en place des études précoces qui permettront de sélectionner le bon candidat, aligné en ce qui concerne ses propriétés avec les exigences du produit final attendu. Les groupes pharmaceutiques mettent alors en place des études de dévelopabilité rationalisées. La sélection des candidats est ainsi d’abord guidée par la fonction biologique puis immédiatement suivie par les propriétés physicochimiques adaptées aux phases de développement cliniques conférant une bonne stabilité et un faible taux d’agrégats. Enfin, les molécules candidates doivent correctement se produire dans le système d’expression (USP, upstream process), avec un bon rendement du procédé de purification (DSP, downstream process). Dans cet article, nous nous proposons de partager différentes considérations qui permettent aujourd’hui de générer des produits de plus en plus efficaces et robustes (Figure 1).

De la génération des anticorps monoclonaux aux premières étapes de sélection (Figure 2)

Quelle que soit la plateforme de génération d’anticorps monoclonal (AcM) utilisée, les premières étapes de sélection se feront en fonction des propriétés de reconnaissance de la cible, d’affinités plus ou moins importantes pour cette cible, puis de leurs activités biologiques. Actuellement, lors de cette phase de « découverte », les meilleurs anticorps d’activité biologique attendue sont évalués puis catégorisés sur la base de leurs séquences (originalité/diversité de séquence), leur germinalité1, leur contenu en résidus potentiellement problématiques dans les régions déterminantes de la complémentarité (CDR), mais aussi en fonction de leurs propriétés physicochimiques et structurales prédites. Bien entendu, un anticorps non-humain devra être humanisé le plus possible afin de limiter les risques d’immunogénicité. Le rôle des analyses in silico est ici particulièrement important. Ensuite, le format adapté à l’usage du candidat final devra être choisi: en effet, dès les phases en amont côté recherche, il convient de produire l’anticorps dans le format le plus proche du format final: mono-spécifique, multi-spécifique, fonction effectrice ou pas (choix de l’isotype de l’immunoglobuline, de la région Fc), anticorps conjugué à une molécule cytotoxique ou à une protéine de fusion, etc.

Enfin, il est nécessaire d’anticiper, dès la sélection de l’anticorps, le dispositif de délivrance du médicament qui devra être mis en œuvre en fonction de la voie d’administration.

Évaluation in silico

C’est donc fondé sur l’expérience et sur un ensemble de procédés mis en place pour développer une biomolécule que les différents groupes biopharmaceutiques vont identifier des molécules candidates présentant des propriétés prometteuses à un stade précoce du développement du médicament.

En effet, dès les premiers stades de découverte, seuls les anticorps ayant des taux de production corrects dans le système d’expression utilisé sont sélectionnés pour les phases ultérieures. Ledit système se doit donc d’être aussi proche possible de celui qui est envisagé ensuite pour la production.

Puis, l’évaluation in silico de la développabilité des AcM s’appuie sur des analyses de séquences et de structures se référant aux propriétés physicochimiques des protéines. Ces propriétés intrinsèques biochimiques et biophysiques prédites vont être évaluées lors de tests de stress forcés (ou « stabilité accélérée ») et peuvent être parfois associées à des variations de taux de production, d’efficacité, voire même parfois de tolérance (safety) in vivo. Certains de ces critères seront rédhibitoires pour la sélection du lead (molécule candidate phare) ; d’autres conduiront systématiquement à des modifications de l’anticorps (réingénierie par mutations ciblées de certains acides aminés). Ces motifs problématiques mis en évidence in silico pourront donc être modifiés sans trop affecter la qualité ou le niveau d’expression de l’anticorps, sa stabilité (physique ou chimique) et, bien sûr, dans la mesure où leur impact sur sa fonctionnalité reste minime.

Les modifications chimiques sur les résidus problématiques les plus décrits et connus comme ayant potentiellement des impacts majeurs sur la stabilité, l’expression, la viscosité et la solubilité sont les suivantes :

1. Les N-glycosylations et les cystéines libres dans les régions variables peuvent induire une modification de l’affinité, une plus grande hétérogénéité, un risque de l’augmentation de l’immunogénicité [1].

2. L’oxydation est un des mécanismes les mieux décrits concernant la dégradation des anticorps qui peut survenir lors de la production, la formulation ou le stockage du composé. Un certain nombre d’acides aminés peuvent être affectés, tels que les méthionines [2], les tryptophanes, en particulier dans les CDR, mais aussi les cystéines, histidines et tyrosines. Cette oxydation peut induire une diminution de la stabilité thermique ou augmenter la susceptibilité de l’anticorps à s’agréger. Les tryptophanes en s’oxydant peuvent aussi, sous certaines conditions, produire une coloration jaune orangée du produit final [3].

Ces oxydations dépendent de facteurs intrinsèques aux molécules telles que le temps d’exposition à la surface du résidu, mais aussi de facteurs externes tels que l’exposition à la lumière, le pH et la composition du tampon de formulation.

Aussi, la mise en place de contrôles appropriés tout le long du procédé afin d’évaluer la susceptibilité de ces acides aminés à s’oxyder sera importante et pourra parfois être maitrisée par une formulation appropriée [4].

3. La déamidation des asparagines plus particulièrement lorsqu’elles sont suivies d’une glycine et dans une moindre mesure de glutamines, induit la formation d’acide aspartique et iso-aspartique ou d’acide glutamique. Ceci peut parfois entraîner une diminution de l’affinité pour la cible. La déamidation peut aussi avoir lieu lorsque l’asparagine est suivie par une thréonine ou une sérine ; elle survient surtout lorsque l’acide aminé à risque est accessible au solvant ou s’il se trouve dans une région flexible. Le taux de déamidation est aussi fonction des conditions de pH, température, formulation et concentration du produit [5].

4. L’isomérisation des acides aspartiques (Asp) est aussi fréquemment rencontrée lorsqu’ils sont suivis d’une glycine, d’une sérine ou d’une histidine. Tout comme pour la déamidation, les paramètres structuraux peuvent impacter la propension de l’acide aminé à se dégrader. L’environnement structural, la flexibilité de l’anticorps, ainsi que la taille de l’acide aminé adjacent sont pris en compte dans la prédiction de la possibilité de dégradation des résidus Asp et Asn [6].

D’autres caractéristiques telles que la viscosité et le taux d’agrégation peuvent aussi avoir des conséquences sur la qualité du produit final. En effet, la propension des anticorps à s’agréger va non seulement générer une hétérogénéité du produit final, mais peut aussi diminuer l’activité du produit en induisant la formation de composants potentiellement immunogéniques [7]. Une corrélation a ainsi été montrée entre l’exposition de régions hydrophobes ou chargées et le taux d’agrégats ou une augmentation de la clairance du produit (soit son élimination métabolique, soit sa demi-vie) [8-10].

En fait, naturellement, les anticorps vont internaliser leurs régions hydrophobes pour exposer au maximum les domaines les plus hydrophiles – exception faite de certaines régions impliquées dans des interactions protéine-protéine (FcRn binding domain, CDR, etc.). Néanmoins, sous certaines conditions (stress thermiques, agitation, pH, augmentation de concentration), les anticorps pourront exposer plus ou moins certaines surfaces généralement moins exposées (hydrophobes ou chargées) ; ainsi, en augmentant les fréquences de contact protéine-protéine, les possibilités de formation d’agrégats augmentent proportionnellement [11, 12]. Les agrégats non covalents (interactions hydrophobes et/ou électrostatiques) peuvent être réversibles, mais les agrégats covalents (généralement formés par des ponts disulfures) sont quasiment irréversibles.

C’est ainsi que les logiciels de prédictions permettent d’identifier la propension des AcM à s’agréger, sur la base de l’identification de régions sujettes à l’agrégation et de leur contribution à la stabilité thermodynamique de la protéine [13]. Les charges et leur répartition ont également un impact sur la stabilité et la viscosité des anticorps formulés à haute concentration [14, 15].

Ces dernières années, la conception de logiciels s’est attachée à tenter de mieux prédire la tendance à l’agrégation des anticorps. Beaucoup d’algorithmes conçus à cet effet n’utilisent que leurs séquences. D’autres concepteurs suggèrent l’utilisation complémentaire des données de structure, lorsqu’elles sont disponibles [16]. Une méthode purement structurale est une des métriques de la propension d’agrégation structurale (SAP, pour spatial-aggregation-propensity) [17] qui identifie les points chauds pour l’agrégation en fonction de l’exposition dynamique d’acides aminés hydrophobes adjacents dans l’espace paramétré. Ce score permet de détecter des régions superficielles sujettes à l’agrégation, puis de classer les candidats par rapport à un anticorps connu. Un profil de développabilité, ou index de développabilité [18], peut alors être calculé, mais cette analyse au niveau atomique de la propension d’agrégation dépend des modèles d’homologie statique et, compte tenu de la précision de la prédiction des structures, elle fait parfois l’objet de discussion. Néanmoins, combiné à des approches de design rationnel, ce type d’analyse a démontré son utilité [19].

Alors que la découverte de médicaments du type « petites molécules chimiques » bénéficie de « la règle des cinq » de Lipinski2 pour guider la sélection de molécules aux propriétés biophysiques appropriées, il n’existait jusque-là aucune règle in silico similaire pour la sélection des anticorps. Une publication récente tente de combler ce manque pour les anticorps thérapeutiques. En effet, les auteurs ont construit un modèle d’anticorps monoclonal « développable » sur la base d’un ensemble d’anticorps thérapeutiques post-phase I. Ils ont ensuite dérivé cinq critères impliqués dans le potentiel de développabilité, et ont développé un outils nommé therapeutic antibody profiler (TAP), qui permet de calculer différents critères pour un anticorps candidat et de mettre en évidence ses forces et faiblesses comparé à des AcM thérapeutiques de référence [20].

Ces différents motifs et caractéristiques physicochimiques calculés in silico (Figure 3) seront réellement évalués expérimentalement lors des étapes de caractérisations et sous conditions de stress forcés. Il faut néanmoins noter qu’un certain nombre de motifs retrouvés très fréquemment in silico n’ont jamais aucun impact négatif sur la stabilité du composé et, par conséquent, aucune répercussion sur le développement de l’anticorps. À l’inverse, les motifs à risque affectant la capacité du candidat à obtenir un rendement acceptable, un profil de qualité approprié ou la possibilité d’être formulé pour la voie d’administration souhaitée, amèneront à une modification de la séquence d’acides aminés afin d’atténuer les risques identifiés.

Évaluation expérimentale: stress tests et sélection de candidats développables

Les outils in silico permettent donc de mieux comprendre les déterminants moléculaires des anticorps qui se « comportent » bien ou mal, mais ce sont les approches expérimentales efficaces, prédictives, rapides et à faible consommation de matériel protéique, nécessitant de la haute technologie, qui vont être systématiquement utilisées pour identifier les attributs défavorables à éviter avant de commencer le développement. Ainsi la stabilité, l’expression, les modifications chimiques et la solubilité sont des attributs qui sont systématiquement évalués expérimentalement [21].

Les différentes étapes de développabilité (Figure 2) se doivent d’être intégrées à la chaîne de génération-sélection des anticorps (hits puis leads et enfin candidat) afin de ne pas retarder le flux et l’identification de candidats, mais bien venir compléter les critères classiques.

Lors de la sélection de hits, il convient d’étudier, dans un premier temps, la stabilité chimique puis, dans un deuxième temps, lors de la sélection de leads, quand on dispose de plus de matériel, la stabilité physique.

Les stress de dégradations accélérées peuvent être réalisés de différentes manières: il peut s’agir de stress thermiques consistant à incuber l’anticorps plusieurs semaines à 40 °C ou lui faire subir des cycles de décongélation-recongélation, d’exposition à la lumière ou d’agitation, etc. [22]. Dans tous les cas, on analysera le produit au temps 0, puis à différents temps de stress afin d’observer des tendances de modifications. Bien entendu, il conviendra de tester le produit en solution dans différents tampons de pH variables, au moins un pH acide et un pH basique, en présence ou absence de sels, avec ou sans stabilisants tels que des polyols (sucrose), ou des surfactants (polysorbates).

La quantité de matériel purifié à chaque stade fixera les études possibles. En effet, certaines analyses sont plus consommatrices que d’autres en produit. Surtout, certaines études sont très rapides et peu coûteuses en protéine, comme la nanoDSF (differential scanning fluorimetry), d’autres modérément consommatrices mais coûteuses aussi bien en terme de technologie qu’en temps de manipulateur, comme la spectrométrie de masse en tandem (MS-MS) qui permet de réaliser des cartes peptidiques afin d’identifier les modifications post-traductionnelles (PTM). D’autres sont moyennement consommatrices mais longues en temps d’occupation des appareils et du manipulateur comme la chromatographie d’exclusion de taille (SEC, size exclusion chromatography). Les études effectuées lors des phases de recherche se veulent les plus pertinentes possibles en adéquation avec la quantité d’anticorps disponible ou qu’il est possible de produire. Il est alors assez évident que certaines études nécessitant des quantités élevées ne peuvent être réalisées dans les tout premiers stades de la découverte. C’est donc en fractionnant les études de développabilité en fonction du matériel qu’il est possible de produire que la stratégie est établie.

Les études de stabilité (tests de stress) comme les études de pharmacocinétique / pharmacodynamique (PK/PD) consomment quelques dizaines de mg. Elles ne sont donc réalisées qu’avec les meilleurs leads, car, au stade de sélection précoce, lorsque les anticorps se comptent par dizaines, voire centaines, ce type de productions n’est pas envisageable.

Les études prédictives concernant la formulation sont les plus consommatrices. Elles seront donc réservées pour la sélection du candidat au moment du passage de la recherche au développement. Un des facteurs limitants principaux est sans nul doute le fait qu’il faille atteindre des concentrations élevées en anticorps. Lors de productions à petites échelles (moins de quelques dizaines de mg) il est difficile de maîtriser une purification à haute concentration et/ou une étape de concentration ultérieure sans s’exposer à des pertes importantes et/ou agrégations. Il est cependant nécessaire d’utiliser les évaluations obtenues lors des études de stabilité et les résultats analytiques qui caractérisent le mieux possible biochimiquement et biophysiquement l’anticorps, afin d’éviter l’utilisation de tampons (pH pour les dilutions ou les concentrations) pouvant entraîner des difficultés en pharmacocinétique. Les mesures de turbidimétrie spectrale (à 280 nm), et la chromatographie (SEC) sont alors indispensables pour déterminer la quantité soluble de produit injectée dans les évaluations précliniques in vivo.

Avant de s’engager dans le développement de procédé, les voies spécifiques de dégradation de l’anticorps, qui peuvent affecter sa fonctionnalité biologique, les méthodes de contrôle du procédé et la stratégie déployée pour la formulation et le dispositif d’administration, devront être déterminées. Ces dégradations peuvent en effet affecter les caractéristiques PK/PD dans les études réalisées chez les primates non humains, ce qui pourrait conduire à l’arrêt du projet [23].

Parfois, les variations de glycosylation jouent un rôle important. Elles affectent en effet la qualité, l’homogénéité, voire l’activité de l’anticorps. C’est pourquoi les variants de glycosylation (N- et O-glycosylations) nécessitent d’être étudiés et documentés. Les méthodes de choix sont la chromatographie par échange de cations (CEX), l’iso-électro-focalisation (IEF ou cIEF) et la spectrométrie de masse une ou deux dimensions (1 ou 2D LC-MS). Le choix du candidat présentant le point isoélectrique optimal fera ainsi l’objet d’une attention particulière [24-28]. Une étude réalisée sur 23 anticorps approuvés par la FDA révèle des points isoélectriques variant entre 6,1 et 9,4, indiquant une variabilité importante, mais ces valeurs sont généralement en accord avec les prédictions obtenues en utilisant un logiciel tel que vector NTI ou d’autres logiciels ayant les mêmes fonctionnalités. Cette étude montre également que les taux de variants acides, déterminés par chromatographie d’échange de cations génériques, sont surestimés [29].

Les études de développabilité apportent donc les éléments nécessaires à la décision ou non qu’un anticorps candidat soit développé. Parfois, trop de signaux de danger nécessitent de nouveau une ingénierie afin de minimiser les risques identifiés. Une fois en phases de développement, il ne sera quasiment plus possible de modifier l’anticorps. Il est donc nécessaire que les études de pharmacocinétique et pharmacodynamique et les études de stabilité dans le sérum (afin d’identifier d’éventuelles protéolyses) soient réalisées très en amont.

Dans tous les cas, il sera important de garder à l’esprit que, s’agissant d’un produit biologique, toute modification lors des phases de développement et de production (USP et DSP ainsi que la mise en forme pharmaceutique Fill and Finish du produit injectable) peut engendrer des changements significatifs. C’est donc par une bonne anticipation et d’excellentes connaissances de l’anticorps, que les risques d’échec seront limités. Un processus de suivi (chemistry manufacturing and control, CMC) collectera toutes les informations concernant, lors des phases de recherche, l’expression, la purification, la stabilité, la solubilité. Ces informations consignées aideront aux décisions et à mieux comprendre la molécule. Elles seront transmises aux équipes chargées de produire la molécule candidate retenue.

Le profil recherché pour le produit considèrera la forme de dosage commerciale visée et le mode d’administration, et donc certains critères de développabilité. Se poseront ensuite les questions de la faisabilité de la fabrication, des risques d’instabilités à prévoir pour la formulation dans sa mise en forme pharmaceutique finale liquide ou lyophilisée, et de la compatibilité avec les dispositifs d’administration envisagés.

Le choix du candidat sélectionné et les dispositifs d’administration

Pour la quasi-totalité des produits biothérapeutiques, la voie d’administration est dite invasive et s’effectue par infusion intraveineuse ou par injection par voie sous-cutanée ou intramusculaire. La connaissance des besoins et des préférences du patient ou du personnel soignant est essentielle pour établir les caractéristiques du dispositif d’administration [30, 31]. En oncologie, la tendance est de faire en sorte que l’administration par voie intraveineuse, qui est généralement pratiquée en milieu hospitalier, soit la moins contraignante possible pour le patient et soit remplacée, si possible, par une approche ambulatoire rendue possible par l’utilisation de la voie sous-cutanée. De nombreux dispositifs d’injection, externes ou implantables, ont été développés pour faciliter l’administration par injection. L’utilisation de dispositifs automatiques ou semi-automatiques améliore la précision et la répétabilité du dosage, réduit le temps de préparation et libère du temps pour le personnel médical. Pour le traitement de maladies chroniques (hypercholestérolémie, eczéma atopique, polyarthrite rhumatoïde, etc.), l’administration par injection par voie sous-cutanée est privilégiée avec des dispositifs adaptés permettant au patient de suivre son traitement à domicile [32]. Ces dispositifs augmentent ainsi l’autonomie du patient en limitant, voire même en évitant, les déplacements à l’hôpital.

La posologie fixant la dose et la fréquence d’injection est adaptée pour la pathologie visée en fonction de l’activité de l’anticorps, de sa biodisponibilité (F%) et de sa demi-vie (t1/2) dans l’organisme. Les anticorps sont souvent utilisés à des doses thérapeutiques élevées, notamment pour des traitements oncologiques (souvent de l’ordre de 10 mg/Kg environ). D’importants efforts sont aussi consentis afin d’accroître leur activité ou d’optimiser leurs propriétés pharmacocinétiques (F% et t1/2). Par exemple, les demi-vies peuvent varier significativement d’un anticorps à l’autre, ce qui nécessite de produire des anticorps stables à hautes concentrations, solubles et stables en dilution sérique, sans risques majeurs d’agrégations sous conditions de stress externes (températures, lumière, agitations, etc.), et compatibles avec le dispositif d’administration. Certains anticorps ne peuvent être formulés en solution et requièrent une mise en forme pharmaceutique à l’état solide, sous la forme lyophilisée. Ces lyophilisats nécessitent d’être reconstitués en solution juste avant l’injection, ce qui représente des facteurs de stress supplémentaires.

Les auto-injecteurs sont largement utilisés pour l’injection d’anticorps thérapeutiques et les dispositifs de pompes portables pour la délivrance de grands volumes (au-delà de 2 ml et jusqu’à 10-20 ml) connaissent un développement important, en s’appuyant notamment sur les technologies de microfluidique. Dans ces dispositifs, de plus en plus sophistiqués, la présence de matériaux plastiques et d’interfaces hydrophobes telles que air / eau ou huile silicone / eau, ainsi que les contraintes de cisaillement sous écoulement qui s’exercent lors de l’injection, sont autant de paramètres critiques pour la stabilité de l’anticorps [33]. Le choix des matériaux et la conception des systèmes d’écoulements du dispositif dépendent aussi des propriétés de l’anticorps et de sa formulation. L’approche classique de développement séquentiel selon laquelle la structure et la séquence de l’anticorps sont conçues en premier, puis la formulation et, en toute fin, le dispositif d’administration, n’est plus applicable. Il faut au contraire que, dès l’évaluation de la développabilité, aucune décision de conception relative à l’anticorps, sa formulation et son dispositif d’administration ne soit prise séparément.

Le développement du dispositif d’administration doit suivre une approche intégrée prenant en compte toutes les composantes du développement de l’anticorps, de sa formulation et de sa mise en forme pharmaceutique (Figure 3). On peut figurer cette approche intégrée par des poupées russes s’emboîtant parfaitement l’une dans l’autre (Figure 4).

Ainsi, pour un auto-injecteur comme dispositif d’administration sous-cutanée, la structure et la séquence des anticorps déterminent la viscosité de la formulation et son augmentation avec la concentration. La concentration de formulation détermine le volume d’injection et limite donc potentiellement le choix du conteneur principal et de la technologie du dispositif d’administration. La concentration de formulation détermine également la stabilité de l’anticorps pour le stockage et pour les conditions d’utilisation et d’injection. La formulation et les caractéristiques de l’anticorps induisent des interactions potentielles avec le conteneur principal et sa stabilité. Les principaux composants du conteneur (matériau, lubrifiant, etc.) définissent la force de frottement et le diamètre (Gauge) de l’aiguille fixe la force hydrodynamique.

Ainsi, afin d’évaluer et choisir les anticorps les plus robustes dès les stades les plus précoces, les sociétés de développement biopharmaceutiques ont donc mis en place une série de tests de stress chimiques et physiques analysés par les technologies appropriées [21, 34]. Les résultats de ces tests servent ainsi à élaborer une prédiction de la stabilité des anticorps lors des périodes de stockage et pendant l’administration au patient ; ils permettent aussi d’écarter des dispositifs d’administration inappropriés pour un candidat donné ou, à l’inverse, d’écarter certains hits, si le type de dispositif d’administration est un prérequis.

Le défi est donc de maintenir une forte interface entre la recherche et le développement et d’anticiper au stade de la recherche les risques potentiels pour le développement. L’enjeu est d’aller rapidement de la découverte au patient en augmentant la qualité des biologiques, leur sécurité et le taux de succès.

Conclusion

Évaluer la développabilité d’un anticorps consiste donc, sur la base des connaissances acquises des propriétés biophysiques et biochimiques des molécules candidates, à améliorer leur qualité, leur efficacité, leur stabilité et leur tolérance. La connaissance de la séquence, de la structure, ainsi que des outils in silico permettant la prédiction des zones de risque de modifications chimiques ou physiques, participent au processus d’évaluation. Pour réussir leur développement, les anticorps doivent être bien exprimés, avoir l’effet biologique souhaité et présenter une bonne solubilité et une viscosité appropriée à des concentrations élevées. Cette capacité de développement des anticorps fait donc référence à la possibilité de développement réussi d’un anticorps candidat en un médicament anticorps stable, pouvant être fabriqué, sans danger et efficace.

Cette développabilité est donc un des critères de sélection important pour l’identification d’une molécule candidate clinique présentant des propriétés prometteuses à un stade précoce du développement du médicament. Par conséquent, la possibilité de monitorer et d’améliorer ces propriétés au moyen de méthodes in silico associées à des mesures expérimentales rationnelles est un domaine important permettant la diminution des coûts et des risques d’échec. Comme ces biomolécules sont des entités biologiques très sensibles au moindre changement et qui renferment encore beaucoup de secrets, la compréhension de leurs différents comportements spatio-temporels mérite des efforts collectifs afin d’identifier les meilleures pratiques allant de la biologie in silico à leur production, en passant par leur génération et sélection expérimentale. Une bonne évaluation de la développabilité est une des conditions préalables à un accès rapide aux phases cliniques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Définie par le pourcentage d’identité des domaines variables d’un anticorps avec les séquences germinales humaines de l’anticorps le plus proche (constituant l’index de germinalité (GI).
2 La règle de Lipinski (dire « règle des 5 ») prédit qu’une molécule absorbée oralement ne peut être active que si elle obéit au moins à trois des quatre critères suivants :

1. Sa masse moléculaire est inférieure à 500 Da.

2. Le nombre de liaisons hydrogène donneur qu’elle contient n’est pas plus grand que 5.

3. Le nombre de liaisons hydrogène accepteur qu’elle contient n’est pas plus grand que 10.

4. Le log P (log Kow) de son coefficient de partage octanol/eau n’est pas plus grand que 5.

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