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| Med Sci (Paris). 35(12): 1175–1181. doi: 10.1051/medsci/2019211.Brevetabilité d’un anticorps Évolution des règles et des pratiques et
perspectives Matthieu Collin1* and Sophie Davison2 1Inserm Transfert, 7 rue watt, 75013Paris,
France 2Laboratoires Pierre Fabre, 17 avenue Jean Moulin, 81100Castres,
France |
Déjà utilisés à la fin du XIXe siècle sous la forme de mélanges d’anticorps
issus de sérums ou de plasmas, les anticorps thérapeutiques constituent actuellement la
classe médicamenteuse la plus dynamique en termes de recherche et de rentabilité. Ainsi,
en 2017, parmi les 10 produits pharmaceutiques les plus vendus au monde, quatre étaient
des anticorps monoclonaux - l’adalimumab (Humira®),
l’infliximab (Rémicade®), tous deux des anticorps
anti-facteur de nécrose tumorale α (TNF-α, pour tumor necrosis
factor-α), le trastuzumab (Herceptin®, un anticorps
anti-récepteur d’un facteur de croissance épidermiques/neuroglioblastome (HER2/neu, pour
human epidermal growth factor receptor 2/neuroglioblastome) et le
bévacizumab (Avastin®), un anticorps anti-facteur de
croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF, pour vascular endothelial growth
factor) – et un était une protéine de fusion faite d’un ecto-domaine de
récepteur membranaire (celui du récepteur de type II du TNF-α) fusionné à une région Fc
d’IgG1 humaine, l’étanercept (Enbrel®) [1]. Les ventes du pembrolizumab
(Keytruda®), un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine PD-1
(programmed death-1) qui potentialise les réponses des lymphocytes
T, ont à elles seules atteintes 9 282 millions de dollars au deuxième trimestre de
l’année 2018 [2], et le nombre
d’indications autorisées ou demandées pour cet anticorps ne cesse de croître : cancer de
la peau, cancer du poumon, carcinome urothélial, alors qu’une dizaine d’autres
indications sont également en cours d’évaluation clinique. Cette prédominance des
anticorps monoclonaux rend donc cruciale leurs protections par brevet. Le nombre de
dépôts de brevets relatifs aux anticorps monoclonaux à l’Office européen des brevets
(OEB) a quasiment doublé entre 2010 et 2017 [3]. Parmi les 10 premiers déposants, on retrouve les grands de
l’industrie pharmaceutique, mais aussi des institutions académiques, comme les NIH
(National institutes of health), l’Université de Californie (UCSF)
et l’Inserm, illustrant la dynamique de dépôts autant dans l’industrie que dans le monde
de la recherche académique. Ces déposants doivent faire face à des difficultés
croissantes pour obtenir des brevets solides et de large portée et pour faire valoir
leurs droits devant les tribunaux. Les trois critères les plus critiques associés aux
inventions d’anticorps sont classiquement : la suffisance/clarté de l’invention, la
nouveauté et l’activité inventive. Cet article se propose de faire un état des lieux de
la pratique en matière de protection des anticorps et de présenter de manière illustrée
et concrète les évolutions réglementaires et jurisprudentielles récentes en Europe et
aux États-Unis. |
Suffisance de description et clarté : comment revendiquer un anticorps ? Comme pour tous les brevets, les inventions relatives aux anticorps doivent être
divulguées d’une manière suffisamment claire et concise pour que l’homme du métier
puisse mettre en œuvre l’invention. Les revendications portant sur des anticorps
doivent, en outre, englober toutes les caractéristiques décrites explicitement comme
étant nécessaires à l’exécution de l’invention (c’est-à-dire les caractéristiques
essentielles). Il y a une dizaine d’années, les déposants réalisaient classiquement des dépôts
d’hybridomes dans des collections de culture de microorganismes reconnues par le
traité de Budapest1 afin de s’assurer de la
suffisance de description des anticorps revendiqués. Il était alors fait référence à
ce dépôt dans les brevets pour définir l’anticorps (Tableau I).
Compte tenu de l’évolution des techniques de clonage moléculaire, il est aujourd’hui
plus rare de définir les anticorps par renvoi à l’hybridome déposé en collection.
Les anticorps sont à présent classiquement définis dans les revendications de
brevets de façon structurelle ou fonctionnelle.
Tableau 1
Type de revendication |
Libellé type de revendication |
Exemple de demande |
Définition structurelle
|
The antibody according to any one of claims 1 to 4,
wherein said antibody is chosen from Icos 314-8, obtainable from
the hybridoma deposited at the CNCM on July 2, 2009 under the
accession number CNCM 1-4180, its conservative fragments and its
conservative derivatives. |
WO2014033327 [15] |
A human monoclonal antibody against OX1R comprising
a heavy chain comprising i) a H-CDR1 having at least 50 % of
identity with the H-CDR1 of CI, ii) a H-CDR2 having at least
50 %> of identity with the H-CDR2 of CI and iii) a H-CDR3
having at least 50 % of identity with the H-CDR3 of CI or a
light chain comprising i) a L-CDRl having at least 50 % of
identity with the L-CDRl of CI, ii) a L-CDR2 having at least
50 % of identity with the L-CDR2 of CI and iii) a L-CDR3 having
at least 50 % of identity with the L-CDR3 of CI whereinthe
H-CDR1 of CI is defined by the sequence ranging from the amino
acid residue at position 31 to the amino acid residue at
position 35 in SEQ ID NO: 1,the H-CDR2 of CI is defined by the
sequence ranging from the amino acid residue at position 50 to
the amino acid residue at position 66 in SEQ ID NO: l,the H-CDR3
of CI is defined by the sequence ranging from the amino acid
residue at position 99 to the amino acid residue at position 106
in SEQ ID NO: l,the L-CDRl of CI is defined by the sequence
ranging from the amino acid residue at position 23 to the amino
acid residue at position 36 in SEQ ID NO: 2,the L-CDR2 of CI is
defined by the sequence ranging from the amino acid residue at
position 52 to the amino acid residue at position 58 in SEQ ID
NO: 2, and,the L-CDR3 of C 1 is defined by the sequence ranging
from the amino acid residue at position 91 to the amino acid
residue at position 100 in SEQ ID NO: 2. |
WO2016113351 [16] |
|
Définition fonctionnelle
|
An antibody against Stra6 polypeptide, the Stra6
polypeptide consisting of: an amino acid sequence of amino
residues from 1 to 667 of Fig 2. […] |
WO2001051635 [17] |
A monoclonal antibody which binds to the
extracellular domain of the CD160-TM isoform, wherein said
antibody does not bind to the GPI-anchored isoform nor to the
CD160 soluble isoform, and wherein the epitope of said
monoclonal antibody comprises at least one amino acid residue
from amino acid residues 175 to 189 of SEQ ID NO: 1. |
WO2018077926 [18] |
A monoclonal antibody or functional fragment
thereof, each of which binds to the extracellular domain of a
PGE2 receptor subtype EP4 and inhibits the function of
PGE2-receptor EP4 to increase the intracellular cAMP level. |
WO2012043634 [19] |
The isolated antibody of claim 1, or antigen
binding portion thereof, which dissociates from the p40 subunit
of human IL- 12 with a Kd of 1 × 10– 10 M or less or
a koff rate constant of 1 × 10– 3 or less, as
determined by surface plasmon resonance. |
WO2008079359 [20] |
Exemples de libellés de revendications d’anticorps.
|
Définition structurelle La manière la plus précise de revendiquer un anticorps consiste le plus souvent à
le définir par les séquences qui codent l’immunoglobuline (Ig). Il est ainsi
communément accepté qu’un anticorps puisse être défini par les séquences de ses
CDR ( complementarity determining region) des domaines variables
des chaînes lourdes et légères (les VH et les VL respectivement). Le Tableau I donne un exemple
caractéristique de la formulation d’une revendication de ce type. Les offices de
brevet considèrent généralement ce type de revendication comme recevable si les
anticorps sont définis par l’ensemble de leurs six CDR (ou 3 CDR pour les
anticorps dérivés de camélidés qui ne contiennent que des chaînes lourdes, leurs
domaines variables étant alors désignés sous le nom de VHH 2). Définir un anticorps seulement par certains de ses CDR
(par exemple le CDR3) ou par des CDR dont certains acides aminés sont laissés
variables, n’est généralement pas accepté. Il est également possible d’utiliser
des définitions plus limitatives, telles que les séquences complètes des deux
domaines variables des chaînes lourdes (H) et légères (L), ou les séquences
complètes de ces dernières. Ces définitions structurelles ont l’avantage de ne pas engendrer, en général,
d’objections de clarté ou de suffisance de description. Cependant, de par leurs
précisions, elles confèrent au brevet une portée limitée en excluant tout
anticorps qui aurait des propriétés similaires mais des séquences légèrement
différentes. Afin de contourner cette difficulté, il est donc fréquent de
rencontrer des revendications d’anticorps rédigées de manière dite
fonctionnelle. Définition fonctionnelle La définition fonctionnelle d’un anticorps peut prendre différentes formes. L’antigène est nouveau Lorsqu’un antigène cible et son intérêt thérapeutique sont caractérisés pour
la première fois, il est possible de revendiquer un anticorps uniquement par
sa capacité à lier cet antigène « nouveau ». Des exemples de telles
revendications sont indiqués dans le Tableau I. Ce type de revendication
présente évidemment l’avantage de conférer une portée très large à la
protection. Dans ce cas particulier d’un antigène qui est « nouveau », L’OEB considère
fréquemment qu’il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve de l’obtention
de ces anticorps spécifiques dans la demande de brevet. En effet, l’Office
considère qu’une fois la nouvelle cible caractérisée, il est dans les
capacités de l’homme du métier d’obtenir des anticorps dirigés
spécifiquement contre elle. Il s’agit donc ici d’une dérogation au critère
de suffisance de description (qui impose que l’invention soit suffisamment
décrite) fondée sur la capacité présumée de l’homme de l’art de produire des
anticorps dirigés contre ce nouvel antigène selon des techniques de routine
dans le domaine et ce, même si cela implique un travail long et fastidieux,
tant qu’il peut être considéré que l’homme du métier a des chances
raisonnables de succès pour obtenir de tels anticorps [4]. Ce même principe existait jusqu’à très récemment dans les directives de
l’USPTO (US patent and trademark office) sous la définition
de « test du nouvel antigène ». Cependant, une décision récente de la Cour
d’appel fédérale [5]
a renversé cette pratique établie en matière de brevetabilité des anticorps.
En effet, dans l’affaire jugée, les brevets incriminés (déposés par
Amgen) comprenaient des revendications relatives à un
anticorps caractérisé en ce qu’il cible un épitope particulier de la
pro-protéine convertase subtilisine/kexine de type 9 (PCSK9) de manière à
inhiber la liaison de la protéine à son récepteur, le LDL-R
(low-density lipoprotein receptor). La description de
l’invention comprenait une trentaine d’exemples d’anticorps, la méthode de
sélection (ou screening) utilisée par les inventeurs pour
identifier ces anticorps, ainsi que la structure tridimentionnelle de deux
d’entre eux, notamment celle de l’anticorps commercialisé par
Amgen sous le nom Repatha® (évolocumab). La
Cour d’appel fédérale a cependant renversé la décision de la Cour de
district, en considérant qu’il n’était pas suffisant d’utiliser le test du
« nouvel antigène » pour vérifier qu’une demande était conforme à l’exigence
de description. Par cette décision, il semble qu’aux États-Unis, il ne soit
plus possible de définir un anticorps simplement par la cible qu’il
reconnaît, y compris lorsque celle-ci est nouvelle. Cette décision va donc,
à l’avenir, rendre extrêmement difficile l’obtention de revendications de
large portée. Les déposants habitués à protéger de façon large un ensemble
d’anticorps sur la base de la caractérisation d’une nouvelle cible devront
désormais être particulièrement attentifs à décrire des caractéristiques
structurelles communes à l’ensemble des anticorps dont ils veulent obtenir
la protection. Ceci représente un travail considérable notamment pour
identifier les caractéristiques communes d’une classe d’anticorps afin de
les définir autrement que par la cible qu’ils reconnaissent. Avec le développement du séquençage et des méthodes informatiques facilitant
grandement l’identification de nouvelles cibles, il est probable que la
situation en Europe va évoluer de façon semblable à ce qui est observé aux
États-Unis. L’antigène est connu Lorsque l’on désire obtenir une protection fonctionnelle sur des anticorps
liant spécifiquement un antigène déjà connu, il est nécessaire d’introduire
des caractéristiques fonctionnelles différenciatrices dans les
revendications. L’anticorps peut alors, par exemple, être caractérisé par le
fait qu’il reconnaît un épitope spécifique de l’antigène. L’épitope est
alors défini par sa séquence, lorsqu’il est linéaire ; le recours à la
mention de « région épitopique » peut être utilisé dans le cas plus complexe
d’un épitope conformationnel. Alternativement, il existe de nombreuses autres façons de définir
fonctionnellement un anticorps : par son affinité pour l’antigène, par sa
sélectivité (vis-à-vis de protéines aux séquences très homologues, ou
discriminant deux conformations d’un même antigène), par sa capacité ou non
à être internalisé après sa fixation à l’un ou l’autre des récepteurs pour
sa région Fc (RFc), par sa capacité à induire ou non la dimérisation de la
molécule cible (la plupart du temps dans le cas d’un récepteur membranaire),
à être compétitif ou non d’anticorps déjà connus, à induire l’apoptose de la
cellule cible, ou à provoquer une cytotoxicité à médiation cellulaire
dépendante des anticorps (ADCC), etc. Des exemples de rédaction de certaines
revendications de ce type sont indiqués dans le Tableau I. Ici encore, la suffisance de
description de tels anticorps sera évaluée au vu de la possibilité pour
l’homme du métier de pouvoir mettre en œuvre l’invention sans effort indu,
et ce, dans toute la portée revendiquée. Ce critère est parfois difficile à
remplir. On peut notamment citer le cas des brevets déposés par AbbVie
Pharmaceuticals pour des anticorps anti-IL(interleukine)-12
[6, 7]. Ces brevets,
délivrés à la fois en Europe et aux États-Unis, revendiquaient tout
anticorps anti-IL-12 défini par sa constante de dissociation (koff)
vis-à-vis de l’IL-12, ainsi que par son activité neutralisante dans un test
de prolifération de cellules blastiques. Cependant, après opposition en
Europe et litige aux États-Unis, ces deux brevets ont été révoqués pour des
motifs semblables d’insuffisance de description (il a été considéré que la
portée des revendications était trop large) et d’impossibilité de reproduire
l’invention sur toute la portée des revendications. |
Comment justifier du caractère nouveau d’un anticorps ? En droit américain comme en droit européen, une invention, pour être brevetable, doit
être nouvelle, c’est-à-dire que ses caractéristiques ne doivent pas avoir été
divulguées dans l’état de la technique. Lorsqu’un anticorps est défini de façon
structurelle, l’examen de la nouveauté reste relativement facile : un anticorps
défini structurellement est nouveau si aucun anticorps décrit antérieurement ne
présente des séquences identiques. À noter que la divulgation du simple nom de
l’anticorps (par exemple, 12G4, qui reconnaît MISRII [müllerian inhibiting
substance type II receptor], ou nivolumab [Opdivo®], un
anticorps anti-PD-1 qui bloque son interaction avec son ligand PD-L1, exprimé à la
surface des cellules tumorales et des cellules myéloïdes) ne remet pas en cause le
caractère de nouveauté d’une revendication postérieure portant sur l’anticorps si
l’homme du métier ne peut relier de manière certaine ce nom à la séquence de
l’anticorps revendiqué. La question de la nouveauté d’un anticorps défini fonctionnellement est autrement
plus délicate. Il peut alors s’agir de montrer qu’aucun anticorps précédemment
divulgué dans l’état de la technique ne possédait les caractéristiques
fonctionnelles qui sont revendiquées. Cela peut s’avérer particulièrement difficile
lorsque de nombreux anticorps ont déjà été décrits comme reconnaissant la même cible
(puisqu’il faudrait alors avoir accès à l’ensemble de ces anticorps pour effectuer
des tests comparatifs). Les offices de brevet ont une approche inconstante pour
apprécier la nouveauté de ces produits. Ils ont en effet tantôt jugé que ce type de
revendication pouvait être nouveau, à la condition que le déposant fournisse des
résultats comparatifs avec les anticorps de l’art antérieur montrant qu’aucun de
ceux-ci n’étaient compétitifs pour leur liaison à l’antigène. Dans d’autres
situations, ils ont considéré que la situation était ambiguë (par exemple, en raison
de la variabilité des tests et des conditions expérimentales) et ont refusé ce type
de revendications au motif que la nouveauté ne pouvait pas être établie de façon
certaine. Deux cas concrets pour illustrer ce propos sont décrits ci-dessous. En avril 2014, Merck Sharp and Dohme (MSD) fait opposition au brevet
européen délivré [8]
d’Ono relatif au nivolumab. La revendication 1 portait sur le
nivolumab en tant que tel, défini par ses séquences CDR. La revendication 3, de
portée plus large, protégeait tout anticorps monoclonal entrant en compétition avec
le nivolumab pour sa liaison à sa cible. Cette revendication était donc susceptible
de couvrir tout autre anticorps capable de se lier à PD-1 et de bloquer son
interaction avec son ligand, PD-L1, et notamment le pembrolizumab de
Merck ; la nouveauté a donc été contestée par cette compagnie.
Cette opposition offrait ainsi l’occasion de clarifier une bonne fois pour toute la
situation. Malheureusement, Ono a décidé en cours de procédure de
retirer cette revendication, probablement pour éviter un précédent au regard de son
brevet correspondant délivré aux États-Unis [9], qui faisait lui-même l’objet d’un procès en contrefaçon. Un second exemple concerne les revendications d’anticorps définis par leur capacité à
reconnaître un épitope particulier de leur cible. Dans la décision
Biogen contre GlaxoSmithKline (GSK) [10], Biogen
avait poursuivi GSK pour violation de son brevet déposé aux
États-Unis [11] qui
revendiquait des méthodes thérapeutiques utilisant des anticorps anti-CD20. Les
seuls exemples de cette demande portaient sur un anticorps anti-CD20 particulier, le
rituximab (Rituxan® aux États-Unis ou Mabthera® en Europe). En
demande reconventionnelle, GSK a demandé à ce que la portée de la
revendication soit réduite, en argumentant qu’au vu de la description et de la
procédure le terme « tout anti-CD20 » de la revendication devait être lu comme
« tout anticorps anti-CD20 de spécificité et d’affinité similaire au rituximab », ce
qui devait exclure de facto les anticorps reconnaissant un épitope
différent de celui reconnu par le rituximab. GSK avait par ailleurs
apporté la preuve expérimentale que son propre anticorps, l’ofatumumab
(Arzerra®, initialement développé par la firme dannoise
Genmab), reconnaissait effectivement un épitope différent de
celui du rituximab. La cour fédérale a finalement donné raison à
GSK. Ainsi, même si cette décision ne concernait pas uniquement la nouveauté proprement
dite, mais plutôt la question de la portée d’une revendication, elle illustre
néanmoins l’importance pour les instances administratives et judiciaires des données
relatives à la caractérisation des épitopes pour distinguer deux anticorps entre
eux. |
Comment justifier du caractère inventif d’un anticorps ? Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un
homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la
technique. L’exigence d’activité inventive a pour but d’éviter la protection
« d’inventions » qui sont, au vu de l’état de l’art, évidentes à tester et/ou avec
une probabilité raisonnable de succès [12]. Ce critère permet notamment d’éviter l’entrave par des
droits exclusifs au développement technique normal et routinier. En effet, les
offices se doivent d’apprécier de façon objective et équilibrée le critère
d’activité inventive. Les circonstances particulières à chaque cas sont toujours
déterminantes. De façon générale, des facteurs multiples peuvent entrer en compte
pour l’appréciation de l’activité inventive comme l’effet technique imprévu produit
par une combinaison nouvelle d’éléments connus, la difficulté éprouvée par l’homme
du métier pour arriver au produit revendiqué, et des considérations secondaires,
comme le fait que l’invention résout enfin un problème technique posé depuis
longtemps et ayant donné lieu à de nombreuses tentatives infructueuses pour arriver
à la solution, ou le fait d’avoir surmonté un préjugé technique. Il s’agit sans
aucun doute du critère le plus difficile à satisfaire pour protéger un anticorps et
ce, d’autant plus s’il existe dans l’art antérieur, déjà des anticorps dirigés
contre la même cible. En matière de brevetabilité d’anticorps, l’OEB considère depuis longtemps que les
méthodes pour la génération et l’identification d’un anticorps dirigé contre un
antigène donné connu constituent des techniques de routine pour l’homme du métier.
Comme nous l’avons vu, un tel raisonnement peut être très utile pour justifier de la
suffisance de description d’une demande ne contenant pas ou peu de données
expérimentales sur les anticorps revendiqués. A contrario, ces
arguments se retournent le plus souvent contre le demandeur lorsqu’il s’agit de
défendre le caractère inventif de l’invention. En effet, si l’antigène est connu,
les offices considèrent généralement qu’il est évident d’obtenir un anticorps ou un
anticorps alternatif dirigé contre cet antigène. La modification de la structure d’un anticorps donné, par une technique de routine,
est souvent insuffisante pour justifier du caractère inventif de l’anticorps. Dans
la décision de la chambre de recours T0067/11 [13], le demandeur tentait de revendiquer toutes
les versions humanisées d’un anticorps murin connu de l’art antérieur, notamment
celles obtenues par la technique du « CDR-grafting »3. L’office a considéré qu’il était évident pour
l’homme du métier d’arriver, avec des chances raisonnables de succès, aux anticorps
revendiqués, puisque cette technique d’humanisation était connue. En recours, le
déposant à dû, pour obtenir la délivrance de son brevet, limiter les revendications
à des caractéristiques additionnelles : la présence de mutations ponctuelles dans
les régions constantes permettant de réduire l’immunogénicité de l’anticorps. La
chambre de recours a alors reconnu l’inventivité de la revendication limitée au
motif qu’il ne pouvait pas être prévu qu’un anticorps ayant ces mutations aurait une
immunogénicité réduite tout en conservant une affinité de liaison pour sa cible. Il est donc nécessaire, pour pouvoir justifier du caractère inventif d’une
revendication d’anticorps, de prouver que cet anticorps présente un effet technique
spécifique et inattendu, notamment par rapport aux autres anticorps dirigés contre
cette cible qui étaient connus. Il est, par exemple, possible de s’appuyer sur la
reconnaissance d’un épitope particulier associé à une propriété inattendue, telle
que l’affinité, la capacité à internaliser ou à inhiber la/les fonctions d’une cible
sans pour autant bloquer la liaison du ligand à son récepteur, la réactivité
croisée, la sélectivité, la stabilité, l’effet thérapeutique, etc. à condition
toujours que l’obtention d’un anticorps ayant cette caractéristique ne puisse pas
être considérée comme un travail de routine au vu de l’état de la technique. Aux États-Unis, le niveau d’inventivité nécessaire est généralement moins élevé qu’en
Europe. Cependant l’évolution de ce critère sera à suivre au vu des changements
récents de jurisprudence. Lorsque l’effet technique allégué est un effet thérapeutique de l’anticorps, l’office
considère fréquemment qu’il est suffisant d’avoir montré que cet effet thérapeutique
est plausible. Une preuve in vitro est alors généralement
suffisante. Ainsi dans la décision T0601/05 [14], l’inventivité d’une composition pharmaceutique comprenant
un anticorps dirigé contre le TNFα a été reconnue sur la base d’un seul test réalisé
in vitro (l’inhibition de la sécrétion cytokinique en réponse
au lipopolysaccharide bactérien [LPS]) considéré comme suffisant pour rendre
plausible un effet thérapeutique (et ce, bien que cet effet in
vitro soit scientifiquement loin d’une preuve d’un futur effet
thérapeutique in vivo chez l’homme). Lorsque l’anticorps revendiqué produit le même effet technique général (par exemple
sa spécificité, ou une fonction donnée telle que la neutralisation d’une toxine ou
d’une interleukine ou un effet antagoniste contre un récepteur membranaire) que
d’autre(s) anticorps décrit(s) dans l’art antérieur, la barrière de l’activité
inventive est encore plus difficile à franchir. Les offices de brevet ont tendance à
considérer que même si l’anticorps revendiqué est nouveau (structure différente), sa
simple fourniture peut constituer une alternative évidente à un anticorps connu
dirigé contre le même antigène. Il faut user de multiples arguments, et le plus souvent avoir recours à des exemples
comparatifs, pour montrer le caractère avantageux de l’anticorps. Il est aussi
possible d’apporter des preuves additionnelles pour mettre en évidence les
caractéristiques spécifiques de l’anticorps. Cela nécessite pour les demandeurs de
faire de lourds efforts pour le caractériser : tests fonctionnels très variés allant
de la caractérisation biochimique jusqu’aux études in vivo. Il
n’est pas forcément nécessaire de disposer de l’ensemble de ces données au dépôt,
mais il faut profiter du temps long des procédures pour accumuler le maximum de
données afin de les produire en temps voulu (et ce, d’autant si l’art antérieur
n’est pas complétement identifié au moment du dépôt par le demandeur). Une des
difficultés majeures reste l’accès possible aux anticorps de la littérature,
puisqu’il s’avère au final très souvent nécessaire de produire des résultats
comparatifs. Hors position de premier déposant, défendre l’activité inventive d’un
anticorps s’avère donc être une aventure périlleuse et coûteuse pour les
demandeurs. |
La manière de revendiquer un anticorps et de faire valoir son caractère brevetable
peut varier en fonction des situations et territoires. Le demandeur peut, par le
biais de revendications fonctionnelles, tenter d’obtenir une portée de revendication
plus large afin d’empêcher les concurrents de développer de nouveaux anticorps ayant
des effets mécanistiques similaires. Aux États-Unis, au vu de la jurisprudence
récente, les demandeurs devront se contenter de protéger spécifiquement leurs
anticorps et accepter le risque que leurs concurrents puissent développer des
produits « me-too4 ». Il sera
intéressant à l’avenir de suivre la position de l’Europe quant à un éventuel
alignement sur cette position. Il existe donc une tendance au changement de paradigme allant dans le sens de
récompenser plus favorablement le « développeur » que le « découvreur ». Ce postulat
risque de fragiliser les politiques de valorisation des instituts de recherche
académique qui sont aujourd’hui plus des découvreurs de cibles que des développeurs
de produits. D’un autre côté, certains font valoir l’intérêt général qui veut que le
citoyen puisse bénéficier d’un accès aux soins le plus concurrentiel possible en
limitant les situations de monopoles et ainsi réduire les coûts. Concernant l’appréciation de la nouveauté et de l’activité inventive, nous avons
illustré dans le Tableau II
les situations-types auxquelles les demandeurs européens pourront être confrontés.
Il faut principalement retenir que la barre d’activité inventive a aujourd’hui été
placée très haut. Cela nécessite donc pour les demandeurs de réaliser d’importants
efforts pour caractériser fonctionnellement leur anticorps, en particulier en
Europe.
Tableau 2
Caractérisation de l’art
antérieur |
|
Est-ce que l’antigène est connu ? |
Est-ce qu’il existe au moins un autre anticorps
contre l’antigène |
Nouveauté ? |
Activité inventive ? |
Non
|
Non
|
Oui car l’antigène est nouveau |
Oui car l’antigène est nouveau |
|
Oui
|
Non
|
Oui car il s’agit du premier anticorps
décrit |
Oui si l’anticorps dispose d’une
caractéristique fonctionnelle particulière (affinité, effet
thérapeutique…) |
|
Oui
|
Oui
|
Oui si l’anticorps possède une
structure différente (séquences CDR) ou lie un épitope différent
de l’art antérieur |
Non sauf si l’anticorps dispose d’une
propriété inattendue au regard des anticorps de l’art antérieur,
ou si le demandeur peut produire des résultats comparatifs
montrant un effet supérieur. |
Exemples de situations illustrant l’appréciation de la
nouveauté et de l’activité inventive d’un anticorps au regard
d’un art antérieur donné en Europe.
|
Certains considèrent que cette pratique ne favorise pas la concurrence entre les
acteurs du développement en donnant avantage au primo-déposant. Lorsqu’on sait que
les essais cliniques peuvent montrer qu’un second anticorps peut être plus efficace
qu’un premier anticorps (voir la situation du pembrolizumab qui a montré une
efficacité supérieure par rapport au nivolumab pourtant arrivé en premier en
clinique), beaucoup appellent à retrouver un équilibre plus favorable à l’accès au
brevet et ce, de manière à sécuriser les investissements pour arriver à la mise sur
le marché. En conclusion, l’intérêt général voudrait que les droits au regard d’une cible soient
les plus limités possible tout en permettant aux acteurs de pouvoir protéger plus
aisément leur produit spécifique. Compte tenu de cette constatation, il est légitime
de penser aujourd’hui que la pratique en matière de brevet d’anticorps évoluera
encore dans les prochaines années. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article. |
Footnotes |
4. Chambre de recours de l’Office
Européen des Brevets. – décision T0431/96 - 23 février
199.
5. Amgen
v. Sanofi, 872 F.3d 1367
(Fed. Cir. 2017).
6. Abbott GmbH and Co KG. ,
EP2168984B1., 2012. 7. Abbott GmbH and Co KG. ,
US6914128B1., 2005
8. ONO Pharmaceutical Co., Ltd.,
Medarex, Inc. , EP2161336., 2013
9. Medarex, L.L.C. ,
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