Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 35(12): 1194–1195.
doi: 10.1051/medsci/2019247.

Mise en perspective des anticorps thérapeutiques dans le coût de la santé

Jean-Jacques Zambrowski1*

1Faculté de Pharmacie, Université Paris-Sud, Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords:

 

inline-graphic msc190283-img1.jpg

Il est de bon ton de crier haro sur le médicament, sur les industriels qui les commercialisent, et sur le poids excessif qu’ils font peser sur les comptes sociaux en général et ceux de l’assurance maladie en particulier. Au premier rang des pathologies montrées du doigt, le cancer fait l’objet de critiques particulièrement agressives. Plus les traitements sont récents, et plus leur prix est élevé, plus ils font l’objet de telles critiques. On comprend que les anticorps thérapeutiques soient ainsi en première ligne. Après avoir révolutionné la cancérologie, puis l’immunologie et la rhumatologie, les anticorps thérapeutiques sont maintenant utilisés dans la quasi-totalité des domaines de la médecine, offrant de nouvelles perspectives thérapeutiques à des maladies jusqu’alors incurables. Leur stigmatisation n’en est que plus intense.

Mais qu’en est-il réellement ? Que représentent ces médicaments dans les dépenses de santé en général et les dépenses pharmaceutiques en particulier ?

Au sein d’un marché mondial du médicament qui représente environ un peu plus de 800 milliards de dollars (environ 720 milliards d’euros), les médicaments biologiques comptent pour environ 45 %, soit plus de 350 milliards de dollars (environ 315 milliards d’euros). La moitié de cette somme correspond à des immunothérapies, dont le marché augmente fortement, avec un taux de croissance annuel moyen de 13,5 % entre 2016 et 2021.

Le marché des anticorps thérapeutiques est lui aussi en forte croissance depuis plusieurs années, pour atteindre 100 milliards de dollars (environ 90 milliards d’euros) en 2017, ce qui représente un peu plus de 55 % de l’ensemble de l’immunothérapie. Début 2018, près de 80 anticorps thérapeutiques étaient approuvés dans le monde et 10 étaient en cours de demande d’enregistrement.

La Figure 1 est une représentation synthétique du marché des anticorps thérapeutiques en France élaborée par Mabdesign en janvier 2019. La croissance du marché mondial des anticorps monoclonaux est loin de ralentir, et devrait continuer à progresser dans les années à venir, comme en témoigne la Figure 2 .

Si l’on se focalise sur la France, le marché des anticorps monoclonaux peut être estimé à environ 8 milliards de dollars, soit un peu plus de 7,2 milliards d’euros, en 2018. Or les dépenses de santé dans notre pays sont légèrement supérieures à 270 milliards d’euros par an, dont un peu plus de 200 correspondent à la consommation de soins et biens médicaux (CSBM). Les anticorps monoclonaux correspondent donc à environ 2,7 % de notre consommation de produits et services de santé. Les remboursements de la Sécurité sociale couvrent 78 % environ de la consommation de soins et biens médicaux, pour un montant légèrement inférieur à 160 milliards d’euros par an. Les médicaments dispensés aux patients ambulatoires, à l’officine ou en rétrocession par une pharmacie hospitalière, représentent un peu moins de 16,5 % de cette CSBM, soit environ 32,5 milliards d’euros. Les médicaments destinés aux patients hospitalisés comptent pour moins de 4 % de la CSBM, soit 7,5 milliards d’euros. Ainsi, l’ensemble de la consommation pharmaceutique pèse pour 40 milliards d’euros, soit environ 1/5 du total, dans la consommation de soins et biens médicaux. Sur les 32,5 milliards d’euros de médicaments consommés en France au titre des soins ambulatoires, la Sécurité sociale en a remboursé près des trois quarts, un peu plus de 24 milliards d’euros. Ainsi, le total des remboursements de médicaments par la Sécurité sociale, tant ambulatoires qu’hospitaliers, est voisin de 31,5 milliards d’euros.

Les comptes de la Sécurité sociale publiés par la CNAM en septembre 2018 permettent à cet égard une intéressante comparaison entre la dynamique des dépenses remboursées de médicaments et de transports sanitaires (Figure 3). Il est aisé de constater sur ces courbes officielles que le dérapage n’est pas le fait de la chaîne pharmaceutique, la hausse des volumes ayant été largement compensée par des diminutions drastiques de prix, ainsi que par la mise à disposition de versions génériques ou biosimilaires de médicaments dont la protection intellectuelle par des brevets était échue.

Si on admet que l’essentiel des maladies traitées par les anticorps thérapeutiques sont des affections chroniques pour lesquelles les patients bénéficient de l’exonération du ticket modérateur au titre de l’ALD (affections de longue durée), et que par conséquent l’ensemble de leurs ventes est financé par l’Assurance maladie, on voit que les anticorps thérapeutiques représentent environ 3,5 % des dépenses de soins et biens médicaux, et un peu moins de 4,5 % des dépenses de l’Assurance maladie.

Compte tenu des bénéfices thérapeutiques majeurs qu’ils apportent dans un nombre de plus en plus significatif de pathologies sévères, et de cette part en réalité marginale dans les dépenses de santé, leur stigmatisation paraît totalement infondée. Au reste, il conviendrait en bonne rigueur de déduire du coût des anticorps thérapeutiques leur impact bénéfique sur la consommation globale de soins et biens médicaux, tels que baisse des arrêts maladie et des transports sanitaires, reprise d’activité à temps complet ou partiel. Il est dommage que l’opinion se fonde sur des rumeurs et des approximations, et non sur des données réelles et vérifiables.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.