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Med Sci (Paris). 35(12): 1196–1197.
doi: 10.1051/medsci/2019213.

Des anticorps monoclonaux partout et pour tous ?

François Hirsch1*

1PhD, Comité d’éthique de l’Inserm, Responsable du Groupe de travail « Recherche en Santé au Sud », Inserm, 101 rue de Tolbiac, 75013Paris, France
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Dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) proposés par les Nations unies et prolongés par les Objectifs du Développement Durable (faute d’avoir atteint les OMD en temps voulu), l’accès à des soins de qualité pour tous figure toujours en bonne place parmi les défis pour un développement durable. Bien entendu, cela suppose, tout d’abord et en priorité, la distribution des traitements de base pour faire face aux besoins les plus urgents en termes de santé publique dans les pays à ressources économiques faibles ou intermédiaires1, à savoir les pathologies infectieuses et parasitaires. Reste que les maladies chroniques et/ou de longue durée, diabète, maladies rhumatismales, cancers, progressent avec l’allongement de la durée de vie, notamment grâce à la diffusion de médicaments à bas coût traitant les grandes pandémies. Dans les pays industrialisés, l’accès aux traitements les plus innovants, tels les anticorps monoclonaux (AcM) thérapeutiques, devient pratique courante, alors que dans les pays à ressources économiques faibles ou intermédiaires, ils restent l’apanage des patients les plus riches. Un tour d’horizon rapide des pratiques dans certains de ces pays nous a permis d’illustrer ce fossé « Nord-Sud ».

Tout d’abord, il faut signaler que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), maillon essentiel de la mise en place des programmes de santé publique dans les pays à ressources économiques faibles ou intermédiaires, mentionne trois AcM thérapeutiques dans la liste modèle de ses médicaments essentiels (rituximab, trastuzumab, bévacizumab2,). L’OMS vient également de lancer une préqualification pilote pour les AcM biosimilaires3.

Sur le continent africain, seules les grandes épidémies permettent un accès gratuit et large aux produits de santé des populations exposées4,. En dehors de ces situations extrêmes, nous avons pu relever qu’en Afrique centrale, le Cameroun importe essentiellement le rituximab, utilisé en hémato-oncologie et en rhumatologie, mais il reste à la charge des patients. Au Kenya, c’est le système de santé national qui permet un certain accès à ces produits. En Afrique de l’Ouest, les patients les plus aisés sont mis à contribution et ceux qui le peuvent suivent leur traitement au Maroc ou dans les Émirats arabes unis (EAU). En Asie, officiellement, Vietnam et Laos n’importent pas d’AcM thérapeutiques, le premier produisant cependant des immunoglobulines (Ig) thérapeutiques dans le cadre de pathologies infectieuses. Toutefois, les malades les plus aisés peuvent être traités dans les pays voisins mieux lotis (Thaïlande, République populaire de Chine). L’Inde, par contre, produit des biosimilaires mis à disposition des patients ayant une couverture de santé. Parmi ces molécules, un AcM anti-rabique a été récemment enregistré par les autorités de santé et des dossiers de mise sur le marché ont été déposés dans 23 pays à ressources limitées5.

En Amérique du Sud, l’Argentine a défini une liste de médicaments à coût élevé qui ne sont pris en charge que par les mutuelles privées, avec, parmi ceux-ci, des AcM thérapeutiques pour le cancer, les maladies rhumatismales et l’asthme sévère (omalizumab). Les Cubains sont les plus chanceux, puisque Cuba produit ses propres AcM génériqués et les met à disposition des patients cancéreux dans le cadre d’un programme de santé publique. Le Brésil produit également ses biosimilaires, mais une grande partie du coût du traitement incombe aux patients.

Enfin plus près de nous, la Moldavie et l’Arménie importent le basiliximab et le rituximab dans les indications respectives de transplantation rénale et d’onco-hématologie/rhumatologie. En Moldavie, ces AcM thérapeutiques sont pris en charge par un système d’assurance national. De même, en Arménie, c’est le budget de l’état qui finance leur prise en charge.

Ainsi, ce bref tour d’horizon montre que ces médicaments qui n’ont plus à faire la preuve de leur utilité dans de nombreuses pathologies, y compris certaines considérées il y a peu comme incurables, sont loin d’être utilisés par les populations les plus démunies. Ceci est hélas bien en accord avec le « 10/90 gap6 » mettant en évidence le fossé qui perdure entre pays industrialisés et pays à ressources économiques faibles ou intermédiaires.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
4 Ceci est actuellement le cas avec les essais cliniques du cocktail d’AcM thérapeutiques Zmapp en cours dans les régions à forte prévalence du virus Ebola.
6 10 % des richesses mondiales sont allouées à la santé des pays à ressources économiques faibles ou intermédiaires où se trouvent concentrés 90 % de la population mondiale la plus exposée aux diverses maladies.