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Med Sci (Paris). 35: 8–12.
doi: 10.1051/medsci/2019028.

Biothérapies
Une révolution en marche

Serge Braun1*

1Directeur scientifique de l’AFM-Téléthon, 1, rue de l’internationale, 91002Évry, France
Corresponding author.
 

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Il suffit parfois d’identifier le gène responsable d’une maladie neuromusculaire pour qu’un médicament qui change la vie des patients s’impose de façon très rapide. Ce fut le cas pour une forme d’amyotrophie bulbo-spinale de l’enfant, la maladie de Fazio-Londe. Quelques mois seulement se sont écoulés entre l’identification du gène (SLC52A3) et le premier essai d’un traitement efficace : la supplémentation en vitamine B2 (riboflavine) [1]. Un second exemple est constitué par les syndromes myasthéniques congénitaux (postsynaptiques) liés aux gènes Dok7 [2] et MuSK [3]. Ils répondent au salbutamol, un principe actif disponible depuis très longtemps dans d’autres indications. Ces deux illustrations font malheureusement figure d’exception. Dans la plupart des cas, 20 à 30 ans de recherches fondamentales et appliquées sont nécessaires pour parvenir à proposer une solution thérapeutique. Dans les maladies rares, qui sont d’origine génétique dans 80 % des cas, ce long parcours s’inscrit souvent sur la voie de la thérapie génique. Elle a représenté, et continue de représenter, environ 50 % des fonds que l’AFM-Téléthon alloue à la recherche. Il s’agit d’un budget très important, mais nécessaire pour contribuer à faire émerger une modalité innovante de traitement, aujourd’hui mature.

D’une maladie rare à l’autre

La thérapie génique repose sur un principe simple - administrer un gène thérapeutique pour suppléer le gène défectueux – mais sa mise en œuvre est très complexe. Les premiers essais ont consisté à prélever des cellules atteintes du malade, à les modifier génétiquement en culture, puis à les réinjecter au même malade. C’est la modification des cellules « ex vivo », qui utilise des cultures cellulaires, une technique bien maîtrisée dont ont découlé les premières véritables applications de thérapie génique. Dans une deuxième étape, les travaux de recherche ont utilisé le transfert au malade d’un gène thérapeutique via un vecteur, le plus souvent un virus rendu inoffensif, réinjecté soit localement, soit par voie générale. C’est la modification des cellules in vivo. La démonstration originelle de l’efficacité de la thérapie génique n’a pas été apportée dans une maladie neuromusculaire, mais dans l’immunodéficience avec un premier essai clinique dès 1989. Il a fallu attendre plus de 25 ans pour obtenir l’approbation par les autorités réglementaires européennes du médicament correspondant (le Strimvelis®), en mai 2016, pour les personnes atteintes de déficit immunitaire combiné sévère dû à un déficit en adénosine désaminase (DICS-ADA). Ces travaux pionniers, menés par l’équipe des Prs Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo, ont été soutenus par le Téléthon. Ce tout premier type de médicament de thérapie génique approuvé dans les pays occidentaux repose sur une technique qui consiste à prélever des cellules de la moelle osseuse, à leur faire intégrer une copie fonctionnelle du gène ADA grâce à un rétrovirus modifié, avant de les ré-administrer au patient (thérapie ex vivo). Ce même principe s’applique aujourd’hui à d’autres pathologies, comme l’adrénoleucodystrophie liée à l’X, objet d’essais cliniques en cours. Dans cette pathologie, les premiers travaux, réalisés en France [4], ont été repris par une biotech américaine (Bluebird Bio) avec des résultats assez spectaculaires.

Par voie locale, mais aussi générale

La deuxième vague d’innovation est celle de la thérapie génique in vivo avec administrations locales. Elle a débuté par des organes assez accessibles comme l’œil, mais aussi le cerveau. Des travaux pionniers, menés avec le soutien financier de l’AFM-Téléthon, ont associé le Dr Jean-Michel Heard (Institut Pasteur, Inserm) et le Pr Marc Tardieu (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) dans le cadre d’un essai clinique de phase I/II portant sur la maladie de Sanfilippo de type B, ou mucopolysaccharidose de type IIIB. Cette pathologie commence à se manifester avant l’âge de cinq ans par une dégradation neurologique progressive (parole, marche, comportement…). L’espérance de vie moyenne est de 15 ans. L’essai clinique a porté sur l’administration intracérébrale d’un vecteur viral (virus adéno-associé ou AAV) codant l’α-N-acétylglucosaminidase (NAGLU) [5]. Ses résultats montrent aujourd’hui que plus l’injection est précoce, meilleurs sont ses résultats. De façon assez logique, il faut intervenir avant que les processus dégénératifs ne soient trop engagés. Des injections locales peuvent modifier le cours de la maladie. Néanmoins, pour faire véritablement la différence sur le plan thérapeutique, il est très probable que cette administration locale ne suffise pas. Il faudra peut-être la combiner à des injections par voie générale. Des études sont par ailleurs en cours pour évaluer l’efficacité d’une administration par voie systémique de vecteurs différents, capables de franchir la barrière hémato-encéphalique et qui donc pourraient agir à la fois au niveau du système nerveux central et en périphérie. Ces travaux relèvent de la troisième vague de développement en thérapie génique, qui porte sur la voie systémique, un domaine où nous assistons aujourd’hui à une véritable révolution. Il a fallu des années pour trouver les vecteurs, puis les affiner afin qu’ils puissent être administrés par voie intraveineuse et se distribuer largement aux muscles, qui représentent plus de la moitié de la masse de l’organisme. La myopathie myotubulaire illustre de façon emblématique ce bouleversement thérapeutique en cours. Cette pathologie terrible entraîne le décès avant l’âge de deux ans dans plus de la moitié des cas. Elle se manifeste par une faiblesse musculaire généralisée (enfants « flasques ») et une détresse respiratoire. Il y a encore quelques années, aucun traitement n’était en vue.

Un succès extraordinaire

Son développement a impliqué des familles de malades, des chercheurs de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) qui ont identifié le gène de la myotubularine (MTM1) en 1996 [6], des associations de personnes concernées par la maladie (Muscular Dystrophy Association, Myotubular Trust, Anderson Family Foundation, Joshua Frase Foundation) qui ont réalisé des connexions entre les équipes de recherche, un vétérinaire qui travaillait aux États-Unis sur un modèle canin (labrador) de myopathie myotubulaire et les équipes de Généthon qui ont été capables de produire des lots de thérapie génique (AAV8 véhiculant le gène MTM1) suffisamment importants pour pouvoir traiter ces chiens. Il était facile de traiter des souris. Mais traiter des chiens, puis des humains a nécessité des capacités de production sans comparaison. Des années de développement ont été nécessaires, pour in fine obtenir des résultats spectaculaires. Dans le modèle canin de myopathie myotubulaire, les chiens ont beaucoup de mal à se dresser sur les pattes et à marcher. Leur espérance de vie n’est que d’environ 25 semaines. Ils ont été traités par thérapie génique, avec l’administration intraveineuse d’un vecteur mis au point à Généthon par le Dr Ana Buj-Bello. Dès 15 jours après l’injection, la différence est déjà énorme. Les chiens retrouvent peu à peu une très bonne motricité. Ils ont un comportement pratiquement normal et atteignent l’âge adulte. Une injection unique de ce traitement conduit à une expression à long terme du gène corrigé [7]. Elle pourrait être pérenne. Ces résultats ont conduit au démarrage d’un essai clinique international, sous l’impulsion d’une biotech américaine (Audentes Therapeutics) et en partenariat avec Généthon. Un premier enfant âgé de neuf mois a été traité en octobre 2017. Il peut aujourd’hui se tenir assis et jouer. D’autres enfants ont été traités depuis. C’est un véritable succès, après 30 ans d’effort pour faire émerger ce type de thérapeutique. Notre rêve est en passe de devenir une réalité. C’est également vrai dans l’amyotrophie spinale infantile (SMA), où la thérapie génique devient possible avec un virus adéno-associé (AAV9) qui franchit la barrière hémato-encéphalique. Administré par voie intraveineuse, ce vecteur transmet le gène thérapeutique aux motoneurones de la moelle épinière. Ces travaux, initiés par Martine Barkats à l’Institut de Myologie et à Généthon, ont été repris par les équipes de Jerry Mendell qui a créé la société Avexis. Il a présenté lors du congrès Myology 2016 une vidéo absolument incroyable où des patients atteints d’une SMA de type 1 traités peuvent se lever, marcher, monter des escaliers. Constater ce type d’efficacité après toutes ces années de recherche, c’est non seulement porteur d’espoir, mais aussi de perspectives très importantes pour bien d’autres pathologies. Aujourd’hui, nous sommes dans le domaine du réel et non plus simplement du « possible ». La société Avexis pourrait déposer un dossier d’autorisation de mise sur le marché pour sa thérapie génique de la SMA en 2019. Ces mêmes approches sont en train d’être déclinées dans un certain nombre d’autres pathologies neuromusculaires (myopathies des ceintures, dystrophie musculaire de Duchenne, maladie de Pompe…), avec d’autres types de vecteurs (AAV5, AAV10, AAV8, AAV9). Elles vont désormais avancer très vite car les preuves de concept, étape la plus difficile, sont déjà réalisées.

Des défis éthiques et scientifiques

Si la thérapie génique a mis du temps à émerger, l’accélération actuelle de ses développements n’est pas sans générer des interrogations éthiques. Transformer un SMA de type I en SMA de type II ou de type III, est-ce éthiquement acceptable ? Dans quelles conditions ces malades vont-ils évoluer à l’avenir ? Ces questions ne sont pas propres à la thérapie génique ni aux maladies neuromusculaires. Elles se posent également par exemple en cancérologie, un domaine médical qui, après l’émergence des chimiothérapies, a connu celle des biothérapies antitumorales. Gagner trois mois de survie grâce aux chimiothérapies ou aux biothérapies mais au prix d’effets secondaires était-il éthique ? Se poser cette question n’a heureusement pas empêché ces traitements innovants de voir le jour. Désormais, la guérison d’un cancer est obtenue dans plus de la moitié des cas. Le questionnement éthique est légitime mais ne doit pas devenir un frein. En tout état de cause, il ne saurait être débattu sans les malades, d’autant qu’ils ont contribué à faire émerger les biothérapies. D’autres interrogations, de nature scientifique cette fois, se posent. Elles concernent notamment l’éventualité d’avoir à répéter l’administration du vecteur, pour prolonger l’efficacité. Avec un recul d’une quinzaine d’années, nous savons aujourd’hui que les AAV s’expriment très longtemps dans les muscles chez les singes et les humains. Pour autant, rien ne dit qu’ils s’exprimeront toute la vie de la personne traitée. Procéder à une deuxième injection pourrait s’avérer problématique puisqu’il s’agit d’un virus contre lequel l’organisme peut s’immuniser. Un autre questionnement se pose en amont de la première injection : nous ne pouvons pas administrer un vecteur viral chez un malade qui a déjà été exposé à ce virus (malade « pré-immun »). Des travaux de recherche sont en cours sur ces sujets. Un dernier thème de réflexion concerne les capacités de production. Il est d’autant plus aigu que ce champ thérapeutique s’ouvre très largement. Entre 1989 et 2017, la thérapie génique a fait l’objet de près de 2 600 essais cliniques, dont plus de 100 de phase III [8], à l’aide de différents vecteurs et dans des pathologies neuromusculaires ou non (maladie d’Alzheimer, hémophilie B, insuffisance cardiaque…). De premiers produits obtiennent des autorisations de mise sur le marché (AMM), à l’exemple du talimogene laherparepvec (Imlygic®) pour le mélanome, du voretigene neparvovec-rzyl (Luxturna®) pour l’amaurose de Leber, ou encore du tisagenlecleucel-CTL019 (Kymriah®) et de l’axicabtagene ciloleucel (Yescarta®) qui sont deux médicaments destinés à traiter les cancers hématologiques et qui utilisent les cellules CAR-T ainsi que les vecteurs validés dans les immunodéficiences génétiques.

Un nécessaire bond technologique

Il est très intéressant de constater que beaucoup des biomédicaments développés en cancérologie utilisent une technologie développée pour les maladies rares. Ce phénomène souligne le rôle pionnier joué par les associations de malades en général, et par l’AFM-Téléthon en particulier, qui ont soutenu avec obstination la recherche sur la thérapie génique pendant des années en dépit des critiques de scientifiques très autorisés affirmant que ces biothérapies ne fonctionneraient jamais. Des analystes financiers aux chercheurs, tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que la thérapie génique arrive à maturité. Après l’avoir initié, il faut nous mettre en capacité d’accompagner ce véritable tsunami et de répondre à ses enjeux majeurs en termes de bioproduction. Nous sommes capables de produire des lots pour les essais cliniques mais pas encore pour des milliers de malades. Il nous faut multiplier nos capacités pratiquement d’un facteur 100, d’une part pour répondre aux besoins et d’autre part pour réduire les coûts. A ce jour, traiter par thérapie génique un malade atteint d’une myopathie de Duchenne représente un coût de production de l’ordre du million d’euros. Ce n’est pas réaliste dans la perspective d’une généralisation à court terme de ce type de traitement. Hier, il fallait plus de trois ans (166 semaines) pour produire le traitement d’un seul patient, à partir de 1 000 litres de cellules en boîtes de culture. Aujourd’hui, nous parvenons à produire en six semaines, dans un biofermenteur de 200 litres, des lots suffisants pour traiter deux à cinq patients. Demain, nous devrons produire dans le même délai le traitement de 100 patients dans un biofermenteur de 20 litres. Cet objectif mobilise Généthon et d’autres acteurs, y compris industriels. Il passe par des travaux technologiques, mais aussi par de la recherche fondamentale pour mieux comprendre la biologie des virus.

Chirurgie de l’ADN et modulation de l’ARN, pour un traitement sur mesure

Forme ultime de la thérapie génique, l’édition du génome utilise également des vecteurs viraux. Il consiste à couper l’ADN double brin à un endroit spécifique grâce à des enzymes (nucléases) puis à faire en sorte qu’il se répare (parfois tout seul) ou intègre une séquence réparatrice. Plusieurs générations de nucléases ont vu le jour, jusqu’au développement actuels des fameux CRISPR (pour clustered regularly interspaced short palindromic repeats) qui révolutionnent déjà la recherche. Ils vont peut-être également révolutionner la médecine du fait de leurs spécificités et de leur simplicité d’utilisation, même si un grand nombre de questions se posent encore sur leur sécurité et leurs limites. Cette nouvelle génération de biothérapie fait son apparition dans la sphère des maladies neuromusculaires. Dans une publication récente, le laboratoire d’Éric Olson aux États-Unis a montré que l’administration d’un vecteur AAV porteur d’une séquence CRISPR permettait chez le chien modèle de la myopathie de Duchenne d’induire l’expression d’une dystrophine fonctionnelle. Quelques semaines après l’injection, le niveau de cette protéine a atteint jusqu’à 90 % de la normale, selon le type de muscle, et même 92 % dans le muscle cardiaque du chien qui a reçu la plus forte dose [9]. Une autre forme de thérapie innovante consiste à cibler, non pas les séquences d’ADN, mais l’ARN, c’est-à-dire la copie du gène qui permet la synthèse de la protéine. Plus de 20 produits différents ont été développés à cet effet, parmi lesquels les oligonucléotides antisens. Ces derniers sont capables de moduler le fonctionnement de l’ARN. Ils ont pour l’essentiel été appliqués à la myopathie de Duchenne, avec la technique du saut d’exon qui a nécessité une vingtaine d’années pour être maîtrisée (premier projet en 1995). Les oligonucléotides antisens ciblent des séquences spécifiques de l’ARN, importantes pour sa maturation. Au cours de cette maturation (ou phase d’épissage) une partie de l’ARN est éliminée : ce sont les introns, des séquences inutiles à l’expression de la protéine. Ne restent alors plus que les séquences codantes (exons) dont certaines portent la ou les mutations responsables de la maladie génétique. Les oligonucléotides antisens sont capables de se fixer sur des séquences spécifiques introniques ou exoniques pour les masquer et ainsi « sauter » certains exons lors de l’épissage pour restaurer le cadre de lecture de l’ARN messager. La lecture de cet ARN raccourci permet dès lors la production d’une protéine, certes tronquée, mais qui peut être fonctionnelle. Ce principe permet une approche de médecine personnalisée car adaptée au contexte génétique de chaque malade. En fonction du type de mutation que présente tel malade, les chercheurs mettent au point des oligonucléotides anti-sens capables de sauter tel exon. Avec une poignée d’antisens adaptés, on peut théoriquement s’adresser à 70 % des personnes atteintes de myopathie de Duchenne. Un premier antisens, l’étéplirsen (ou Exondys 51®), a obtenu une autorisation de mise sur le marché américain pour le saut de l’exon 51 du gène DMD. Il s’applique à 13 % des malades Duchenne. Un autre oligonucléotide antisens, le nusinersen (Spinraza®), a obtenu une AMM en Europe et aux Etats-Unis pour l’amyotrophie spinale infantile. Il induit, non pas un saut d’exon, mais la réintégration de l’exon 7 dans l’ARN qui code la protéine SMN.

Maladies fréquentes et rares, même combat

Ces premiers médicaments seront suivis par d’autres. Nous n’en sommes qu’au début d’une nouvelle classe de médicaments qui est déjà explorée dans d’autres myopathies comme la dystrophie myotonique de Steinert (DM1) et la dystrophie facio-scapulo-humérale (FSH). La preuve de concept établie pour une maladie ouvre la voie à des développements dans d’autres pathologies. Sur le seul champ de la DM1, différentes approches sont explorées tant par des biotechs et que par des structures publiques comme l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Certaines de ces approches n’ont pas fonctionné (DMPK-2,5Rx de Ionis Pharmaceuticals, VLT002 de VLT Biopharma…). D’autres poursuivent leur chemin à l’exemple des produits développés par Valerion, Biomarin ou Smart. C’est l’évolution normale de la recherche thérapeutique. Au-delà, la modulation de l’ARN porte une nouvelle classe de médicaments qui dépasse largement le cadre des maladies rares pour s’attaquer aussi à des pathologies très fréquentes comme des maladies cardiovasculaires, des cancers (l’enjeu est d’interférer avec les gènes des cellules tumorales) ou encore des maladies infectieuses (gènes de virus). Un grand nombre de produits sont actuellement à l’étude, à des phases de développement variables, depuis le stade préclinique jusqu’à la commercialisation. Des oligonucléotides antisens sont déjà sur le marché comme le Mipomersen (Kynamro®) qui est indiqué dans l’hypercholestérolémie familiale, le Fomiversen (Vitravene®) pour traiter la rétinite à cytomégalovirus ou encore plus récemment l’inotersen (Tegsedi®) dans les neuropathies amyloïdes à transthyrétine. L’émergence progressive de cette aire thérapeutique traduit un mouvement de fond qui n’est pas prêt de s’arrêter et va même s’étendre car nous n’en sommes qu’à la phase de découverte du monde fascinant de l’ARN. Il compte différentes familles de petites molécules : small interfering RNA (siRNA), micro-ARN (miRNA), small nucleolar RNA (snoRNA), small nuclear RNA (snRNA), circular RNA (circRNA)… Leur liste s’allonge chaque année. Ces petits ARN jouent des rôles biologiques très importants dans la régulation de notre génome. Nous allons probablement découvrir que leurs anomalies sont à l’origine de maladies. Dès lors, nous pourrons utiliser ces petits ARNs ou d’autres à la fois comme biomarqueurs (diagnostic, suivi de traitement) et comme agents thérapeutiques. Ce champ de recherche est en train de s’ouvrir. Il débouchera sur des essais cliniques et de futurs traitements dans les années à venir.

Stimuler la régénération des cellules musculaires

La thérapie cellulaire entre également dans le champ des biothérapies, avec des applications possibles pour les maladies neuromusculaires. Dans la dystrophie musculaire de Duchenne par exemple, l’absence de dystrophine provoque une fragilité des fibres musculaires, puis leur destruction. Cette nécrose musculaire est suivie d’une régénération qui s’épuise avec le temps, avec l’installation d’un déficit moteur progressif. Un premier mode de thérapie cellulaire consiste à greffer des cellules souches musculaires (myoblastes) pour favoriser la régénération des muscles. Ce traitement potentiel se montre néanmoins encore de faible efficacité. La greffe de myoblastes fait l’objet d’essais depuis 20 ans, sans véritable succès, à l’exception du traitement de petits muscles car ces cellules souches diffusent peu. Elles tendent à rester sur leur site d’injection. Dès lors, leur utilisation pourrait être envisagée pour traiter par exemple les muscles pharyngés dans la dystrophie musculaire oculopharyngée (DMOP) ou des sphincters, mais pas de grands muscles. Les recherches se poursuivent pour rendre plus efficaces ces thérapies en améliorant la diffusion, mais aussi la différenciation et la persistance des cellules greffées. Une deuxième voie explorée associe la greffe de cellules à des technologies de type CRISPR. Dans la dystrophie musculaire de Duchenne, cette approche consiste à modifier (par CRISPR) les cellules à greffer pour leur faire produire de la dystrophine, avant de les injecter dans les muscles malades. C’est déjà réalisé chez des modèles animaux de la maladie, comme la souris [10] et même le chien, mais pas encore chez l’homme. D’autres approches, du domaine de la recherche, utilisent le saut d’exon via CRISPR sur des myoblastes ou des cellules souches pluripotentes induites (iPSC) [11]. La régénération musculaire peut également être stimulée par différentes substances qui possèdent une action anti-myostatine. Ce champ de recherche intéresse beaucoup l’industrie pharmaceutique, non pas tant sur le marché des maladies rares neuromusculaires que sur celui, énorme, de la fonte musculaire liée à l’avancée en âge (sarcopénie) ou à une maladie intercurrente comme un cancer. La myostatine est une hormone qui freine la croissance du muscle. Elle se fixe sur le muscle à un récepteur, qui active un certain nombre de gènes impliqués dans la différenciation musculaire. Il en résulte une inhibition de la prolifération et de la différenciation des myoblastes. Inhiber la myostatine, bloquer ses récepteurs ou favoriser sa dégradation permettrait d’augmenter la masse musculaire. Ces pistes thérapeutiques ont d’abord été testées sur des maladies neuromusculaires. Le tout premier essai a porté sur la dystrophie musculaire de Becker, la myopathie des ceintures et la myopathie facio-scapulo-humérale, avec des anticorps monoclonaux anti-myostatine [12]. Leur administration à 116 patients sur une période de six mois n’a pas entraîné d’amélioration fonctionnelle (force inchangée). Seuls quelques participants ont vu leur masse musculaire augmenter. Les différentes approches anti-myostatine affichent à ce jour des résultats qui paraissent plutôt décevants dans les maladies neuromusculaires. Les muscles ne sont pas normalisés. Ils restent fragiles et continuent à s’altérer. L’avenir est probablement à la combinaison d’une technique anti-myostatine avec des thérapies qui corrigent le défaut musculaire originel.

Une véritable filière des biothérapies innovantes

Ce type d’association thérapeutique décuplera le prix des traitements, déjà très élevés. Car le point commun de toutes ces biothérapies, c’est leur coût, notamment parce que leurs développements sont très chers. En recherche et développement pharmaceutique, l’expression « vallée de la mort » désigne la période charnière qui débute après la phase de preuve de concept, lorsque les candidats médicaments sont produits à grande échelle et entrent en essais cliniques de phase I/II. Cette étape critique demande des moyens financiers considérables. Faire émerger un nouveau traitement peut prendre 20 ans et coûter plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros. Toute la stratégie de l’AFM-Téléthon a été de résoudre cette « quadrature du cercle » afin de faire émerger des biothérapies innovantes. Cela consiste d’abord à encourager la recherche fondamentale, via nos appels d’offres qui portent 275 projets publics/privés chaque année et suscitent notamment des partenariats avec des universités, en France comme à l’étranger. C’est ainsi que se multiplient des preuves de concept qui pourront ensuite se décliner à un nombre croissant de pathologies, et donc intéresser les industriels comme les investisseurs. À l’étape suivante (stade préindustriel), notre filière biothérapie s’appuie sur nos propres forces (Généthon, Institut de Myologie, I-Stem) et sur des startups issues de structures académiques, du secteur privé ou encore de nos laboratoires. Avec le fonds public d’investissement Bpifrance, nous soutenons ces jeunes pousses dans la durée pour leur donner toutes les chances de réussir. En 2013, l’AFM-Téléthon et le Fonds National d’Amorçage (FNA) ont créé le premier fonds d’amorçage dédié aux biothérapies innovantes et aux maladies rares. Géré par Bpifrance, et doté de 50 millions d’euros, il a permis de soutenir six startups. Deux sont aujourd’hui déjà cotées en Bourse. Fin 2016, nous avons créé avec Bpifrance la plateforme de production YposKesi (un programme de plus de 120 millions d’euros) dédiée à la production de médicaments de thérapie génique et cellulaire pour les maladies rares. Sa création repose sur la philosophie qui nous anime depuis des décennies : initier et faire nous-mêmes puisque personne d’autre ne le fait, puis faire en sorte que le relais soit pris par d’autres. Cette stratégie scientifique, établie dès le premier Téléthon, est assumée. D’autres associations adoptent des approches comparables, mais l’AFM-Téléthon est la seule au monde à couvrir un tel champ d’activité, quelles que soient d’ailleurs les pathologies visées. Cette stratégie s’avère payante en termes d’avancées et de résultats. Elle exige d’avoir une vision globale de l’environnement des thérapies innovantes. Nous travaillons beaucoup avec les décideurs pour faire évoluer le champ des maladies rares et favoriser l’émergence de ces thérapeutiques. Nous visons également la question clé d’un prix juste et maîtrisé qui ne constitue pas un frein à la mise à disposition pour tous les malades. Tel est le pouvoir des malades, théorisé par le sociologue Michel Callon dans un livre consacré à notre association [13]. Il ne s’agit pas d’un pouvoir au sens littéral du terme, mais de la contribution apportée par les malades à un domaine qui les concerne au premier chef. Les malades ne sont pas seulement des patients. Ce sont aussi des pionniers.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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