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| Med Sci (Paris). 35: 51–53. doi: 10.1051/medsci/2019027.Thérapies innovantes et organisation des structures de
soins Isabelle Desguerre,1* Marianne Perreau-Saussine,2 Djillali Annane,3 and Guilhem Solé4 1Chef de service Neuropédiatrie à l’hôpital Necker,
coordinatrice pédiatrique du Centre de Référence des maladies
neuromusculaires Necker, 149, rue de Sèvres, 75015Paris,
France 2Secrétaire générale de l’Institut de Myologie,
47, boulevard de
l’Hôpital, 75013Paris,
France 3Doyen de l’UFR des Sciences de la santé Simone Veil
(Université de Versailles SQY), Université Paris Saclay,
91400Saclay,
FranceChef du service de Médecine Intensive Réanimation de
l’Hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP, Garches), 104, boulevard Raymond Poincaré,
92380Garches,
France 4Coordonnateur adulte du Centre de Référence des maladies
neuromusculaires de Bordeaux, CHU de Bordeaux, place Amélie Raba Léon, 33000Bordeaux,
FranceCoordonnateur du Centre de Référence des maladies
neuromusculaires Atlantique-Occitanie-Caraïbe, CHU de
Bordeaux, place Amélie Raba
Léon, 33000Bordeaux,
France |
Les thérapeutiques innovantes font vraiment l’actualité dans le domaine des maladies
rares. Il ne se passe une semaine sans une nouvelle publication sur ce thème. Si ces
nouveaux traitements suscitent de formidables espoirs, la réalité est parfois plus rude.
En témoigne l’histoire d’Alessandro, un enfant italien atteint d’une amyotrophie spinale
infantile (SMA). Né en 2015, il est décédé trois ans plus tard en dépit d’un traitement
par nusinersen (Spinraza®) débuté à l’âge de 12 mois [1]. |
Les pays européens ont fait des choix sociétaux très différents en matière d’accès
aux innovations thérapeutiques, alors même que la procédure d’autorisation de mise
sur le marché (AMM) est centralisée. Ainsi, les patients ne peuvent pas bénéficier
du nusinersen dans la majorité des pays d’Europe. En Angleterre notamment, l’accès à
ce traitement repose sur un tirage au sort. Ce n’est bien entendu pas le cas en
France, un pays qui a fait le choix de l’équité. À charge pour les cliniciens de
trouver très vite les moyens de dispenser les traitements innovants de façon
équitable, à moyens constants. De fait, traiter un patient par nusinersen en hôpital
de jour mobilise des ressources médicales et paramédicales conséquentes, a
fortiori si l’existence d’une scoliose complique l’injection
intrathécale. De même, le suivi rapproché de ce traitement à l’efficacité et aux
effets indésirables encore mal connus, notamment à long terme, nécessite des moyens.
Administrer, suivre, évaluer, compiler les données et les traiter, toutes ces étapes
ont un coût qui s’ajoute à celui du médicament lui-même. Au-delà, les traitements
innovants déjà disponibles pour les maladies neuromusculaires augmentent les besoins
de soins. En effet, ils ne font pas disparaitre la maladie, mais transforment son
évolution, avec nécessité de nouvelles prises en charge. Une étude menée en
Allemagne sur plus de 60 enfants traités par nusinersen a ainsi objectivé une
amélioration indiscutable sur le plan moteur, mais une augmentation par exemple du
nombre de gastrostomies et de ventilations non invasives après six mois seulement de
traitement [2]. Or les
établissements de santé disposent de ressources limitées. Déjà à bout de souffle,
ils ont des difficultés à absorber l’activité « normale ». En l’état, introduire
toute innovation thérapeutique qui nécessite la réorganisation d’une équipe
soignante et/ou des ressources humaines supplémentaires paraît impossible. Notre
système actuel n’est pas en mesure d’assurer un accès précoce et dans de bonnes
conditions aux médicaments innovants à tous les patients qui pourraient en
bénéficier. Les équipes sont donc obligées de recourir au système D. À cet égard,
l’exemple du nusinersen est emblématique. Les neuropédiatres de la filière des
maladies rares neuromusculaires ont anticipé son arrivée au pied levé, avec les
moyens disponibles. Une façon de faire difficile à tenir dans la durée, d’autant que le rythme des
innovations thérapeutiques s’accélère. Contrairement à d’autres pathologies, comme
l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral dont les prises en charge
ont justifié des réorganisations spécifiques, les maladies neuromusculaires
présentent une grande diversité, qui laisse présager d’innovations thérapeutiques
très différentes (nature du médicament, mode d’administration…). Et pour une même
maladie, par exemple la SMA, le traitement va probablement évoluer à plus ou moins
brève échéance.
Dans la vraie vie en pédiatrie francilienne
Lorsque le nusinersen a été disponible, la communauté médicale s’est
mobilisée pour en faire bénéficier le plus rapidement possible les enfants
dans chaque Centre de référence. Elle a dû trouver des solutions sans aucun
moyen supplémentaire, ni support des administrations hospitalières. Les
neuropédiatres ont élaboré et déployé une grille d’évaluation des enfants,
remplie au début du traitement puis tous les six mois. Ils ont également
instauré une réunion mensuelle au cours de laquelle sont discutées de façon
collégiale les indications à débuter le traitement ou à l’arrêter, au cas
par cas. Chaque centre prescripteur du nusinersen en Ile-de-France, en
l’occurrence l’hôpital Necker- Enfants malades, Armand-Trousseau et
Raymond-Poincaré de Garches, a dû également s’organiser pour mettre en place
le traitement. Seul le plus grand centre prescripteur de France (Garches) a
obtenu un peu de moyens supplémentaires, au terme d’un véritable bras de
fer. Son équipe avait anticipé en demandant des ressources spécifiques
(dispositif des mesures nouvelles) justifiées par un plan financier et de
rentabilité. Elaborer un tel plan a nécessité de faire des projections à un
ou deux ans, alors même que très peu de données étaient publiées. Les
équipes des trois centres franciliens ont été convoqués par la Direction de
l’organisation médicale et des relations avec les universités (Domu) de
l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour justifier le projet de
traitement par nusinersen, expliquer ses coûts et l’activité générée. Les
chiffres dont disposaient alors les cliniciens étaient succincts puisque
qu’ils n’avaient commencé à traiter des enfants que depuis deux à trois
mois. Ils sont convoqués à la Domu tous les trois mois depuis. Six mois
après l’arrivée du nusinersen, 123 patients avaient déjà débuté le
traitement, dont la moitié en Ile-de-France. Aujourd’hui, environ 200
enfants sont traités en France. Peu d’entre eux sont atteints d’une
amyotrophie spinale de type 1. Il s’agit d’un type 2 dans la grande majorité
des cas, et de quelques types 3. Le choix des neuropédiatres a été de
traiter en première ligne les enfants les plus jeunes. Pour chacun d’entre
eux, ils ont des discussions très ouvertes avec les parents sur l’intérêt ou
non de traiter leur enfant. La décision d’entreprendre le traitement est
prise d’un commun accord. Elle repose sur un vrai partenariat. Cette façon
de faire explique que 45 % « seulement » des enfants atteints d’une SMA de
type 1 reçoivent aujourd’hui un traitement par nusinersen. A l’hôpital
Necker, ce traitement représente 220 hospitalisations de jour
supplémentaires sur une année.
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Un tel contexte oblige à inventer de façon collective un nouveau modèle
d’organisation des soins. Il doit être suffisamment flexible pour s’adapter à toute
innovation thérapeutique future, toute maladie neuromusculaire et tout établissement
de soins. C’est une absolue nécessité pour être en capacité d’assurer, dans les
années à venir, un accès précoce (dès avant l’AMM) et équitable aux thérapies
innovantes des patients atteints de maladies neuromusculaires, sans sélection basée
par exemple sur des critères de gravité. Ce nouveau modèle doit s’appuyer sur de
nouveaux acteurs. Le patient en fait incontestablement partie. Il participe de plus
en plus aux choix d’indication thérapeutique car ces choix ont la plupart du temps
un impact considérable sur sa propre organisation de vie. L’équipe soignante et le
patient constituent désormais un véritable binôme au cœur de l’organisation des
soins. Et l’équipe soignante inclut désormais sans ambiguïté le pharmacien et
l’équipe de la pharmacie. En CHU, les équipes de recherche seront également de plus
en plus associées à l’accès à l’innovation. Les partenaires industriels, qui portent
bon nombre de thérapies innovantes, sont aussi des acteurs importants. Ils peuvent
également, dans la limite des dispositions juridiques qui encadrent leurs relations
avec les professionnels de santé, fournir à ces derniers différents supports, et
notamment développer des outils numériques par exemple pour planifier les soins. Les
associations de malades jouent enfin un rôle pour favoriser l’accès à l’innovation,
via notamment des interventions de lobbying. D’autres acteurs
interviennent, dont nous ne savons pas encore à quel point ils seront de vrais
partenaires. Il s’agit de l’Assurance Maladie et des autorités publiques. Proposer
un modèle d’organisation des soins impliquant différents acteurs autour du binôme
patient-soignant est vain s’il n’est pas accompagné et soutenu par l’Assurance
Maladie pour le financement, et par les autorités publiques pour lever les verrous
réglementaires à la réorganisation. Ce nouveau modèle semble difficile à implanter
en dehors des Centres de référence et de compétences des maladies neuromusculaires.
L’administration d’un traitement innovant en hospitalisation à domicile (HAD) ou
dans un hôpital de proximité simplifierait, certes, le quotidien des patients et de
leur famille autant qu’elle allégerait la charge de travail des centres hospitaliers
universitaires (CHU). Cependant, ces solutions ne peuvent se concevoir que pour
l’administration de traitements qui ne sont plus véritablement innovants, comme le
Myozyme®. Une thérapie nouvelle, dont les bénéfices comme les risques
à moyen et long terme restent à évaluer, exige un suivi centralisé et homogène à
l’échelle nationale. Plus une population est dispersée, moins performante et
réactive est son évaluation. Sans parler du suivi, la seule administration d’une
thérapie innovante pourrait mettre en difficulté les hôpitaux de proximité. Ils
n’ont pas l’expérience des maladies rares. Elle pourrait également dépasser les
capacités des services d’HAD, déjà proches de la saturation. De plus, la France n’a
pas encore, comme les pays d’Europe du nord, la culture du traitement à domicil.
L’infirmier(ère) en pratique avancée
L’article 119 de la loi de modernisation du système de santé a créé le métier
d’auxiliaire médical en pratique avancée. L’exercice infirmier est le
premier concerné par cette évolution. La « pratique avancée » recouvre : • des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de
dépistage, • des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et
des actes de surveillance clinique et paraclinique, • des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale,
des prescriptions d’examens complémentaires, des renouvellements ou
adaptations de prescriptions médicales. Pour l’heure, le diplôme d’Etat d’infirmier(ère) en pratique avancée se
décline en trois mentions : • les pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies courantes en
soins primaires, • l’oncologie et l’hémato-oncologie, • la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale. Source : Ministère des solidarités et de la santé.
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Les points clés de l’atelier
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Le contexte
• De nouveaux acteurs : les patients (nouvelles attentes,
nouvelles exigences et nouveaux profils évolutifs du fait des
thérapies innovantes), les partenaires industriels, les
pharmaciens (pharmacovigilance notamment), les paramédicaux
spécialisés (infirmiers, kinésithérapeutes).
• De nouveaux traitements en permanence, dont les voies
d’administration vont changer.
• Une raréfaction des ressources.
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Les moyens sont limités ? Faire preuve d’imagination !
• Anticiper : l’organisation de l’administration du traitement,
les modalités d’évaluation et les indicateurs, les modalités de
recueil des données, les besoins de prise en charge en dehors
des traitements.
• Repenser les organisations de soins, pour gagner en
flexibilité.
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Des solutions
• Equipes de soins mobiles.
• Personnels formés et spécialisés aux nouvelles thérapeutiques
(infirmières, kinésithérapeutes).
• Enveloppes budgétaires adaptées et fléchées.
• Partenariat éventuel avec les industriels.
Outils numériques pour planifier les besoins de soins et
recueillir les données (efficacité, pharmacovigilance).
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Une force de frappe dédiée Le nouveau modèle d’organisation doit donc être ciblé sur les centres experts. Pas
question pour autant de rajouter des lits à un service ou à un hôpital de jour, une
solution trop rigide. Une réponse plus adaptée serait de constituer des « équipes
mobiles de soins innovants », pourquoi pas mutualisées avec d’autres spécialités à
l’instar d’un projet développé en Loire Atlantique par le CHU de Nantes. Mutualisée,
car un service peut avoir, un temps, une thérapie innovante à administrer et puis ne
plus en avoir aucune. Mobile, pour aller rapidement là où le besoin existe. Ces
équipes devraient comporter des paramédicaux (infirmiers, kinésithérapeutes)
spécialisés, formés à la prise en charge des patients atteints d’une maladie
neuromusculaire. Ils pourraient réaliser notamment des évaluations plus régulières
et plus fines que celles effectuées par les cliniciens dans le cadre des
consultations, souvent surchargées. A cet égard, la loi de modernisation du système
de santé, qui a posé le cadre juridique de la « pratique avancée » pour les
auxiliaires médicaux [3],
crée une opportunité dont la filière des maladies rares neuromusculaires pourrait se
saisir. Un(e) IPA sera un(e) infirmier(ère) avec au moins trois années d’exercice et
ayant obtenu après deux ans de formation un diplôme d’Etat reconnu au grade
universitaire de master. Les premières entrées officielles en formation d’IPA ont eu
lieu à la rentrée 2018-2019, avec une première vague de trois spécialités. Le
ministère en charge de la santé va se pencher sur une deuxième vague, pour d’autres
filières où ces nouvelles compétences sont nécessaires. Ces soignants seront
rémunérés à hauteur de leurs nouvelles compétences, une garantie d’attractivité. Et
ils ne pourront pas être redéployés dans un établissement de soins sur d’autres
missions. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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1. Tommasini
A,
Magnolato
A,
Bruno
I. Innovation for
rare diseases and bioethical concerns: a thin thread between medical
progress and suffering . World J Clin
Pediatr.
2018; ; 7 :
:75.–82. 2. Pechmann
A,
Langer
T,
Schorling
D, et al.
Evaluation of children with SMA type 1 under treatment with
nusinersen within the expanded access program in Germany .
J Neuromuscul Dis.
2018; ; 5 :
:135.–143. 3. Article 119 de la loi n° 2016–41
du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. JORF n° 0022
du 27 janvier 2016 (sur www.legifrance.gouv.fr).. |