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Med Sci (Paris). 35: 54–56.
doi: 10.1051/medsci/2019053.

Quel suivi pour les traitements innovants ?

Emmanuelle Campana-Salort,1* Caroline Espil-Taris,2 Hélène Prigent,3 Marie de Antonio,4 Bénédicte Lebrun-Vignes,5 Vincent Tiffreau,6 and Géraldine Honnet7

1Centre de Référence des maladies neuromusculaires Marseille, FiInemus, Marseille, France
2Centre de Référence des maladies neuromusculaires, Bordeaux, France
3Centre de Référence des maladies neuromusculaires, Garches, France
4Centre de Référence des maladies neuromusculaires Pitié-Salpêtrière, Institut de myologie, Paris, France
5Centre régional de pharmacovigilance, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, France
6Centre de Référence des maladies neuromusculaires, Lille, France
7Directrice du développement Généthon, Évry, France
Corresponding author.
 

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Le suivi des patients qui reçoivent une thérapie innovante bénéficie de moyens beaucoup plus faibles que ceux attribués aux essais cliniques qui ont permis de démontrer sa tolérance et son efficacité. Il s’inscrit également dans une temporalité très différente. L’essai clinique s’apparente à un véritable marathon, sur une période de six à douze mois. A contrario, la surveillance a débuté voici plus de 10 ans pour certaines innovations thérapeutiques destinées à des maladies neuromusculaires, comme l’alglucosidase alfa (Myozyme®) dans la maladie de Pompe. En amont, lorsque l’autorisation de mise sur le marché (AMM) arrive très vite, la mise en place du suivi peut toutefois devoir se faire sur un rythme accéléré. La communauté médicale doit alors se rassembler et se coordonner rapidement pour instaurer la surveillance du nouveau médicament. Un autre paramètre à prendre en compte tient à la nécessité de poursuivre la prise en charge pluridisciplinaire. Traitement innovant ou pas, elle reste nécessaire.

De nombreux défis

En vie réelle, surveiller une thérapie innovante signifie dépister ses effets secondaires, cliniques mais aussi biologiques. Cela signifie également évaluer ses effets sur la qualité de vie. Ils peuvent se traduire chez l’enfant par des modifications de la participation à la maison, à l’école et de façon plus large au sein de la collectivité. Par ailleurs, le traitement peut avoir un retentissement psychique, quand il s’administre par exemple sous forme d’injections répétées. Quelle est la tolérance de la voie d’administration ? De nombreuses autres questions se posent au moment d’instaurer un suivi adapté. Comment par exemple déceler l’apparition décalée de symptômes non repérés pendant l’essai clinique ? Par quels moyens mettre en évidence une absence d’efficacité ? Quels pourraient être les critères d’arrêt du traitement ? On imagine que ces critères puissent être différents selon la lourdeur de la thérapie innovante. Et puis comment partager ces données aux niveaux national, européen et international ? Une autre interrogation porte sur les registres. Faut-il en créer un pour toutes les thérapies innovantes qui semblent s’annoncer dans les années à venir pour les maladies neuromusculaires ? Chez l’adulte, une difficulté spécifique est représentée lors de la mise en place d’une thérapie innovante pour laquelle les essais thérapeutiques ont eu lieu uniquement chez l’enfant. En pédiatrie, les outils choisis devront être adaptés au profil clinique, à l’âge et au développement psychomoteur. Chez l’enfant, les conditions de passation des tests revêtent également une importance particulière (nécessité d’une participation active ou pas, fatigue engendrée). Un dernier paramètre, partagé par les soins pédiatriques et adulte, est financier. Comment faire du suivi de qualité sans les moyens financiers de l’essai clinique ? Les outils de mesure « idéaux » sont donc peu couteux. Ils sont également peu invasifs, aisément reproductibles, adoptables facilement par l’ensemble des centres prescripteurs, objectifs, fiables, robustes, peu chronophages et très sensibles. En effet, dans les maladies neuromusculaires, une thérapie innovante peut n’entraîner qu’un changement minime, donc difficile à objectiver, à l’exemple du simple ralentissement d’une lente dégradation.

De la respiration à la motricité

En pratique, pour évaluer les bénéfices respiratoires éventuels d’un nouveau médicament, les méthodes classiques (et faciles à répéter) restent des valeurs sûres. Il s’agit des mesures de la capacité vitale (CV), des pressions inspiratoire et expiratoire maximales (PImax, PEmax), du test de reniflement maximal (SNIP) et du débit de pointe à la toux (DEPT). Les recommandations pour la pratique clinique de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) [1] comporte un chapitre sur la place spécifique des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) dans le diagnostic et le suivi des pathologies neuromusculaires. Elles sont en règle réalisées 1 fois par an ou tous les 2 ans, mais ce rythme doit être adapté à l’évolutivité de la pathologie, et calé sur le suivi de la thérapie innovante. Les EFR présentent néanmoins des limites, à commencer par leur caractère volitionnel. Dans l’idéal, le suivi des impacts respiratoires d’une thérapie innovante reposerait sur un test non invasif et non volitionnel. Un tel outil n’existe pas à ce jour. L’échographie du diaphragme est, certes, non invasive, mais elle nécessite la participation du patient. Une manÅ“uvre respiratoire maximale est en effet nécessaire pour évaluer de façon indirecte la qualité de la contraction du muscle diaphragmatique. Pour les patients ventilés à domicile, l’évolution de la durée quotidienne de ventilation est utile au suivi. Bien choisir les paramètres respiratoires surveillés sous thérapie innovante est primordial. Il en va de la pertinence des résultats observés. Ces derniers sont bien entendu à confronter aux connaissances déjà acquises sur l’histoire naturelle de la pathologie [2, 3]. Pour suivre les capacités musculaires et fonctionnelles cette fois, le choix des outils doit prendre en compte des critères individuels comme l’âge (enfant ou adulte), la sévérité (patient marchant ou non, préhension possible ou pas…), les spécificités cliniques de la pathologie (atteinte musculaire, nerveuse ou de la jonction neuromusculaire, topographie plutôt axiale ou proximale, troubles de la déglutition ou non…) et les dimensions à évaluer (force maximale isométrique, activité en vie réelle au travers de la marche, de la qualité de vie…). Le choix s’appuie également sur des critères métrologiques, à commencer par la faisabilité. Les outils doivent être universels, accessibles, peu encombrants et peu chronophages. Ils doivent également être fiables et leurs mesures reproductibles, ce qui pose la question de la standardisation (même outil, même évaluateur). La sensibilité au changement constitue un dernier critère important. Pour certains outils, ils existent un effet seuil et/ou un effet plafond. La mesure de la Fonction Motrice (MFM) peut avoir les deux effets à la fois. Elle nécessite aussi un médecin ou un kinésithérapeute expérimenté, et prend du temps (36 mn en moyenne pour les trois domaines D1, D2 et D3) ce qui peut s’avérer décourageant en l’absence d’amélioration d’une évaluation bilan à l’autre.

Un bilan sur-mesure et évolutif

Compte tenu de ces différents critères, le suivi des capacités fonctionnelles et musculaires dans le cadre d’un traitement innovant pourrait s’appuyer, pour tous les patients, sur le testing musculaire selon l’échelle MRC (Medical Research Concil) qui lui aussi reste une valeur sûre, sur la MFM, la goniométrie articulaire, mais également sur la mesure de la qualité de vie. Le questionnaire QoL-NMD est spécifique aux maladies neuromusculaires, mais il reste générique (toutes pathologies). A l’exception de la myasthénie, aucune maladie neuromusculaire ne dispose d’un outil spécifique d’évaluation de la qualité de vie. Il n’existe pas non plus d’échelle pour évaluer ce paramètre chez l’enfant. Pour les patients ambulants, le test de marche de 10 mètres peut être utilisé afin de mesurer la vitesse de déplacement (utilisation d’un chronomètre et repères au sol). Il faut noter les aides techniques nécessaires. Pour les patients non marchants, le suivi peut s’appuyer sur la dynamométrie manuelle. Cette dernière peut également s’avérer utile lorsque la marche est conservée, permettant une évaluation plus fine que d’autres tests, par exemple chez les patients atteints d’une myosite à inclusions. En revanche, le set complet des outils de mesure de force musculaire et d’évaluation fonctionnelle des membres supérieurs MyoTools (MyoGrip, MyoPinch, MoviPlate) parait impossible à généraliser à tous les centres en raison de son coût, proche des 20 000 euros. Au rang des critères intéressant de suivi d’une thérapie innovante figure aussi la présence ou l’absence d’une fonction donnée. Le gain ou la perte par exemple d’une fonction motrice au niveau des mains s’avère parfois très important pour le patient. Enfin, les outils connectés qui permettent une évaluation longue durée de l’activité motrice (actimétrie) en vie réelle, vont certainement prendre une place croissante à l’avenir [4, 5]. Pour le suivi musculaire comme respiratoire, le choix initial des outils de mesures peut avoir à être modifié, en fonction des connaissances acquises au fil du temps sur les effets réels du nouveau traitement. Il faut savoir changer son fusil d’épaule si nécessaire.

Le registre, un outil à intérêts multiples

Dans tous les cas, il est essentiel de disposer de l’histoire naturelle de la pathologie avant l’arrivée d’une thérapie innovante. Pour juger vraiment de ses bénéfices, c’est une nécessité absolue. Les registres présentent à cet égard un intérêt majeur, qui permettent de mener des études d’histoire naturelle. Ils peuvent également constituer un outil d’évaluation d’une innovation thérapeutique à la condition d’intégrer de façon précoce une fonctionnalité « suivi de médicament », même si aucun produit n’est encore disponible. L’Observatoire français des dystrophies myotoniques DM-Scope fait ainsi partie, depuis juillet 2016, du consortium franco-québécois I-DM-Scope, avec l’objectif de créer à terme une plateforme internationale pour notamment réaliser des études d’histoire naturelle et faciliter la mise en place d’essais cliniques multicentriques. DM-Scope France recueille des données cliniques, génétiques et intègre déjà des données relatives aux prescriptions médicamenteuses. Elles sont applicables au suivi des thérapies innovantes par les centres experts, tel que celui de la Metformine à l’issue d’un récent essai clinique de phase 2 [6]. Le registre Français de la maladie de Pompe a pour sa part été créé pour étudier l’épidémiologie et l’histoire naturelle de la pathologie. Depuis la mise sur le marché de l’enzymothérapie substitutive par Myozyme®, il est aussi utilisé pour recueillir de manière prospective les données de suivi clinique et biologique des patients traités en France [7, 8]. L’expérience ainsi acquise pourrait être utilisée pour d’autres pathologies qui bénéficient aujourd’hui, ou vont bénéficier demain, de thérapies innovantes. Un registre peut également intégrer les données de pharmacovigilance. La Banque Nationale de Données Maladies Rares (BNDMR), désormais nourrie par l’application nouvelle BaMaRa, ne peut pas les accueillir. Les données de pharmacovigilance sont pourtant primordiales pour une innovation thérapeutique car l’essai clinique ne permet pas, en raison de sa durée, de connaître l’ensemble des effets indésirables. Une fois le médicament sur le marché, les données de pharmacovigilance permettent d’évaluer la tolérance en vie réelle et d’affiner le rapport bénéfices/risques. La déclaration des effets indésirables se fait en collaboration avec les équipes soignantes. Elle devrait associer davantage les patients.

Un travail de longue haleine

Les données de tolérance, comme celles d’efficacité, sont essentielles dans le cadre des différentes modalités d’accès précoce aux thérapies innovantes : compassionnelle, autorisation temporaire d’utilisation (ATU), expanded access program (EAP)… Leur collecte et leur évaluation collective à long terme, une fois l’AMM obtenue, restent tout aussi primordiale. L’AMM d’une thérapie innovante est en effet le plus souvent assortie de conditions, comme la réalisation d’essais cliniques complémentaires ou d’études de sécurité post-autorisation (post authorization safety study ou Pass). Reste que le suivi des patients traités est consommateur de ressources, financières et humaines. Implémenter des registres et évaluer correctement les patients de façon itérative prend du temps. Les pratiques d’évaluation gagneraient à être harmonisées à l’échelle nationale. Chaque maladie neuromusculaire présente en effet des spécificités, auxquelles doit être ajusté le suivi des patients.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Société de Pneumologie de Langue Française. Recommandations pour la pratique clinique concernant les explorations fonctionnelles respiratoires 2008–2010 . Rev Mal Respir. 2011; ; 28 : :1183.–1192.
2.
van der Ploeg AT, Clemens PR, Corzo D, et al. A randomized study of alglucosidase alfa in late-onset Pompe’s disease . N Engl J Med. 2010; ; 362 : :1396.–1406.
3.
Buyse GM, Voit T, Schara U, et al. Efficacy of idebenone on respiratory function in patients with Duchenne muscular dystrophy not using glucocorticoids (DELOS): a double-blind randomised placebo-controlled phase 3 trial . Lancet. 2015; ; 385 : :1748.–1757.
4.
Jimenez-Moreno AC, Newman J, Charman SJ, et al. Measuring habitual physical activity in neuromuscular disorders: a systematic review . J Neuromuscul Dis. 2017; ; 4 : :25.–52.
5.
Bachasson D, Landon-Cardinal O, Benveniste O, et al. Physical activity monitoring: A promising outcome measure in idiopathic inflammatory myopathies . Neurology. 2017; ; 89 : :101.–103.
6.
Bassez G, Audureau E, Hogrel JY, et al. Improved mobility with metformin in patients with myotonic dystrophy type 1: a randomized controlled trial . Brain. 2018; ; 141 : :2855.–2865.
7.
Laforêt P, Laloui K, Granger B, et al. The French Pompe registry. Baseline characteristics of a cohort of 126 patients with adult Pompe disease . Rev Neurol (Paris). 2013; ; 169 : :595.–602.
8.
Papadopoulos C, Orlikowski D, Prigent H, et al. Effect of enzyme replacement therapy with alglucosidase alfa (Myozyme®) in 12 patients with advanced late-onset Pompe disease . Mol Genet Metab. 2017; ; 122 : :80.–85.