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| Med Sci (Paris). 35(2): 163–168. doi: 10.1051/medsci/2019004.La France et la Grande-Bretagne à l’ère de la médecine
génomique Nouveaux défis éthiques en médecine de la
reproduction Ruth Horn1* 1The Ethox Centre, Wellcome Centre for Ethics and Humanities,
University of Oxford, Old Road Campus, Oxford, OX3 7LF,
Royaume-Uni |
Vignette (Photo © Inserm - Patrick Delapierre). En janvier 2018, les gouvernements français et britanniques ont annoncé le renforcement
de leur coopération dans le domaine de la médecine génomique. Plus précisément, il
s’agit d’intensifier le partenariat entre Genomics England1 et le plan France Médecine Génomique 2025, dont
l’objectif partagé est l’analyse de l’ADN à grande échelle. Le projet britannique
100 000 génomes visant le séquençage du génome de 100 000 patients suivis par le
National Health Service (NHS) est le plus grand projet de ce type
au monde. Suivant le modèle britannique, la France, d’ici 2025, envisage de combler son
retard dans le séquençage à grande échelle afin d’atteindre « la pointe de
l’état de l’art à l’échelle internationale » [1]. L’objectif de ces projets est d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients
atteints de maladies génétiques en développant une démarche diagnostique « plus
précise, avec des délais raccourcis ainsi que d’orientations thérapeutiques plus
efficaces avec des effets adverses limités » [1]. L’approche génomique ne cherche plus uniquement à comprendre les
causalités d’une maladie, mais plutôt les corrélations statistiques entre une maladie et
des facteurs socio-environnementaux [2]. Afin de pouvoir générer des informations génomiques significatives, il
est donc nécessaire de recueillir des données massives, ou Big Data.
Ces données sont amassées à l’intersection entre la recherche et la clinique : elles
sont recueillies grâce à des patients qui participent à des projets de recherche
génomique mis en place afin de trouver une réponse à une maladie rare à laquelle ils
sont confrontés. La quantité de données innombrables, ainsi que le flou qui existe entre
le contexte de la recherche et la clinique, soulèvent des questions éthiques,
déontologiques et juridiques touchant au consentement du patient, à la confidentialité
des données, au retour des résultats et l’usage de données acquises, à la relation entre
médecin, patient et famille, ou aux obligations professionnelles des soignants [3, 4]. Alors que ces questions elles-mêmes ne sont pas
nouvelles, le contexte dans lesquelles elles se posent désormais est inédit. Face aux nouveaux défis que suscitent les nouvelles technologies de génomique, les
principes de la bioéthique du XXe siècle, tels que l’autonomie du malade, le
paternalisme médical, la bienfaisance, la non-malfaisance ou la justice, ne sont plus
nécessairement adaptés pour répondre aux questions qui se posent désormais. Ainsi,
plusieurs auteurs ont appelé à réfléchir à de nouveaux principes afin d’élaborer une
« bioéthique du XXIe siècle » tenant compte, en particulier, des changements
liés à la globalisation, à la médecine génomique, aux technologies d’assistance à la
reproduction, aux avancées technologiques permettant d’améliorer l’homme, ou à même de
reconsidérer la frontière entre recherche et clinique [5, 6]. En France, la révision régulière des lois de la bioéthique fait écho au besoin ressenti
d’un cadre normatif évolutif des nouvelles technologies. L’un des grands thèmes en débat
autour de la révision des lois en 2018 est la médecine génomique et plus précisément le
séquençage du génome entier [7].
Jusqu’à récemment, la médecine génomique s’est intéressée particulièrement au séquençage
de l’ADN issu de personnes adultes. Les avancées scientifiques permettent désormais
d’appliquer cette technologie à large échelle dans un contexte néonatal voire prénatal
[8]. Bien que les nouvelles
technologies apportent de nombreux avantages, elles soulèvent donc dans ce contexte des
questions éthiques importantes auxquelles nous devons faire face. La volonté de collaborer au niveau international sur la génomique, comme c’est le cas
entre la France et la Grande-Bretagne, nécessite donc de réfléchir à un cadre normatif
qui soit commun et qui réponde aux défis éthiques. Afin qu’un tel cadre soit adapté aux
différents contextes nationaux, identifier et analyser les questions éthiques au niveau
général et dans leurs contextes particuliers s’imposent. Dans cette perspective, nous discuterons de l’enjeu international de la médecine
génomique et, plus précisément, de l’entrée en compétition internationale de la France.
Nous explorerons ensuite les enjeux éthiques de la médecine génomique, en prenant comme
étude de cas le contexte prénatal. Dans une dernière étape, nous nous proposons de
réfléchir à l’impact du contexte national sur la façon dont les questions éthiques
émergent en France, par rapport à la Grande-Bretagne. |
L’importance de la médecine génomique en France : l’entrée dans la compétition
internationale Depuis quelques années, les pouvoirs publics français témoignent d’une volonté de
faire de la médecine génomique l’un des éléments phares de la santé publique et de
la recherche scientifique. L’un des moteurs de ce développement repose sur la
compétition internationale, qu’elle soit scientifique mais aussi économique. La
médecine génomique est en effet un secteur économique dont l’importance croît
constamment. D’ici 2022, le marché associé à la génomique devrait se développer
jusqu’à atteindre plus de 23 milliards de dollars [9]. Le lancement du projet sur le génome humain,
en 1990, qui a conduit au premier séquençage complet du génome humain en 2003, a été
à l’origine d’une compétition internationale pour le séquençage de génomes d'un
grand nombre d’individus [10]. Alors que le séquençage du premier génome humain a nécessité treize
années et a coûté trois milliards de dollars, aujourd’hui, il est possible de
séquencer un génome en quelques heures seulement et pour moins de 1 000 dollars.
Afin d’être en tête de la révolution génomique et de toujours mieux identifier et
traiter les maladies rares, les États-Unis et la Chine ont chacun annoncé leur
intention de séquencer un million de génomes [11, 12]. En Europe, c’est au Royaume-Uni que les connaissances,
issues du projet de 100 000 génomes, ont conduit à proposer à partir d’octobre 2018
l’offre du séquençage par le NHS England. Le NHS sera ainsi le
premier système de santé publique à offrir systématiquement cette technologie afin
de mieux diagnostiquer les maladies rares et adapter les traitements aux profils
génétiques des patients [13]. La compétition internationale dans ce domaine de la médecine génomique pousse de plus
en plus de pays, dont les Pays-Bas ou l’Allemagne, à suivre cette tendance mondiale
[1]. En France, à la demande du premier
ministre de l’époque, Manuel Valls, le plan France Médecine Génomique 2025 a été
élaboré et publié conjointement par l’Alliance nationale pour les sciences de la vie
et de la santé (Aviesan) et par l’Inserm, en juin 2016. Un an plus tard, en
juillet 2017, les deux premières plateformes françaises de séquençage génomique à
très haut débit ont été mises en place. Les trois objectifs du plan France Médecine
Génomique 2025 étaient : (1) de « placer la France dans le peloton de tête
des grands pays dans le champ de la médecine génomique » ; (2)
« de préparer [l’offre de soins] à l’intégration de la
médecine génomique dans le parcours de soins et la prise en charge des
pathologies » ; et (3) « de mettre en place une filière
nationale de médecine génomique capable d’être un levier d’innovation
scientifique et technologique, de valorisation industrielle et de croissance
économique » [1]. C’est dans ce
contexte que la France a annoncé, en janvier 2018, sa coopération avec la
Grande-Bretagne, qui, comme on l’a vu, était et est l’un des plus grands leaders
globaux dans la médecine génomique. Dans son analyse de l’influence du néo-libéralisme sur les biotechnologies, Birch a
montré que la compétitivité internationale était largement motivée par l’intérêt
économique et industriel [14]. Ceci explique le discours optimiste sur la médecine génomique, avec
une tendance à la surestimation de l’efficacité des nouvelles technologies,
également décrite comme un genohype [15]. Ce sont les promesses optimistes et le
manque d’un discours public critique au sujet de la « révolution génomique » qui
incitent les éthiciens à réfléchir aux limites de ces nouvelles technologies [16]. En France, le Comité
consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a
publié trois avis, en 2013, 2016 et 2018. Il y discute des implications éthiques et
sociales de l’évolution de la médecine génomique et de son introduction dans la
pratique clinique [17-19]. Le thème central de ces
trois avis est l’impact du séquençage d’ADN à très haut débit qui permet d’obtenir
toujours plus d’informations sur le génome ; informations qui permettent de mieux
connaître et traiter les malades atteints de maladies rares, mais qui, à ce jour,
restent complexes et suscitent beaucoup d’incertitude quant à leur interprétation.
L’avis de 2013 discutait de l’usage de cette technologie dans le contexte prénatal
comme « la première étape d’une réflexion plus vaste sur l’ensemble des
questionnements associés à la généralisation du séquençage d’ADN à haut débit et
à ses implications médicales et sociétales » [18]. Le contexte prénatal n’est qu’un des
domaines de la médecine, parmi d’autres, pour lequel on trouve des applications
cliniques de la génomique. Comme le discutent Hui et Bianchi, c’est en effet à
travers l’analyse de l’ADN fœtal, dans le sang maternel, que la génomique prénatale
est devenu le précurseur de la médecine génomique [20]. Ce test de dépistage prénatal non-invasif
a ainsi permis à la médecine génomique de connaître une application dans la pratique
clinique. Il est à l’origine de l’utilisation, de plus en plus fréquente dans les
services de santé des secteurs privé et public, du séquençage d’ADN à très haut
débit. Le séquençage d’ADN fœtal permet désormais de diagnostiquer de plus en plus
de maladies rares et ceci toujours plus tôt. |
Les enjeux éthiques de la médecine génomique prénatale L’une des avancées les plus récentes dans le domaine de la médecine génomique
prénatale, ayant une application clinique, est le dépistage non-invasif (DPNI)
utilisant le sang maternel2. L’analyse de l’ADN
fœtal, libre et circulant dans le sérum maternel, permet en effet de détecter des
anomalies chromosomiques portées par le fœtus, comme les trisomies 21, 18 et 13,
ainsi que des anomalies du chromosome sexuel. Le DPNI permet d’obtenir un taux de
dépistage jusqu’à 99 % de ces anomalies, ce qui réduit le nombre de gestes invasifs
sur la mère et le fœtus, mais qui ne les remplace pas encore complètement. Depuis
2011, le DPNI est disponible dans de nombreux pays dans le secteur privé. Les
Pays-Bas ont été le premier pays à intégrer le DPNI dans leur programme de dépistage
prénatal national, en 2017. Dans d’autres pays, comme la France et l’Angleterre, le
DPNI est offert gratuitement, mais dans le cadre de projets de recherche. Ces deux
pays ont d’ailleurs indiqué leur volonté de rembourser ce test dans un proche avenir
[21-23]3. Il n’est cependant pas possible actuellement d’isoler suffisamment
d’ADN fœtal à partir du sang maternel pour réaliser un séquençage intégral du génome
du fœtus, mais cela pourrait être prochainement réalisé [24]. La mise à disposition du DPNI dans les systèmes de santé publique et l’extension de
son usage en médecine génomique prénatale soulèvent de nombreuses questions
éthiques. L’un des soucis les plus importants de l’application du DPNI est que cette
méthode de diagnostic pourrait devenir une application de routine, mais dont on
ignore les potentielles implications éthiques [25]. Des études suggèrent en effet que la
diminution de risque du geste, devenu non-invasif, et la simplicité d’une prise de
sang amèneraient les médecins à « banaliser » la procédure et ainsi à négliger
l’information des femmes sur les conséquences des résultats qui pourraient être
obtenus [26-28]. D’autres interrogations
sont formulées quant aux risques de discrimination de personnes handicapées [17, 29], de sélection du sexe [28, 30], ou de
dépistage d’éventuels défauts mineurs [31]. Quand il sera possible de séquencer le génome fœtal dans
son intégralité à partir d’un test non-invasif, de nouvelles questions éthiques se
poseront. Ces séquençages ne génèrent pas seulement des informations sur des
anomalies chromosomiques, mais aussi sur des mutations génétiques insoupçonnées ou
des variants génétiques, qui peuvent indiquer le statut de porteur d’une maladie
génétique, la prédisposition à une maladie à révélation tardive, ou des mutations
dont on ne connaît pas les conséquences et donc sans interprétation au moment de
leur découverte [32]. Une difficulté particulière du contexte prénatal concerne la complexité de la
relation entre phénotype et génotype. Dans certains cas, des caractéristiques
dysmorphiques sont trop subtiles pour être détectées par échographie. Dans d’autres
cas, des anomalies structurelles détectées lors d’une échographie peuvent être mal
interprétées en vue de nouvelles variantes génétiques. De plus, l’expression
variable ou la pénétrance incomplète d’une maladie génétique peut compliquer
l’interprétation d’un variant avant que l’enfant ne soit né [33, 34]. Cette difficulté de diagnostic et le manque de données
scientifiques disponibles font que, dans les conditions actuelles, le séquençage du
génome entier chez le fœtus, réalisé par amniocentèse et reposant donc sur un geste
invasif, reste encore rarement offert en clinique. Néanmoins, selon une étude
britannique4 qui a séquencé le génome et
l’exome entier de 1 000 trios (correspondant au fœtus, à la mère et au père
biologique), la Grande-Bretagne est l’un des pays pionnier offrant cette technologie
de diagnostic depuis octobre 2018, dans de rares cas d’anomalies fœtales
structurelles complexes et dans un contexte clinique [35]. Le débat autour du séquençage du génome entier de nouveau-nés soulève également des
questions importantes. Actuellement, le dépistage des nouveaux-nés comprend un
nombre limité d’anomalies génétiques qui varie selon les pays. En effet, 4 sont
recherchées en France, 9 en Angleterre, et 34 (auxquelles s’ajoutent éventuellement
27 conditions secondaires) aux États-Unis [36-38]
(→).
(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 10,
octobre 2015, page 929
Dans des cas exceptionnels, liés à des conditions graves et repérées en urgence en
néonatologie, certains pays, dont la Grande-Bretagne, offrent non seulement le
séquençage de certains fragments d’ADN fœtal, mais aussi un séquençage complet du
génome du bébé. Cependant, au nom de l’efficacité diagnostique et économique, de
plus en plus de chercheurs argumentent en faveur du séquençage complet du génome
pour tous les nouveau-nés [18]. En 2018, le
Conseil éthique britannique, le Nuffield Council on Bioethics, a
publié une note d’information présentant les questions éthiques associées au
séquençage du génome entier des nouveau-nés. Ces questions reprennent celles qui
émergent dans le contexte de la médecine génomique prénatale : le partage et
l’annonce d’informations génétiques de l’enfant, la prédétermination d’anomalies
recherchées, la difficulté d’interpréter des variantes génétiques, la décision
parentale autonome et éclairée, l’usage et l’archivage des données génétiques [39]. Certaines avancées de la médecine génomique comprennent également l’ingénierie ciblée
du génome, ou édition du génome (de l’anglais genome editing).
Cette technologie vise à corriger des problèmes ou des mutations dans le génome, en
remplaçant la séquence défectueuse. Un certain nombre d’obstacles scientifiques
restent à surmonter, mais certains chercheurs espèrent, dans un proche avenir,
pouvoir éditer le génome de l’embryon humain et ainsi éviter des anomalies
héréditaires. Les inquiétudes au niveau éthique et social concernent le choix des
anomalies à corriger… et donc la stigmatisation qui en résultera des personnes
affectées par une telle anomalie, ainsi que la possibilité d’un choix d’anomalies
particulières (et la stigmatisation de celles-ci) et donc la possibilité de choisir
le profil génétique d’un embryon (designer baby), voire
l’amélioration de ses traits génétiques. Les conséquences inconnues d’une telle
intervention sur le génome humain et le risque d’accroître les inégalités sociales
par rapport à l’accès aux nouvelles technologies restent une question importante à
considérer. En 2017, onze organisations internationales ont publié une déclaration mettant en
garde contre la mise en pratique de l’édition du génome humain, en l’absence de
preuves scientifiques pouvant justifier son usage et sauf si les questions éthiques
avaient été abordées en profondeur [40]. En 2018, le Nuffield Council on Bioethics
a cependant rendu un avis avançant que, d’un point de vue éthique, l’édition du
génome pouvait être justifiée si le bien-être de la personne concernée était
protégé, et que les interventions étaient en accord avec les principes de la justice
sociale et de la solidarité [41]. Bien que l’application clinique de cette technologie demeure
aujourd’hui hypothétique en Grande-Bretagne, l’avis a suscité un débat controversé
dans la presse britannique. En France, à l’initiative du Comité d’éthique de
l’Inserm, une association internationale, l’« Association for responsible
research and innovation in genome editing » (ARRIGE) a été créé en
2018. Réunissant plus de 35 pays, ARRIGE offre une plateforme invitant à un échange
interdisciplinaire sur le sujet. L’importance d’une collaboration internationale dans le cadre des recherches sur le
génome humain a été soulignée à la fin de 2018, quand un chercheur chinois a annoncé
avoir effectué une édition du génome ayant abouti à la naissance de jumelles
éditées génétiquement et « immunisées » contre le VIH (virus de
l’immunodéficience humaine) [42]5. L’auteur de cette
expérience n’a demandé ni l’accord de son université ni d’un
comité d’éthique pour mener ce projet. Avant même que ces affirmations aient pu être
vérifiées d’un point de vue scientifique, le gouvernement chinois, ainsi que la
communauté scientifique internationale et de nombreux éthiciens, ont condamné cette
expérience dont les conséquences biologiques ne sont pas encore connues, ni pour les
personnes ni, plus globalement, pour le génome humain. Il a été également remarqué
que considérant les traitements actuels du Sida, la modification de l’ADN pour
rendre les jumelles résistantes au VIH ne justifiait pas une intervention dont
l’impact sur un être humain n’est pas encore connu. Ce cas indique les défis que la
recherche génomique pose au niveau des encadrements régulateurs (éthique et
législatif) internationaux. |
L’impact des particularités nationales sur les enjeux éthiques Alors que les problèmes éthiques soulevés par la génomique prénatale sont similaires
dans tous les pays, indépendamment des contextes nationaux, la manière dont ils sont
traités varie d’un pays à l’autre [43]. Prenant l’exemple de la Grande-Bretagne et de la France, des différences quant aux
tests génétiques prénatals actuellement disponibles apparaissent entre ces deux
pays. En France, les dépistages prénatals de la trisomie sont plus fréquents (84 %)
qu’en Angleterre (61 %) [44, 45]. Ces
différences peuvent être expliquées par des différences structurelles liées à
l’organisation du système de santé dans chaque pays, qui influence l’allocation des
ressources, l’accès au dépistage, le type de tests de dépistage utilisés, etc. Vassy
et al. ont montré comment des aspects structurels, tels que le
temps disponible pour une consultation, les contraintes financières et les
stratégies de communication (plus ou moins directives ou normatives) influençaient
les décisions d’engager un dépistage ou non [46]. D’autres études ont analysé l’impact de l’allocation de
ressources sur les pratiques de dépistage prénatal dans différents pays européens
[47]. En sus de ces
aspects structurels, les variations entre les pays peuvent être expliquées par des
normes et des traditions légales et culturelles différentes, comme une approche
médicale plus paternaliste, en France, et une approche plus centrée sur la personne,
en Angleterre [43, 48]. Certains auteurs observent une tendance
chez les professionnels de santé français de ne pas toujours présenter l’échographie
comme une option ; ils semblent tenir un discours souvent très normatif quant aux
dépistages. Ils les effectuent parfois sans donner d’informations explicites aux
mères, les rendant quasi « obligatoires » [46]. Par comparaison, en Angleterre, les professionnels portent plus
d’importance à donner des informations détaillées sur le dépistage. Ils recueillent
le consentement des femmes avant d’effectuer une échographie. Néanmoins,
l’information qu’ils transmettent n’est pas toujours neutre. [49] Des études explorant les expériences de femmes face au DPNI et leurs attitudes
soulèvent des questions similaires quant à la qualité de l’information donnée et la
nature « éclairée » des décisions prises ; ces études ont également souligné la
nécessité d’améliorer l’information donnée aux femmes [50, 51]. Lewis et al. ont montré que les
professionnels de santé ont tendance à prendre le suivi et l’information de patients
moins au sérieux quand il s’agit d’un test non-invasif [26], ce qui pourrait rendre le DPNI, alors perçu comme un
simple test sanguin sans implication importante, routinier. Pourtant, ce test de
dépistage peut révéler des informations sur un plus grand nombre d’anomalies que les
tests précédents avec, dans les années à venir, la possibilité de révéler le profil
génétique complet du fœtus. En France, où, selon certaines enquêtes, les professionnels de santé ne cherchent pas
toujours à donner une information complète sur les tests de dépistage permettant une
décision éclairée des patients, et où, par exemple, le nombre de tests de dépistage
de la trisomie est plus élevé qu’en Angleterre, se posent les questions sur la
routinisation et la discrimination de ce type de diagnostic. Certes, ces questions
se posent également en Angleterre, mais on peut s’attendre en pratique à ce qu’elles
émergent et se traduisent de manière différente. Par exemple, le risque de maladie
évalué par les instances (Haute Autorité de Santé en France et Department of
Health and Social Care en Angleterre), qui conduit à déterminer quelles
femmes pourront avoir un accès gratuit au DPNI, est défini différemment dans les
deux pays : 1 sur 1 000 en France contre 1 sur 150 en Angleterre [21, 22]. Par exemple, pour la trisomie 21, plus de femmes sont donc
considérées comme à risque en France, ce qui signifie que le dépistage y sera plus
systématique et que le taux de détection de la maladie sera éventuellement plus
élevé qu’en Angleterre. Certaines études indiquent aussi qu’un taux de risque élevé,
comme c’est le cas en France, diminue la précision du test de détection d’ADN libre
circulant dans le sang maternel, ce qui pourrait nécessiter plus de procédures
invasives que dans le cas d’un taux de risque plus bas [52]. On peut s’attendre également à ce que des problèmes de communication de l’information
nécessaire à une décision éclairée des patients s’amplifient en France où les
médecins ont deux fois moins de temps à consacrer à l’entretien avec la femme
enceinte qu’en Angleterre (30 contre 60 minutes) [46]. Ces quelques différences entre les deux pays sont susceptibles
d’entraîner des problèmes, parfois corrélés entre eux, qui ne sont pas encore bien
identifiés dans la littérature. Une comparaison approfondie de l’usage de ces
nouvelles technologies génomiques dans le domaine de la médecine de la reproduction
entre la France et l’Angleterre pourrait ainsi aider à mieux comprendre les
différences et les similitudes de valeurs entre les deux pays ; elle pourrait ainsi
aider à développer des modèles de bonnes pratiques éthiques dans ces deux pays, mais
aussi d’autres pays européens, et ailleurs [43]. |
La médecine génomique a de plus en plus d’importance dans la recherche scientifique
et dans la pratique clinique quotidienne. La rapidité avec laquelle les nouvelles
technologies génomiques se développent et l’espoir qu’elles soulèvent quant aux
diagnostics, à la prévention et aux traitements personnalisées, les rendent
compétitives au niveau scientifique et économique. La France, suivant l’exemple de
la Grande-Bretagne et d’autres pays, s’est lancée dans la compétition internationale
associée à cette « révolution génomique ». Jusqu’à récemment, la médecine génomique
s’est intéressée surtout aux patients adultes, mais ses avantages sont de plus en
plus exploités dans le domaine de la reproduction, comme pour le dépistage prénatal.
Les questions éthiques, qui concernent l’usage de ces technologies génomiques qui
émergent à l’issue de ce développement sont universelles. L’ampleur et la manière
dont ces problèmes éthiques se posent diffèrent pourtant selon leur contexte
national. Ces différences rendent difficiles mais pas impossible, de définir des
bonnes pratiques éthiques adaptées à différents pays. Vu la dimension internationale
de la médecine génomique, il est important de réfléchir à des modèles de bonnes
pratiques éthiques qui prennent en compte et s’appliquent aux différents contextes
socio-culturels. Dans ce but, l’étude de différents systèmes de valeurs, comme ceux
de la France et de la Grande-Bretagne, s’avère importante afin de bien saisir les
différences entre pays et de développer des guides de bonnes pratiques adaptées aux
différents contextes socio-culturels. |
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
|
Je remercie Marie Gaille pour sa lecture et ses commentaires qui ont contribué à
améliorer cet article. Ce travail a été réalisé avec le soutien du Wellcome Centre
for Ethics and Humanities et de l’Ethox Centre qui sont soutenus par une Wellcome
Centre Grant (203132/Z/16/Z).
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Footnotes |
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