2008


ANALYSE

3-

Facteurs de risque connus et sources de surexposition des enfants en France

Le chapitre sur l’exposition générale de la population ne rend pas compte des situations de forte exposition pouvant amener à des plombémies élevées chez les enfants. Pour avoir une bonne connaissance de ces situations, il faudrait réaliser un échantillonnage de la population d’enfants permettant de mettre en évidence un nombre important de plombémies élevées puis étudier les sources d’exposition des enfants concernés. L’enquête sur l’imprégnation des enfants par le plomb menée en 1995-1996 ne comprenait pas une étude spécifique des plombémies élevées. Les situations de surexposition supérieure à 100 µg/l ne sont connues qu’au travers des cas de saturnisme détectés. Il existe néanmoins une possibilité de biais pour ces données, puisque les cas ne sont trouvés qu’à la suite d’une action volontariste de dépistage, elle-même décidée au vu de la présence de sources particulières. Par ailleurs, l’activité de dépistage est très inégalement répartie sur le territoire national. La région Île-de-France représentait à elle seule 62 % des enfants primodépistés en 20041 . Les facteurs de risque identifiés des cas de saturnisme diagnostiqués sont donc très dépendants de la situation qui prévaut en Île-de-France.
Les données concernant les cas de saturnisme sont connues grâce au Système national de surveillance des plombémies de l’enfant (SNSPE), dont le fonctionnement est détaillé au chapitre relatif au bilan des activités de dépistage. Ce système enregistre, en principe, les motifs de la prescription de la plombémie. Il n’intègre pas encore les résultats effectifs des enquêtes environnementales réalisées par les services santé environnement des Ddass ou les Services communaux d’hygiène et santé à la suite de la déclaration2

Facteurs de risque des cas de saturnisme survenus en 2005

Dans une note technique publiée en octobre 2006, l’InVS fait une description des cas de saturnisme survenus en 2005 (InVS, 2005)3 . Plus des deux tiers des enfants dépistés atteints de saturnisme habitaient l’Île-de-France. Leur distribution par âge est donnée dans la figure 3.1.
Figure 3.1 Distribution par âge des cas de saturnisme déclarés en France en 2005
Les facteurs de risque renseignés par les prescripteurs sur la fiche de déclaration sont indiqués dans le tableau 3.I. Il est à noter que les prescripteurs peuvent cocher plusieurs facteurs de risque.
L’habitat ancien et l’habitat dégradé apparaissent comme les facteurs de risque principaux des cas de saturnisme. Ces facteurs de risque « habitat antérieur à 1949 » et « habitat dégradé » sont généralement associés (pour 198 enfants sur 492). Le comportement de pica était signalé pour 111 cas, mais plus souvent noté comme absent (154 cas). Ce comportement était généralement associé à la présence de peinture au plomb dans l’habitat (80/111) ; il était également associé aux travaux récents (82/94).

Tableau 3.I Facteurs de risque pour les 492 cas de saturnisme déclarés

Facteur de risque
Oui
Non
Ne sait pas ou non renseigné
Habitat antérieur à 1949
269
32
191
Habitat dégradé
236
68
188
Présence de peintures au plomb dans l’habitat
130
38
324
Comportement de pica
111
154
227
Autres enfants intoxiqués dans l’entourage
107
123
262
Travaux récents dans l’habitat
94
129
269
Lieu de garde ou de scolarisation à risque
19
190
283
Pollution industrielle
18
159
315
Risque hydrique
16
157
319
Loisirs à risque
11
194
287
Profession des parents à risque
10
234
248
La case « autres facteurs de risque » comportait des indications diverses dans 82 fiches. Dans 33 fiches, il s’agissait réellement de facteurs de risque non listés plus haut dans la fiche de surveillance (tableau 3.II).

Tableau 3.II Facteurs de risque particuliers signalés pour 36 cas de saturnisme

Facteurs de risque
Nombre de cas
Adoption récente
17
Usage de khôl
5
Usage de plat à tagine
5
Activité professionnelle de l’enfant mineur*
4
Arrivée récente en France
2
Présence d’objet en plomb
2
Proximité d’une décharge de plomb de chasse
1
Total
36**

* Apprentis dans les professions de l’émaillage, carrosserie, verrerie
** Sur certaines fiches, deux facteurs de risque particuliers étaient cités

Peu utilisés comme critères de dépistage, ces facteurs de risque ont peut-être une influence réelle plus importante que ce que ne laisse supposer le nombre de cas découverts « fortuitement » (ils ne sont pas à l’origine des dépistages motivés par la présence d’autres facteurs de risque quantitativement plus représentés). Il s’agit notamment de l’usage de céramiques artisanales qui relarguent du plomb, de l’usage de cosmétiques traditionnels contenant du sulfure de plomb, de la succion ou ingestion d’objets en plomb.
L’un des deux cas lié à un objet en plomb concernait l’ingestion d’une pince de nappe (plombémie de 404 µg/l) et l’autre était dû à la succion de fil contenant du plomb (plombémie de 193 µg/l).
Parce qu’ils avaient été adoptés et venaient d’un pays étranger, des enfants ont bénéficié d’une plombémie. Il s’agit principalement d’enfants haïtiens et chinois. La plombémie maximale de ces 17 cas signalés est de 202 µg/l4 .
Sur l’ensemble des cas de saturnisme, lorsque l’information est disponible, on note que 78 % des enfants vivaient dans un habitat collectif. De plus, 64 % des enfants habitaient dans un logement en suroccupation. En Île-de-France, 87 % des enfants atteints de saturnisme vivaient dans des logements suroccupés.
Le pays de naissance de la mère est connu précisément dans 62 % des cas. Ces pays sont extrêmement divers, les 3 principaux pays sont : le Mali (15,5 % des cas), le Maroc (14,8 %) et la France (13,5 %).
Chez les 9 enfants dont les plombémies étaient les plus élevées (450 µg/l), les facteurs de risque étaient tous liés à des peintures anciennes. Ces enfants vivaient tous dans un habitat collectif et leur logement était presque toujours suroccupé. Un comportement de pica était présent chez 2 enfants, absent chez 4 et non renseigné chez les autres.

Enquête auprès des services investigateurs

En plus des données collectées par le système de surveillance des plombémies sur les motifs des prescriptions de plombémie, on dispose de quelques informations issues des investigations des Ddass et des SCHS pour les cas déclarés (Shapiro et Bretin, 2006renvoi vers). Cette étude concernait les intoxications survenues en 2003 et 2004 pour des causes inhabituelles, c’est-à-dire hors peintures des bâtiments, eau, pollution atmosphérique et pollution des sols. Les services participant à l’étude avaient enregistré 690 cas de saturnisme infantile sur ces deux années, soit 60 % des cas français. Le nombre de cas pour lesquels une source inhabituelle était suspectée d’être la cause de l’intoxication ou de contribuer significativement à l’intoxication est présenté dans le tableau 3.III.

Tableau 3.III Sources d’intoxication inhabituelles parmi les cas de saturnisme

Source suspectée
Nombre de cas
Vaisselle
14
Cosmétiques
11
Ingestion accidentelle ou mise à la bouche d’objets en plomb ou contenant du plomb
10
Profession des parents
6
Loisirs des parents
3
Chauffage avec du bois recouvert de peinture au plomb
3
Les investigations dans l’environnement des cas de saturnisme déclarés ont parfois permis de révéler des sources d’intoxication qui n’étaient pas notées par le prescripteur. Chez des enfants dépistés parce qu’ils vivaient en habitat ancien, on a ainsi pu mettre en évidence certaines situations d’intoxication par les cosmétiques traditionnels (ex. : khôl) ou de la vaisselle artisanale (ex. : céramiques émaillées avec des sels de plomb). En l’absence de plomb dans les peintures ou lorsque l’état des peintures au plomb rend peu crédible leur responsabilité dans l’intoxication, l’enquête, poussée plus loin, permet de mettre en évidence d’autres sources d’intoxication. L’attribution habituelle d’une responsabilité de l’intoxication aux peintures au plomb peut donc masquer ou faire sous-estimer l’apport d’autres sources. À noter que dans 6 % des enquêtes, aucune source d’intoxication crédible n’avait été retrouvée.

Évolution possible de l’exposition liée aux travaux

Au fur et à mesure que les dispositions réglementaires en matière d’habitat se mettent en Ĺ“uvre et se généralisent, de nombreux propriétaires ou syndics engagent des travaux sans attendre les prescriptions préfectorales. Ce phénomène, pour positif qu’il soit, peut entraîner une intoxication secondaire des enfants lorsque les mesures de protection des enfants sont insuffisantes, voire sont absentes (Conférence de consensus de Lille, 2004renvoi vers).
Ces données sont compatibles avec les connaissances acquises aux États-Unis, où des cas de primo-intoxication par le plomb ou d’aggravation d’une intoxication préexistante à l’occasion de travaux réalisés à domicile, y compris par des professionnels insuffisamment formés, sont documentés (CDC, 1997renvoi vers). Un article récent incite également à prendre en compte la question des démolitions en habitat ancien (Rabito et coll., 2007renvoi vers).
De façon plus générale, les CDC considèrent des travaux de rénovation ayant eu lieu depuis moins de 6 mois comme un motif à proposer un dépistage (CDC, 1997renvoi vers).
En conclusion, les connaissances actuelles montrent que les peintures anciennes dégradées sont la cause principale des fortes expositions au plomb mises en évidence en France. En dehors des peintures dégradées, d’autres sources de fortes expositions existent et elles sont probablement sous--estimées car rarement utilisées comme critère de déclenchement d’un dépistage. L’enquête nationale de prévalence prévue pour 2008, si une enquête environnementale à domicile est associée à cette dernière, permettra une amélioration des connaissances sur les sources de contamination environnementale hors habitat ancien dégradé. Par ailleurs, la collecte en continu par l’InVS des résultats des investigations des cas déclarés de saturnisme infantile permettra également de mieux connaître les causes réelles des intoxications.

Bibliographie

[1]cdc. Children with Elevated Blood Lead Levels Attributed to Home Renovation and Remodeling Activities - New York, 1993-1994. MMWR. 1997; 4:1120-1123Retour vers
[2]conférence de consensus de lille. La surveillance et la mise en sécurité des enfants durant les travaux. Santé Publique. 2004; 16:85-104Retour vers
[3] rabito fa, idbal s, shorter cf, osman p, philips pe, et coll.. The association between demolition activity and children’s blood lead level. Environ Res. 2007; 103:345-351Retour vers
[4] schapiro e, bretin p. Sources inhabituelles d’exposition au plomb chez l’enfant et la femme enceinte. Note technique. Édition InVS; Saint Maurice:2006; Retour vers

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