2008


ANALYSE

4-

Données de prévalence en population générale

Les connaissances sur l’imprégnation par le plomb de la population française sont issues d’une enquête nationale menée en 1995-1996 (Inserm et RNSP, 1997renvoi vers). Lors de cette enquête, le pourcentage d’enfants de 1 à 6 ans inclus ayant une plombémie de plus de 100 µg/l était de 2,1 % ± 0,5 % (Inserm, 1999renvoi vers). Des enquêtes locales réalisées au cours des mêmes années donnent des résultats du même ordre : région d’Angers 1994-1996 (2,2 %), du Mans 1995 (1,6 %) et Lorraine 1996-1998 (1,9 %). Des études récentes de portée locale peuvent renseigner sur l’évolution des plombémies chez les enfants depuis cette période. Comme dans les autres pays, une tendance à la baisse est observée.

Enquêtes nationales menées en 1995-1996

Trois enquêtes ont été réalisées par l’Inserm et le RNSP en 1995-1996 (Huel et coll., 2002renvoi vers) : sur les populations urbaines, sur les appelés du contingent et sur les enfants.

Populations urbaines adultes

Cette enquête incluait 445 sujets adultes recrutés dans des centres d’examens de santé de la Caisse nationale d’assurance maladie dans les villes de Paris, Lyon et Marseille. La méthodologie employée était similaire à celle d’une étude menée en 1979-1982 (Huel et coll., 1986renvoi vers).
Cette étude montrait une forte diminution de l’imprégnation par le plomb entre la période 1979-1982 et l’année 1995 (Huel et coll., 1997renvoi vers), comme l’illustre la figure 4.1 extraite du rapport d’expertise collective Inserm (Inserm, 1999renvoi vers) dans laquelle la distribution de 1995 apparaît nettement décalée vers la gauche. Cette diminution semble principalement liée à la diminution des émissions de plomb tétraéthyle par les véhicules automobiles.
Figure 4.1 Distribution de la plombémie des populations urbaines adultes françaises en 1979-1982 et en 1995 (InVS, 2005renvoi vers)
Les percentiles en queue de distribution en 1995 sont donnés par le tableau 4.I.

Tableau 4.I Percentiles de la queue de distribution de la plombémie en 1995 à Paris, Lyon et Marseille pour les populations adultes

  
Distribution de la plombémie
 
Ville
Percentile 50 (μg/l)
Percentile 50 (μg/l)
Percentile 99 (μg/l)
Paris
60
134
189
Lyon
76
211
257
Marseille
57
146
165

Appelés du contingent

Une autre étude concernait 4 208 appelés du contingent. Parmi les appelés, 5,5 % avaient une plombémie supérieure à 100 µg/l et 0,6 % une plombémie supérieure à 200 µg/l.

Enfants de 1 à 6 ans

Cette étude incluait 3 445 enfants de 1 à 6 ans ayant eu une prise de sang dans un service public de chirurgie infantile.
Selon le rapport publié en 1997 (Huel et coll., 1997renvoi vers), sur 3 445 enfants de 1 à 6 ans, 52 présentaient une plombémie supérieure à 100 µg/l soit 1,5 % et 7 une plombémie supérieure à 200 µg/l soit 0,2 %. La moyenne arithmétique des plombémies était de 42 µg/l. La moyenne géométrique était de 37 µg/l.
Postérieurement à la publication du rapport de l’enquête, ces chiffres ont fait l’objet d’une correction en fonction de la structure d’âge de la population à l’échelle de la région (réalisée à l’occasion de la publication de l’expertise collective de l’Inserm en 1999renvoi vers). Après correction, le pourcentage d’enfants de 1 à 6 ans ayant une plombémie supérieure à 100 µg/l a été estimé à 2 %, ce qui correspondait à environ 85 000 enfants pour l’ensemble du territoire français. Le nombre d’enfants ayant une plombémie supérieure à 250 µg/l était estimé à 8 200.
La distribution corrigée des plombémies chez les enfants est donnée par la figure 4.2.
Figure 4.2 Distribution de la plombémie chez les enfants de 1 à 6 ans en 1995-1996
1 La figure 4.3 donne le pourcentage d’enfants dont la plombémie atteignait ou dépassait 100 µg/l.
Figure Figure 4.3 Pourcentage d’enfants ayant une plombémie 100 µg/l par classe d’âge en 1995-1996
Les facteurs de variation de la plombémie ont été étudiés. L’ancienneté du logement (construction avant 1945) et la consommation d’eau de distribution étaient les deux principaux facteurs influençant la plombémie. Il est toutefois très probable que l’exposition hydrique affecte plus la moyenne des plombémies que la prévalence des intoxications élevées, liées principalement aux facteurs d’habitat.

Variations régionales

Comme le montre le tableau 4.II, l’imprégnation par le plomb varie selon les régions, en lien avec les principaux facteurs d’exposition que sont l’habitat et l’eau du robinet.

Tableau 4.II Caractéristiques de la distribution des plombémies infantiles régionales corrigées sur les variables socioéconomiques, sociodémographiques et individuelles chez les enfants de 1 à 6 ans en 1995-1996 (Inserm et RNSP, 1997renvoi vers)

  
Distribution des plombémies
Régions
Nombre d’enfants
Moyenne géométrique ajustée (μg/l)
Percentile 95 (μg/l)
Alsace
188
38,4
85,7
Aquitaine
124
39,5
90,1
Auvergne
151
45,6
102,6
Basse-Normandie
25
38,3
78,7
Bourgogne
92
43,1
96,4
Bretagne
238
32,0
70,5
Centre
195
37,8
86,4
Champagne-Ardenne
123
37,0
79,9
Corse
5
31,2
45,6
Franche-Comté
129
33,6
80,9
Haute-Normandie
99
39,0
82,0
Île-de-France
233
39,9
77,3
Languedoc-Roussillon
105
35,3
86,0
Limousin
59
35,7
92,2
Lorraine
188
43,9
84,0
Midi-Pyrénées
118
37,7
81,2
Nord-Pas-de-Calais
121
38,3
81,8
Pays de la Loire
94
26,9
60,1
Picardie
109
36,2
73,7
Poitou-Charentes
132
37,4
89,7
Provence-Alpes-Côte d’azur
188
33,4
70,8
Rhône-Alpes
116
36,2
76,3
La prévalence des plombémies supérieures à 100 µg/l n’a pu être mesurée régionalement pour des raisons de taille de l’échantillon. Cependant, des différences importantes existent probablement, que le percentile 95 ne permet d’appréhender que très partiellement.

Enquêtes et campagnes locales de dépistage chez l’enfant

Des enquêtes locales réalisées chez des enfants dans des années proches de l’enquête nationale donnent des résultats du même ordre de grandeur pour la prévalence (annexe 2).
La prévalence était de 2,2 % chez les enfants de 6 mois à 6 ans (n=273) ayant eu une prise de sang au CHU d’Angers entre juillet 1994 et mars 1996 (Allain et coll., 1997renvoi vers). La même étude faite à l’hôpital du Mans entre mars et décembre 1995 donnait une prévalence de 1,6 % (n=365) (Flurin et coll., 1998renvoi vers). Une enquête menée dans trois départements lorrains (Meurthe-et-Moselle, Meuse et Vosges) entre novembre 1996 et août 1998 auprès d’enfants de 3,5 à 6,5 ans tirés au sort parmi les assurés sociaux du régime général indiquait une prévalence de 1,9 % (n=1 678) (Henny et coll., 2002renvoi vers).
Plus récemment, en Haute-Saône, une campagne de dépistage systématique des enfants de 1re année de maternelle s’est déroulée en 2002 et 2003 lors du bilan médical des 3 ans. Elle concernait les enfants scolarisés dans des communes ayant au moins 40 % de branchements en plomb et une dureté de l’eau de distribution inférieure à 10 degrés français. Parmi les 516 enfants testés, 8, soit 1,6 % avaient une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/l (Centre antipoison et de toxicovigilance de Nancy, 2004renvoi vers). Les plombémies étaient significativement plus élevées pour les enfants ayant les facteurs de risque suivants : « conduite d’eau extérieure en plomb », « habitat antérieur à 1948 », « peintures rénovées » et « boire l’eau du robinet ». Le taux de participation était de 45 %. Selon les auteurs, les enfants testés avaient significativement plus de facteurs de risque que les enfants non testés.
Le dépistage réalisé dans le quartier de Lille sud et la commune de Faches-Thumesnil en 2003 et 2004 à proximité du site de l’usine CEAC (fabrication de batteries), auprès des enfants de 2 à 6 ans dans douze écoles maternelles et deux crèches a permis de repérer 9 enfants sur 1 213 ayant une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/l (soit 0,75 %) (Nisse et coll., 2005renvoi vers). Le taux de participation était de 83 %.
Ces deux campagnes de dépistage systématique, ciblées sur des populations a priori soumises à des pollutions particulières hydriques ou industrielles ont donné des résultats relativement faibles en termes de prévalence, plus bas que les prévalences estimées en 1996. Les moyennes géométriques des plombémies étaient respectivement de 21 et 24 µg/l, à comparer à la moyenne géométrique nationale des enfants de 1 à 6 ans en 1995-1996 qui était de 37 µg/l.
Des campagnes de dépistage plus modestes donnent également des informations. On peut citer celle menée en 2004 à Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis qui concernait 196 enfants de 1 à 10 ans (dont 94 de moins de 7 ans) résidant ou scolarisés sur un ancien site pollué. Aucun cas de saturnisme n’avait été trouvé. La moyenne géométrique des plombémies était estimée à 14 µg/l, ce qui est particulièrement bas.
L’hôpital d’Argenteuil (Val d’Oise) a analysé, d’octobre 2003 à décembre 2004, la plombémie d’enfants de 6 mois à 6 ans fréquentant les services de l’hôpital sans rapport direct avec une imprégnation par le plomb. Sur 446 enfants testés, 0,9 % avaient une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/l (La Ruche et coll., 2004renvoi vers). Le taux de refus n’est pas indiqué par les auteurs mais ceux-ci indiquent qu’il était très faible.

Enquêtes chez le nouveau-né

La prévalence d’une imprégnation élevée à la naissance (100 µg/l) et ses facteurs de risque sont mal connus en France, n’ayant fait l’objet que d’études très locales. La prévalence était de 0 % dans une préenquête réalisée en Bretagne et Île-de-France par l’Inserm et le RNSP en 1995renvoi vers (n=311), qui devait être suivie d’une enquête nationale qui n’a pas été réalisée. Elle était de 0,25 % dans une enquête menée à Paris de mars à juillet 2003 (n=753) dans les maternités des Hôpitaux Bichat et Robert Debré auprès de femmes habitant les 18e, 19e et 20e arrondissements (Gottot et coll., 2005renvoi vers). La prévalence était de 1,8 % dans une enquête menée dans les maternités d’hôpitaux du nord des Hauts-de-Seine (Beaujon, Louis Mourier et Nanterre) en 2004 (n=1 021) (Yazbeck et coll., 2007renvoi vers), et 0,7 % pour l’enquête menée dans les maternités de Seine-Saint-Denis en 2006 (n=1 370) (Dragos et coll., 2006renvoi vers). Les facteurs de risque relevés dans ces études sont principalement l’usage de plats traditionnels en céramique, l’usage de cosmétiques traditionnels et l’habitat ancien. L’enquête menée dans les Hauts-de-Seine montrait une prévalence nettement plus élevée qui est liée à l’exposition particulière de la population d’origine marocaine : sur les 18 enfants ayant une plombémie élevée à la naissance, 16 avaient des parents d’origine marocaine ; les facteurs de risque retrouvés assez systématiquement étaient l’utilisation de plats à tajine (les plats à tajine d’origine artisanale marocaine sont souvent émaillés avec des sels de plomb mal fixés) et de khôl par la mère.
En conclusion, les campagnes de dépistage systématique récentes et l’enquête de l’hôpital d’Argenteuil semblent montrer une diminution de l’imprégnation saturnine des enfants depuis l’enquête nationale 1995-1996. Ces observations sont cohérentes avec la baisse générale du rendement du primodépistage2 du saturnisme en France, qui est passée, selon les données enregistrées par le système de surveillance des plombémies de 24,3 % en 1995 à 5,1 % en 20043 . Elles sont cohérentes également avec les connaissances sur l’évolution des facteurs de risque, notamment la suppression de l’exposition au plomb tétraéthyle des essences, le traitement des eaux agressives et les actions de résorption d’îlots insalubres. On ne pourra toutefois chiffrer l’évolution de la prévalence du saturnisme chez l’enfant qu’après réalisation de l’enquête nationale que mènera l’InVS en 2008-2009.
Les enquêtes récentes menées chez les nouveau-nés se sont limitées à l’Île-de-France. Elles donnent des résultats assez différents qui semblent liés à la surexposition de la population d’origine marocaine mise en évidence dans l’enquête des Hauts-de-Seine. Le projet de cohorte Elfe4 comprend une plombémie au cordon ; si ce projet aboutit, des informations précises sur l’exposition des enfants à la naissance seront connues en 2010.

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