Pesticides et effets sur la santé
I. Pathologies neurologiques et atteintes
neuropsychologiques
2021
6-
Maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est une affection neurologique caractérisée par
une atrophie cérébrale accompagnée de plaques séniles (dépôts
extracellulaires de peptide β-amyloïde) et de dégénérescence
neurofibrillaire (accumulation de protéine Tau phosphorylée). Elle est
la cause la plus fréquente de démence chez le sujet âgé, et peut
affecter de 15 à 40 % des sujets de 85 ans et plus (Ankri et Poupard,
2003

). En
dehors de l’âge et du sexe féminin, le seul facteur de risque reconnu de
la maladie est l’allèle epsilon 4 du gène codant pour
l’apolipoprotéine E (APOE4). D’autres facteurs de risque sont suspectés
parmi lesquels les traumatismes crâniens, la dépression, l’âge des
parents, les antécédents familiaux de démence, les déficits en vitamine
B12 ou en folates, les niveaux plasmatiques élevés en homocystéine ou
encore les facteurs de risque vasculaires tels que l’hypertension
artérielle. La proportion de cas familiaux est faible (de l’ordre de
10 %), ce qui suggère la possible contribution de facteurs
environnementaux parmi lesquels les solvants, les champs
électro-magnétiques, le plomb, l’aluminium et les pesticides (Inserm,
2013

).
Lors de la précédente expertise collective, seulement une dizaine
d’études épidémiologiques explorant le lien entre pesticides et maladie
d’Alzheimer avaient été identifiées. Les trois études de cohortes
montraient une élévation de risque en lien avec l’exposition
professionnelle aux pesticides, mais elles n’avaient cependant pas pu
conclure pour des substances actives spécifiques. Le niveau de preuve
avait été considéré limité.
Méta-analyses et revues
Dans la précédente expertise collective, une revue critique avait été
identifiée concernant le lien entre expositions professionnelles et
maladie d’Alzheimer, incluant six études publiées avant 2003 et
traitant spécifiquement des expositions professionnelles aux
pesticides, considérées comme le facteur professionnel le plus
documenté à cette date par rapport à cette maladie (Santibáñez et
coll., 2007

).
Depuis la précédente expertise collective, trois autres revues ont
été publiées, la première portant de manière large sur le rôle des
contaminants environnementaux dans l’étiologie de la maladie
d’Alzheimer et incluant aussi bien des données humaines qu’animales
(Yegambaram et coll., 2015

), la seconde sur le rôle d’expositions
professionnelles dans la survenue de maladies neurodégénératives
dont quatre études sur la maladie d’Alzheimer (Gunnarsson et Bodin,
2019

) et
la troisième sous la forme d’une méta-analyse d’études
épidémiologiques ayant abordé le rôle des pesticides dans la maladie
d’Alzheimer (Yan et coll., 2016

). Les sept études incluses dans cette
dernière méta-analyse de Yan et coll., avaient toutes été
identifiées dans la précédente expertise collective : trois études
de cohortes (France, États-Unis et Canada) et quatre études
cas-témoins (Australie, États-Unis et Canada), et étaient jugées de
bonne qualité par les auteurs. À partir de ces études, un
odds
ratio (OR) de 1,34 ; IC 95 % [1,08-1,67] a été calculé, sans
qu’une hétérogénéité statistique entre les études ni de biais de
publication ne soit mis en évidence.
Études de cohortes
Les résultats d’une étude de cohorte s’ajoutent aux trois identifiées
dans l’expertise collective de 2013 (tableau 6.I

, voir en fin de ce chapitre). Il s’agit
d’une cohorte prospective mise en place dans un grand nombre de
provinces canadiennes en 1991-1992, ayant inclus des personnes de
65 ans et plus, évaluées après un suivi de 5 et 10 ans vis-à-vis de
la maladie d’Alzheimer (
Canadian Study of Health and Aging).
À noter qu’une partie de cette population avait été analysée selon
un schéma cas-témoins lors de l’inclusion (CSHA,
1994

).
Pour une sous-population de cette cohorte, des échantillons de sang
prélevés à l’inclusion permettaient de déterminer les taux de
11 organochlorés plasmatiques (rapportés aux lipides totaux
plasmatiques). L’analyse incluant 574 cas de démences, identifiés
aux différents temps de l’étude (inclusion et deux suivis), dont
399 patients de la maladie d’Alzheimer, n’a pas permis d’établir de
lien avec les pesticides mesurés (Medehouenou et coll.,
2014

). Les
analyses sur cette étude ont été complétées ultérieurement en
employant un modèle statistique pour données répétées afin
d’analyser la relation entre les dosages de pesticides et le déclin
cognitif (Medehouenou et coll.,
2019

).
Seuls les évènements de santé incidents (démences, maladie
d’Alzheimer, déclin cognitif) ont alors été inclus dans les
analyses. Il n’était pas mis en évidence de lien entre les
concentrations plasmatiques en organochlorés et la survenue de
démence (156 cas incidents dont 108 maladies d’Alzheimer). En
revanche, les niveaux en p,p’-DDE étaient associés au déclin
cognitif, en particulier chez les patients atteints de maladie
d’Alzheimer.
Études cas-témoins et
transversales
Dans l’expertise collective de 2013, deux études avaient été prises
en compte, l’une cas-témoins (Park et coll.,
2005

) et
l’autre transversale (Schulte et coll.,
1996

).
Elles reposaient sur des informations succinctes et de validité
incertaine, extraites des certificats de décès dans une vingtaine
d’États des États-Unis. Elles cherchaient à mettre en relation des
professions agricoles avec la survenue de décès par maladies
neurodégénératives, notamment la démence présénile et la maladie
d’Alzheimer. Elles n’ont pu mettre en évidence de lien. Cependant,
dans l’étude cas-témoins réalisée entre 1992 et 1998, Park et coll.
(2005

) ont
observé des OR proches de 2 et statistiquement significatifs pour
certaines catégories agricoles (chefs d’exploitations), en
restreignant les analyses aux décès survenus avant 65 ans.
Deux nouvelles études cas-témoins ont été publiées en plus des quatre
précédemment identifiées : la première aux États-Unis (Richardson et
coll., 2014

)
et la seconde en Inde (Singh et coll.,
2013

)
(tableau 6.I

, voir en fin
de ce chapitre). L’étude américaine a inclus 86 patients atteints de
maladie d’Alzheimer et 79 témoins. Le DDE, un métabolite du DDT (un
organochloré) a été déterminé d’une part dans des échantillons
sériques et d’autre part dans des prélèvements cérébraux post-mortem
pour un sous-échantillon de 11 patients. Un quadruplement du risque
de maladie d’Alzheimer était observé chez les personnes présentant
les valeurs de DDE sérique les plus élevées dans le dernier tercile
(OR = 4,18 ; IC 95 % [2,54-5,82]) et une corrélation forte était
observée entre le DDE sérique et la teneur de DDE dans les
prélèvements cérébraux. En Inde, 70 patients atteints d’Alzheimer et
75 témoins ont été inclus dans une étude cas-témoins. Des mesures
d’organochlorés sériques ont été réalisées : les valeurs étaient
plus élevées chez les malades pour le β-HCH, la dieldrine et le
p,p’-DDE.
Ces deux nouvelles études cas-témoins ont utilisé des critères
internationaux validés pour la définition de la maladie d’Alzheimer.
Elles disposaient de mesures biologiques de pesticides organochlorés
mais n’avaient pas d’autres informations sur les expositions des
personnes permettant d’éclairer ces valeurs. Il faut noter également
que les patients atteints de démence perdent du poids pendant la
phase prodromale de la pathologie et que les variations temporelles
individuelles de la masse graisseuse peuvent rendre complexe
l’interprétation des résultats (voir p. 57, Inserm,
2013

).
Conclusion
Trois nouvelles études ont été publiées sur le lien entre pesticides
et maladie d’Alzheimer depuis la précédente expertise collective,
mais le nombre total d’études ne dépasse toujours pas la quinzaine.
Les nouvelles études ont toutes tenté d’apprécier l’exposition des
personnes aux organochlorés par des mesures biologiques, a priori en
raison des difficultés spécifiques à reconstituer l’historique des
expositions chez des personnes souffrant de troubles de la mémoire.
Cependant, en l’absence d’information sur les expositions des
individus (métiers ou activités exposantes), il n’est pas possible
d’affirmer que ces mesures biologiques soient un bon reflet des
expositions au cours de la vie des individus. Les conclusions de ces
études ne sont pas toutes convergentes : la cohorte canadienne
n’observe pas de lien avec les organochlorés mesurés dans le plasma
alors que des liens sont observés dans les deux études cas-témoins.
Le résultat le plus notable est sans doute celui de la méta-analyse,
qui, en combinant les données de sept études déjà prises en compte
en 2013, estime à 34 % l’élévation du risque – significative – de
maladie d’Alzheimer chez les personnes exposées aux pesticides mais
cela ne modifie pas la force de la présomption de lien qui était
estimée « moyenne ».
Tableau 6.I Maladie d’Alzheimer et exposition aux
pesticides
Référence Pays
|
Type d’étude
|
Population étudiée
|
Diagnostic de la pathologie
|
Fréquence d’exposition
|
Méthode d’estimation de
l’exposition
|
Tiers facteurs
|
Résultats Discussion
|
Medehouenou et coll.,
2014
Canadian Study of
Health and Aging
Canada
|
Cohorte prospective Inclusion en
1991-92 Deux suivis (en 1996-97 et en
2001-2002)
|
Provinces canadiennes (sauf Yukon et
territoires Nord-Ouest, réserves indiennes et
unités militaires) Personnes de 65 ans et +,
tirées au sort sur les bases de l’assurance
maladie (n = 10 263) À domicile (n = 9 008) ou
en institution (n = 1 255)
|
mMMSE + diagnostic clinique si mMMSE
< 78 % (à l’inclusion) ou < 90 (au
2esuivi) : DSM
III-R NINCDS-ADRDA Diagnostic porté soit à
l’inclusion soit à l’un des deux
suivis
|
Détection de 7 des 11 OC ou métabolites
chez plus de 90 % de la
population Concentrations les plus élevées
pour le p,p’-DDE (de l’ordre de
4 µg/l)
|
Auto-questionnaire à l’inclusion
(facteurs de risque) chez les
non-déments Mesure de 11 OC plasmatiques (+
PCB) : aldrine, mirex, chlordane [α, γ, oxy-],
nonachlore [cis et trans], β-HCH,
hexachlorobenzène, DDT et DDE Concentrations
en OC rapportées aux lipides totaux
plasmatiques
|
Période de collecte de
l’échantillon Sexe, âge, niveau d’études, IMC,
ApoE4 Résidence urbaine/rurale Tabac,
alcool Score de risque vasculaire, lipides
totaux
|
Échantillon de 2 023 sujets
(prélèvement sanguin + examen clinique) : 574
démences dont 399 maladies d’Alzheimer Analyse
seulement pour oxychlordane, nonachlore
[cis et trans], β-HCH, HCB, DDT et
DDE (car plus de 60 % des échantillons
> LOD) Pas de lien mis en évidence (tendance
même à une diminution du risque)
|
Medehouenou et coll.,
2019
Canadian Study of
Health and Aging
Canada
|
Idem
|
Idem
|
Cas incidents de démences, de maladie
d’Alzheimer et de déclin cognitif (au cours d’un
suivi moyen de 5 ans) mMMSE + diagnostic
clinique si mMMSE < 78 (à l’inclusion) ou
< 90 (au 2e suivi) : DSM
III-R NINCDS-ADRDA
|
Idem
|
Auto-questionnaire à l’inclusion
(facteurs de risque) chez les
non-déments Analyse chez ceux qui avaient une
fonction cognitive normale lors du prélèvement :
n = 669 sujets éligibles et dosages
possibles Mesure de 11 OC plasmatiques (+
PCB) : aldrine, mirex, chlordane [α, γ, oxy-],
nonachlore [cis et trans], β-HCH,
hexachlorobenzène, DDT et DDE Mesure du
cuivre, plomb, mercure et zinc Concentrations
en OC rapportées aux lipides totaux
plasmatiques Prise en compte des mesures
répétées par un modèle statistique
adapté
|
Période de suivi Sexe, âge, niveau
d’études, IMC, ApoE4 Résidence
urbaine/rurale Tabac, alcool Score de
risque vasculaire Lipides totaux Cuivre,
plomb, mercure, zinc
|
156 cas incidents de démence dont 108
maladies d’Alzheimer Concentrations
plasmatiques en OC non associées à la survenue de
démence ou de maladie d’Alzheimer (mais plus de
relation inverse) Concentrations en DDE
associées au déclin cognitif en particulier chez
les patients atteints de maladie
d’Alzheimer
|
Richardson et coll.,
2014
États-Unis (Texas et
Géorgie)
|
Cas-témoins
|
Université du Texas et Université
Emory Patients pris en charge pour une maladie
d’Alzheimer n = 86 Témoins n = 79
|
Cas : NINCDS-ADRDA Témoins : MMSE
entre 28 et 30, pas d’anomalie à l’IRM et/ou
examen normal, ou batterie tests
normale
|
Détection de DDE dans le sang chez 70 %
des témoins et 80 % des cas Moyenne chez les
cas : 2,64 ng/mg cholestérol
|
Échantillon sang pour mesure DDE
sérique (métabolite DDT) Prélèvement cerveau
post-mortem dans un sous-échantillon, avec
échantillon sanguin préalable (n = 11)
|
ApoE4 Âge, sexe, lieu de résidence,
race, niveau d’études
|
Risque de maladie dans le
3e tercile du niveau de
DDE : OR = 4,18 ; IC 95 %
[2,54-5,82] Baisse du score MMSE dans le
3e tercile/DDE Corrélation forte
entre teneur DDE sang et dans le cerveau (n = 11)
ρ = 0,95
|
Singh et coll.,
2013
Inde
|
Cas-témoins
|
Service de neurologie à Dehli,
2010-11 Personnes de 50 à 85 ans Exclusion
si histoire AVC, épilepsie, trauma
crânien,...
|
Patients
n = 70 NINCDS-ADRDA IRM, CT, PET MMS
0-23
Clinical Dementia Rating score
≥ 0,5 Témoins appariés sur l’âge,
n = 75
|
p,p’-DDE : 41 % des cas et 23 % des
témoins 2,52 ng/ml chez les
cas β-HCH : 60 % cas, 16 %
témoins 4,16 ng/ml chez les
cas Dieldrine : 50 % cas, 9 %
témoins 4,82 ng/ml chez les cas
|
Échantillon de sang pour mesure de
plusieurs OC : aldrine, dieldrine, endosulfan
(α, β), HCH (α, β, γ), DDE (pp’), DDE (o,p’), DDT
(o,p’), DDD (pp’, op’)
|
Sexe, âge, niveau études, habitat
urbain/rural, habitudes alimentaires,
alcool
|
Élévation des niveaux de β-HCH,
dieldrine et p,p’-DDE chez les patients atteints
d’Alzheimer DDE (o,p’), DDT (o,p’), DDD (pp’,
op’) n’ont pas été détectés.
|
DSM-III-R : Diagnostic and Statistical Manual of
Mental Disorders, Third Edition, Revised ; IMC : Indice
de masse corporelle ; mMMSE : Modified Mini-Mental State
Examination ; NINCDS-ADRDA : National Institute of
Neurological and Communicative Diseases and
Stroke/Alzheimer’s Disease and Related Disorders
Association ; OC : organochlorés
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