Enjeux sociétaux des tests génétiques

2008


ANALYSE

11-

Information génétique et assurance

Ce chapitre1 propose une revue de la littérature consacrée à l’impact de l’information génétique sur le fonctionnement du marché de l’assurance.
Les tests génétiques de prédiction apportent une information sur la probabilité de survenue d’une maladie dans le futur. Cette information doit-elle être mise à disposition des assureurs ? Faut-il interdire l’utilisation de cette information pour certaines formes d’assurance jugées prioritaires (par exemple, l’assurance-santé ou l’assurance-invalidité) ? Peut-on l’autoriser pour d’autres perçues comme moins essentielles (par exemple, l’assurance-vie) ? Ces questions ont été intensément débattues aux États-Unis où, en l’absence d’un système de protection sociale universel, l’assurance joue un rôle prépondérant.
Ces questions sont-elles aussi prégnantes en Europe ? Les systèmes de protection sociale européens partagent certaines caractéristiques importantes. En premier lieu, la couverture sociale y revêt un caractère obligatoire (à de très rares exceptions près2 ). Le principe de non-sélection des risques constitue une référence. En second lieu, ces systèmes reposent sur deux principes d’équité : équité verticale (principe de différence), équité horizontale (principe d’égales opportunités). Ils visent donc à opérer une redistribution de richesse entre les individus et n’ont, par conséquent, que peu à voir avec la logique assurantielle pure. Cependant, les systèmes de protection sociale ne couvrent pas tous les risques liés à la santé et à l’existence. Notamment, ils ne couvrent pas totalement les dépenses encourues pour les risques couverts, ce qui a conduit au développement d’un marché pour les assurances supplémentaires et/ou complémentaires.
Sandberg (1995renvoi vers) différencie clairement la situation des États-Unis de celle des pays européens. Il montre ainsi que l’assurance-vie peut être perçue comme accessoire dans certains pays où les systèmes de protection sociale sont les plus développés mais qu’elle revêt un caractère autre dans les pays moins généreux. « It is reasonable to see European life insurance not as a primary good, but as a more optional good, i.e. a non-primary social good. [...] There can, however, be contingencies which make life insurance more of a primary social good than a non primary one. An important such contingency is, of course, when the welfare systems are less extensive » (p. 1554).

Arbitrage efficacité / équité

Pour se prémunir vis-à-vis d’un risque, l’agent économique a plusieurs instruments à sa disposition. En retenant la typologie proposée par Ehrlich et Becker (1972renvoi vers), on distinguera l’autoprotection (la prévention), l’auto-assurance (par exemple, l’épargne de précaution) ou l’assurance.
L’assurance est un dispositif marchand permettant à l’individu de transférer des ressources financières entre états du monde. L’individu adverse au risque accepte de payer une prime (paiement certain) pour obtenir une compensation totale3 ou partielle4 du sinistre lorsque celui-ci survient (paiement incertain). Au niveau collectif, la mutualisation de risques identiques permet de réduire l’incertitude globale (application de la loi des grands nombres).
Sur le marché de l’assurance, l’équilibre de premier rang équivaut au paiement par chaque individu d’une prime reflétant très précisément le niveau de risque auquel il fait face (notion d’équilibre séparant). Dans cette situation, il n’y a pas de redistribution de revenu entre les individus ex ante. Le paiement d’une prime actuariellement neutre ne modifie pas l’espérance de richesse finale de l’individu. Cet équilibre de premier rang prévaut en situation d’information parfaite (dès lors que l’assureur est en capacité d’estimer le niveau de risque de chaque assuré).
L’introduction d’une asymétrie informationnelle entre l’assureur et l’assuré modifie la nature de l’équilibre sur le marché. On suppose généralement que l’assuré dispose d’un meilleur niveau d’information sur ses caractéristiques propres que l’assureur (nous discuterons la pertinence de cette hypothèse ci-dessous), qu’il bénéficie d’une information « privée » (c’est-à-dire non partagée). Le phénomène de sélection contraire renvoie à une situation où l’assureur n’est pas en capacité de distinguer les individus au regard du risque encouru (ou plus exactement, n’est pas en mesure de proposer un contrat sur la base du risque réel (par exemple, si on lui interdit d’utiliser une information disponible). La prime ne peut donc plus être ajustée en fonction de la probabilité de survenue du sinistre. Les conséquences sont importantes puisqu’en présence de sélection contraire, le marché de l’assurance peut tout simplement être amené à disparaître. Pour comprendre ce phénomène, supposons que les individus aient le choix de souscrire ou non une assurance. Imaginons de plus qu’il existe au sein de la population deux groupes d’individus : les individus à bas risque (faible probabilité de sinistre) et les individus à haut risque (forte probabilité de sinistre). Si l’assureur n’est pas capable de distinguer les individus au regard du risque encouru, il ne peut que proposer un contrat basé sur une prime calculée sur le risque moyen (notion d’équilibre mélangeant). Les individus à bas risque vont évidemment refuser ce contrat trop onéreux et préférer s’auto-assurer. Seuls les individus à haut risque restent intéressés par ce contrat avantageux. Pour ne pas souffrir de pertes, l’assureur devra rapidement réévaluer la prime pour tenir compte de ce phénomène de sélection. L’attrition peut se poursuivre jusqu’à la disparition du marché s’il existe un continuum de niveaux de risque.
L’équilibre sur le marché de l’assurance en présence de sélection contraire (avec deux niveaux de risque) a été décrit par Rothschild et Stiglitz (1976renvoi vers). Les auteurs montrent qu’un équilibre mélangeant n’est pas soutenable. Seul un équilibre séparant peut perdurer. Il existe alors deux contrats : les hauts risques trouvent une couverture complète à un prix élevé ; les bas risques ont, quant à eux, accès à une couverture partielle à bas coût. Les hauts risques exercent donc une externalité négative sur les bas risques en termes de niveau de couverture. Les bas risques aimeraient pouvoir acheter plus d’assurance mais cela est impossible sans mettre à mal l’équilibre économique de l’assurance. Selon Wilson (1977renvoi vers), un équilibre mélangeant peut exister si la proportion des hauts risques est suffisamment faible dans la population. Dans cette configuration particulière, les bas risques peuvent accepter de subventionner les hauts risques afin de bénéficier d’une couverture plus généreuse.
Hoy et coll. (2003renvoi vers) illustrent cet arbitrage entre efficacité et équité à partir de l’exemple du gène BRCA1 pour le cancer du sein. À partir d’une simulation, ils montrent que la discrimination des individus porteurs de la mutation n’améliore que marginalement l’efficacité du marché de l’assurance. Mais elle restreint fortement l’accès à l’assurance des bas risques. À leurs yeux, au regard des résultats obtenus, un équilibre mélangeant (sans distinction entre porteurs et non-porteurs) est préférable à un équilibre séparant (conséquence de la transmission du résultat du test à l’assureur). « Beyond the ethical issues that any obligation to reveal information about individual genetic risks to a third party […] would raise, there is clearly no strong efficiency rational in favour of the systematic use of genetic information, of the BRCA1 breast cancer type, in the establishment of health insurance contracts » (p. 218). Leur résultat s’explique principalement par la faible prévalence de la mutation dans la population (6/10 000 femmes). Cette conclusion est cependant fragile car l’exercice reste purement spéculatif. Elle pourrait d’ailleurs se trouver modifiée en considérant plusieurs mutations simultanément.
Évaluer l’impact de l’introduction des tests génétiques sur le marché de l’assurance est au cœur du métier d’actuaire, deux questions structurant la démarche de ces professionnels :
• la mise à disposition d’une nouvelle information sur le risque encouru amène-t-elle l’assureur à moduler les primes d’assurance, voire à résilier certains contrats ? Quel est le véritable contenu informationnel du test génétique par rapport aux autres données disponibles pour estimer le niveau de risque (résultats biologiques, antécédents personnels et familiaux…) ?
• si le résultat du test n’est pas divulgué à l’assureur et si les individus modifient leur comportement d’achat d’assurance en fonction du résultat, de combien l’assureur doit-il augmenter les primes pour pouvoir faire face à ses obligations contractuelles ?
Les travaux recensés dans la littérature portent principalement sur l’assurance-décès et concernent en priorité le cancer du sein et le cancer de l’ovaire (gènes BRCA1/2) (tableau 11.Irenvoi vers). La majeure partie de ces travaux est issue de la même équipe de recherche (The Genetics and Insurance Research Center, Heriot-Watt University, Edinburgh)5 .

Tableau 11.I Impact des tests génétiques sur les caractéristiques de l’équilibre sur différents marchés d’assurance

Type d’assurance
Maladie (mutation)
Référence
Assurance-décès : paiement d’un capital au moment du décès
Maladie d’Huntington Cancers sein ou ovaire (BRCA1/2)
Smith, 1998renvoi vers Lemaire et coll., 2000renvoi vers Pokorski et Ohlmer, 2000renvoi vers Subramanian et coll., 1999renvoi vers
Assurance-maladie redoutée (critical illness) : paiement d’un capital au moment de la survenue d’une maladie sévère
Rein polykystique (APKD1/2) Cancers sein et ovaire (BRCA1/2) Maladie d’Huntington
Gutierrez et Macdonald, 2003renvoi vers Macdonald et coll., 2003 renvoi versGutierrez et Macdonald, 2004renvoi vers
Assurance-dépendance (long-term care) : paiement d’une rente viagère permettant de couvrir les coûts de prise en charge
Maladie d’Alzheimer (ApoE)
Macdonald, 2002renvoi vers Macdonald et Pritchard, 2000renvoi vers et 2001renvoi vers Warren et coll., 1999renvoi vers
Pour répondre à la première question, les actuaires développent des modèles permettant d’une part de prédire la survenue des événements couverts par la police d’assurance en fonction des caractéristiques des individus définies à partir des informations épidémiologiques disponibles. Sur cette base, il est alors possible de déterminer, par un calcul à rebours, le montant des primes compatible avec l’équilibre financier de l’assureur. Il ne s’agit pas ici de discuter ces modèles fort complexes d’un point de vue méthodologique ni de présenter en détail les résultats obtenus (fort détaillés). Il faut cependant souligner que, dans ces modèles, la pénétrance de la mutation joue un rôle prépondérant.
Concernant BRCA1/2, Lemaire et coll. (2000renvoi vers) montrent que la surmortalité chez les femmes ayant des antécédents familiaux de cancer du sein ou de l’ovaire ou encore chez les femmes porteuses de la mutation, est suffisamment marquée pour justifier, au regard des pratiques de tarification en vigueur en matière d’assurance-décès6 , une réévaluation importante des primes, voire l’éviction complète du marché. Selon les auteurs : « […] while many women with a family history of BC or OC can be accepted at standard rates, females with two family members with cancer, or one FDR with cancer at an early age, probably can only be accepted at substandard rates. Females with BRCA mutation will generally not be accepted at standard rates. Compagnies may accept these women in one of their substandard rate classes, corresponding to a higher mortality surcharge » (p. 86). En matière d’assurance de la maladie redoutée (on parle d’assurance-maladie redoutée), Macdonald et coll. (2003renvoi vers) parviennent à des conclusions plus tranchées puisque, selon leurs estimations, les femmes porteuses d’une mutation BRCA voient leurs primes d’assurance multipliées par 20 (ce qui correspond de facto à une exclusion du marché). Pour la maladie d’Alzheimer, le type d’assurance est différent (tableau 11.Irenvoi vers). Macdonald et Pritchard (2001renvoi vers) parviennent à des conclusions variables selon la valeur retenue pour la pénétrance associée à l’allèle e4. Sur la base des valeurs publiées, que les auteurs estiment fortement surévaluées car obtenues dans des populations sélectionnées et non en population générale, les augmentations de primes s’échelonnent entre + 40 % (pour le génotype e4/e4) et + 25 % (pour les génotypes e3/e4 et e2/e4). Selon les auteurs, « Most insurers would probably charge extra premiums for these risks » (p. 63) ; les variations sont bien sûr moins importantes lorsque la pénétrance est ajustée à la baisse, oscillant entre + 15 % et + 7 %. Et les auteurs de conclure : « Most insurers would probably ignore the latter » (p. 63).
La réponse à la seconde question est encore plus délicate à apporter. Le coût de la sélection contraire varie en fonction des paramètres suivants :
• la fréquence de la mutation dans la population ;
• l’impact de la mutation sur la mortalité en matière d’assurance-décès (en prenant en compte, le cas échéant, l’efficacité des traitements ou des mesures de prévention sur la mortalité) ou sur la morbidité ou le recours au système de soins en matière d’assurance-maladie redoutée (en lien avec la pénétrance) ;
• la propension des individus à réaliser le test génétique ;
• l’apport informationnel du test par rapport aux autres éléments prédictifs de l’état de santé au moment de la signature du contrat, par exemple l’histoire familiale ou les paramètres biologiques des individus ;
• la modification du comportement des individus vis-à-vis de l’assurance, une fois le résultat du test révélé et l’élasticité-prix de la demande d’assurance. Le coût de la sélection contraire est élevé si les individus porteurs de la mutation modifient leur comportement et achètent plus d’assurance. L’effet est bien évidemment renforcé si les individus non porteurs réduisent leur couverture. En l’absence de données expérimentales, les changements de comportement sont difficiles à évaluer ;
• le type de risque couvert. L’assurance-décès est perçue comme particulièrement exposée au phénomène de sélection contraire. Alors que pour les autres formes d’assurance, le dédommagement ne peut pas être supérieur au montant évalué du sinistre (cas de l’assurance-dommage) ou à la dépense engagée (cas de l’assurance-santé traditionnelle), la quantité d’assurance-décès achetée n’est pas bornée. L’individu évalue librement la somme que les bénéficiaires désignés toucheront au moment de son décès (ou dont il bénéficiera lui-même si un événement de santé majeur survient). La prime d’assurance qu’il paie est fonction du montant assuré. Ceci explique pourquoi ce marché a fait l’objet d’une attention particulière par les actuaires. Les mêmes remarques valent aussi, voire sont renforcées, pour l’assurance-maladie redoutée.
À partir d’une simulation sur des données de mortalité anglaises, Macdonald (1997renvoi vers) montre que le coût de la sélection contraire reste modéré en matière d’assurance-vie. Le scénario retenu par l’auteur est le suivant. La population est hétérogène au regard de la mortalité (indice relatif de mortalité de 75 et 125 respectivement). En l’absence de test, 5 % des individus achètent une assurance-vie. La mutation génétique ne se retrouve que dans le groupe caractérisé par une surmortalité. La probabilité de réaliser le test varie de 5 % à 25 %. Le test est positif dans 20 % des cas. Les résultats de cette simulation sont présentés dans le tableau 11.IIrenvoi vers
Le coût de la sélection contraire reste inférieur à 10 % dans la plupart des situations. Les estimations sont néanmoins plus pessimistes si la propension à réaliser le test est forte au sein de la population et les individus, se sachant porteurs de la mutation, peuvent accroître de manière significative la quantité d’assurance achetée.
« Overall, the conclusions were that (1) in terms of general magnitude, additional costs arising from adverse selection were most likely to be 10% than 100% […] and (2) above-average sums assured was the most expensive aspect of adverse selection » (p. 89 ; Macdonald, 1999renvoi vers). Une manière efficace de contrôler le coût de la sélection contraire consiste donc à exiger la révélation du résultat du test au-delà d’un certain niveau de couverture (ces plafonds pourraient d’ailleurs varier avec l’âge de l’individu au moment de la signature du contrat). Selon l’auteur, les compagnies d’assurance peuvent supporter le surcoût dès lors qu’elles opèrent sur des marchés matures et de grande taille, en tenant compte de la diminution de la mortalité sur le long terme. La situation est cependant plus délicate pour les marchés de petite taille ou en émergence.
En ce qui concerne les mutations BRCA1/2, Subramanian et coll. (1999renvoi vers) et Lemaire et coll. (2000renvoi vers) montrent que le coût de la sélection contraire imputable au test est inférieur à 10 % lorsqu’on prend en compte l’histoire familiale. La mauvaise appréciation du risque à partir de l’histoire familiale a des conséquences bien plus désastreuses pour l’assurance. Et les auteurs concluent : « Under our approach, the average adverse selection cost is expected to be way below ten percent. So, this cost is likely to be compensated by the overall long-term trend of decrease in mortality rates [...] Therefore, we believe that adverse selection is a problem that insurers can control [...] If compagnies fail to correctly identify the family history of the applicant, […] the adverse selection could become unbearable » (p. 548-549).

Tableau 11.II Estimation du coût de la sélection contraire en matière d’assurance-vie. Coût exprimé en pourcentage d’augmentation des primes

Comportement d’achat en réponse au résultat du test
Âge à la souscription
30 ans
40 ans
50 ans
Durée du contrat
Durée du contrat
Durée du contrat
10 ans
20 ans
30 ans
10 ans
20 ans
10 ans
Si probabilité basse de réaliser le test (5 %)
Probabilité d’achat
Quantité
Pourcentages d’augmentation des primes
x5 soit 25 %
x1
0,7
0,7
0,4
0,8
0,5
0,6
 
x2
2,1
2,2
1,8
1,8
2,0
1,7
 
x4
4,3
5,1
4,8
4,1
4,8
4,0
x20 soit 100 %
x1
1,4
1,0
0,6
1,3
0,9
1,2
 
x2
3,6
2,8
2,2
3,3
2,6
3,1
 
x4
7,1
6,4
5,5
6,9
6,2
6,7
Si probabilité haute de réaliser le test (25 %)
Probabilité d’achat
Quantité
Pourcentages d’augmentation des primes
x5 soit 25 %
x1
2,9
1,9
1,1
2,6
1,7
2,3
 
x2
6,4
5,4
4,1
6,4
5,2
6,0
 
x4
12,7
12,7
10,4
13,8
12,4
13,6
x20 soit 100 %
x1
2,5
2,5
1,3
4,3
2,3
4,3
 
x2
6,7
6,7
4,7
10,2
6,5
9,9
 
x4
15,1
15,1
11,4
21,7
14,9
21,4

Assurance et incitation à réaliser le test

Dans le modèle de Rothschild et Stiglitz (1976renvoi vers), la segmentation des individus vis-à-vis du risque est définie a priori. Les individus savent s’ils appartiennent à la classe des hauts risques ou à celle des bas risques. Supposons que les individus ne possèdent pas cette information. À quelles conditions vont-ils chercher à l’obtenir (par exemple en réalisant un test) ? Doherty et Thistle (1996renvoi vers) étudient cette question (voir aussi Hoy et Polborn, 2000renvoi vers pour une application particulière au marché de l’assurance-décès). Ils montrent que la valeur de l’information dépend de son statut. L’information est privée si elle n’est pas connue de l’assureur ou si elle ne peut pas être utilisée par ce dernier pour définir les termes du contrat au regard du droit. À l’inverse, l’information est publique si elle peut être utilisée par l’assureur pour définir le niveau de la couverture ou le montant de la prime à payer. Si l’information est privée, la valeur de l’information est positive ou nulle. L’individu réalise le test car il peut éventuellement tirer avantage de la connaissance qu’il acquiert sur son patrimoine génétique. Le marché tend alors vers un équilibre séparant (Rothschild et Stiglitz, 1976renvoi vers). Garantir le caractère privé de l’information génétique amène l’individu à réaliser le test et limite de fait le « droit de ne pas savoir ». Si l’information est publique, l’information a une valeur négative. L’individu adverse au risque n’est pas incité à réaliser le test car ce faisant, il troque une situation certaine (une prime constante) pour une loterie d’espérance mathématique égale ou inférieure (la prime dépend du résultat du test). L’individu refuse de faire le test car il anticipe l’accroissement de prime si le résultat du test est défavorable. Pour inciter l’individu à réaliser le test, Tabarrok (1994renvoi vers) imagine de créer une assurance génétique. Cette assurance serait souscrite par l’individu avant de réaliser le test et prendrait en charge l’accroissement de prime en cas de résultat défavorable du test. Le dernier cas de figure analysé par Doherty et Thistle (1996renvoi vers) correspond à la situation où l’individu est libre de communiquer ou non à l’assureur le résultat du test (législation de type « Consent Law »). Dans cette configuration, les auteurs montrent que la valeur de l’information est positive. L’équilibre sur le marché est un équilibre séparant. Hoel et Iversen (2002renvoi vers) proposent une synthèse de cette littérature en considérant l’existence simultanée d’une assurance obligatoire et d’une assurance complémentaire facultative.
La discussion ci-dessus illustre les termes de l’arbitrage au niveau collectif entre deux objectifs difficilement conciliables. Le premier objectif est de permettre le fonctionnement efficient du marché de l’assurance. Dès lors, l’information génétique doit pouvoir être utilisée par les assureurs7 . Le second objectif vise à inciter les individus à réaliser le test si le résultat permet une meilleure prise en charge thérapeutique. L’analyse de Doherty et Thistle montre que cet objectif ne peut être atteint que si l’information reste privée. C’est aussi au regard des termes de cet arbitrage que peuvent être évaluées les différentes modalités de régulation de l’accès à l’information produites par les tests génétiques. À titre illustratif, pour les États-Unis, Peterson et coll. (2002renvoi vers) estiment que 25 % des personnes refusent de réaliser le test pour BRCA1/2 pour des raisons tenant au coût, à la confidentialité des données, à l’impact sur leur couverture assurantielle. L’enquête réalisée par Matloff et coll. (2000renvoi vers) auprès de conseillers génétiques fait apparaître que la majorité d’entre eux (68 %) ne se ferait pas rembourser les coûts liés à la réalisation du test génétique par leur compagnie d’assurance même si ces coûts sont pris en charge, par crainte de se signaler. Ossa et Towse (2004renvoi vers) proposent un canevas d’évaluation économique. Ils mettent en perspective le coût de la sélection contraire pour les assureurs, d’une part, et le coût pour le système de santé d’une sous-utilisation des tests génétiques permettant de dépister des maladies pour lesquelles il existe un traitement efficace, d’autre part. Les auteurs signalent d’ailleurs que l’existence d’un traitement efficace contribue à réduire le coût de la sélection contraire (au moins en matière d’assurance-décès) et qu’il est donc doublement important de promouvoir la diffusion des tests médicalement utiles, c’est-à-dire permettant d’améliorer la prise en charge thérapeutique du patient ou de prévenir la survenue de la maladie. Cette question semble particulièrement importante.
En conclusion, sauf pour certaines maladies monogéniques, les tests n’ont pas un pouvoir prédictif avéré ou une valeur informative forte. Cette situation est caractéristique des maladies complexes multifactorielles où les interactions entre prédispositions génétiques et environnement sont difficiles à appréhender. Il n’est pas évident que cette information soit d’une grande valeur pour les assureurs.
Eu égard à l’incertitude entachant les données médicales et épidémiologiques disponibles, les modèles développés par les actuaires restent fragiles et les résultats obtenus doivent être interprétés avec prudence.
Dans les situations étudiées dans la littérature, la mise en évidence d’une mutation génétique est susceptible d’induire une réévaluation significative des primes d’assurance, voire à une éviction du marché de l’individu porteur de cette mutation. Dans le même temps, compte tenu de la faible prévalence des mutations recherchées dans la population, le coût de la sélection contraire reste modéré et a priori supportable par les assureurs pour les marchés matures. La question se pose cependant de définir ce que l’on entend par information génétique. Par exemple, quel est le statut de l’histoire familiale ? L’interdiction d’intégrer les antécédents familiaux dans la définition du contrat (comme en Suède par exemple) peut s’avérer très coûteuse pour l’assureur.
Au regard de l’arbitrage entre efficience et équité, les éléments ci-dessus incitent à promouvoir des modes de régulation encadrant l’accès et l’utilisation par les assureurs à l’information génétique. Parmi les modes de régulation envisagés, on trouve :
• l’interdiction formelle d’utiliser le résultat d’un test existant ou de faire réaliser spécifiquement un test génétique pour la souscription et la tarification d’une police d’assurance (position de la plupart des états aux États-Unis). Le moratoire, prononcé par nombre de pays européens à ce jour (dont la France), consiste en une interdiction temporaire ;
• la possibilité pour l’assureur de connaître le résultat d’un test existant lorsque la quantité achetée d’assurance excède un certain plafond (cas du Royaume-Uni en matière d’assurance-décès au-delà de 500 000 £, le plafond s’établissant à 300 000 £ en matière d’assurance-maladie redoutée ou d’assurance-dépendance). Cette disposition permet de limiter le coût de la sélection contraire ;
• la possibilité pour l’assureur de disposer du résultat d’un test existant, assortie de l’interdiction d’utiliser cette information pour définir les termes du contrat. Cette disposition protège l’individu et permet à l’assureur de mieux estimer le risque auquel il fait face.
En prospective, la question est de savoir si des tests se rapportant à des mutations fréquentes à forte pénétrance deviendront disponibles (par exemple, des tests multigènes pour les pathologies complexes). L’introduction de ces tests serait en effet de nature à modifier radicalement les conclusions énoncées plus haut, ce qui réactiverait sans doute la question de l’ajustement des modes de régulation de l’accès de l’assureur à l’information.

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