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| Med Sci (Paris). 36(1): 69–72. doi: 10.1051/medsci/2019175.Le dialogue entre les cellules souches intestinales et
les lymphocytes T CD4+ module l’homéostasie des cellules
souches Module d’immunologie virologie et cancer du Master de
cancérologie de Lyon Valentin Thevin1* and Saidi Soudja2** 1Master de cancérologie, module d’immunologie – virologie,
université Claude Bernard Lyon 1, Lyon,
France 2Centre de recherches en cancérologie de Lyon, UMR Inserm
1052, CNRS 5286, Centre Léon Bérard de Lyon, Lyon,
France |
Contact Équipe pédagogique
Julien Marie julien.marie@inserm.fr L’intestin couvre plus de 200 m2 chez l’homme et constitue un acteur central
de la digestion et de l’homéostasie de l’organisme. Il est en contact direct avec les
aliments que nous ingérons mais également avec de nombreux micro-organismes qui
constituent le microbiote. En conditions physiologiques, ces micro-organismes commensaux
ou l’alimentation ne doivent pas générer d’activation forte du système immunitaire.
L’intestin doit faire la part des choses entre agents pathogènes et microbiote commensal
pour éviter toute réaction inappropriée et l’établissement d’une inflammation chronique,
terrain propice au développement de cancers. Au niveau de l’intestin grêle, le tissu intestinal est composé de cryptes et de
villosités. Au fond des cryptes, dites de Lieberkühn, se trouvent les cellules souches
intestinales (CSI) qui expriment la protéine Lgr5 (leucine-rich
repeat-containing G-protein-coupled receptor 5) [1]. Ces CSI ont la capacité de se différencier et de
donner naissance à toutes les cellules de l’épithélium intestinal. Elles se
différencient en cellules progénitrices transitoires qui se multiplient intensément
avant de se différencier à leur tour. Elles donnent ainsi naissance aux entérocytes
(cellules absorbantes), aux cellules entéroendocrines, aux cellules sécrétrices de mucus
(cellules caliciformes ou en gobelet, en anglais), aux cellules
tufts impliquées dans la réponse antiparasitaire [2] et aux cellules de Paneth (sécrétrices de
peptides anti-microbiens) [1]. Toutes ces cellules
se retrouvent au niveau des villosités, à l’exception des cellules de Paneth qui, elles,
se localisent au contact des CSI dans les cryptes de Lieberkühn. L’épithélium intestinal
se renouvelle très rapidement. Les cellules migrent jusqu’au sommet des villosités,
meurent et se jettent dans la lumière intestinale. Chez les mammifères, cet épithélium
est renouvelé totalement tous les 4-5 jours [3]. Un dérèglement de ce processus de prolifération et de
différenciation est à l’origine de nombreuses pathologies, en particulier des processus
cancéreux [4]. C’est donc un
enjeu majeur de comprendre les mécanismes qui régulent le comportement des CSI. En cas d’agression physique, chimique ou microbiologique, l’épithélium doit s’adapter,
répondre efficacement et se régénérer. Ce renouvellement, de même que cette réparation
dépendent totalement des CSI qui, par le biais des signaux de prolifération et de
différenciation qu’elles reçoivent et intègrent, vont pouvoir proliférer et se
différencier. La prolifération et la différenciation des cellules souches de l’organisme
sont finement régulées et de nombreuses études ont montré que les cellules du système
immunitaire contrôlent l’homéostasie des cellules souches de l’organisme. Ainsi, les
lymphocytes T régulateurs (Treg) peuvent réguler la prolifération et la différenciation
des cellules souches de la peau [5]. L’intestin étant un organe riche en lymphocytes T, ces derniers
pourraient donc jouer un rôle sur l’homéostasie des CSI. Dans une étude parue dans
Cell en 2018, l’équipe de Ramnik Xavier a analysé le rôle des
lymphocytes T intestinaux dans le renouvellement et la différenciation des CSI [6]. |
Les cellules souches intestinales expriment le complexe majeur
d’histocompatibilité de classe II Le complexe majeur d’histocompatibilité de classe II (CMH II) permet la présentation
de l’antigène aux lymphocytes T CD4+ et leur activation. Les molécules du
CMH II sont exprimées par les cellules présentatrices d’antigènes professionnelles,
telles que les cellules dendritiques ou les lymphocytes B. Toutefois, des
expressions non conventionnelles du CMH II ont été décrites dans différentes études.
Notamment, il a été montré que des cellules de l’épithélium intestinal pouvaient
présenter du CMH II à leur surface [7, 8]. Mais ces
études pionnières ne montraient pas si cette expression du CMH II avait une
importance sur l’homéostasie des cellules épithéliales intestinales. Les cellules de
l’épithélium intestinal sont hétérogènes et les types cellulaires exprimant le CMH
II restent donc à définir. Les cellules épithéliales intestinales sont des populations hétérogènes avec des
fonctions diverses et spécifiques. Pour identifier et caractériser la population de
cellules épithéliales intestinales exprimant le CMH II, Biton et
al. ont réalisé sur ces cellules un séquençage scRNAseq (single
cell RNA sequencing) qui permet de déterminer le transcriptome d’une
cellule unique. Ils ont montré que les CSI étaient les cellules qui exprimaient le
CMH II au niveau de l’épithélium intestinal. Cette technologie a également permis
d’identifier 3 types différents de CSI en fonction du profil d’expression de gènes.
Parmi les 3 types de CSI caractérisés, 2 expriment effectivement les molécules du
CMH II et toute la machinerie nécessaire à la présentation antigénique aux
lymphocytes T CD4+ [6]. Ces
observations suggèrent l’existence d’une interaction entre les CSI et les
lymphocytes T CD4+ au niveau de l’intestin. |
Identification des cytokines produites par les lymphocytes T CD4+ régulant la
prolifération et le renouvellement des CSI Afin de démontrer cette interaction entre les CSI et les lymphocytes T
CD4+, l’équipe de Ramnik Xavier a utilisé un modèle d’organoïdes
intestinaux. Les chercheurs ont cultivé ces organoïdes avec différents types de
lymphocytes T CD4+ (Th1, Th2, Th17 ou Treg) et ont étudié l’impact sur la
prolifération et la différenciation des CSI. Ainsi, ils ont pu observer un
changement dans la composition cellulaire de l’épithélium intestinal en fonction du
type de lymphocytes CD4+ mis en culture. Lorsque les organoïdes sont en
présence de lymphocytes T CD4+ de type Th1, Th2 ou Th17, la proportion
des CSI diminue au profit de cellules plus différenciées. Pour montrer que cet effet
sur la composition cellulaire des organoïdes intestinaux est induit par les
cytokines produites par les lymphocytes T CD4+, les organoïdes
intestinaux ont été traités avec les cytokines caractéristiques de ces différents
types de lymphocytes T CD4+ (IL-17, IFNγ et IL-13). Le traitement avec
ces cytokines induit également une diminution de la fréquence des CSI et une
augmentation des autres types de cellules épithéliales. La culture des organoïdes
avec des cellules Treg ou en présence d’IL-10, cytokine sécrétée par les Treg,
conduit à une accumulation significative des CSI et une diminution de leur
différenciation. Globalement, ces études in vitro indiquent que les
différents types de lymphocytes CD4+, via la production
de cytokines, modulent différemment la différenciation et le renouvellement de
l’épithélium intestinal. Les lymphocytes de type Th1, Th17, et Th2 favorisent la
différenciation des CSI, alors que les lymphocytes Treg réduisent cette
différenciation et favorisent l’accumulation des CSI via la
sécrétion d’IL-10. |
Régulation du renouvellement des CSI par les Treg in vivo Après avoir établi in vitro que les lymphocytes T CD4+
peuvent moduler la prolifération et la différenciation des CSI, les chercheurs ont
étudié ce mécanisme in vivo. De nombreuses études concordantes
montrent une implication des lymphocytes Treg dans l’homéostasie de différents types
de cellules souches. Ainsi, il a été montré que dans la peau, les Treg jouent un
rôle clé dans l’homéostasie des cellules souches au niveau des follicules pileux.
Les auteurs de cette étude ont montré que les Treg par l’expression d’un ligand de
NOTCH, Jagged1, régulent la prolifération et la différenciation des cellules souches
des follicules pileux [5]. Afin de montrer
in vivo, que les lymphocytes Treg sont impliqués dans la
régénération et l’homéostasie de l’épithélium au niveau intestinal, l’équipe de
Ramnik Xavier a analysé chez la souris l’impact de la déplétion des Treg sur les
CSI. En accord avec les expériences réalisées in vitro, l’absence
des Treg in vivo conduit à une diminution significative de la
proportion des CSI. En effet, en absence de lymphocytes Treg, les CSI se divisent et
se différencient plus rapidement. Ces résultats révèlent donc, pour la première
fois, l’importance des lymphocytes Treg dans le contrôle de la prolifération et la
différenciation des CSI. |
Rôle du CMH II sur les CSI en conditions physiologique et pathologique Afin de montrer l’implication de l’expression des molécules du CMH II sur
l’homéostasie des CSI in vivo, Biton et al. ont
éliminé l’expression du CMH II spécifiquement sur les cellules épithéliales
intestinales, grâce au système Cre-lox. Une fois l’invalidation du CMH II sur les
cellules épithéliales intestinales réalisée, les chercheurs ont analysé l’impact sur
le comportement des CSI. L’étude montre que l’ablation des molécules du CMH II
spécifiquement à la surface des cellules épithéliales conduit à une prolifération et
à une accumulation des CSI dans l’intestin. Ainsi, l’expression du CMH II semble
être impliquée dans le contrôle des taux de CSI au niveau de l’intestin dans des
conditions physiologiques. Pour aller plus loin, les chercheurs ont également analysé le rôle de l’expression du
CMH II en situation pathologique. Lors d’une infection intestinale, l’épithélium
intestinal est fortement sollicité. L’épithélium doit se renouveler rapidement pour
faire face à la perte cellulaire engendrée par l’infection. Les chercheurs se sont
donc demandé si l’expression non conventionnelle du CMH II sur les CSI pourrait
aussi jouer un rôle dans ces conditions. Pour se faire, ils ont analysé le
comportement des CSI au cours d’une infection avec le parasite
Heligmosomoides polygyrus ou avec la bactérie
Salmonella. Dans ces 2 modèles infectieux, ils montrent que
l’invalidation du CMH II sur les cellules épithéliales affecte significativement les
proportions des différents types de cellules épithéliales de l’intestin. Notamment,
l’ablation du CMH II sur les cellules épithéliales intestinales conduit à une
diminution notable de la proportion de cellules tufts de l’épithélium intestinal.
Ainsi, l’équipe de Ramnik Xavier a montré pour la première fois le rôle clé joué par
le CMH II exprimé par les cellules épithéliales intestinales dans leur
renouvellement et leur différenciation non seulement en condition physiologique mais
aussi en condition pathologique comme lors d’une infection. Cette adaptation
cellulaire permettrait à l’épithélium de contrecarrer les dommages induits par
l’infection. Bien que l’étude montre un rôle majeur de l’expression du CMH II sur la
régulation de la composition cellulaire de l’épithélium intestinal, l’étude ne dit
pas si cette expression est requise pour permettre à l’individu, à terme, d’éliminer
l’infection parasitaire ou bactérienne. Les travaux de l’équipe de Ramnik Xavier ont donc permis de montrer un dialogue entre
les lymphocytes CD4+ et les CSI. Les CSI exprimant le CMH II pourraient
interagir avec les lymphocytes T CD4+ sous-jacents qui sécrètent alors
différentes cytokines modulant distinctement la prolifération et la différenciation
des CSI. On peut imaginer, en effet, qu’en fonction du type d’infection, différents
sous-types de lymphocytes T CD4+ pourraient être activés, chacun ayant
son mode d’action sur l’épithélium intestinal. Les CSI suivront par conséquent
différentes voies de différenciation selon l’infection, et donneront ainsi naissance
à de nombreux types de cellules épithéliales (Figure 1). Ainsi, ce dialogue entre lymphocytes T
CD4+ et CSI va permettre une réponse adaptée et spécifique de
l’épithélium intestinal.
 | Figure 1. La présentation de différents antigènes (issus de bactéries pathogènes ou
non pathogènes) permet de créer un premier signal partant des cellules
souches intestinales (CSI) exprimant des molécules du complexe majeur
d’histocompatibilité de classe II (CMH II) vers les lymphocytes T (LT)
CD4+. Cette interaction va permettre d’activer le système
immunitaire et, notamment, de différencier les cellules T
CD4+ en différents sous-types de LT auxiliaires (Th1,
Th2, Th17, T régulateurs [Treg]), permettant ainsi de modifier la
composition cellulaire intestinale, et donc de créer une réponse
spécifique, en fonction de l’antigène présenté. |
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Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
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