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Med Sci (Paris). 36(1): 77–79.
doi: 10.1051/medsci/2019261.

Vers un ciblage du TGF-β pour de futures immunothérapies anti-cancéreuses plus efficaces

Rayan Foughali1* and Julien C. Marie2**

1Master de cancérologie, ISPB, Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon69008, France
2Tumor escape resistance immunity department, Cancer research center of Lyon, Lyon69008, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Antinéoplasiques immunologiques, Humains, Immunothérapie, Thérapie moléculaire ciblée, Tumeurs, Traitements en cours d'évaluation, Facteur de croissance transformant bêta, Résultat thérapeutique, usage thérapeutique, méthodes, tendances, immunologie, thérapie

Comprendre le rôle du système immunitaire dans le cancer : illustration par l’effet immunosuppresseur du TGF-β
Immunothérapies et cancer
Le concept d’immunothérapie a été décrit pour la première fois en 1891 à la suite des travaux du Professeur William Coley révélant que l’administration, dans la tumeur, de streptocoques à des patients inopérables pouvait conduire à une régression de la masse tumorale. Longtemps oublié voire critiqué, ce concept, qui vise à utiliser le système immunitaire comme arme de défense contre les tumeurs, a été revisité un siècle plus tard. La progression de nos connaissances en immunologie, notamment sur l’identification des cellules effectrices clés capables de tuer les tumeurs, que sont les lymphocytes T CD8+ et les cellules natural killer (NK), et de leurs mécanismes d’activation et de régulation, ont permis de développer des traitements permettant une meilleure réponse de ces cellules effectrices contre les tumeurs. La découverte, à la surface des lymphocytes T, de molécules fournissant un signal répresseur de leur activation, telles que les molécules PD-1 et CTLA-4, a conduit au développement d’anticorps neutralisant leur action. Aujourd’hui utilisés en clinique dans le traitement de tumeurs solides, ces anticorps connaissent un taux de succès variable. En effet, seule une fraction des patients répond à ces traitements. Si 50 % des patients porteurs de mélanome répondent à une combinaison anti-CTLA-4/PD-1, ce chiffre tombe à 20 % pour ceux atteints de cancers du poumon, et à moins de 7 % pour les patientes atteintes de cancer du sein [1].
Le TGF-β produit par les cellules cancéreuses et des cellules du microenvironnement tumoral est un frein à l’action anti-tumorale du système immunitaire
Le succès en demi-teinte des immunothérapies actuelles s’explique, entre autres, par l’existence de mécanismes d‘immunosuppression puissants, qui freinent la réponse immunitaire anti-tumorale. Un des défis des prochaines années est donc d’inactiver ces mécanismes, et notamment les plus immunosuppresseurs d’entre eux. Parmi ces mécanismes, un polypeptide, le TGF-β (transforming growth factor b), attire l’attention des laboratoires de recherche et des cliniciens. Les effets immunorégulateurs du TGF-β, connus depuis 1992, ainsi que l’observation de l’activation massive du système immunitaire en absence de TGF-β, font de cette molécule une potentielle cible thérapeutique [2]. Les principales cellules cibles des effets immunosuppresseurs du TGF-β sont les lymphocytes T [3, 4]. Le TGF-β réprime les lymphocytes T effecteurs en inhibant leur prolifération, leur programme de différenciation en cellules cytotoxiques et pro-inflammatoires, et donc leur capacité à éliminer les cellules tumorales [4, 5]. Par ailleurs, le TGF-β favorise le développement et la stabilisation des lymphocytes T régulateurs [6] qui répriment les lymphocytes T effecteurs et dont la présence au sein des tumeurs est donc associée très souvent à un mauvais pronostic [7] (Figure 1).

Au sein de la masse tumorale, le TGF-β est produit par les cellules tumorales et par des cellules de leur microenvironnement. Si le TGF-β produit directement par la cellule tumorale semble être important dans la répression des lymphocytes T effecteurs [8], les cellules tumorales recrutent notamment des fibroblastes, appelés aussi fibroblastes associés au cancer (cancer-associated-fibroblasts, CAF) qui, par leur sécrétion de TGF-β, favoriseraient aussi un microenvironnement tumoral immunosuppresseur [7]. Le TGF-β produit par les CAF contribue également à l’exclusion des lymphocytes T hors du microenvironnement tumoral, et est donc un frein à l’action des immunothérapies ciblant ces lymphocytes [7].

Cibler le TGF-β : effets potentiellement bénéfiques d’inhibiteurs
L’utilisation de galunisertib chez la souris augmente l’activation des lymphocytes T et réduit le nombre de métastases
Compte tenu du puissant rôle immunosuppresseur du TGF-β sur les lymphocytes T, plusieurs équipes de recherche ont testé des inhibiteurs de la signalisation induite par le TGF-β, voire des neutralisateurs de ce polypeptide. Les travaux récents de Tauriello et al. révèlent que le traitement de souris par le galunisertib, un inhibiteur du récepteur du TGF-β, augmente l’activation des lymphocytes T effecteurs dans la tumeur, et est suffisant pour réduire le nombre de métastases du cancer du côlon au foie, sans toutefois prolonger la survie des animaux [7].
La combinaison d’immunothérapies anti-PD1 et anti-TGF-β permet une meilleure survie
Les conclusions de deux études récentes s’accordent sur le fait que, chez l‘homme comme chez la souris, les tumeurs avec une forte production de TGF-β sont beaucoup moins sensibles aux immunothérapies par anticorps anti-PD-1 ou anti- PDL-1. En effet, une analyse de tumeurs métastatiques urothéliales après une immunothérapie anti-PDL1 montre que les patients qui ne répondent pas ou peu au traitement présentent une forte signature génique de l’activation de la signalisation par le TGF-β dans les lymphocytes T [9]. De même, chez la souris, les tumeurs colo-rectales ou les carcinomes mammaires exprimant des taux élevés de TGF-β sont réfractaires aux traitements anti-PD-1 ou anti-PDL-1 [7,9]. Remarquablement, l’association d’un traitement par un inhibiteur de la signalisation du TGF-β et d’une immunothérapie anti-PD-1 augmente très nettement la survie des animaux [7]. Si les auteurs de ces deux travaux proposent que le TGF-β, par sa capacité à réprimer l’infiltrat lymphocytaire au sein la tumeur, prévient l’action du traitement anti-PD-1 ou anti-PDL-1, il est à noter que l’activation de lymphocytes T résultant de la neutralisation des effets du TGF-β conduit également à une surexpression de la molécule PD-1 à leur surface (Figure 2). Ainsi, le traitement anti-PD-1 prolongerait l’effet activateur des inhibiteurs du TGF-β sur les lymphocytes T, assurant une réponse immunitaire efficace à plus long terme et une meilleure survie des animaux.

Détourner les propriétés du système immunitaire n’est pas sans risque
Les résultats de ces travaux suggèrent que l‘inhibition du TGF-β favorise la réponse immunitaire anti-tumorale et augmente l‘efficacité des immunothérapies existantes. Les essais cliniques de phase III utilisant des inhibiteurs du TGF-β sont cependant encore en attente de résultats. De courtes expositions à ces inhibiteurs chez l’animal ne semblent pas entraîner d’effets cytotoxiques majeurs : une étude chez le rat montre qu’une prise de galunisertib pendant trois mois est bien tolérée. Une exposition prolongée à des inhibiteurs de TGF-β, cet acteur majeur de la réponse immunitaire, pourrait cependant entraîner des effets indésirables graves d’auto-immunité ; dans cette même étude, une exposition chronique de plus de 3 mois au galunisertib entraîne une toxicité touchant de multiples organes [10].
Le futur du TGF-β dans la médecine personnalisée

Il a été montré par Ozdemir et al. [11] que la génération de souris transgéniques dépourvues de myofibroblastes dans l’adénocarcinome ductal pancréatique aboutit à des tumeurs invasives et non-différenciées, ayant des propriétés hypoxiques augmentées, un rapport lymphocytes T effecteurs / T régulateurs diminué, et une augmentation d’expression de la protéine CTLA-4, ce qui réduit considérablement la survie de ces animaux. Ces résultats, corroborés par une analyse chez des patients atteints d’adénocarcinome ductal pancréatique et ne présentant que peu de myofibroblastes dans leur tumeur, prouvent que cibler les CAF, qui sont les principaux sécréteurs du TGF-β dans ce type de cancer, ne représente pas une cible thérapeutique intéressante. De plus, il a été confirmé par plusieurs équipes qu’une stratégie ciblant le TGF-β seul est peu efficace [7,9]. En revanche, l’inhibition du TGF-β en combinaison avec d’autres thérapies pourrait représenter une stratégie efficace contre différents types de cancers. Une médecine personnalisée s’appuyant sur l’immunothérapie serait certes coûteuse, mais pourrait être la clé pour traiter efficacement certaines tumeurs. Grâce notamment à l’essor de techniques de séquençage à haut débit permettant de caractériser finement le profil moléculaire des tumeurs, la médecine personnalisée en oncologie s’est beaucoup développée ces dernières années. Elle est même devenue un standard de procédure dans un nombre croissant de cancers : les altérations telles que l’amplification de ERBB2 (HER2) dans le cancer du sein, les mutations de l’EGFR ou de KRAS/BRAF, respectivement dans le cancer du poumon à petites-cellules et les cancers colo-rectaux, ou encore les fusions BCR/ABL dans la leucémie myéloïde chronique, sont examinées de manière routinière.

L’analyse des signatures moléculaires de réponse des tumeurs aux immunothérapies constitue également un défi en oncologie pour les prochaines années, pour la recherche et pour le corps médical. Parmi ces immunothérapies, les inhibiteurs du TGF-β pourraient jouer un rôle charnière [12]. Cependant, il faudrait que le TGF-β ait été identifié préalablement comme un facteur clé du développement des cellules tumorales chez le patient, car ce facteur de croissance n’est pas systématiquement impliqué dans chaque type de cancer. Il faudrait également déduire quel traitement ou combinaison de traitements serait le(la) plus efficace pour détruire les cellules cancéreuses, et donc s’appuyer sur des données provenant d’une multitude d’études. Dans cette optique, Bayin et al. ont d’ailleurs développé un modèle ex vivo d’explant de gliome de haut grade afin de tester la réponse patient-spécifique à une inhibition du TGF-β, ce modèle pouvant être étendu aux combinaisons d’inhibiteurs [13]. Le ciblage du TGF-β pourrait également permettre d’affiner les immunothérapies qui se révèlent parfois inefficaces dans certains types de cancers, prouvant ainsi le potentiel de cette molécule dans la médecine personnalisée.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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