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Med Sci (Paris). 36(2): 153–159.
doi: 10.1051/medsci/2019264.

Les tests génétiques en libre accès
Régulation par le marché, ou régulation médicale ?

Henri Jautrou1*

1LISST-Cers (UMR 5193), Université Toulouse II, UFR Sciences Espaces et Sociétés, Département de Sociologie, 31058Toulouse Cedex 9, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm/Aviesan).

Les tests génétiques en accès libre (ou auto-tests) sont vendus (notamment sur Internet) en l’absence de prescription médicale et d’accompagnement par un professionnel de santé lors de l’accès aux résultats1. Ils sont progressivement sortis du monde de l’expertise (le domaine de la recherche clinique où seuls des généticiens présidaient à leur développement et à leur administration au sein d’un service clinique) où ils étaient cantonnés, en diversifiant leur modalité d’accès ainsi que leur contenu [1, 2]. Le caractère « innovant » de ces dispositifs se joue sur de nombreuses dimensions, ce qui multiplie les sources de débat, voire de controverse. Le libre accès à ces tests, par exemple, va à l’encontre de certaines législations nationales ou fédérales, ou n’a pas été anticipé par les autorités de régulation, ce qui fait ressortir l’existence de situations qui, proches de vides juridiques, évitent aux entreprises qui ont le statut de laboratoire d’avoir à effectuer des demandes de certification pour mettre leurs tests sur les marchés [3-5]. Alors que, aux États-Unis comme en Europe, les autorités de régulation sont en train de mettre fin à cette situation de « vide juridique », cela ne règle pas la question du libre accès. Or avec l’avènement de la génomique, le contenu des tests s’est fortement diversifié au détriment de leur validité clinique et utilité clinique. Ces dernières se révèlent faibles voire nulles [6] ().

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 3, mars 2012, page 325

Cette diversification, qui constitue un autre exemple du caractère « innovant » du marché2, repose sur le développement de tests de prédispositions pour des maladies multifactorielles (cancers, maladie de Parkinson, etc.), et pour toutes sortes de caractéristiques physiologiques ou comportementales. Le calcul des risques (ou prédispositions) est construit sur la base d’importants choix épistémiques, ce qui entraîne des différences entre les résultats délivrés d’une entreprise à l’autre (par exemple, en fonction des caractéristiques de la maladie que l’on cherche à tester, le choix de la population de référence peut se faire autour de différences homme/femme, ou de différences d’âge) [7, 8] ().

(→) Voir le Forum de P. Ducournau et al., m/s n° 1, janvier 2011, page 95

Les scientifiques liés à l’industrie (dont le biologiste généticien Craig Venter [9]) () soulignent par ailleurs les limites de la génétique [8]. Les produits les plus élaborés prennent en compte de très nombreux marqueurs génétiques et sont sujets à évolution, en fonction des analyses relatées dans la littérature scientifique, ou réalisées par les entreprises elles-mêmes. Le libre accès étend ainsi le domaine d’application des tests au-delà de la clinique, en diminuant toutefois leur pertinence médicale (par exemple, le ciblage de « patients » asymptomatiques par un test initialement dédié à des patients symptomatiques) [10] ().

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 11, novembre 2008, page 325

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 12, décembre 2015, page 1137

En réponse aux faibles validité et utilité cliniques des tests, certaines entreprises arguent qu’il ne s’agit pas de dispositifs médicaux, mais de dispositifs informationnels ayant une utilité personnelle (relative à des « styles de vie » : comportement alimentaire, etc.). L’incertitude inhérente à ce dernier concept (qui est nouveau, et non issu du monde clinique) explique en partie pourquoi ces dispositifs ne sont pas intégrés dans le système de santé.

Depuis leur apparition non régulée, à la fin des années 1990, jusqu’à l’apparition d’un marché officiel via les premières certifications délivrées en 2015 à l’échelle fédérale aux États-Unis, une vingtaine d’années auront été nécessaires pour parachever la sortie de ces tests génétiques de la « clinique ».

Qu’en est-il de la régulation de ces produits au statut médical ambigu ? Nous étudierons cette question à travers deux prismes, celui du marché lui-même, puis celui du nouveau Règlement européen sur les DIV (diagnostics in vitro)3 qui, lors de son entrée en vigueur en 2022, mettra un terme aux vides juridiques précédemment évoqués, tout en permettant les ventes en libre accès via des certifications. Nous n’évoquerons pas les certifications délivrées en Europe à partir de 2014, étant donné qu’elles relèvent de législations nationales qui seront remplacées par le nouveau Règlement (certaines d’entre elles jouent sur les « vides juridiques » que nous avons évoqués, et qui seront comblés en 2022).

Une régulation « par le marché »…

L’aspect hautement compétitif du marché des tests génétiques reflète ses dimensions innovantes. L’étude que nous avons réalisée [1, 2] se concentre sur les tests dédiés à la santé (maladies, pharmacologie), à la physiologie, aux performances et aux comportements, et exclut ceux dédiés à la filiation ou à « l’ancestralité ».

Ce marché est extrêmement dynamique. S’il est en pleine expansion, à en juger par le nombre annuel d’entreprises qui arrivent sur le marché (i.e. via une offre qui comprend a minima un type d’auto-test), il est aussi extrêmement volatil (Tableau I), un fait que d’autres auteurs avaient repérés dès 2010 [11]. Les entreprises cessent massivement leur offre et sont, dans l’ensemble, éphémères (moins de cinq ans), ou entrent dans des processus de fusion-acquisition (parfois en série). Ce renouvellement important est typique des marchés encore jeunes et hautement concurrentiels [12].

Aux-États-Unis, la montée en puissance de la régulation, à partir de 20134, a mis fin à nombre d’offres, ce qui ne s’oppose pas, dans l’absolu, à un renouveau du marché. Pour l’heure, seule 23andMe a obtenu des certifications aux États-Unis comme dans certains pays européens. Outre-atlantique, l’entreprise obtient progressivement des certifications pour de nouveaux tests (ce qui reste encore limité par rapport au grand nombre de maladies considérées par son offre jusqu’en 2013), notamment en raison de sa capacité à démontrer que les utilisateurs comprennent les limites des produits (les certifications précisent que les tests n’établissent pas de diagnostic et qu’ils ne peuvent donner lieu à des prises de décisions cliniques).

L’évolution des produits s’est également accompagnée d’une « guerre des prix ». Les offres les plus complètes sont maintenant vendues moins de 200 dollars (environ 182 euros), alors que les offres de lancement étaient initialement fixées autour de 1 000 dollars (environ 913 euros) (pour des produits de surcroît moins complets). La remontée des tarifs de 23andMe (fixés auparavant à 99 dollars (environ 90 euros) fin 2011, et maintenant à 179 dollars (environ 163 euros) pourrait être due à une baisse de la concurrence (voire à une situation proche du « monopole »). L’entreprise a d’ailleurs été accusée de vendre ses tests à perte afin d’éliminer ses concurrents5 [13] ().

(→) Voir l’Éditorial de B. Jordan, m/s n° 3, mars 2014, page 227

Dans tous les cas, alors que les vides juridiques précédemment évoqués sont en train d’être comblés6,, 23andMe a fait bon usage d’une « temporalité juridique », c’est-à-dire que cette entreprise a su créer une importante base de données à partir d’un prix très bas sur une offre non régulée et drainant un large public (i.e. offre réunissant un très grand nombre de maladies). Elle sait par ailleurs jouer sur des ambigüités juridiques puisque, en France par exemple, où la vente libre est formellement interdite, elle vend des « données [génétiques] brutes » (via ses tests d’ancestralité), ce qui laisse la possibilité aux utilisateurs d’accéder à des analyses de santé, indirectement via des logiciels conçus par d’autres entreprises. Cette stratégie avait été adoptée en 2013 aux États-Unis, lorsque la FDA avait sommé l’entreprise de cesser ses ventes [13, 14]. Dans tous les cas, 23andMe, qui détient une réelle capacité de communication en raison de ses liens avec de grands acteurs des TIC (technologies de l’information et de la communication), est très présente dans l’espace numérique (par exemple, elle créée des buzz médiatiques autour de ses offres ponctuelles7,), et fait par ailleurs valoir sa compétitivité en jouant sur des termes que même la communauté académique ne relève pas8.

Enfin, le marché est en cours de structuration, ce qui est logique étant donné que l’industrie scientifique se développe via des réseaux inter-organisationnels étendus (un phénomène qui a permis, dans les années 1990, à des entreprises du marché des sciences de la vie de devenir « dominantes ») [15]. Cette structuration se joue dans plusieurs dimensions : sectorielle ou disciplinaire, avec les partenariats scientifiques ou techniques (informatique, pharmacologie, optique, etc.), professionnelle, avec la médecine (recherche biomédicale et vente de « portefeuille de clients », distribution via des médecins internes ou externes aux entreprises et spécialisés ou non en génétique, etc.), marketing, avec les distributeurs (depuis la distribution médicale jusqu’à la distribution numérique et la grande distribution), commerciale, avec les partenariats économiques ou la valorisation de la recherche (co-développement de produits très divers, depuis la médecine jusqu’au « bien-être »), financière, avec les investisseurs, etc. Les partenariats économiques peuvent d’ailleurs conférer une nouvelle « identité » aux entreprises d’auto-tests. L’entreprise 23andMe, qui a de réelles compétences en informatique en raison de ses liens avec de grands acteurs des TIC, acquiert ainsi certaines caractéristiques des acteurs pharmaceutiques (via le partage des coûts de développement de médicaments et des profits9,). Son profil se rapproche maintenant de celui de deCODE Genetics, l’une de ses anciennes concurrentes qui a cessé ses offres en libre accès en 2009, à la suite de sa faillite. À titre indicatif, la comparaison, via deux schémas, des liens respectivement financiers ([2], p. 248) et commerciaux ([2], p. 249) développés par les principales entreprises américaines d’auto-tests montre que celles qui sont les plus interconnectées sur le plan financier, le sont également sur le plan commercial (et collaboratif). Le modèle des chaînes interdépendantes (chain-linked model) développé par des économistes, identifie d’ailleurs l’existence de boucles rétroactives et permanentes entre la recherche et le marché [16,17], et convient bien pour décrire le modèle économique de certaines des entreprises du marché des auto-tests. La simplification de ces schémas (Figures 1 et 2) fait ressortir la double activité de ces entreprises, qui, d’un côté, intégrent l’apport financier de grands acteurs scientifiques, et qui, de l’autre, développent des partenariats scientifiques avec eux, tout en collectant en parallèle une palette très large de données, via des collaborations avec des acteurs extrêmement variés (voire en les rachetant, comme dans le cas du rachat, par 23andMe, de l’acteur de e-santé CureTogether).

En d’autres termes, les entreprises qui domineront à la fois le marché médical et celui des auto-tests seront en partie sélectionnées par des logiques de marché (concurrence, concentration, etc.). Deux points sont ainsi à noter :

  • L’argument marketing, qui est mis en avant par 23andMe, à savoir que la collecte de données issues des « consommateurs » est réalisée avec une finalité liée à la recherche, n’est pas une information fausse, mais partielle. Ces données ont peu d’intérêt en elles-mêmes, c’est-à-dire en l’absence d’une collecte « totale » qui draine des données issues d’une réelle pratique médicale (généralistes et généticiens), pratique qui accède non seulement au corps des « patients » (et aux données inhérentes), mais aussi au corps de patients atteints de pathologies. Utilisé dans la littérature académique, le concept de « marché biface » [18] rend ainsi invisible le modèle économique que développe des entreprises ayant des compétences en TIC (ou NTIC, N pour nouvelles). L’information ne circule donc pas uniquement en « C-to-B » (consumer-to-business), mais également en « B-to-B » (business-to-business) à partir de généralistes par exemple [2] (Figure 2). Ces derniers contribuent ainsi à transformer la structure de la profession médicale, et notamment de la « clinique » (auparavant seule détentrice de ce type de données) [2].
  • Les médecins généralistes (et les patients) seront amenés à jouer un rôle plus important qu’auparavant dans la collecte de données liées aux traitements thérapeutiques (collecte qui, là encore, peut être assurée en partie via les NTIC) (Figure 2). Outre l’interrogation induite par le statut des médicaments dits « off label » [2], les essais cliniques deviennent, avec l’avènement des NTIC, moins dépendants de la clinique « académique ». Comme le souligne un rapport de l’Académie des Sciences, de l’Ingénierie et de la Médecine, le contexte des essais cliniques est celui d’une pénurie de patients et de médecins (notamment les généralistes) que des outils électroniques « facile à utiliser » (user-friendly) contribueront à combler [19]. La diversité des NTIC (outils de communication, de gestion de données, de formation continue, etc.) apparaît donc être un élément facilitateur de l’enrôlement des patients et des médecins.

… ou une régulation par la profession médicale ?

Comme mentionné précédemment, le nouveau Règlement européen sur les DIV légifère sur les tests génétiques vendus en libre accès. En 2012, le projet de Règlement indiquait que « l’énorme progrès technique et scientifique » lié aux biotechnologies se double du fait que « les pays de l’UE interprètent et implémentent les règles actuelles de manières différentes »10. La première mouture du Règlement a été élaborée par la Commission Européenne, puis a fait des navettes entre le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne. En ce qui concerne les auto-tests, deux options se présentaient [20]. Alors que le Parlement Européen mettait l’accent sur l’encadrement professionnel des tests, ce qui correspond au modèle médical traditionnel (prescription, et interdiction de la publicité pour les produits médicaux), le Conseil de l’Union Européenne s’orientait vers une régulation plutôt portée sur les tests en eux-mêmes (qualité scientifique et clinique, exactitude des arguments publicitaires, etc.), que ce soit quant à leur évaluation avant la mise sur le marché ou leur surveillance consécutive.

Le texte final a été adopté en 2017, et entrera en vigueur en 2022. Dans l’ensemble, c’est l’approche proposée par le Conseil qui a été finalement adoptée. Les dispositifs destinés à l’analyse de la génétique humaine relèvent de la classe C (sur une échelle allant jusqu’à la classe D pour les dispositifs les plus risqués), ce qui impose une évaluation de leur qualité (sécurité, performances, etc.) ainsi qu’un plan de surveillance après commercialisation. À l’image de ce qu’imposent les certifications américaines délivrées à 23andMe, les fabricants auront l’obligation de stipuler les limites de leurs produits (par exemple leurs faibles validité et utilité cliniques) et ne devront pas induire en erreur l’utilisateur ou le patient (publicité, informations sur le produit, dénomination du produit, mode d’emploi), au regard du but, de la sécurité et de la performance du dispositif. Les tests certifiés seront répertoriés par un système d’identification unique au sein d’une base de données (Eudamed) qui rendra publique les informations inhérentes aux tests (y compris des informations sur les organismes notifiés, c’est-à-dire les comités d’experts qui délivrent les certificats et qui ne seront pas nécessairement composés de médecins11), dans un langage intelligible pour l’acheteur (ce qui comprend une traduction dans la langue officielle du pays de vente). Le nouveau Règlement fixe également des pré-requis en matière de distribution (déclaration du statut juridique du fabricant et des distributeurs, etc.). Il réduira donc le manque d’information sur la qualité et la traçabilité des tests génétiques, des défauts majeurs ayant en effet été soulignés par les plus hautes instances (européennes [21] comme américaines [22]) ().

(→) Voir la Chronique géomique de B. Jordan, m/s n° 1, janvier 2011, page 103

Nos propres recherches sur l’e-marché des auto-tests ont d’ailleurs buté sur plusieurs points relatifs à la traçabilité des entreprises (domiciliation dans des paradis fiscaux et « éthiques », distributeurs rarement déclarés comme tels, statut de laboratoire d’analyses parfois revendiqué sans justification administrative, absence d’indication sur le registre de commerce national dans lequel est déclarée l’entreprise, etc.) [1,2]. De même, une étude du marché via les « prix » (et les produits) suggère fortement l’existence de liens entre certaines entreprises. Dans tous les cas, l’Internet favorise clairement l’absence de renseignements et les entorses aux régulations (normes de qualité et processus de certification des tests ou des laboratoires producteurs, interdiction de ventes sans prescription médicale, etc.). Si ce point est commun au marché du médicament, le marché de la génétique est spécifique de par le traitement des données personnelles et identifiantes (ce qui, pour autant, peut intégrer des données cliniques liées à la pharmacologie), puis leur possible revente à des tierces parties (éventuellement après anonymisation). Les données génétiques sont d’ailleurs prises en compte, en tant que telles, par le RGPD (Règlement général sur la protection des données)12. Entré en vigueur en 2018, ce nouveau règlement européen permet le traitement des données de santé relatives à une « personne identifiée ou identifiable », sous réserve d’obtenir le « consentement explicite » (sur la finalité et le cadre d’utilisation des données) de la personne concernée. Les États membres européens restent par contre libres de fixer des principes plus stricts dans leur législation nationale (tant que cela respecte les principes du RGPD). En ce qui concerne la valorisation économique des données génétiques, par exemple, elle est rendue difficile en France (alors qu’elle est possible aux États-Unis) pour l’instant, entre autres de par la spécificité du régime juridique dont elle relève [23] ().

(→) Voir le Forum de H.C. Stoeklé et al., m/s n° 12, décembre 2018, page 1100

Toutefois, en matière de régulation professionnelle (et, en l’occurrence, médicale) sur les DIV, l’option proposée par le Parlement européen n’est pas tout à fait éludée étant donné que l’obligation, ou non, d’une prescription médicale relève de chaque législation nationale. Certains auteurs ont souligné que l’option avancée par le Parlement était problématique de par l’absence d’expertise chez certains profils de médecins, et qu’elle risquait de faire l’impasse sur l’évaluation des tests (validité et utilité clinique) et d’être non proportionnée aux différents types de tests (certains présentant plus de risques que d’autres) [20]. Outre que cette dernière analyse est peu viable dans les systèmes faisant une part importante à la régulation professionnelle (tel le cas de la France où les médecins et les laboratoires doivent être spécifiquement accrédités, et les tests évidemment certifiés), il conviendrait de la réinterroger à partir d’éléments empiriques, maintenant que le Règlement croise les deux options, ce qui implique, pour rappel, que les fabricants stipuleront les limites de leurs produits (aux États-Unis, la certification accordée à 23andMe pour ses tests pharmacogénétiques mentionnent d’ailleurs que ce type d’informations minore le risque d’interprétations erronées par des professionnels de santé). Le constat d’un manque de compétence médicale avait d’ailleurs amené des auteurs à définir la catégorie des « auto-tests » non pas sur le principe d’une présence médicale, mais sur le fait que les produits soient situés en dehors du système de santé [24].

Enfin, il reste à voir dans quelles limites le corps médical s’intéressera à la question de la revente de données (a fortiori dans le contexte de l’entrée en vigueur du RGPD où, comme nous l’avons vu, même les législations nationales ne sont pas nécessairement stabilisées), et de quelle façon il attirera l’attention des patients sur ce point (à titre de comparaison, avec les auto-tests, les certifications américaines ne précisent rien sur ce point). D’ailleurs, l’efficacité du régime juridique instauré par le RGPD est déjà contestée en ce qu’elle n’assurerait pas une protection technique et juridique suffisante [25]. Dans tous les cas, il est probable que l’aspect innovant des Big Data, qui est souligné par nombre de textes, induira des effets dont l’intensité est difficile à prévoir. Par exemple, le transfert des données vers une « entreprise » hors Union européenne dans le cadre d’une fusion-acquisition est maintenant pris en compte13, et implique de recueillir un nouveau consentement « spécifique au transfert », soit vraisemblablement « quelques années plus tard [après le premier consentement] » ([27], p. 8). Cette exigence, qui est liée à la nécessité d’obtenir un consentement éclairé (entre autres sur les circonstances spécifiques du transfert), vise à « garantir un certain contrôle des utilisateurs et une certaine transparence pour la personne concernée » (a fortiori lorsque les « données seront transférées vers un pays qui n’offre pas une protection adéquate et qu’aucune garantie appropriée visant à protéger les données n’est mise en œuvre »). Il reste ainsi à étudier ce que signifie, en termes d’investissement cognitif, ce type de consentement « à rebours », qu’il soit signé par un internaute seul ou accompagné d’un médecin (qui ne sera peut-être plus celui d’origine, et pas forcément habitué aux questions liées à la génétique, et a fortiori aux auto-tests).

Conclusion

La vente sans prescription médicale, ainsi que la possible absence d’un médecin dans les comités européens d’évaluation (des tests génétiques), confèrent aux auto-tests l’aspect d’une « médecine sans médecin ». Le développement du marché des tests génétiques a par ailleurs un impact au sein même de la profession médicale, puisque les médecins généralistes ont dorénavant accès à un grand nombre de tests, là où traditionnellement les cliniciens généticiens étaient les seuls détenteurs du marché de la génétique (autrement dits étaient les « seuls maîtres à bord »). Cet élargissement aux médecins généralistes, qui s’accompagne de la constitution de grandes bases de données génétiques et cliniques, intensifie non seulement la recherche en génétique, mais également la recherche en pharmacologie. Les faibles validité et une utilité cliniques des tests prédictifs ne sont donc pas incompatibles avec un développement du savoir médical. Si ces tests sont potentiellement le signe d’un affaiblissement de la médecine (perte de l’exclusivité médicale que représente l’obligation d’une prescription), ils engendrent dans tous les cas une reconfiguration intra-professionnelle (via une clinique académique qui perd une partie de son rôle central, et une médecine générale dont la présence dans le processus de production des connaissances est accrue). Cette reconfiguration est impulsée par des acteurs qui sont pris dans des logiques de marché (concurrence, concentration, etc.), et qui cherchent à développer aussi bien le marché du libre accès que le marché médical sur un plan génétique et pharmacologique. L’absence de prescription médicale lors de la vente des auto-tests, qui est permise par le nouveau Règlement européen sur les DIV (en fonction toutefois de choix nationaux), ne signifie pas qu’aucune régulation médicale n’interviendra, à long terme, sur ce marché. En effet, les entreprises qui domineront le marché du libre accès seront celles qui auront la capacité d’établir, en parallèle, des liens avec le marché médical.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Mes remerciements vont aux relecteurs de médecine/sciences, à Emmanuelle Rial-Sebag pour sa relecture (Inserm, UMR 1027), ainsi qu’à Gauthier Chassang (Inserm, UMR 1027) pour son aide précieuse au sujet du RGPD. L’article est en partie extrait d’une thèse financé par l’IReSP, dans le cadre du projet de recherche porté par Pascal Ducournau (« Tests génétiques en accès libre sur Internet : ressorts, développements et conséquences d’une offre en émergence », appel à projets : Services de santé - Politiques publiques et santé 2009). La thèse a également bénéficié d’une bourse de mobilité internationale attribuée par le Réseau des Jeunes Chercheurs Santé et Société (financement MIRE).

 
Footnotes
1 Suite à l’acte d’achat via un simple payement par carte bancaire (voire par le biais d’un appel téléphonique qui n’implique pas de professionnel de la santé), le client envoie au prestataire du service un échantillon tissulaire pour analyse de son ADN (le plus souvent un frottis buccal ou de la salive), et reçoit en retour les résultats.
2 Le nombre de variants génétiques (voire de gènes) pris en compte, et donc de maladies et de traits détectés, très limité pour les premiers auto-tests (apparus à la fin des années 1990), s’est accru sans commune mesure avec l’apparition des micro-puces ADN ayant permis le développement d’études pangénomiques (genome wide association studies), puis avec le séquençage de génomes entiers (whole genome sequencing), ce dernier restant toutefois un marché de niche en raison de son coût élevé (ce coût diminue toutefois progressivement).
3 Regulation (EU) 2017/746 of the European Parliament and of the Council of 5 April 2017 on in vitro diagnostic medical devices and repealing Directive 98/79/EC and Commission Decision 2010/227/EU.
4 La lettre envoyée à 23andMe par la FDA (food and drug admistration) relève du registre juridique des « activités criminelles ».
5 La réponse cinglante (mais plus ou moins convaincante) qu’elle a apportée a entraîné un droit de réponse pour l’auteur de l’accusation [2] (p 272).
6 Voir par exemple la lettre envoyée en 2015 à Pathway Genomics par la FDA.
7 Les plus récentes tenant à une réduction (de 20 dollars en 2017 et 30 dollars en 2019), pour la fête des mères.
8 Le volume de « clients » ainsi que les prix peuvent concerner uniquement les tests d’ancestralité (qui ne permettent pas une recherche clinique). Par ailleurs, les prix rapportés par la communauté académique dans le cas de 23andMe omettent le plus souvent l’abonnement « annuel » supplémentaire qui était facturé jusqu’en mai 2012.
9 Comme en 2018, dans le cas de l’accord entre 23andMe et un géant pharmaceutique (ce dernier ayant investit 300 millions de dollars).
11 Il en va de même pour le rapport sur les performances cliniques, qui doit être « signé par un médecin ou toute autre personne autorisée » (2017/746, p°346).
12 Regulation (EU) 2016/679 of the European Parliament and of the Council of 27 April 2016 on the protection of natural persons with regard to the processing of personal data and on the free movement of such data, and repealing Directive 95/46/EC (General Data Protection Regulation).
13 Alors qu’en 2012 la question du devenir des échantillons ou des données, lorsque l’entreprise disparaît pour des raisons de faillite ou autres (fusion-acquisition, etc.), n’était pas anticipée dans les textes juridiques [26].
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