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Med Sci (Paris). 36(3): 197–200.
doi: 10.1051/medsci/2020039.

La macro-architecture en lobules du tissu adipeux humain définit des niches influençant le devenir des cellules progénitrices

Nathalie Boulet1 and Jean Galitzky1*

1Inserm UMR 1048, équipe 1, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC), Université de Toulouse, BP84225, 31432Toulouse Cedex 4, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Tissu adipeux, Animaux, Différenciation cellulaire, Microenvironnement cellulaire, Humains, Hyperplasie, Graisse intra-abdominale, Souris, Obésité, Niche de cellules souches, Cellules souches, Graisse sous-cutanée, anatomie et histologie, cytologie, anatomopathologie, physiologie

 

Les tissus adipeux jouent un rôle primordial dans la gestion des réserves énergétiques de l’organisme en assurant, grâce aux adipocytes, le stockage et la libération des lipides. Les tissus adipeux sont localisés dans des dépôts anatomiques principalement sous-cutanés (Sc) et viscéraux (Vs). Chez l’homme, la répartition corporelle de ces dépôts est déterminante pour la santé : un développement excessif de tissu adipeux Vs, qui caractérise l’obésité « centrale », est en effet associé à un risque élevé de développer des complications cardio-métaboliques [1]. Les mécanismes cellulaires et moléculaires de cette association restent cependant à déterminer. Le concept d’« expansibilité » des dépôts adipeux développé par Vidal Puig postule qu’un défaut de mise en réserve des lipides en excès dans le tissu adipeux Sc conduit à leur accumulation dans les organes métaboliquement actifs tels que le muscle, le foie et le pancréas [2]. Ces dépôts ectopiques sont toxiques et contribuent à la résistance à l’insuline. En parallèle, l’hypothèse portale propose que l’activité élevée de libération des acides gras du tissu adipeux Vs dans le sang expose le foie à de fortes quantités de lipides arrivant par la veine porte, ce qui conduit à une résistance hépatique à l’insuline [3]. La capacité des dépôts adipeux à gérer les lipides en excès apparaît donc déterminante. L’hypertrophie1, et l’hyperplasie2 adipocytaire sont les deux mécanismes qui permettent d’augmenter la capacité de stockage d’un dépôt adipeux. L’augmentation de la quantité de triglycérides dans la vacuole lipidique des adipocytes conduit à leur hypertrophie, dont la limite dépend des contraintes physiques liées à la matrice extracellulaire qui les entoure [4]. L’augmentation du nombre d’adipocytes provient de la différenciation en adipocytes de cellules progénitrices présentes dans les dépôts (adipogenèse). Nos études ont montré que les cellules progénitrices du tissu adipeux Sc humain qui ont la capacité de se différencier en adipocytes in vitro sont caractérisées par l’expression du marqueur de surface CD34 et l’absence des marqueurs CD45 et CD31 [5]. Ces cellules ont aussi la capacité d’exprimer des marqueurs des myofibroblastes, dont αSMA (smooth muscle actin), lorsqu’elles sont stimulées par TGFβ (transforming growth factor b) in vitro [6]. Plus récemment, nous avons mis en évidence, à l’aide des marqueurs membranaires MSCA1 (mesenchymal stem cell antigen 1 ou phosphatase alcaline tissulaire non-spécifique) et CD271 (ou NGFR/p75NTR, récepteur du facteur de croissance neurale NGF), que la population native des cellules progénitrices humaines est constituée d’au moins trois sous-populations [7], ce qui soulève plusieurs questions. Ces sous-populations représentent-elles des cellules avec des potentialités de différenciation différentes ou correspondent-elles à des états distincts au cours de la différenciation adipocytaire ou myofibroblastique ? Les dépôts adipeux Sc et Vs possèdent-ils des sous-populations équivalentes de cellules progénitrices ? Enfin, cette hétérogénéité des progéniteurs est-elle liée à des localisations particulières définissant des niches spécifiques ?

Notre étude, réalisée par des approches de tri cellulaire, de cytométrie en flux, d’imagerie en trois dimensions sur des territoires adipeux appariés Sc et Vs (omentum3) d’individus de poids normal ou obèses, a révélé l’hétérogénéité fonctionnelle de ces sous-populations de progéniteurs associée à une organisation spatiale particulière dans les dépôts adipeux [8]. Ces caractéristiques pourraient expliquer les disparités observées entre développement excessif des masses grasses, leur localisation, et le risque cardio-métabolique.

Des sous-populations de cellules progénitrices avec des potentialités et des origines distinctes

Des approches de tri cellulaire réalisé sur des cellules natives révèlent qu’indépendamment du dépôt adipeux, la sous-population de cellules exprimant MSCA1 (MSCA1+) représente les progéniteurs les plus engagés dans la voie adipogénique. En effet, les analyses de données de séquençage d’ARN (Ampliseq) montrent que les progéniteurs MSCA1+ ont un enrichissement en transcrits des gènes impliqués dans les voies du métabolisme adipocytaire, et une capacité adipogénique élevée en comparaison avec les autres sous-types, tandis que les cellules qui n’expriment pas MSCA1 et expriment CD271 (MSCA1-/CD271+) présentent un enrichissement en transcrits des gènes impliqués dans les voies de signalisation activées par le TGFβ et dans la fibrose. In vitro, en présence de TGFβ, les progéniteurs MSCA1-/CD271+ présentent un fort potentiel myofibroblastique, caractérisé par l’expression de marqueurs tels que αSMA, l’inhibine βA (INHBA) et le facteur de transcription GLI1 (glioma-associated oncogene homolog 1), et par la synthèse de collagènes. De plus, nos résultats suggèrent que le récepteur CD271, marqueur des progéniteurs des myofibroblastes, est également, avec son ligand NGF, un acteur de la différenciation myofibroblastique induite par le TGFβ (Figure 1). Ainsi, les deux sous-populations de cellules identifiées par l’expression, soit de MSCA1, soit de CD271, représentent respectivement des progéniteurs adipogéniques et myofibroblastiques.

L’analyse transcriptomique de la sous-population de cellules n’exprimant ni MSCA1 ni CD271 (MSCA1-/CD271-) indique un enrichissement en transcrits de gènes impliqués dans la pluripotence des cellules souches embryonnaires, tels que CD24, décrit comme identifiant les progéniteurs adipocytaires murins les plus immatures [9]. Il reste à confirmer si ces cellules sont les précurseurs des sous-populations MSCA1-/CD271+ et MSCA1+. Bien que ce sous-type cellulaire semble correspondre aux cellules les plus immatures dans les deux dépôts, il a une origine développementale différente selon la localisation adipeuse. En effet, les cellules MSCA1-/CD271- du tissu adipeux Vs présentent un enrichissement en transcrits épithéliaux et mésothéliaux (gènes WT1, LRRN4, MSLN, gènes de kératines), qui n’est pas retrouvé dans celles du tissu adipeux Sc.

Modulations différentes de ces sous-populations cellulaires avec l’obésité selon le territoire

Par des approches de cytométrie en flux réalisées sur des dépôts Sc et Vs appariés chez des individus de poids normal et chez des individus obèses, nous avons pu montrer que les sous-populations de cellules progénitrices ne sont pas réparties de manière similaire selon la localisation tissulaire et selon le statut d’obésité. En effet, le tissu adipeux Sc d’individus de poids normal contient majoritairement des progéniteurs MSCA1-/CD271-, alors que leur tissu adipeux Vs est principalement composé de progéniteurs MSCA1-/CD271+. Chez les individus obèses, le nombre de progéniteurs MSCA1+ est augmenté d’un facteur 10 (en moyenne) et celui des progéniteurs MSCA1-/CD271+ d’un facteur 3 dans le tissu adipeux Sc, alors que le nombre de progéniteurs de chacun des trois sous-types reste inchangé dans le tissu adipeux Vs. Enfin, les progéniteurs isolés du tissu adipeux Sc de patients obèses ont une potentialité adipogénique plus élevée et myofibroblastique plus faible que ceux du tissu adipeux Vs. L’ensemble de ces résultats suggère que les progéniteurs du tissu adipeux Sc s’orientent préférentiellement vers la voie adipogénique avec le développement excessif de la masse grasse dans l’obésité, alors que ceux du tissu adipeux Vs s’engagent préférentiellement vers la voie myofibroblastique. Ainsi, les capacités d’hyperplasie adipocytaire du tissu adipeux Vs seraient limitées et pourraient contribuer aux risques cardio-métaboliques associés à l’obésité centrale.

Caractérisation histologique des lobules des tissus adipeux Sc et Vs chez le sujet obèse

Le tissu adipeux humain est organisé en lobules, qui représentent les unités structurales de ce tissu. Cependant la composition matricielle et l’organisation cellulaire de cette unité structurale du lobule, ainsi que les différences potentielles entre les dépôts n’ont pas fait l’objet d’études approfondies. Nos travaux sur la macro-architecture de tissus adipeux Sc et Vs d’individus obèses ont révélé que les lobules du tissu adipeux Sc sont de plus grande taille que ceux du tissu adipeux Vs, et que leur structure matricielle est moins dense. En effet, nous avons montré, par imagerie 3D, la présence de deux compartiments matriciels : le stroma (tissu conjonctif situé à l’intérieur du lobule) et les septa inter-lobulaires (membranes de tissu conjonctif entourant les lobules). Les septa des lobules du tissu adipeux Vs sont plus denses et contiennent des fibres de collagène et d’élastine de diamètre plus important et plus rectilignes que ceux des lobules du tissu adipeux Sc. La faible densité des septa des lobules du tissu adipeux Sc est associée à une répartition des diamètres adipocytaires en faveur des petits (nouvellement formés) et des gros (hypertrophiés) adipocytes.

Niches des cellules progénitrices du tissu adipeux

Les deux compartiments matriciels, septa et stroma, délimitent ainsi deux niches de cellules progénitrices. Nos analyses en cytométrie en flux après dissection des deux compartiments des lobules montrent que les progéniteurs MSCA1+ ont une localisation préférentielle dans le stroma, alors que les progéniteurs MSCA1-/CD271- sont plus nombreux dans les septa. Les progéniteurs myofibroblastiques MSCA1-/CD271+, quant à eux, sont présents dans les deux compartiments. L’imagerie sur lobule entier confirme la présence de cellules progénitrices dans les deux compartiments. De plus, elle renforce les conclusions de l’analyse transcriptomique en montrant, pour les progéniteurs des septa des lobules du tissu adipeux Vs, une forme et une organisation distinctes qui rappellent celles des cellules épithéliales et mésothéliales.

Ainsi, le lobule du tissu adipeux Sc des individus obèses possède un fort potentiel d’accroissement de taille, avec des septa peu denses et un stroma hypertrophique et hyperplasique riche en progéniteurs MSCA1+. A l’inverse, le lobule du tissu adipeux Vs des individus obèses présente un faible potentiel adipogénique et un fort potentiel myofibroblastique porté par les cellules MSCA1-/CD271+ et probablement impliqué dans le dépôt plus important de matrice extracellulaire dans les septa, limitant ainsi la capacité d’hypertrophie des adipocytes. Ces différences pourraient être dues à l’origine épithéliale/mésothéliale des progéniteurs MSCA1-/CD271- présents dans les septa des lobules du tissu adipeux Vs (Figure 2).

Perspectives

Notre étude a révélé l’importance de l’organisation particulière en lobules des tissus adipeux humains. Récemment, des travaux menés chez la souris ont montré que les cellules immatures du tissu adipeux Sc sont présentes dans une zone riche en matrice extracellulaire qui s’apparente aux septa des lobules adipeux humains [10]. Ces cellules observées dans une niche similaire et qui expriment des marqueurs communs aux progéniteurs MSCA1-/CD271- humains que nous avons identifiés, sont à l’origine de deux sous-populations de progéniteurs aux potentiels adipogéniques distincts. Bien que la hiérarchie précise des sous-types de progéniteurs reste à déterminer chez l’homme, il est tentant de penser que les progéniteurs MSCA1-/CD271- humains pourraient constituer la population cellulaire la plus immature. La caractérisation des signaux, liés à la niche, qui les orientent vers les voies de différenciation adipogénique et myofibroblastique devrait permettre d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques afin de diminuer les risques cardio-métaboliques associés à l’obésité centrale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Les travaux du groupe Cellules de la fraction stroma-vasculaire des tissus adipeux, de l’UMR 1048, ont bénéficié du soutien financier de l’Inserm, de la société Clarins et du programme Aviesan en partenariat avec la société Sanofi.

 
Footnotes
1 L’hypertrophie cellulaire est une augmentation du volume d’une cellule en rapport avec une augmentation de la taille et du nombre de ses constituants.
2 L’hyperplasie désigne une augmentation du volume d’un tissu ou d’un organe due à l’augmentation du nombre de ses cellules.
3 L’omentum, ou épiploon, correspond à deux feuillets de péritoine (la membrane séreuse qui tapisse l’abdomen, le pelvis et les viscères) accolés.
References
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