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Med Sci (Paris). 36(3): 206–209.
doi: 10.1051/medsci/2020032.

La réponse interféron
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités

Ghizlane Maarifi,1 Nikaïa Smith,2 and Sébastien Nisole1*

1Institut de recherche en infectiologie de Montpellier (IRIM), CNRS UMR9004, université de Montpellier, 1919 route de Mende, 34090Montpellier, France
2Immunobiologie des cellules dendritiques, Inserm U1223, Institut Pasteur, 25 rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Immunité acquise, Maladies auto-immunes, Maladie chronique, Évolution de la maladie, Humains, Interféron de type I, NIMA-interacting peptidylprolyl isomerase, Transduction du signal, Protéines à motif tripartite, Maladies virales, effets des médicaments et substances chimiques, génétique, étiologie, immunologie, pharmacologie, physiologie, anatomopathologie

La réponse interféron

Lorsque des cellules sont infectées par un virus, elles produisent des interférons (IFN), de puissantes molécules antivirales qui protègent les cellules avoisinantes de l’infection et permettent ainsi de limiter la propagation du virus dans l’organisme. Il existe trois types d’IFN : I (IFN-a et IFN-b principalement), II (IFN-g), et III (IFN-l). Les IFN de type I sont les principaux IFN produits au cours d’une infection virale. Ils induisent, dans les cellules infectées et les cellules avoisinantes, l’expression de centaines de gènes (interferon-stimulated genes, ISG), ce qui va permettre l’établissement d’un état antiviral [1].

La réponse IFN de type I débute par la reconnaissance des génomes viraux par des détecteurs cellulaires connus sous le nom de pattern-recognition receptors (PRR), parmi lesquels les toll-like receptors (TLR), localisés à la surface des cellules ou dans les endosomes, et les retinoic acid-inducible gene-I-like (RIG-I-like) receptors (RLR), localisés dans le cytoplasme. Cette reconnaissance déclenche des cascades de signalisation propres à chaque PRR, mais qui aboutissent toutes à la phosphorylation du facteur de transcription IRF3 (interferon regulatory factor 3). Après sa translocation dans le noyau cellulaire, IRF3 phosphorylé déclenche la transcription du gène codant l’IFN-b [2] (Figure 1). La synthèse d’IFN-a nécessite, quant à elle, l’expression du facteur de transcription IRF7, qui est induite par l’IFN-b via une boucle autocrine ou paracrine. Contrairement à l’IFN-b, codé par un gène unique, les différents sous-types d’IFN-a induits par IRF7 sont codés par 13 gènes. Cette production séquentielle d’IFN (IRF3/IFN-b, puis IRF7/IFN-a) permet une amplification de la réponse IFN [2] (Figure 1).

Tandis que la plupart des cellules du corps peuvent détecter les virus qui les infectent et produire de faibles quantités d’IFN, les cellules dendritiques plasmacytoïdes (plasmacytoid dendritic cells, pDC) sont spécialisées dans cette fonction. En effet, contrairement aux autres cellules, les pDC expriment IRF7 de façon constitutive, ce qui leur permet de sécréter rapidement de grandes quantités d’IFN, libérées dans le sang et les tissus [3]. Cette capacité unique confère à ces cellules sentinelles un rôle crucial dans la défense contre les virus, mais elle impose également un système de contrôle rigoureux pour éviter à l’organisme les dommages causés par une réponse IFN trop forte ou trop prolongée.

Contrôle de la réponse IFN par les protéines TRIM

Tandis que les voies de signalisation conduisant à la synthèse d’IFN reposent essentiellement sur des cascades de phosphorylation, la régulation de ces voies fait intervenir l’ubiquitination des protéines. Cette modification post-traductionnelle consiste en l’association d’ubiquitine, une petite protéine de 76 acides aminés, à des protéines-cibles, ce qui peut modifier leur stabilité, leur localisation subcellulaire, ou leur activité [4]. La réaction d’ubiquitination fait intervenir trois enzymes (une enzyme activatrice E1, une enzyme de conjugaison E2, et une ubiquitine-ligase E3) qui interviennent séquentiellement pour lier de manière covalente l’ubiquitine à un résidu lysine de la protéine-cible. L’ubiquitine possède elle-même sept résidus lysine, et les enzymes d’ubiquitination des protéines peuvent donc coordonner la formation de chaînes de poly-ubiquitines liées de façon covalente [4].

Parmi les nombreuses ubiquitine-ligases E3 présentes dans les cellules, les protéines TRIM (tripartite motif) se sont récemment révélées particulièrement importantes pour la régulation des voies de signalisation conduisant à la synthèse d’IFN. Cette famille de protéines, très conservée au cours de l’évolution, comporte 75 membres chez l’homme. Ces protéines partagent une organisation tripartite, à l’origine de leur nom, constituée d’un domaine RING (really interesting new gene), d’un ou deux domaines B-box, et d’un domaine coiled-coil. La plupart des protéines TRIM possèdent en plus un ou plusieurs domaines C-terminaux de différents types. C’est le domaine RING qui confère à ces protéines leur activité ubiquitine-ligase. Les protéines TRIM ont été l’objet d’un regain d’intérêt à partir de 2004, année de la découverte de l’activité antirétrovirale de TRIM5a, notamment contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)[5], même si l’activité antivirale de TRIM22 et TRIM19, découverte auparavant, laissait déjà présager qu’il s’agissait d’une vaste famille de facteurs antiviraux [6]. Les travaux ultérieurs ont alors montré que l’implication des protéines TRIM dans la défense contre les infections virales était en réalité plus large, puisque ces protéines peuvent également réguler la réponse IFN. La première protéine TRIM immunomodulatrice identifiée fut TRIM25. Cette protéine est en effet indispensable à l’activité antivirale de RIG-I, un PRR cytoplasmique responsable de la détection des ARN viraux, en induisant son ubiquitination [7]. Suite à cette découverte, de nombreuses autres protéines TRIM ont été identifiées comme d’importants régulateurs des voies de signalisation impliquées dans la défense antivirale innée, généralement via leur capacité à ubiquitinyler leur cible [8]. Une étude a notamment montré qu’environ la moitié des 75 protéines TRIM humaines étaient capables d’augmenter la réponse antivirale, notamment IFN, lorsqu’elles étaient surexprimées dans une lignée cellulaire [9].

Partant de ce constat, nous avons entrepris d’étudier le rôle physiologique des protéines TRIM dans les cellules humaines, notamment dans les pDC. Plutôt que de surexprimer les protéines TRIM dans les pDC, nous avons pris le parti de diminuer leur expression par la technique « d’interférence ARN » et d’évaluer les conséquences de cette diminution sur la capacité de ces cellules à produire des IFN en réponse à la détection d’un virus. L’étude a été faite sur des pDC purifiées à partir de sang humain, mises en contact avec le VIH ou le virus de la grippe, deux virus à ARN qui sont détectés par la molécule TLR7 présente de manière constitutive dans les endosomes de ces cellules. Cette étude nous a permis d’identifier TRIM20, 22, 28, et 36 comme étant des inhibiteurs de la réponse IFN dans les pDC, tandis que TRIM8 fut l’unique régulateur positif identifié [10]. TRIM8 s’est d’ailleurs avéré être un acteur essentiel de l’activation des pDC, puisqu’en son absence, la production d’IFN par ces cellules est quasiment inexistante, un résultat inattendu que nous avons alors cherché à expliquer.

Régulation d’IRF7 par TRIM8 et Pin1

Nous avons d’abord montré que TRIM8, dont la localisation est majoritairement nucléaire dans les pDC, protégeait IRF7 de la dégradation après sa phosphorylation et sa translocation dans le noyau. Etant donné que la grande majorité des protéines TRIM contrôle la stabilité ou l’activité des protéines via leur ubiquitination, nous avons suspecté l’implication de l’activité ubiquitine-ligase de TRIM8. Cependant, le fait qu’une protéine TRIM8 dépourvue de son domaine RING conserve sa capacité à stabiliser IRF7 phosphorylé (IRF7-P) a rapidement infirmé cette hypothèse. Nous avons alors montré que TRIM8 protège IRF7-P de l’activité de Pin1 (peptidyl-prolyl cis-trans isomerase, NIMA-interacting 1), une enzyme qui induit sa dégradation [10]. Pin1 est une peptidyl-prolyl cis-trans isomérase (PPIase), c’est-à-dire une enzyme qui catalyse l’isomérisation cis-trans de la liaison peptidique en amont d’un résidu proline. Cette isomérisation modifie la conformation de la protéine-cible, altérant ainsi sa stabilité, sa localisation sub-cellulaire, ou son activité. La particularité de Pin1 par rapport aux autres PPIases est de reconnaitre spécifiquement les résidus sérine ou thréonine phosphorylés qui sont suivis d’une proline (motifs pSer/Pro et pThr/Pro). Puisque la plupart des voies de signalisation mettent en jeu une cascade de phosphorylation de protéines sur des résidus sérine ou thréonine, Pin1 joue le rôle d’interrupteur moléculaire de ces cascades et est ainsi impliqué dans de très nombreuses fonctions cellulaires [11].

Parmi les très nombreux substrats de Pin1 identifiés figure le facteur de transcription IRF3 [12]. Pin1 reconnait en effet IRF3 phosphorylé (IRF3-P) et catalyse son isomérisation. Le changement de conformation ainsi induit conduit à l’ubiquitination d’IRF3 et à sa dégradation par le protéasome. Pin1 est donc un inhibiteur de la réponse antivirale dépendante d’IRF3 qui permet d’interrompre la synthèse d’IFN-b [12]. Deux protéines TRIM, TRIM21 et TRIM19, augmentent la production d’IFN-b en empêchant la reconnaissance d’IRF3-P par Pin1 [13]. Tandis que TRIM21 empêche l’interaction entre IRF3-P et Pin1, TRIM19 agit en séquestrant Pin1 dans les corps nucléaires PML (promyelocytic leukemia), l’empêchant ainsi d’interagir avec sa cible [13, 14] (Figure 2A). Nous avons montré qu’IRF7-P est également un substrat de Pin1, et que la synthèse d’IFN par les pDC est donc fortement réprimée par cette enzyme [10]. Nos travaux lèvent le voile sur le système de contrôle de la production d’IFN par les pDC, dont la régulation fine implique deux protéines antagonistes : TRIM8, qui permet une production efficace d’IFN par ces cellules, et Pin1, qui bloque cette production (Figure 2B). Cette découverte pourrait permettre d’élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques contre des maladies liées à une surproduction d’IFN, notamment les maladies virales chroniques et les maladies auto-immunes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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