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| Med Sci (Paris). 36(3): 282–285. doi: 10.1051/medsci/2020043.Biobankonomics et
pérennité financière des biobanques Hadi Sqalli,1* Nora El Awadi,1** and Caroline Rancati1*** 1MSc Biobanks and Complex Data Management, Université Côte
d’Azur, Centre Hospitalier Universitaire de Nice, Hôpital
Pasteur, Biobanque
BB-0033-00025, Nice, France MeSH keywords: Biobanques, Commerce, Humains, Modèles économiques, Développement durable, économie, organisation et administration, normes, tendances |
Le domaine des biobanques est un secteur en pleine expansion. Dès 2009, la couverture du
magazine Time a cité les biobanques parmi les dix concepts qui allaient
révolutionner le monde [1]. En
effet, elles jouent un rôle clé en santé humaine. Si elles étaient cantonnées à la
collecte d’échantillons pendant les années 1990, les biobanques sont devenues
essentielles à la recherche médicale, notamment avec la percée de la médecine de
précision. En fournissant divers types d’échantillons biologiques (tissu, sang, urine,
cellules, acides nucléiques, etc.) ainsi que les données médicales associées, les
biobanques permettent aux chercheurs de développer des analyses transcriptomiques,
protéomiques ou métabolomiques à grande échelle, rendant possible l’identification de
nouveaux biomarqueurs pronostiques ou diagnostiques et de nouvelles cibles
thérapeutiques. L’identification de ces biomarqueurs a permis également le développement
de « tests compagnons » pour l’utilisation des thérapies ciblées. Selon une définition
de la haute autorité de santé, un test compagnon est un test diagnostique permettant de
sélectionner, en fonction de leur statut pour un biomarqueur prédictif, les patients
chez lesquels le traitement est susceptible d’apporter un bénéfice. Les biobanques actuelles ont pour mission principale la gestion des échantillons. En
parallèle, ces dernières doivent réaliser un développement économique, ce qui a généré
une discipline nouvelle, nommée « biobankonomics », dont la fonction consiste à analyser
le marché des biobanques. La taille du marché global des biobanques était estimée à
52,31 milliards de dollars américains (USD) (soit environ 47 milliards d’euros) en 2017,
et devrait afficher une augmentation de 4,5 % d’ici à 2025 [2]. Dans ce contexte mondial, les biobanques, comme
toutes les entreprises, doivent maîtriser leur stratégie économique car il y va de leur
durabilité. Elles doivent analyser en priorité leur situation financière pour pouvoir
ensuite actionner les leviers de la pérennité. Pour illustrer la « biobankonomics »,
nous allons présenter les différents coûts liés au fonctionnement d’une biobanque, puis
ses revenus et ses financements de soutien, avant d’envisager la manière d’optimiser la
visibilité scientifique. |
Une biobanque est complexe, et son fonctionnement entraîne des frais considérables.
La seule façon de contrôler les dépenses est de pouvoir quantifier les frais engagés
pour la collection, le transport et la conservation des échantillons, l’extraction
de produits dérivés de ces échantillons, et l’actualisation des données cliniques
associées. Matériellement, l’infrastructure doit posséder un plateau technique et
l’équipement nécessaire à la réception, la préparation et la conservation des
échantillons biologiques dans les conditions optimales. Cela nécessite de disposer
d’un parc de congélateurs à - 80 °C, et de conteneurs d’azote liquide qui
maintiendront les échantillons à - 196 °C, de façon à garantir la qualité des acides
nucléiques. Techniquement, il faut que les procédures de conservation et
d’extraction puissent être réalisées en respectant des procédures normalisées. Cette
technicité nécessite une équipe qualifiée, qui maîtrise les phases pré-analytiques
et analytiques du traitement des échantillons. Les coûts de traitement incluent
aussi la qualité des données associées à l’échantillon, c’est-à-dire issues du
dossier médical actualisé avec le suivi thérapeutique et les dernières analyses de
l’individu, mais doivent inclure également les nombreuses démarches-qualité
nécessaires afin d’obtenir des certifications et des accréditations, démarche clé
pour le développement des biobanques. Une comptabilité analytique permettrait de
totaliser en temps réel l’ensemble des charges pour chaque produit livrable. Considérant les coûts de recouvrement dans un partenariat public-privé, Clément
et al. proposent d’adopter trois modèles qui diffèrent selon le
degré de collaboration entre les partenaires (Figure 1). Dans le modèle de coût marginal, la biobanque
possède un droit sur le brevet d’invention et bénéficie d’une reconnaissance
scientifique, permettant ainsi un degré de collaboration maximum pour un coût de
traitement des échantillons minimum. En revanche, dans le modèle de coût total, la
biobanque ne bénéficie d’aucune reconnaissance scientifique en cas de découverte
majeure, et ne possède aucun brevet d’invention, alors que le coût de traitement des
échantillons est maximum. Le modèle intermédiaire, ou coût partiel, allie une
reconnaissance scientifique de la banque d’échantillons biologiques et un coût
partiel du traitement des spécimens.
 | Figure 1.Les modèles de recouvrement des coûts en biobanques (selon Clément et al.
[ 4]). Dans le
modèle de coût marginal, la biobanque possède un droit sur le brevet
d’invention et bénéficie d’une reconnaissance scientifique ; dans ce
cas, la collaboration est alors maximale (en vert). A l’opposé, dans le
modèle de coût total, la biobanque ne bénéficie d’aucune reconnaissance
scientifique en cas de découverte majeure (en rouge). En position
intermédiaire, on trouve le modèle de coût partiel (en jaune). BBMRI :
biobanking and biomolecular resources research
infrastructure ; M&M : matériels et méthodes ; RB :
ressources biologiques ; PI : propriété intellectuelle. |
Des spécialistes en biobanques, notamment B. Clément et son équipe, ont mis en place
un système d’estimation du coût du traitement des échantillons, ce qui a permis de
modéliser le recouvrement des coûts d’une biobanque [3]. L’étude de Clément et al.
prend en compte deux indicateurs : le groupe d’experts a identifié 46 tâches
différentes (plus ou moins complexes) liées aux activités de biobanking, et a
ensuite attribué à chaque tâche 1) un indicateur d’expertise (A
: élevé ; B : moyen ; C :
faible) et 2) un indicateur de complexité, qui reflète le temps ou la complexité du
traitement de l’échantillon selon 3 niveaux (1 : < 1 heure/faible complexité ; 2
: 1 à 2 heures/complexité moyenne ; 3 : > 2 heures/complexité élevée). Les deux
indicateurs sont ensuite multipliés afin de calculer le coût estimé pour le
traitement de chaque échantillon. |
Les financements et revenus L’estimation du coût du traitement des échantillons et l’étude des modèles de
recouvrement des coûts permettent de mettre en évidence la difficulté des biobanques
à maintenir un équilibre financier (Figure
2).
 | Figure 2. Les différentes sources de dépenses et de revenus des biobanques. Les
dépenses comprennent les frais de personnel et d’équipement ainsi que
les divers investissements en marketing, sécurité informatique, gestion
du contrôle qualité (CQ) et certification de la qualité. Les recettes
sont directes ou indirectes, c’est-à-dire provenant d’un projet
collaboratif. |
Les subventions collectées auprès d’institutions privées (multinationales
pharmaceutiques et institutions de recherche notamment) ou publiques (subventions
gouvernementales) contribuent à l’équilibre financier. Les résultats du
questionnaire de l’étude de Clément et al. sur les biobanques en
France et aux Pays-Bas ont révélé trois sources de financement principales :
financement public (32 %), financement par des institutions de recherche (27 %), et
financement par des subventions de recherche (25 %). Le recouvrement des coûts pour
les échantillons biologiques ne représente que 1 % du budget [4]. Les biobanques peuvent fournir des prestations de services telles que la
caractérisation ou le traitement d’échantillons biologiques. En effet, les
biobanques recouvrent seulement une partie de leurs dépenses en facturant aux
chercheurs l’accès aux échantillons biologiques. Il est donc primordial qu’elles
bénéficient d’un soutien externe à court terme et à long terme afin d’assurer leur
viabilité économique. Par conséquent, les biobanques doivent développer et
diversifier leurs sources de revenus par différents moyens [5–6]. |
Comment optimiser la durabilité et la visibilité des biobanques ainsi que leurs
revenus ? Les programmes de recherche en collaboration avec des organismes de recherche privés
ou publics représentent un facteur important de durabilité pour les biobanques, mais
ils peuvent engendrer des dépenses supplémentaires. De plus, l’appartenance des
biobanques à des réseaux ou des consortiums peut leur permettre d’enrichir leurs
réseaux et de développer des partenariats, de type public/public, public/privé ou
privé/privé, avec d’autres biobanques, mais aussi avec d’autres institutions telles
que des entreprises biopharmaceutiques ou biomédicales. Les partenariats permettent le recouvrement indirect des coûts lorsque la biobanque
fournit des prestations de service (traitement d’échantillons de la biobanque en
échange du droit d’accès à d’autres échantillons à coût marginal), ou encore au
travers d’une citation de la biobanque dans les articles publiés (dans le cadre de
projets ayant utilisé les échantillons fournis par elle), ce qui lui permet de se
faire connaître et d’accroître sa notoriété. Les stratégies de marketing et de communication permettent également d’accroître la
visibilité des biobanques par la création d’un site internet et d’un catalogue
virtuel. Par l’intermédiaire de ces outils, les biobanques expliquent aux donneurs
effectifs ou potentiels la nécessité d’avoir accès à des échantillons biologiques
dans la recherche médicale, et présentent l’éventail de leurs missions et des
services proposés aux chercheurs. Enfin, les programmes de certification de qualité
permettent d’acquérir la confiance des clients afin de les fidéliser, et de veiller
à la réputation de la biobanque. La mise en œuvre d’un système de gestion de la
qualité est donc primordiale. En conclusion, il est très difficile pour une banque d’échantillons biologiques
d’atteindre un point d’équilibre. Étant à but non lucratif, une biobanque doit
trouver un équilibre financier lui permettant de couvrir ses coûts sans réaliser de
bénéfice sur le transfert d’échantillons biologiques. Cette complexité est due au
fait que les bioéchantillons ne sont pas des produits commerciaux, ce qui rend le
chiffrage d’un coût plus difficile. De même, les indicateurs de performance
classiques ne peuvent pas être utilisés. Il est donc nécessaire de définir des
indicateurs spécifiques, tels que le rapport stockage/déstockage des échantillons,
véritable marqueur de l’activité de la biobanque, ou encore la notoriété de la
biobanque dans le paysage scientifique, qui peut être évaluée en analysant sa
contribution aux publications scientifiques. La « biobankonomics » permet donc une
étude globale des coûts, et facilite la gestion d’une biobanque par la modélisation
d’outils de gestion. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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1.
10 ideas changing the world right now. Time (annual special issue)
2009, March 16.
2.
Biobanks market size, share and trends analysis report by product
(LIMS), by service (cold chain), by biospecimen type, by biobank type
(virtual), by application, and segment forecasts, Sept. 2018.
3.
Vaught
J.. Biobankonomics:
Developing a sustainable business model approach for the formation of a
human tissue biobank . J Natl Cancer Inst
Monogr.
2011; ; 2011 :
:24.–31. 4.
Clément
B,
Yuille
M,
Zaltoukal
K, et al. Public
biobanks: calculation and recovery of costs . Sci
Transl Med.
2014;; 6 : :261fs45..
5.
Watson
PH,
Nussbeck
SY,
Carter
C, et al.
A framework for biobank sustainability .
Biopreserv Biobank.
2014; ; 12 :
:60.–68. 6.
Doucet
M,
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M,
Georghiou
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Dagher
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sustainability: current status and future prospects .
J Biorepository Sci Appl Med.
2017; ; 5 :
:1.–7. 7.
Ciaburri
M,
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Bravo
E. Business planning
in biobanking: how to Implement a tool for sustainability .
Biopreserv Biobank.
2017; ; 15 :
:46.–56. 8.
Odeh
H,
Miranda
L,
Rao
A, et al.
The biobank economic modeling tool (BEMT): online financial
planning to facilitate biobank sustainability .
Biopreserv Biobank.
2015; ; 13 :
:421.–429. |