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Med Sci (Paris). 36(5): 437–439.
doi: 10.1051/medsci/2020068.

La recherche de mutations dans l’ADN tumoral circulant aide à prédire la réponse à l’immunothérapie dans le cancer du poumon

Nicolas Guibert,1,2,3* Anne Pradines,2,4 Gilles Favre,2,4 and Julien Mazières1,2,3

1Unité d’oncologie thoracique, Hôpital Larrey, CHU Toulouse, Chemin de Pouvourville, 31059Toulouse Cedex, France.
2Inserm, Centre de recherche en cancérologie de Toulouse, CRCT UMR-1037, 31000Toulouse, France.
3Université Paul Sabatier, 31000Toulouse, France.
4Laboratoire de Biologie médicale oncologique, Institut Claudius Regaud, 31059Toulouse, France.
Corresponding author.

MeSH keywords: Marqueurs biologiques tumoraux, Carcinome pulmonaire non à petites cellules, ADN tumoral circulant, Analyse de mutations d'ADN, ADN tumoral, Dépistage génétique, Humains, Immunothérapie, Tumeurs du poumon, Mutation, Pronostic, Récepteur-1 de mort cellulaire programmée, Résultat thérapeutique, analyse, sang, diagnostic, génétique, thérapie, méthodes

 

Le cancer du poumon « non à petites cellules » (CBNPC) reste la première cause de décès par cancer, même si sa prise en charge a été révolutionnée ces 10 dernières années par l’avènement des thérapies ciblées en présence d’une addiction oncogénique1, et plus récemment, par les immunothérapies ciblant les points de contrôle de l’immunité. Le blocage de l’interaction inhibitrice entre PD-L1 (programmed death-ligand 1) exprimé à la surface de la cellule cancéreuse et PD-1 (programmed cell death 1) exprimé à la surface du lymphocyte, en particulier, restaure l’immunité anticancéreuse et permet des réponses prolongées. Cependant, seule une minorité de patients tire un bénéfice durable de ces agents utilisés en monothérapie, qui exposent à un risque d’effet indésirable (auto-immunité). Les biomarqueurs pour identifier ces répondeurs à long terme sont limités : 1) l’analyse de l’expression de PD-L1 dans les tumeurs par immunohistochimie est largement utilisée, mais cette expression varie dans le temps et selon la localistion étudiée dans la tumeur [1] ; 2) la charge mutationnelle tumorale évaluée par le séquençage de l’exome complet permet de prédire une meilleure survie sans progression avec une immunothérapie qu’avec une chimiothérapie, mais ce caractère prédictif n’a pas été confirmé en termes de survie globale [2]. Une des limites de cette dernière approche, au-delà de son coût, de sa faisabilité limitée sur tissu [2] et de la lourdeur du traitement bioinformatique des données, réside dans le fait que toutes les mutations ne génèrent pas de néo-épitopes immunogènes et n’ont donc pas la même valeur vis-à-vis de la réponse à l’immunothérapie [3].

En parallèle, des déterminants génomiques de réponse ou de résistance à l’immunothérapie ont été identifiés. Il est en particulier démontré que les mutations de KRAS (V-Ki-ras2, Kirsten rat sarcoma viral oncogene homolog), présentes dans 25 % des adénocarcinomes, confèrent à la tumeur une plus grande sensibilité à l’immunothérapie, surtout lorsqu’une mutation de TP53 (tumor protein p53) lui est associée (35 à 57 % de réponse objective à l’immunothérapie contre moins de 20 % dans la population CBNPC globale [4]). À l’inverse, les mutations inactivatrices de STK11 (serine/threonine kinase 11), présentes dans 15 % des adénocarcinomes, en particulier lorsqu’elles sont accompagnées de mutations de KRAS ou de PTEN (phosphatase and tensin homolog), sont associées à de moindres réactions inflammatoires au sein du microenvironnement tumoral et à une résistance à l’immunothérapie (moins de 7,5 % de réponse objective à l’immunothérapie pour les tumeurs avec mutations de KRAS et STK11) [4-6]. Enfin, les réponses à l’immunothérapie des tumeurs avec addiction oncogénique en présence d’une mutation oncogénique d’EGFR (epithelial growth factor receptor) ou d’un réarrangement des gènes ALK (anaplastic lymphoma kinase) ou ROS1 (ROS proto-oncogene 1), sont rares [7].

Nous avons fait l’hypothèse qu’un séquençage ciblé de l’ADN des cellules tumorales, limité à ces anomalies, pourrait prédire la réponse à l’immunothérapie. À défaut d’une quantité résiduelle de tissu disponible avec des biopsies de petite taille, nous avons analysé l’ADN tumoral circulant (ADNtc), correspondant à l’ADN des cellules tumorales présent dans la circulation sanguine. Cette analyse peu invasive, qui peut être répétée au cours de l’évolution du cancer sous traitement, permet de prendre en compte l’hétérogénéité du profil moléculaire de la tumeur dans le temps et dans l’espace. Nous avons également étudié la corrélation entre les variations précoces (1 mois) du taux d’ADNtc et la réponse au traitement.

Notre étude [8] a porté sur une cohorte de 97 patients atteints d’un CBNPC de stade avancé (stade IIIB/IV) et débutant une immunothérapie en seconde ligne après un échec de la chimiothérapie (IMMUNOPREDICT, NCT02827344). La recherche des mutations de l’ADN plasmatique a été réalisée à partir d’un échantillon de sang par une technique de séquençage à haut débit (Inivata, InVision First®- Lung technology, Morrisville, NC, États-Unis), sur un panel de 36 gènes d’intérêt. L’ADNtc a été détecté dans 78 % de ces prélèvements (67/86). Aucun des patients porteurs d’une addiction oncogénique (hors mutations de KRAS) n’a répondu à l’immunothérapie (5 patients avec mutation de l’EGFR, 1 patient avec réarrangement de ALK). La présence d’une mutation de PTEN ou de STK11 était associée à une moindre réponse (rapport des risques instantanés ou hazard ratio : 8,9 pour PTEN, et 4,7 pour STK11). À l’inverse, les mutations par transversion de KRAS ou TP53 étaient associées à de meilleures survies sans progression (hazard ratio : 0,36 pour TP53 et 0,46 pour KRAS).

Nous proposons un arbre décisionnel tenant compte du profil moléculaire de l’ADNtc (Figure 1). Le « score immunitaire haut » (SIH) est défini par l’absence d’une altération des gènes drivers2 (EGFR, ROS1, ALK et BRAFV600E) et de mutations de STK11 ou PTEN, et la présence de mutations par transversion de KRAS ou TP53. Le SIH était associé à une médiane de survie sans progression de 14 mois et un taux de réponse à 6 mois de 76 %. Le score immunitaire est considéré comme « bas » (SIB) en présence d’une altération d’un gène driver (hors KRAS), de PTEN ou de STK11, et en l’absence de mutations par transversion de KRAS ou TP53. Le SIB était associé à une médiane de survie sans progression de 2 mois, et un taux de réponse à 6 mois de 33 % (Figure 1).

Les patients dont la concentration plasmatique de l’ADNtc augmente dans le premier mois ont une moins bonne réponse à l’immunothérapie (médiane de survie sans progression de 2 mois, taux de réponse à 6 mois de 16 %) que ceux dont la concentration diminue (médiane de survie sans progression de 10 mois). La cinétique est d’autant plus discriminante que la variation est grande : seulement 11 % et 6 % de taux de réponse à 6 mois après une augmentation de 30 ou 50 %, respectivement, de la concentration de l’ADNtc.

L’identification, dans le plasma, de manière plus ciblée qu’avec la charge mutationnelle tumorale, des mutations associées à une résistance (mutations driver, STK11, PTEN) [5-7] ou, au contraire, à une plus grande sensibilité à l’immunothérapie (mutations par transversion de KRAS ou de TP53) [4,9] permet donc de sélectionner les patients répondeurs à l’immunothérapie, avec des médianes de survie sans progression de 2 mois pour les patients avec SIB, et de 14 mois pour les patients avec SIH. De la même manière, la cinétique précoce de l’ADN tumoral circulant est un assez bon indicateur de la réponse à 6 mois, même s’il est imparfait (e.g., immunothérapie efficace à 6 mois chez 11 % des patients dont la concentration de l’ADNtc a augmenté de plus de 30 % à un mois) et ne doit probablement être envisagé qu’en complément de l’imagerie, qui est parfois d’interprétation délicate (e.g., réponse lente à l’immunothérapie, ou vraie progression de la tumeur considérée à tort comme une pseudo-progression).

Une limite de cette étude est son caractère rétrospectif et l’absence de groupe témoin (patients traités par chimiothérapie par exemple), qui empêche de différencier de manière formelle un effet prédictif sur la réponse à l’immunothérapie d’un effet pronostique. L’arbre décisionnel proposé dans la Figure 1 , présenté à titre indicatif, ne serait utilisable qu’en cas de validation des résultats dans une étude prospective.

En conclusion, le séquençage à haut débit d’un nombre limité de gènes dans l’ADNtc, répété au cours du temps, pourrait constituer un outil complémentaire pour prédire et suivre la réponse à l’immunothérapie dans le cancer du poumon.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Dépendance d’un cancer à l’altération d’un gène (ou de quelques gènes) pour maintenir un phénotype cancéreux et assurer la survie des cellules tumorales.
2 Gène dont l’altération (mutation, réarrangement chromosomique entraînant une fusion avec un autre gène, etc.) entraîne une addiction oncogénique.
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