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| Med Sci (Paris). 36(5): 447–448. doi: 10.1051/medsci/2020071.Potentiel thérapeutique de l’ambroxol contre les
maladies du motoneurone Alexandra Bouscary1* and Cyril Quessada1** 1Inserm U1118, Mécanismes centraux et périphériques de la
neurodégénérescence, Université de Strasbourg, France. Faculté de
médecine, 11 rue
Humann, 67085Strasbourg,
France MeSH keywords: Adulte, Ambroxol, Développement de médicament, Repositionnement des médicaments, Humains, Métabolisme lipidique, Maladies du motoneurone, Sphingolipides, Traitements en cours d'évaluation, Résultat thérapeutique, usage thérapeutique, méthodes, effets des médicaments et substances chimiques, traitement médicamenteux, métabolisme, mortalité, tendances |
Les sphingolipides : des acteurs majeurs dans la sclérose latérale
amyotrophique La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est la maladie du motoneurone la plus
fréquente chez l’adulte : environ 7 000 personnes sont concernées par cette maladie
en France. Cette maladie incurable est caractérisée par la mort sélective des
neurones moteurs corticaux et des motoneurones bulbaires et spinaux, engendrant une
paralysie progressive et le décès entre 2 et 5 ans après l’annonce du diagnostic. À
ce jour, aucun traitement curatif n’est disponible contre cette maladie et les
traitements symptomatiques ont une efficacité limitée. En France, seul un
médicament, le Rilutek®, est actuellement indiqué pour le traitement de
la SLA : il permet d’augmenter l’espérance de vie de quelques mois. De récentes études physiopathologiques ouvrent cependant la perspective d’identifier
de nouvelles cibles thérapeutiques. Le métabolisme des lipides constitue une cible
possible, car chez les patients atteints de SLA, l’incidence de la dyslipidémie et
de l’hypermétabolisme (i.e., augmentation du métabolisme
énergétique au repos) est plus forte, et l’existence d’un hypermétabolisme est
associée à une progression plus rapide des symptômes de la maladie [1]. Les sphingolipides sont des lipides
complexes, impliqués dans les voies de signalisation cellulaire, dans la maturation
neuronale, dans la formation des gaines de myéline et donc dans la transmission du
signal nerveux, ainsi que dans les processus de vieillissement [2]. De récentes études
« métabolomiques » et « transcriptomiques » montrent que les principales classes de
lipides, dont les sphingolipides, sont dérégulées chez les patients atteints de SLA.
Ces altérations sont également retrouvées dans les modèles transgéniques murins de
SLA avant l’apparition des premiers symptômes de la maladie [3, 4]. Ce réarrangement du profil lipidique inclut notamment une
stimulation des voies de dégradation du glucosylcéramide (GlcCer). Cette
dérégulation pourrait jouer un rôle clé dans la physiopathologie de la SLA, et donc
représenter une cible thérapeutique. Pour étudier la contribution de ces perturbations dans le processus de
neurodégénérescence de la SLA, nous avons utilisé des approches pharmacologiques.
Ces approches ont consisté à réguler les niveaux de GlcCer en ciblant sa dégradation
par les enzymes GBA et GBA2, deux b-glucocérébrosidases (GCase). En 2017, Henriques
et collaborateurs ont montré une amélioration de la récupération fonctionnelle dans
un modèle de compression nerveuse après l’administration de conduritol B epoxyde
(CBE), un inhibiteur irréversible des enzymes GBA et GBA2 [5]. Ce résultat suggère que le GlcCer contribue
à la stabilité de l’unité motrice. |
L’ambroxol : un candidat médicament Depuis 1970, l’ambroxol est un médicament générique expectorant et mucolytique
utilisé dans le traitement des maladies inflammatoires des voies respiratoires
(bronchite). L’ambroxol est l’un des dérivés synthétiques de la vasicine, substance
active d’Adhatoda vasica, une plante anciennement utilisée en Inde
pour ces mêmes propriétés. L’ambroxol présente de nombreuses activités
pharmacologiques. En effet, cet agent fluidifiant des sécrétions bronchiques limite
la production de cytokines dans l’inflammation, protège contre le stress oxydant et
présente des propriétés analgésiques par inhibition de certains canaux sodiques
voltage-dépendants impliqués dans la douleur [6]. Actuellement en vente libre dans la plupart des pays de
l’Union Européenne, ce médicament a l’avantage de présenter un profil de sécurité
favorable et un très faible risque d’effets secondaires. L’ambroxol est également
décrit comme capable de moduler l’activité GCase [7] : cela pourrait être à l’origine d’un effet
neuroprotecteur dans les maladies neurodégénératives ou de surcharge lysosomale, qui
mérite d’être étudié. L’utilisation de l’ambroxol relève d’une nouvelle stratégie thérapeutique pour
corriger les défauts d’activité enzymatique, la « pharmacological chaperon
therapy », qui consiste à utiliser une petite molécule capable d’entrer
dans les cellules et de promouvoir ou restaurer l’activité d’une enzyme défaillante,
par exemple pour empêcher une surcharge lysosomale. Cet agent pharmacologique
capable de passer la barrière hématoencéphalique est envisagé comme traitement
permettant de diminuer les niveaux de GlcCer dans la maladie de Parkinson et la
maladie de Gaucher, deux maladies dans lesquelles on observe une accumulation
toxique de GlcCer dans le système nerveux, due à un déficit d’activité enzymatique
de GBA. La stratégie thérapeutique vise à utiliser l’ambroxol comme une molécule
chaperonne pour restaurer l’activité enzymatique de GBA en améliorant son adressage
vers le lysosome [8].
L’efficacité de l’ambroxol a été démontrée dans la maladie de Gaucher, où son
utilisation a permis non seulement d’augmenter l’activité enzymatique de GBA, mais
aussi d’améliorer les symptômes cliniques des patients [9]. De plus, un essai clinique de phase II mené
avec des patients atteints de la maladie de Parkinson a démontré l’innocuité de la
molécule à forte dose [10]. En plus de son activité chaperonne sur GBA, l’ambroxol a la capacité d’inhiber
l’activité enzymatique de GBA2 : un effet que nous avons utilisé pour tenter de
traiter les souris SOD1G86R, un modèle murin de la SLA par introduction
d’une mutation dans le gène de la superoxyde dismutase 1. Chez ces souris, nous
avions mis en évidence une augmentation de GBA2 dans la moelle épinière. Alors que
GBA est une GCase du lysosome, GBA2 agit dans le réticulum endoplasmique et à la
membrane plasmique. Nous avons montré que l’administration d’ambroxol a des effets
bénéfiques sur l’évolution de la maladie et la durée de vie des animaux
(Figure 1). Dans ce
modèle animal de la SLA, l’ambroxol ralentit la destruction des jonctions
neuromusculaires, préservant ainsi les muscles de la dénervation. De plus, aussi
bien in vitro qu’in vivo (dans le cadre d’un
modèle de compression nerveuse), nous avons montré que l’ambroxol stimule la
plasticité axonale et la formation des jonctions neuromusculaires [11].
 | Figure 1.Effet protecteur de l’ambroxol sur le développement de la
SLA dans le modèle murin SOD1G86R.
Les souris ont été traitées soit par l’ambroxol (AMB) en eau de boisson
soit à l’eau (contrôle, CT) à partir d’un âge où la maladie est
symptomatique (95 jours). A. Le traitement par AMB ralentit la perte
de la force musculaire des souris (n = 12 à 15 par groupe ; two-way
ANOVA, *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001). B.Le traitement par AMB augmente la survie des souris de 6 jours (n
= 12 à 15 par groupe ; test non paramétrique du logrank, p < 0,01)
(figure adaptée de [ 11]). |
Malgré la dérégulation du métabolisme du GlcCer dans la SLA, cette maladie n’est pas
caractérisée par une accumulation toxique de GlcCer dans les lysosomes. L’intérêt de
l’utilisation de l’ambroxol dans la SLA est fondé sur l’hypothèse selon laquelle
l’inhibition de GBA2, favoriserait l’interaction des sphingolipides de la membrane
plasmique avec des facteurs neurotrophiques qui sont responsables de la croissance
et de la survie des neurones. En effet, des études suggèrent que certains
sphingolipides comme les gangliosides, dont le GlcCer est le précurseur, sont
capables de potentialiser les neurotrophines et leurs récepteurs [12]. Il est donc possible que les
effets bénéfiques de l’ambroxol dans les maladies neurodégénératives résident aussi
dans sa capacité à stimuler ou interagir avec ces facteurs neuroprotecteurs. L’ensemble de nos résultats a mis en lumière des propriétés neuroprotectrices de
l’ambroxol, jusqu’alors inconnues, dans un modèle murin de la SLA. Associés aux
résultats obtenus par d’autres équipes de recherche [3], nos résultats incitent à tester l’ambroxol comme médicament candidat
pour le traitement de la SLA. La disponibilité de l’ambroxol sur le marché du
médicament pourrait faciliter la mise en place rapide d’essais cliniques. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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