| |
| Med Sci (Paris). 36(5): 461–464. doi: 10.1051/medsci/2020076.L’hésitation vaccinale en France Prévalence et variation selon le statut socio-économique des
parents Aurélie Bocquier,1,2,3a Lisa Fressard,1,2,3b Sébastien Cortaredona,1,2c Jeremy Ward,1,4d Valérie Seror,1,2e Patrick Peretti-Watel,1,2,3f and Pierre Verger1,2,3,5g, et le groupe Baromètre santé 2016* 1Aix-Marseille Université, IRD, AP-HM, Service de Santé des Armées
(SSA), Vecteurs -Infections Tropicales et Méditeranéennes
(VITROME), Marseille, France. 2Institut hospitalo-universitaire Méditerranée
infection, 19-21
boulevard Jean Moulin, 13385Marseille Cedex 05,
France 3Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (ORS
PACA), Marseille, France 4CNRS, Université Paris-Sorbonne, Groupe d’Étude des Méthodes de
l’Analyse Sociologique de la Sorbonne (GEMASS), Paris,
France. 5Inserm, French Clinical Research Infrastructure
Network (F-CRIN), Innovative clinical research network
in vaccinology (I-REIVAC), Paris,
France. MeSH keywords: Adolescent, Enfant, Enfant d'âge préscolaire, Niveau d'instruction, Femelle, France, Connaissances, attitudes et pratiques en santé, Humains, Nourrisson, Mâle, Parents, Acceptation des soins par les patients, Perception, Prévalence, Classe sociale, Facteurs socioéconomiques, Vaccination, épidémiologie, psychologie, statistiques et données numériques |
Crainte des effets secondaires des vaccins, doutes concernant leur efficacité, refus de
vaccination… autant de signes de ce qui est aujourd’hui couramment appelé dans le
domaine de la santé publique l’hésitation vaccinale. Pour le groupe
d’experts que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a créé spécialement pour définir
et étudier ce phénomène, celle-ci désigne à la fois le fait de refuser un vaccin, de
l’accepter mais avec retard, ou même de l’accepter tout en nourrissant des doutes à son
égard, dans un contexte de disponibilité des vaccins [1]. Selon une étude internationale menée dans 67
pays et publiée en 2016, la France est le pays où la population a le moins confiance
dans la sécurité des vaccins [2].
S’il est difficile d’appréhender la complexité de l’hésitation vaccinale par une seule
question et de conclure de cette étude que la France détient un douteux record mondial,
il est toutefois certain que depuis dix ans, une part importante de la population
française nourrit des doutes vis-à-vis d’un ou plusieurs vaccins, une part qui a fluctué
au gré des controverses [3]. |
Près de la moitié des parents français étaient hésitants à l’égard des vaccins en
2016 Ces doutes sont particulièrement fréquents chez les parents français, comme nous
avons pu le constater à l’aide de l’enquête Baromètre santé 2016 de Santé publique
France [4]. Parmi les 3 927
parents d’enfants et d’adolescents âgés de 1 à 15 ans interviewés lors de cette
enquête, 46 % étaient hésitants vis-à-vis de la vaccination, selon une
définition1, fondée sur celle de l’OMS. Plus
précisément, 26 % avaient déjà refusé un vaccin pour leur enfant parce qu’ils le
jugeaient inutile ou dangereux, 7 % avaient déjà retardé un vaccin parce qu’ils
hésitaient à faire vacciner leur enfant, et 13 % avaient accepté un vaccin tout en
ayant des doutes sur son efficacité ou sa sécurité. Les parents hésitants ont
exprimé des réticences vis-à-vis de deux vaccins plus spécifiquement : ceux contre
l’hépatite B et contre les infections à papillomavirus [4]. Bien qu’il soit difficile de comparer la prévalence de l’hésitation vaccinale
observée dans cette étude avec les estimations disponibles dans la littérature en
raison de multiples différences méthodologiques, la part des parents français
hésitants apparaît élevée dans cette enquête. Cette situation résulte sans doute en
partie des multiples controverses qui ont eu lieu en France au cours des vingt
dernières années, notamment au sujet de la campagne de vaccination contre l’hépatite
B organisée dans les collèges à la fin des années 1990 auprès de jeunes, devenus
parents aujourd’hui, et stoppée par le Ministre de la santé d’alors, devant
l’allégation que le vaccin était responsable de cas de sclérose en plaque. Plus
récemment, les débats autour de la vaccination se sont intensifiés suite à l’échec
de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) en 2009. |
Une hésitation vaccinale plus fréquente chez les parents diplômés Qui sont ces parents qui doutent des vaccins ? À partir des données du Baromètre
santé 2016, nous avons plus particulièrement exploré le lien entre l’hésitation
vaccinale et le statut socio-économique des parents, qui est un déterminant majeur
des comportements et décisions en matière de santé. Nos résultats ont montré que la
part de parents hésitants était élevée quel que soit le niveau de diplôme, mais que
l’hésitation vaccinale était encore plus importante chez les parents diplômés,
puisqu’elle concernait 40 % des parents sans diplôme ou avec un diplôme inférieur au
baccalauréat, 48 % de ceux ayant le baccalauréat, et 51 % de ceux ayant un diplôme
supérieur ou égal à Bac+4 (Figure
1).
 | Figure 1. Part de parents hésitants vis-à-vis de la vaccination selon
le degré d’hésitation vaccinale et le niveau de
diplôme. Parents d’enfants âgés de 1 à 15 ans (n
= 3 927), résidant en France métropolitaine, Baromètre santé 2016.
L’association entre le niveau de diplôme et le degré d’hésitation
vaccinale est significative en analyse bivariée (p < 0,001). |
Pourquoi certains parents doutent-ils des vaccins, et plus particulièrement les
parents les plus diplômés ? Pour apporter des éléments de réponse à ces questions et
contribuer à ouvrir la « boîte noire » de l’hésitation vaccinale et de sa
différenciation sociale, nous nous sommes intéressés à deux facteurs socio-cognitifs
pour lesquels la sociologie du risque suggère qu’ils sont des déterminants
importants de l’hésitation vaccinale : la confiance des parents dans les autorités
et la médecine conventionnelle2, ; et leur
engagement dans les décisions de santé concernant leur enfant (ou degré de
healthism ou de « santéisme »)3 [5]. Nos
résultats ont tout d’abord confirmé que les deux facteurs socio-cognitifs précédents
étaient significativement associés à l’hésitation vaccinale : le niveau d’engagement
des parents dans les décisions de santé était plus élevé parmi les parents ayant
déjà refusé ou retardé une vaccination pour leur enfant, contrairement au niveau de
confiance dans les autorités et la médecine conventionnelle, plus faible chez ces
parents. Par ailleurs, nous avons constaté que les degrés de confiance et
d’engagement variaient eux-mêmes selon le niveau de diplôme des parents : les
parents ayant au moins le baccalauréat exprimaient un moindre niveau de confiance
et, à l’inverse, un niveau d’engagement plus élevé. Enfin, ces déterminants
expliquaient seulement en partie la prévalence plus élevée d’hésitation vaccinale
chez les parents diplômés. En effet, après leur prise en compte dans les analyses,
l’association entre le niveau de diplôme des parents et le fait d’avoir déjà retardé
ou refusé une vaccination pour son enfant n’était plus statistiquement
significative, mais la probabilité d’avoir déjà accepté un vaccin tout en ayant des
doutes restait plus élevée chez les parents les plus diplômés (Figure 2).
 | Figure 2. Analyse du rôle médiateur de la confiance et de
l’engagement dans l’association entre le niveau de diplôme et le
niveau d’hésitation vaccinale : résultats d’analyses logistiques
multinomialesa. Parents d’enfants
âgés de 1 à 15 ans (n = 3 880), résidant en France métropolitaine,
Baromètre santé 2016. Modèle 1 (en bleu)b, modèle 2 (en
orange)c. aRéférence : non-hésitants.
L’odds ratio, également appelé rapport des chances,
rapport des cotes ou risque relatif rapproché, est une mesure
statistique, souvent utilisée en épidémiologie, exprimant le degré de
dépendance entre des variables aléatoires qualitatives.
bModèle 1 : les variables prises en compte dans ce modèle étaient
l’âge du parent répondant, son sexe, le fait de vivre avec un ou une
partenaire, le nombre d’enfants dans le foyer, le fait d’avoir un enfant
âgé de moins de 3 ans, la région de résidence, le niveau de revenu par
unité de consommation du foyer et le niveau de diplôme du
répondant. c Modèle 2 : les variables prises en compte
dans ce modèle étaient les mêmes que celles du modèle 1, auxquelles ont
été ajoutées le niveau de confiance des parents dans les autorités et la
médecine conventionnelle et leur niveau d’engagement dans les décisions
de santé concernant leur enfant. |
|
Perspective : réduire l’hésitation vaccinale et rétablir la confiance dans les
autorités en veillant à réduire les inégalités sociales Face à cette situation et suite à la concertation citoyenne organisée en 2016 [6], le gouvernement français a
décidé une extension des obligations vaccinales pour les enfants nés à partir du
1er janvier 2018. Un an après, les premiers effets semblent être
positifs, puisque les couvertures vaccinales ont augmenté, tandis que la part de
Français ayant des doutes sur les vaccins diminue [3]. Mais près d’un tiers des parents se déclarent encore opposés à ces
obligations et plus de 20 % sont encore « hésitants » [3]. De plus, ces obligations vaccinales portent uniquement sur
les vaccins de la petite enfance ; d’autres vaccins recommandés, dont certains
suscitent beaucoup de réticences (comme le vaccin contre les infections à
papillomavirus humains) ne rentrent pas dans le cadre de ces obligations. En matière
de vaccination, la France reste donc confrontée à plusieurs défis importants. L’un
de ces défis est de parvenir à restaurer la confiance de la population dans les
vaccins et plus globalement dans le système de santé et les autorités. Les professionnels de santé, et en premier lieu les médecins généralistes, ont un
rôle crucial à jouer dans ce processus. Comme dans d’autres pays, les médecins
restent, pour la population, la principale source d’information crédible sur les
vaccins. Dans une recherche qualitative auprès de parents de jeunes enfants, nous
avons toutefois montré que cette confiance est construite : les parents (plus
spécialement les mères) investissent des ressources importantes (temps, argent,
réseau) pour choisir le « bon » médecin, avec lequel une relation de confiance
pourra être construite, de façon à lui déléguer ensuite une partie des décisions
vaccinales ; les parents les plus favorisés étant en mesure de mobiliser davantage
de ressources et un répertoire d’actions plus large pour trouver ce « bon » médecin
[7]. Mais les professionnels de santé ne sont pas non plus « immunisés » contre
l’hésitation vaccinale [8].
Un autre défi est donc de renforcer la confiance des professionnels de santé
eux-mêmes dans les vaccins et de les aider à communiquer de façon plus appropriée et
efficace avec les parents hésitants. Comme le montrent nos résultats, il existe
différents profils de parents hésitants (selon leur degré d’hésitation vaccinale,
leur statut socio-économique…), soulignant la nécessité de s’adapter au public cible
(intervention « sur mesure »), au risque sinon de renforcer les réticences des
parents, comme en témoignent certaines études internationales. À ce titre, des
expériences étrangères suggèrent que l’utilisation de techniques d’entretien
motivationnel par les médecins pourrait être efficace pour augmenter l’adhésion des
parents à la vaccination. Des études sont nécessaires pour évaluer l’efficacité de
telles interventions en France. Enfin, au-delà de la question de l’hésitation vaccinale, il est essentiel de toujours
chercher à réduire les barrières financières ou logistiques (problèmes
d’accessibilité physique ou problèmes organisationnels pour la famille) d’accès aux
vaccins qui contribuent encore aux inégalités sociales de santé [9], comme c’est le cas en France
aujourd’hui pour la vaccination contre les papillomavirus humains [10]. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
|
Nous remercions l’institut IPSOS (Christophe David, Valérie Blineau, Farah El Malti,
Elisabeth Diez, les enquêteurs et les chefs d’équipe) pour le recueil des données,
l’institut CDA en charge de l’audit du terrain d’enquête, et l’ensemble des
personnes ayant participé à l’enquête Baromètre santé 2016, ainsi que Santé publique
France pour l’accès aux données de l’enquête Baromètre santé 2016.
Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’un projet financé par l’IReSP (COHEVA,
IReSP-17-PREV-39). Elle a également bénéficié de soutiens financiers du gouvernement
français par le programme « Investissements d’avenir » de l’agence nationale de la
recherche (Méditerranée Infection 10-IAHU-03), et de l’ITMO Cancer dans le cadre du
plan cancer 2014-2019.
|
Footnotes |
1. World Health
Organization. Meeting of the strategic advisory group
of experts on immunization, October 2014; conclusions and
recommendations . Wkly Epidemiol Rec.
2014; ; 50 :
:561.–576. 2. LarsonHJ,
de
FigueiredoA,
XiahongZ,
et al.
The state of vaccine confidence 2016: global insights through a
67-country survey . EBioMedicine.
2016; ; 12 :
:295.–301. 3. WardJK,
Peretti-WatelP,
BocquierA,
et al.
Vaccine hesitancy and coercion: all eyes on
France . Nat Immunol.
2019; ; 20 :
:1257.–1259. 4. BocquierA,
FressardL,
CortaredonaS,
et al.
Social differentiation of vaccine hesitancy among French parents
and the mediating role of trust and commitment to health: a nationwide
cross-sectional study . Vaccine.
2018; ; 36 :
:7666.–7673. 5. Peretti-Watel
P,
Larson
HJ,
Ward
JK, et al.
Vaccine hesitancy: clarifying a theoretical framework for an
ambiguous notion . PLoS Curr.
2015;; 7 : doi: 10.1371. 6. WardJK,
CafieroF,
FretignyR,
et al.
France’s citizen consultation on vaccination and the challenges
of participatory democracy in health . Soc Sci
Med.
2019; ; 220 :
:73.–80. 7. Peretti-WatelP,
WardJK,
VergelysC,
et al.
‘I think I made the right decision… I hope I’m not wrong’.
Vaccine hesitancy, commitment and trust among parents of young
children . Sociol Health Illn.
2019; ; 41 :
:1192.–1206. 8. VergerP,
CollangeF,
FressardL,
et al.
Prevalence and correlates of vaccine hesitancy among general
practitioners: a cross-sectional telephone survey in France, April to July
2014 . Euro Surveill.
2016; ; 21 : :30406.. 9. BocquierA,
WardJ,
RaudeJ,
et al.
Socioeconomic differences in childhood vaccination in developed
countries: a systematic review of quantitative studies .
Expert Rev Vaccines.
2017; ; 16 :
:1107.–1118. 10. BlondelC,
BarretAS,
PelatC,
et al.
Influence des facteurs socioéconomiques sur la vaccination contre
les infections à papillomavirus humain chez les adolescentes en
France . Bull Epidémiol Hebd.
2019; ; 22–23 :
:441.–450. |