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| Med Sci (Paris). 36(6-7): 555–558. doi: 10.1051/medsci/2020106.Cibler la protéase majeure du SARS-CoV-2 pour fabriquer
un médicament efficace contre ce coronavirus Annie Ladoux,1* Stéphane Azoulay,2 and Christian Dani1 1Université Côte d’Azur, Institut de biologie Valrose,
Faculté de médecine, 28
avenue Valombrose, 06107Nice,
France. 2Université Côte d’Azur, Institut de chimie de Nice, Faculté
des sciences, 28 avenue
Valrose, 06108Nice,
France. MeSH keywords: Antiviraux, Betacoronavirus, COVID-19, Infections à coronavirus, Inhibiteurs de protéase du VIH, Humains, Pandémies, Peptide hydrolases, Pneumopathie virale, Inhibiteurs de protéases, SARS-CoV-2, Réplication virale, usage thérapeutique, enzymologie, physiologie, traitement médicamenteux, épidémiologie, prévention et contrôle |
Nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des maladies infectieuses à l’origine
d’épidémies, pour lesquelles il n’existe pas encore de traitement efficace. La plupart
de ces épidémies sont dues à l’émergence de microorganismes pathogènes, notamment des
virus, qui se transmettent naturellement d’animaux vertébrés aux humains. L’ampleur de
l’épidémie va ensuite dépendre de la capacité de transmission du pathogène entre
individus contaminés. En décembre 2019, un nouveau coronavirus, SARS-CoV-2 (severe acute respiratory
syndrome-coronavirus-2), a causé un syndrome respiratoire aigu sévère
(SRAS) chez de nombreux habitants de la province du Hubei en Chine, et, à la faveur des
voyages intercontinentaux, s’est rapidement répandu dans le monde entier [1]. Mi-juin 2020, on comptait plus
de 7,7 millions de cas d’infection confirmée par ce virus (coronavirus disease-19,
COVID-19), dont plus de 427 000 ayant entraîné le décès (COVID-19 Dashboard by
the Center for Systems Sciences and Engineering [CSSE] at Johns Hopkins
University), ce qui en fait la pandémie la plus grave de ces dernières
décennies. Comme il n’existe à ce jour aucun médicament pour soigner cette infection,
des essais cliniques sont en cours pour évaluer l’efficacité de différents médicaments
disponibles sur le marché, dont certains sont utilisés pour traiter le Sida (syndrome
d’immunodéficience acquise), dû à une infection chronique par le VIH (virus de
l’immunodéficience humain). Quels sont ces derniers médicaments et comment agissent-ils
pour limiter l’infection ? |
Les coronavirus et leur propagation Les coronavirus provoquent généralement des infections bénignes des voies
respiratoires, comme une rhinite. Cependant, en 2003, un coronavirus dénommé
SARS-CoV-1 a été reconnu responsable d’un SRAS ayant causé la mort de plus de 750
personnes dans le monde [2]
(→).
(→) Voir le Repères d’I. Tratner, m/s n° 8-9,
août-septembre2003, page 885
Les génomes du SARS-CoV-1 et du SARS-CoV-2 présentent 79 % d’identité dans leurs
séquences nucléotidiques, et les protéines virales synthétisées ont donc, elles
aussi, des structures très semblables [3]. Le génome des coronavirus est composé d’un simple brin
d’acide ribonucléique (ARN) portant l’information pour produire plusieurs protéines
qui permettent au virus de se multiplier dans la cellule infectée et de créer de
nouvelles particules virales infectieuses. La première protéine produite est une
réplicase virale (ARN polymérase ARN-dépendante), une enzyme qui fabrique des
nouvelles molécules d’ARN en prenant comme modèle le brin d’ARN viral. Ces ARN
nouvellement synthétisés sont ensuite traduits par les ribosomes et enzymes de la
cellule infectée pour produire les protéines qui formeront les nouvelles particules
virales (virions). Une longue poly-protéine unique est d’abord synthétisée. Elle
sera ensuite coupée par l’une des deux protéases virales issues de cette
poly-protéine par auto-clivage [18] (→) en protéines de tailles plus petites, qui formeront
notamment la capside virale, c’est-à-dire la coque dans laquelle l’ARN viral sera «
empaqueté ». C’est ainsi que se forment les nouveaux virus infectieux.
(→) Voir la Synthèse de D. Juckel et al., page 633 de ce
numéro
Plusieurs étapes sont donc nécessaires pour la formation de nouvelles particules
virales : entrée du virus dans la cellule qu’il va infecter, copie de l’ARN viral,
synthèse de la poly-protéine et sa découpe en protéines fonctionnelles de tailles
plus petites, et enfin, reconstitution de nouvelles particules virales infectieuses
et leur relargage à l’extérieur de la cellule infectée (Figure 1).
 | Figure 1. Représentation schématique de la production de particules virales par une
cellule. |
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Comment peut-on limiter l’infection par les coronavirus ? Plusieurs stratégies existent pour lutter contre les virus : 1) On peut envisager de bloquer l’entrée du virus dans la cellule si on connaît le «
récepteur » de la membrane plasmique sur lequel il se fixe, ce qui n’est pas
toujours le cas. Parfois, cette stratégie s’avère impossible à mettre en œuvre car
le récepteur en question est nécessaire à d’autres fonctions cellulaires
vitales. 2) On peut tenter d’empêcher la formation d’ARN viral. 3) On peut aussi envisager de bloquer la protéase du virus pour l’empêcher de couper
la poly-protéine virale synthétisée par la cellule infectée. Les particules virales
ne pourront ainsi pas s’assembler dans la cellule, ce qui stoppera l’infection.
Cette stratégie a été utilisée avec succès pour traiter plusieurs infections virales
dans des maladies comme le Sida ou l’hépatite C, bien que cela ne permette pas
d’éliminer complètement le virus de l’organisme hôte. |
Les protéases virales, des cibles de choix pour fabriquer des médicaments
antiviraux Les protéases virales sont essentielles à la production de virions par la cellule
infectée car elles participent à une étape de maturation en coupant les
poly-protéines virales synthétisées à des sites bien précis. Elles sont spécifiques
d’un virus donné et agissent sur les protéines virales, ainsi que sur quelques
protéines de la cellule hôte, pour favoriser la réplication virale [4]. C’est pour cela qu’elles suscitent
un grand intérêt pour stopper la propagation des épidémies virales. Le premier inhibiteur de la protéase (IP) du VIH, le saquinavir, a été mis sur le
marché en 1995 pour traiter les malades atteints du Sida [5]. Depuis, d’autres inhibiteurs de cette
protéase ont été développés pour lutter contre la maladie, comme le lopinavir [6] qui, selon l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), est un des médicaments essentiels pour traiter le Sida.
Ces médicaments ciblant la protéase virale, souvent prescrits en association avec
ceux qui ciblent la réplicase, ont permis de réduire la charge virale des individus
atteints de la maladie. Cependant les IP dirigés contre la protéase du VIH ont des effets indésirables, dont
les mécanismes sont étudiés par notre laboratoire depuis plus de dix ans. Ils
induisent notamment une redistribution marquée du tissu adipeux ou lipodystrophie,
préjudiciable : le tissu adipeux sous-cutané s’atrophie et la masse grasse viscérale
augmente. De plus, les lipodystrophies vont de pair avec des altérations
métaboliques comme une hyperlipidémie ou une résistance à l’insuline, qui sont à
l’origine de maladies cardio-vasculaires [7, 8]
(→).
(→) Voir la Synthèse de J. Capeau et al.,
m/s n° 5, mai 2006, page 531
Nous avons montré que les IP empêchaient la formation d’adipocytes, qu’ils
modifiaient les précurseurs adipocytaires ainsi que le métabolisme des adipocytes
[9-11], et nous avons caractérisé le
mécanisme par lequel ils induisent une résistance à l’insuline [12]. |
Identification de la protéase majeure du SARS-Cov-2 Pour comprendre le fonctionnement des protéases virales, il faut certes connaître
leur séquence d’acides aminés, mais aussi leur structure tri-dimensionnelle. Cela
permet alors de caractériser précisément le site catalytique de l’enzyme, qui sera
la cible des molécules à usage thérapeutique capables de le bloquer. Les coronavirus
possèdent deux protéases [13]. La structure cristalline de la protéase majeure du SARS-CoV-2,
3CLpro (3C-like proteinase), vient d’être publiée
[14]. Sa séquence
protéique est identique à 96 % à celle des protéases 3CLpro des autres
coronavirus, qui ont été très étudiées [15, 18]
(→). Elle coupe la poly-protéine virale 11 fois au niveau de motifs
Leu-Gln-(Ser/Ala/Gly). La deuxième protéase du SARS-CoV-2, PLpro
(papain-like protease), a des propriétés différentes de celles
de 3CLpro, notamment une activité déubiquitinase, et elle pourrait
intervenir pour altérer la réponse immunitaire innée de l’hôte infecté. La structure
cristalline de cette protéase n’est pas encore connue.
(→) Voir la Synthèse de D. Juckel et al., page 633de ce
numéro
Le principe d’action des molécules bloquant les protéases est schématisé dans la
Figure 2
. Des inhibiteurs de la protéase 3CLpro des coronavirus déjà
connus ont été testés pour leur capacité à inhiber celle du SARS-CoV-2. Une molécule
de la famille des α-kétoamides a été retenue pour son efficacité d’insertion dans le
site catalytique de la protéase, ce qui bloque son activité et permet de réduire
considérablement la production virale dans des cellules de poumon humain infectées
avec le SARS-CoV-2 in vitro, ainsi que dans des modèles d’études
précliniques [14]. La tolérance de cette
molécule par l’organisme, la voie d’administration la plus adaptée, et ses effets
indésirables devront être évalués avant de pouvoir éventuellement l’utiliser pour
traiter les patients atteints du COVID-19.
 | Figure 2. Principe d’action des inhibiteurs des protéases et
comparaison des structures chimiques de deux inhibiteurs de
protéases virales : le lopinavir et un
α-kétoamide. |
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Les médicaments ciblant la protéase du VIH peuvent-ils bloquer la protéase 3CLpro
du SARS-CoV-2 ? Comme il n’y a pas encore de médicament contre le SARS-CoV-2, des essais cliniques
pour tester l’efficacité des inhibiteurs de la protéase du VIH sur le COVID-19 ont
été menés en Chine [16], et
d’autres sont en cours en Europe. Le VIH n’est pas apparenté aux coronavirus, et la
réplication de son matériel génétique s’effectue par un mécanisme différent. Mais il
produit lui aussi une poly-protéine qui doit être coupée 9 fois par une protéase
pour former les nouvelles particules virales. Cette protéase n’appartient pas à la
même famille que celle du SARS-CoV-2 puisqu’il s’agit d’une protéase aspartique,
comme les pepsines, les cathepsines, et les rénines, qui sont présentes
naturellement dans les cellules eucaryotes [17]. Pour la protéase du VIH également, les données de la
cristallisation ont grandement facilité la conception d’IP efficaces. Aujourd’hui,
il en existe dix approuvés par la Food and drug administration aux
États-Unis, dont le mélange lopinavir-ritonavir qui a été testé chez les malades
atteints du COVID-19. L’essai clinique chinois a inclus 199 patients, dont 99 ont
été traités par les IP du VIH tandis que 100 ont reçu des soins standards. Les
résultats indiquent que les IP du VIH n’apportent pas de bénéfice pour traiter les
patients atteints de COVID-19. Leurs effets indésirables ont même conduit à arrêter
prématurément le traitement chez 13 patients [16]. Ce résultat, bien que décevant, est en accord avec les différences
de structure et de fonctionnement entre les protéases du VIH et du SARS-CoV-2. Dans
l’essai clinique adaptatif européen Discovery coordonné par l’Inserm et dans l’essai
international Solidarity initié par l’OMS, le lopinavir et le ritonavir, associés ou
non à l’interféron b-1a, ont été inclus en plus des soins standards, pour évaluer
leurs effets contre le SARS-CoV-2. Les résultats devraient apporter un éclairage
supplémentaire sur la pertinence d’utilisation des IP du VIH pour lutter contre des
infections virales dues à un virus différent. |
La stratégie la plus rapide pour tenter de trouver des médicaments efficaces contre
le COVID-19 est de mener des essais cliniques avec des médicaments déjà utilisés
contre d’autres maladies, puisque l’on sait comment les administrer et qu’on en
connaît les doses efficaces (stratégie du « repositionnement de médicament », ou
drug repositioning en anglais). Cependant, les inhibiteurs
d’une protéase donnée ne sont pas nécessairement efficaces pour bloquer une autre
protéase, qui a des propriétés structurales et fonctionnelles différentes. Des
molécules de la famille des α-kétoamides, capables de bloquer la protéase
3CLpro du SARS-CoV-2, représentent un espoir réel pour traiter les
patients. Certaines ont déjà été utilisées en clinique, comme par exemple le
Telaprevir ou le Boceprevir, qui furent parmi les premiers inhibiteurs de protéase
prescrits dès 2011 pour traiter les patients atteints d’hépatite C. Le développement
d’inhibiteurs de protéase devrait bénéficier de moyens conséquents pour pouvoir
disposer rapidement d’un traitement efficace contre le COVID-19. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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