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Med Sci (Paris). 36(6-7): 562–565.
doi: 10.1051/medsci/2020103.

ERα orchestre les mécanismes épigénétiques qui déclenchent l’expression du gène Sf-1 au cours de la différenciation du lignage gonadotrope hypophysaire

Vincent Pacini,1** Florence Petit,1 Bruno Quérat,1 Jean-Noël Laverrière,1 Joëlle Cohen-Tannoudji,1 and David L’hôte1*

1Équipe Physiologie de l’axe gonadotrope de l’unité Biologie fonctionnelle et adaptative, université de Paris, BFA, UMR 8251, CNRS, ERL U1133, Inserm, 4 rue Marie Andrée Lagroua Weill-Hallée, 75013Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Différenciation cellulaire, Lignage cellulaire, Épigenèse génétique, Récepteur alpha des oestrogènes, Régulation de l'expression des gènes au cours du développement, Cellules gonadotropes, Humains, Souris, Facteur stéroïdogène-1, génétique, physiologie

 

L’hypophyse est une glande endocrine située à l’interface entre le système nerveux central et différents tissus cibles. Elle comporte six types cellulaires endocrines différents contrôlant des fonctions essentielles du vivant. La fonction de reproduction est sous le contrôle des cellules gonadotropes hypophysaires qui, en réponse à la neuro-hormone hypothalamique GnRH (gonadotropin-releasing hormone), synthétisent et sécrètent les deux hormones gonadotropes, LH (luteinizing hormone) et FSH (follicle-stimulating hormone). Ces hormones contrôlent à leur tour la stéroïdogenèse et la gamétogenèse dans les gonades, ovaires ou testicules.

Les différents lignages endocrines de l’hypophyse se différencient au cours de l’embryogenèse à partir des mêmes cellules souches. Sous l’action de gradients morphogénétiques, différents facteurs de transcription sont synthétisés par ces cellules, permettant la différenciation en l’un ou l’autre des types cellulaires endocrines. Pour les cellules gonadotropes, le facteur de transcription inducteur de la différenciation est le récepteur nucléaire SF-1 (steroidogenic factor-1) [1]. L’expression du gène Sf-1 dans les cellules gonadotropes débute à partir de 13,5 jours de développement embryonnaire chez la souris (E13,5). Elle permet notamment de déclencher l’expression des gènes clefs de la fonction gonadotrope, tels que le gène codant le récepteur de la GnRH et ceux codant les sous-unités b spécifiques des hormones gonadotropes. Ainsi, des mutations du gène SF-1 humain ou une extinction spécifique de l’expression de Sf-1 dans l’hypophyse chez la souris entraîne une stérilité [2,3].

L’expression du gène Sf-1 n’est pas restreinte aux cellules gonadotropes. Elle dépend d’un promoteur, 1A ou 1G, ainsi que de séquences régulatrices distales, ou enhancers, qui diffèrent selon le type cellulaire. Dans les cellules gonadotropes, l’expression de Sf-1 est contrôlée essentiellement par le promoteur 1G [4] et par un enhancer pituitaire, localisé dans le 6e intron du gène [5]. Nous avons effectué une étude épigénétique des séquences régulatrices de Sf-1 au cours de la différenciation du lignage gonadotrope [6]. Si cette étude a confirmé que l’enhancer pituitaire est actif dans les cellules gonadotropes matures, elle a également révélé qu’il ne l’est pas à des stades précoces de la différenciation de ce lignage, ce qui remettait en question son rôle dans l’émergence de l’expression de Sf-1 au cours du développement hypophysaire.

Identification de l’enhancer le plus précocement impliqué dans l’expression de Sf-1 dans les cellules gonadotropes hypophysaires

Dans un premier temps, nous avons identifié l’ensemble des régions régulatrices potentielles du génome en mesurant l’accessibilité de la chromatine par la technique ATAC-seq (assay for transposase-accessible chromatin using sequencing) [7]. Nous avons utilisé trois modèles de cellules murines immortalisées, qui reproduisent trois stades phénotypiques de la différenciation du lignage gonadotrope : les cellules αT1-1, dérivées de cellules précurseurs de l’hypophyse à E11,5 et n’exprimant pas encore Sf-1, les cellules αT3-1, « immatures », dérivées de cellules déjà engagées dans la différenciation gonadotrope, qui expriment Sf-1 mais pas encore l’ensemble des gènes marqueurs du lignage, et les cellules LβT2, dérivées de cellules gonadotropes différenciées, exprimant Sf-1 et l’ensemble des gènes clefs du lignage [8]. Cette étude a confirmé l’absence d’accessibilité de l’enhancer pituitaire dans les cellules gonadotropes immatures, et nous a permis de découvrir une autre région potentiellement régulatrice de Sf-1, localisée dans le 4e intron, dont la chromatine est accessible spécifiquement à ce stade de développement (Figure 1A).

Nous avons également montré que cette région est transitoirement mobilisée, in vivo, au cours de l’ontogenèse hypophysaire, à E13,5 chez la souris [7]. La caractérisation des marques épigénétiques de la chromatine de cette région a montré qu’elle était un enhancer actif, que nous avons nommé « enhancer a », dans les cellules gonadotropes immatures. Afin de déterminer l’importance de cet enhancer dans la régulation de l’expression de Sf-1, nous avons réalisé la délétion de sa séquence génomique dans les cellules gonadotropes immatures par la technique CRISPR/Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeats/CRISPR-associated protein 9). La délétion de cette séquence entraîne une réduction majeure de l’expression de Sf-1, ce qui montre que cet enhancer est très important pour l’expression de Sf-1 dans les cellules gonadotropes immatures (Figure 1B). Il s’agit de l’enhancer le plus précocement impliqué dans le contrôle de l’expression du gène Sf-1 au cours de la différenciation du lignage gonadotrope, et dont le recrutement précède celui de l’enhancer pituitaire [5].

Quels sont les mécanismes épigénétiques contrôlant l’activité de l’enhancer a du gène Sf-1 ?

L’analyse bio-informatique de la séquence génomique de cet enhancer a révélé un site de fixation de type ERE (estrogen response element) très conservé chez les mammifères. Nous avons déterminé que seul le récepteur a des œstrogènes (ERα) est exprimé dans les cellules gonadotropes immatures et vérifié, par immunoprécipitation de la chromatine, qu’il se fixait effectivement sur cet enhancer (Figure 2A). Nous avons par ailleurs montré que ERα est un facteur de transcription indispensable à l’activité de l’enhancer a puisque la diminution de son expression par des ARN interférents inactive totalement cet enhancer. De plus, nous avons mis en évidence, par des approches pharmacologiques, que l’action de ERα est dépendante de l’activation par son ligand, l’œstradiol [7].

L’excision de l’ERE de l’enhancer a dans des cellules gonadotropes immatures par la stratégie CRISPR/Cas9 bloque la fixation de ERα sur cet enhancer, et nous avons montré que cette fixation est strictement nécessaire au maintien de l’expression de Sf-1 par le biais d’un remodelage important des marques épigénétiques de la chromatine (Figure 2B). Lorsque ERα ne peut plus se fixer sur l’enhancer a, on observe notamment la fermeture de la chromatine à cet emplacement, ainsi que la reméthylation totale de l’ensemble des sites cytosine-phosphate-guanine (CpG) de l’ADN, suggérant une inactivation complète de cet enhancer (Figure 2C). Parallèlement à ces modifications, nous avons mis en évidence une nette diminution de la fixation de l’ARN polymérase II sur le promoteur du gène Sf-1 (Figure 2D), attestant l’effet régulateur, à distance, de l’enhancer a sur l’expression de ce gène.

Conclusion

Cette étude nous a permis d’identifier l’enhancer le plus précocement impliqué dans l’activation du gène Sf-1 au cours de la spécification du lignage gonadotrope dans l’hypophyse. Elle a également permis de découvrir le rôle essentiel du récepteur nucléaire des œstrogènes ERα dans le maintien des mécanismes épigénétiques impliqués dans l’expression de Sf-1 par les cellules gonadotropes immatures, un rôle qui s’inscrit dans le concept émergent de l’implication de ce facteur dans les processus épigénétiques de différenciation cellulaire. Une diminution de l’expression de ERα ou une altération de la signalisation œstrogénique, par exemple par des perturbateurs endocriniens, pourrait ainsi expliquer certains défauts précoces de la mise en place du lignage gonadotrope, conduisant à terme à des troubles de la reproduction chez l’adulte.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions les co-auteurs de la publication originale. Ces travaux ont bénéficié du soutien logistique et financier du CEA, de l’Inserm (UMR 967), et du Genopole-Évry, ainsi que de financements de la délégation générale de l’armement (DGA), du fonds unique interministériel (FUI-AAP13) et du conseil général de l’Essonne (consortium STEMSAFE), de l’AFM-Téléthon, et de fonds de l’union européenne (RISK-IR, FP7, n° 323267).

 
Footnotes
1 Groupe hétérogène de maladies génétiques de la peau.
2 Un inhibiteur de la glycogène synthase kinase 3β (GSK-3β) et des kinases dépendant des cyclines (CDK).
References
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