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Med Sci (Paris). 36(6-7): 655–658.
doi: 10.1051/medsci/2020116.

Allier les capacités anti-tumorales des CAR-T cells aux propriétés des exosomes : une approche innovante pour combattre le cancer

Zoé Fusilier1* and Hermine Ferran1**

1Master 2 Immunologie Translationnelle et Biothérapies, Mention BMC, Sorbonne Université, Paris, France
Corresponding author.
 

L’actualité scientifique vue par les étudiants du Master 2 « Immunologie Translationnelle et Biothérapies » (ITB) et « Immunologie Intégrative et Systémique » (I2S) (Mention Biologie Moléculaire et Cellulaire, Parcours Immunologie, Sorbonne Université)

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Équipe pédagogique

Jonathan Pol (Chercheur, Centre de Recherche des Cordeliers)

Encarnita Mariotti-Ferrandiz (Maître de Conférences, Sorbonne Université)

Véronique Mateo (Maître de Conférences, Sorbonne Université)

Pierre-Emmanuel Joubert (Maître de Conférences, Sorbonne Université)

Sophie Sibéril (Maître de Conférences, Sorbonne Université)

Isabelle Cremer (Professeur, Sorbonne Université)

Jules Russick (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche, Sorbonne Université)

Signe Hässler (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche, Sorbonne Université)

Série coordonnée par Sophie Sibéril.

Du principe au développement des immunothérapies « CAR-T cells »

Le principe de l’immunosurveillance repose sur la capacité du système immunitaire à reconnaître et à éradiquer les cellules tumorales dès l’émergence du processus de transformation cellulaire [1] ().

(→) Voir la Synthèse de M. Bruchard et F. Ghiringhelli, m/s n° 4, avril 2014, page 429

Ainsi, lors de la tumorigenèse, une réponse immunitaire locale se met en place, impliquant principalement les lymphocytes T cytotoxiques (LTc) et les lymphocytes T mémoires, afin de contrôler la croissance tumorale et prévenir l’apparition de cancers. Les lymphocytes T (LT) sont capables de reconnaître spécifiquement des peptides dérivés d’antigènes tumoraux présentés par les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I (CMH I) à la surface des cellules tumorales, par leur récepteur spécifique d’antigène (ou TCR) et d’induire la mort de ces cellules [2] ().

(→) Voir la Synthèse de W.H. Fridman et C. Sautès-Fridman, m/s n° 4, avril 2014, page 359

Cependant, les cellules transformées sont des adversaires de taille et le système immunitaire est bien souvent incapable de contrer la tumorigenèse. En effet, les cellules tumorales évoluent dans un microenvironnement tissulaire et cellulaire hétérogène où se mettent en place des mécanismes immunosuppresseurs leur permettant d’échapper à la surveillance immunitaire, contribuant ainsi à la progression de la maladie. Par exemple, les cellules tumorales peuvent diminuer l’expression à leur surface des molécules de présentation antigénique (comme le CMH I) ou exprimer des molécules inhibitrices, altérant le mécanisme de reconnaissance ou les fonctions effectrices des LTc [1, 3]. C’est pourquoi, depuis de nombreuses années, la communauté scientifique s’est attelée à comprendre les mécanismes impliqués dans l’inhibition de la réponse immunitaire pour développer des approches thérapeutiques innovantes, appelées immunothérapies, permettant d’induire une réponse immunitaire anti-tumorale fonctionnelle. En 1989, Zelig Eshhar et ses collègues ont proposé une stratégie thérapeutique alliant les propriétés cytotoxiques des LTc et la capacité de reconnaissance spécifique des anticorps monoclonaux [4]. Ces chercheurs ont mis au point un récepteur hybride, appelé récepteur antigénique chimérique (CAR, initialement appelé T-body), pouvant être introduit par transduction génétique in vitro dans les LTc d’un patient. Depuis, cette stratégie a connu de nombreuses améliorations grâce aux avancées scientifiques et techniques, conduisant au développement de plusieurs générations de CAR possédant toutes trois modules distincts : 1) un module extracellulaire dérivé d’un anticorps monoclonal appelé scFv (pour single chain fragment variable), contenant un domaine VH et un domaine VL associés par un polypeptide, et assurant la reconnaissance spécifique de l’antigène tumoral natif ; 2) un module d’ancrage à la membrane ; et 3) un ou plusieurs modules de signalisation intracellulaire permettant l’activation des LTc (Figure 1) [5, 6] ().

(→) Voir la Synthèse de V. Catros, m/s n° 4, avril 2019, page 316

Les cellules ainsi modifiées sont appelées CAR-T cells et ont la capacité de reconnaître spécifiquement un antigène à la surface de la cellule tumorale induisant leur activation et la destruction de la tumeur, indépendamment de toute autre interaction cellulaire.

Les premières CAR T-cells à avoir fait l’objet d’un développement clinique ont été utilisées pour le traitement de tumeurs hématologiques et étaient dirigées contre la molécule CD19 exprimée par les lymphocytes B (CAR-T cells anti-CD19). Les résultats obtenus montrant un taux de réponse globale de l’ordre de 50 à 90 % chez les patients réfractaires aux autres lignes de traitement ont conduit à l’approbation par la FDA (Food and Drug Administration), en 2017 et 2018, de deux thérapies utilisant des CAR-T cells anti-CD19 [6]. Malgré une efficacité démontrée pour ces types de tumeurs, l’application des CAR-T cells aux tumeurs solides s’avère plus difficile en raison des nombreuses contraintes associées au microenvironnement tumoral (MET). Les tumeurs solides sont effectivement protégées par des barrières physiques, limitant la migration et l’infiltration in situ des CAR-T cells. De plus, le pH acide, l’hypoxie et le manque de nutriments au cœur de la tumeur, associés à l’établissement d’un microenvironnement immunosuppresseur, s’opposent à la multiplication et à l’activité de ces lymphocytes modifiés [6,7]. En conséquence, une meilleure compréhension de la biologie des CAR-T cells pour accroître leur potentiel thérapeutique dans les tumeurs solides et, par ailleurs, la limitation des toxicités sévères de cette thérapie sont des objectifs poursuivis par de nombreux chercheurs aujourd’hui.

Les exosomes dérivés des CAR-T cells comme mini-versions de ces cellules tueuses

Dernièrement, Wen Yan Fu et ses collaborateurs ont découvert et démontré que les CAR-T cells libèrent dans le milieu extracellulaire des vésicules, ou exosomes, contenant le récepteur CAR et dotés d’une activité cytotoxique. Cela leur a permis d’envisager ces exosomes comme une alternative aux thérapies cellulaires [8]. Les exosomes sont un type de petites vésicules extracellulaires d’origine endosomale, normalement impliquées dans la communication intercellulaire. Ils ont récemment été définis comme de « mini-versions » de leurs cellules mères car leur contenu est fortement corrélé avec l’état physiologique de la cellule dont ils sont issus [9]. Leur rôle dans la réponse immunitaire cytotoxique a par ailleurs été mis en évidence récemment.

Dans cette étude, l’équipe a construit deux types de CAR reconnaissant les antigènes tumoraux, Her2 (human epidermal growth factor receptor 2) et EGFR (epidermal growth factor receptor), et les ont transduits dans des LTc humains (Figure 1, étapes 1 à 3). Leurs domaines extracellulaires sont composés d’un scFv dérivé d’anticorps monoclonaux reconnaissant Her2 (trastuzumab) ou EGFR (cetuximab). Une région charnière et un domaine transmembranaire dérivés de la molécule CD8 font le lien avec deux domaines, 4-1BB et CD3ζ, nécessaires à l’activation du LTc (Figure 1, étape 4). Après avoir validé la spécificité et le potentiel anti-tumoral de leurs CAR-T cells in vitro, les auteurs ont isolé les exosomes à partir du surnageant de culture de ces cellules. Ils ont observé que ces exosomes, que nous nommerons exosomes CAR+, portent le CAR issu des CAR-T cells d’origine, et que leur production par les CAR-T cells est dépendante de l’activation et de la stimulation de ces dernières par les antigènes Her2 ou EGFR. Se questionnant sur l’activité de ces exosomes face aux cellules tumorales, ils ont constaté, d’abord in vitro, que ces exosomes exerçaient une activité cytotoxique antigène-dépendante, comparable à celle des CAR-T cells. De plus, l’injection répétée de différentes doses des exosomes in vivo à des souris portant des tumeurs exprimant Her2 ou EGFR, sur une période de 13 semaines suivie de 4 semaines de récupération (Figure 1, étapes 6-7), leur a permis de valider non seulement l’efficacité anti-tumorale du traitement mais également l’absence de toxicité, même à la dose la plus élevée.

Une efficacité similaire, la toxicité en moins

L’équipe s’est ensuite interrogée sur les avantages de l’utilisation d’exosomes dérivés de CAR-T cells par rapport à l’utilisation de cellules entières. Précédemment, il avait été montré que le potentiel cytotoxique des CAR-T cells pouvait être influencé par le MET. En effet, tout comme les cellules tumorales, certaines cellules immunitaires du MET (telles que les tumor-associated macrophages et les myeloid-derived suppressor cells) expriment un ligand, PD-L1 (programmed death-ligand 1) qui interagit avec son récepteur inhibiteur, PD-1 (programmed death-1), présent à la surface des LTc et des CAR-T cells (Figure 2, encadré du haut). Une telle interaction provoque l’anergie de ces CAR-T cells et donc l’inhibition de leur effet thérapeutique. Les auteurs ont découvert que les exosomes n’expriment pas PD-1 à leur surface (Figure 2, encadré du bas). La présence de son ligand PD-L1, dans le MET, n’a donc aucun effet sur leur cytotoxicité.

L’injection de CAR-T cells est à l’origine du syndrome de relargage de cytokines (SRC), d’une toxicité majeure, caractérisé par la libération massive de cytokines pro-inflammatoires (IFN[interféron]-γ, IL[interleukine]-2 et IL-6, entre autres) par les CAR-T cells et les cellules du MET (Figure 2, encadré du haut). Le SRC entraîne des effets variables allant de symptômes pseudo-grippaux jusqu’à la mort [6]. Utilisant un modèle de tumeur exprimant l’antigène ErBb, les auteurs de l’étude ont observé que l’injection de CAR-T cells anti-ErBb induit une toxicité aiguë conduisant à la mort des souris 48h après l’injection, associée à de fortes concentrations sériques d’IL-6, IL-2 et d’IFN-γ, confirmant l’établissement d’un SRC causé par les CAR-T cells. En revanche, le traitement des souris avec les exosomes issus de ces mêmes CAR-T cells anti ErBb n’est associé à aucun signe visible de toxicité, ce qui confirme l’intérêt thérapeutique que représente l’utilisation des exosomes dérivés de CAR-T cells (Figure 2, encadré du bas).

Les exosomes CAR+ : une perspective encourageante pour le traitement des tumeurs solides

La thérapie CAR-T cells est une approche efficace pour le traitement des tumeurs hématologiques mais, en raison d’un succès modéré dans les tumeurs solides, elle nécessite de nouveaux développements. L’utilisation des propriétés des exosomes produits par les CAR-T cells, exerçant les mêmes fonctions effectrices que les cellules dont ils sont issus, pourrait être une alternative de choix pour contrer les limites des cellules CAR-T grâce à leur toxicité plus faible et à leur capacité à éviter certains mécanismes suppressifs exercés par la tumeur (Figure 2). Plus généralement, un grand nombre de chercheurs s’intéressent aux possibilités qu’ouvre l’étude de la structure et de la fonction des exosomes à visée thérapeutique ou diagnostique dans différents contextes pathologiques [10]. En effet, plusieurs études ont identifié les exosomes comme de véritables entités effectrices ou comme de potentiels systèmes de délivrance de médicaments qui, grâce à leur taille nanométrique et à leur spécificité cellulaire, peuvent infiltrer de manière ciblée des milieux non permissifs aux cellules. Par ailleurs, leurs contenus s’imposent comme des biomarqueurs de maladies facilement identifiables dans divers liquides biologiques. Cependant, bien qu’utiliser les exosomes en thérapie cellulaire semble très séduisant, de nombreux points restent à éclaircir concernant leur biologie. Alors, à vos pipettes !

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Bruchard M, Ghiringhelli F. Microenvironnement tumoral : cellules régulatrices et cytokines immunosuppressives . Med Sci (Paris). 2014; ; 30 : :429.–435.
2.
Fridman WH, Sautès-Fridman C. Le microenvironnement tumoral : matrice nourricière, champ de bataille et cible thérapeutique des cancers . Med Sci (Paris). 2014; ; 30 : :359.–365.
3.
Fu C, Jiang A. Dendritic cells and CD8 T cell immunity in tumor microenvironment . Front Immunol. 2018; ; 9 : :3059..
4.
Gross G, Waks T, Eshhar Z. Expression of immunoglobulin-T-cell receptor chimeric molecules as functional receptors with antibody-type specificity . Proc Natl Acad Sci USA. 1989; ; 86 : :10024.–10028.
5.
Srivastava S, Riddell SR. Engineering CAR-T cells: design concepts . Trends Immunol. 2015; ; 36 : :494.–502.
6.
Catros V. Les CAR-T cells, des cellules tueuses spécifiques d’antigènes tumoraux : de nouvelles générations pour le traitement des tumeurs solides . Med Sci (Paris). 2019; ; 35 : :316.–326.
7.
Bagley SJ, O’Rourke DM. Clinical investigation of CAR T cells for solid tumors: lessons learned and future directions . Pharmacol Ther. 2020;; 205 : :107419..
8.
Fu W, Lei C, Liu S, et al. CAR exosomes derived from effector CAR-T cells have potent antitumour effects and low toxicity . Nat Commun. 2019; ; 10 : :1.–12.
9.
Zhang Y, Liu Y, Liu H, Tang WH. Exosomes: biogenesis, biologic function and clinical potential . Cell Biosci. 2019;; 9.
10.
Barile L, Vassalli G. Exosomes: therapy delivery tools and biomarkers of diseases . Pharmacol Ther. 2017; ; 174 : :63.–78.