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| Med Sci (Paris). 36(6-7): 665–668. doi: 10.1051/medsci/2020119.Le jeûne réduit l’inflammation associée aux maladies
inflammatoires chroniques sans altérer la réponse immunitaire aux infections
aiguës Leslie Adda,1a* Sara Abou Melhem,1b* and Jonathan Pol3,4,5 1Master 2 Immunologie Translationnelle et Biothérapies,
Mention BMC, Sorbonne Université, Paris,
France. 2Master 2 Immunologie Intégrative et Systémique, Mention BMC,
Sorbonne Université, Paris, France. 3Équipe 11 labellisée par la Ligue Nationale contre le
Cancer, Centre de Recherche des Cordeliers, Inserm U1138, Université de
Paris, Sorbonne Université, Paris, France. 4Gustave Roussy Cancer Campus, Villejuif,
France. 5Metabolomics and Cell Biology Platforms, Gustave Roussy
Cancer Campus, Villejuif, France. MeSH keywords: Maladie aigüe, Animaux, Maladie chronique, Régulation négative, Jeûne, Humains, Phénomènes du système immunitaire, Infection, Inflammation, Médiateurs de l'inflammation, physiologie, immunologie, anatomopathologie, prévention et contrôle, métabolisme, Maladie aigüe, Animaux, Maladie chronique, Régulation négative, Jeûne, Humains, - traduction non trouvée, Inflammation, Médiateurs de l'inflammation, physiologie, immunologie, anatomopathologie, prévention et contrôle, métabolisme |
L’inflammation chronique est favorisée par l’excès d’apport calorique L’inflammation est un processus de réponse naturel d’un organisme face à une
agression. Cependant, lorsque celle-ci est trop importante ou inappropriée, elle
peut être à l’origine de phénomènes pathologiques. De nombreuses voies de régulation
peuvent moduler, directement ou indirectement, la réponse inflammatoire. Parmi
elles, les voies de régulation du métabolisme cellulaire apparaissent de plus en
plus clairement impliquées dans le contrôle du statut inflammatoire de nombreuses
cellules immunitaires. Domaine de recherche en plein essor, l’immunométabolisme
pourrait permettre de révéler des mécanismes physiopathologiques à l’origine de
l’apparition de nombreuses maladies. Avec l’occidentalisation des habitudes
alimentaires et la consommation importante d’aliments hautement énergétiques,
l’excès d’apport calorique est fréquemment observé dans la population mondiale. Il
serait responsable de l’établissement d’un état inflammatoire systémique chronique
[1], en lien avec le
développement de maladies métaboliques à composante inflammatoire, telles que le
diabète de type 2 ou l’athérosclérose [2]. L’excès d’apport calorique est également impliqué dans la
survenue de maladies inflammatoires et auto-immunes [3]. À l’inverse, il a été montré que le jeûne ou
les régimes hypocaloriques ont un effet protecteur vis-à-vis de ces maladies [4,5]. Des études cliniques de jeûne intermittent
(inférieur à 24 heures) ont montré une réduction des taux de cytokines
pro-inflammatoires, telles que l’interleukine (IL) 1β, l’IL-6 ou le TNF-α
(tumor necrosis factor alpha) [6]. Cependant, les mécanismes par lesquels une
réduction de l’apport calorique module l’inflammation systémique restent encore mal
compris. |
Le pool de monocytes pro-inflammatoires circulants diminue lors d’un jeûne
court C’est dans ce contexte que Jordan et al. ont étudié l’impact du
jeûne sur l’homéostasie des cellules immunitaires, et tout particulièrement des
monocytes [7]. Ces cellules
circulent sélectivement vers les sites inflammatoires et y jouent un rôle clé dans
l’initiation et le maintien de l’inflammation via la sécrétion de
cytokines pro-inflammatoires, dont l’IL-1β, l’IL-6 et le TNF-α. Au niveau
tissulaire, les monocytes se différencient en macrophages également producteurs de
nombreux médiateurs de l’inflammation [8]. Chez des sujets sains, les auteurs ont observé une diminution des monocytes sanguins
suite à un jeûne de 19 heures, leur taux restant toutefois dans les limites
physiologiques. Une expérience similaire réalisée chez la souris a montré que suite
à un jeûne court de 4 heures (équivalent à un jeûne nocturne chez l’homme), le taux
de monocytes avait également diminué, particulièrement le sous-type de monocytes
pro-inflammatoires Ly-6Chigh. En parallèle, ils ont remarqué que ces
cellules s’étaient accumulées dans la moelle osseuse des souris à jeun [7]. |
L’axe AMPK/PPARa hépatique régule l’homéostasie des monocytes Par la suite, les auteurs ont démontré que plusieurs effecteurs agissant en cascade
étaient à l’origine de ce phénomène (Figure
1). Dans un premier temps, en bloquant la glycolyse chez des
souris nourries, et donc la production d’énergie par les cellules, ils ont observé
une diminution des monocytes à des niveaux similaires à ceux obtenus lors du jeûne,
suggérant que les niveaux d’énergie cellulaire influent sur le pool
de monocytes circulant. Senseur énergétique cellulaire majeur, la kinase AMPK (pour
AMP-activated protein kinase) est activée par une augmentation
du rapport AMP/ATP cellulaire, reflet d’un bas niveau d’énergie. Après avoir
administré un activateur de l’AMPK à des souris, les auteurs ont observé une
réduction significative des monocytes sanguins, témoignant de son implication dans
l’inhibition de la libération des monocytes de la moelle osseuse vers la circulation
sanguine. Cible de l’AMPK, le récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes
(PPARα) est un régulateur de la transcription intervenant notamment dans la réponse
adaptative au jeûne [9]. Les
auteurs ont montré que la réduction des monocytes circulants induite par le jeûne
chez des souris PPARa-/- était plus
faible que chez les souris sauvages, suggérant que l’activation de PPARα régule
l’homéostasie des monocytes pendant le jeûne. Cependant, le contrôle de la
population de monocytes circulants est régi par PPARα au niveau hépatique et non
dans la moelle osseuse. En effet, des souris
PPARa-/- irradiées dont la
moelle osseuse a été reconstituée par une greffe de cellules de moelle osseuse
issues de souris contrôles, ne présentent pas de réduction des monocytes circulants
durant un jeûne, contrairement à des souris sauvages irradiées greffées avec des
cellules de moelle osseuse PPARa-/-. En
parallèle, après suppression sélective du facteur de transcription PPARα dans les
hépatocytes, les auteurs ont bien observé une altération de la capacité à moduler la
libération des monocytes de la moelle osseuse lors du jeûne.
 | Figure 1. Cascade de régulation du pool de monocytes
pro-inflammatoires circulants en condition de jeûne.
1. Le jeûne entraîne l’augmentation du ratio ADP/ATP
(ainsi que AMP/ATP) dans les hépatocytes.
2. Un faible niveau d’énergie
cellulaire active le senseur énergétique AMPK.
3. L’AMPK stimule le facteur de
transcription PPARα. 4. PPARα module la
production de nombreux facteurs protéiques qui régulent la sécrétion
médullaire de CCL2 5. La sécrétion de CCL2
par les cellules stromales médullaires est diminuée.
6. En l’absence de liaison de CCL2
à son récepteur CCR2, les monocytes deviennent quiescents.
7. La diapédèse des monocytes est
réduite, ils ne sont plus libérés vers la périphérie. AMPK,
AMP-activated protein kinase ; PPARα,
peroxisome proliferator-activated receptor alpha ; CCL2,
chemokine ligand 2 ; CCR2, C-C chemokine
receptor type 2. |
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PPARa favorise la quiescence métabolique des monocytes en régulant négativement
la sécrétion médullaire de CCL2 Sachant que la libération des monocytes de la moelle osseuse vers la circulation
sanguine est dépendante de la liaison de la chimiokine CCL2 (chemokine
ligand 2) à son récepteur monocytaire CCR2 (C-C chemokine
receptor type 2) [10], les auteurs ont montré que PPARα agissait sur les monocytes en
régulant négativement CCL2. De fait, la modification du sécrétome hépatique dont
l’étude a révélé une modification de la sécrétion d’au moins 33 protéines
régulatrices de CCL2 en réponse au jeûne. Chez des souris à jeun, le taux de CCL2
circulant est en effet fortement réduit, et ceci même après l’administration de
phén-formine, un activateur de l’AMPK. De plus, un apport de glucose chez des souris
CCR2
-/- à jeun n’augmente pas le nombre de monocytes sanguins. En parallèle,
la réduction de CCL2 induite par le jeûne est perdue chez des souris
PPARa-/-, même en présence de
phénformine. Si CCL2 est naturellement produit dans de nombreux tissus (ex. moelle
osseuse, foie, rate), l’action de CCL2 sur les monocytes médullaires est dépendante
de sa production locale. Le taux de CCL2 détecté dans la moelle osseuse corrèle
d’ailleurs avec celui retrouvé dans le sang. De plus, la délétion du gène codant
CCL2 dans les hépatocytes ou une splénectomie n’affectent ni le taux sanguin de CCL2
ni le nombre de monocytes circulants. Enfin, les auteurs ont observé, après un jeûne court, que la modification du profil
d’expression de plus de 2 700 gènes au sein des monocytes était à l’origine d’un
ralentissement de leur métabolisme énergétique, comme en témoigne la réduction
conjointe de leur consommation en oxygène et de l’acidification extracellulaire. Les
réarrangements du cytosquelette nécessaires à la migration étant l’un des processus
cellulaires les plus énergivores [11], les monocytes persistent alors à l’écart de la circulation sanguine
et n’exercent ainsi plus leur action pro-inflammatoire systémique [7]. |
Le jeûne réduit les symptômes d’une maladie inflammatoire chronique sans entraver
la réponse inflammatoire aiguë anti-infectieuse La restriction calorique ayant été associée à une protection vis-à-vis de maladies
inflammatoires chroniques et auto-immunes [4],
les auteurs se sont intéressés à l’effet du jeûne intermittent chez des souris
atteintes d’encéphalomyélite auto-immune, modèle expérimental de la sclérose en
plaques, dans laquelle l’implication des monocytes pro-inflammatoires est connue
[12]. Ils ont montré
que le jeûne induisait une amélioration des symptômes associée à une réduction du
nombre de monocytes pro-inflammatoires infiltrant la moelle épinière. Ces derniers
présentaient d’ailleurs une perte de leur signature transcriptomique
pro-inflammatoire, impliquant notamment l’IL-1β et le TNF-α. Par ailleurs, les
résultats de cette étude mettant en évidence la réduction de la mobilisation
périphérique des monocytes pro-inflammatoires ont amené les auteurs à se demander si
le jeûne altérait la mise en place de réactions inflammatoires aiguës,
indispensables pour lutter contre une infection par des agents pathogènes. À la
différence d’une privation alimentaire prolongée (supérieure à 48 heures), ils ont
montré qu’un jeûne court ne nuit pas à la réponse antimicrobienne de souris
infectées par la bactérie Listeria monocytogenes, en ce qui
concerne le recrutement monocytaire au site infectieux [7]. |
Conclusion et perspectives thérapeutiques L’ensemble de ces résultats démontre la capacité d’un jeûne court ou intermittent à
atténuer les effets délétères des monocytes pro-inflammatoires, sans altérer pour
autant leur propriété de lutte contre des agents exogènes. Ces données annoncent
probablement l’émergence de nouvelles stratégies thérapeutiques pour la prise en
charge de maladies métaboliques, auto-immunes ou inflammatoires chroniques. Parmi
elles, les agonistes de PPARα, couramment utilisés pour leurs propriétés
hypolipémiantes, ont montré une action anti-inflammatoire intéressante dans des
modèles animaux de maladies inflammatoires du côlon, de la peau ou du système
nerveux [13]. Si les
résultats chez l’homme s’avèrent pour l’instant peu probants et les essais cliniques
peu nombreux, les SPPARMα, agonistes de PPARα de nouvelle génération, pourraient
ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques, notamment dans le traitement de
l’athérosclérose, du diabète de type 2 ou de la stéatohépatite non alcoolique [13]. Par ailleurs, après l’échec en essai
clinique d’un anticorps anti-CCL2 dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde,
un autre inhibiteur de CCL2 a récemment montré son efficacité dans un essai clinique
de phase II dans le traitement de néphropathies diabétiques, dont le développement
implique des macrophages pro-inflammatoires au niveau glomérulaire [14]. Étonnament, chez la souris,
l’administration de CCL2 à des doses infinitésimales semble être à l’origine de
phénomènes régulateurs anti-inflammatoires prometteurs [15]. Enfin, les résultats de cette étude
questionnent également la place du jeûne court dans l’arsenal thérapeutique de
maladies auto-immunes, inflammatoires ou métaboliques. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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