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| Med Sci (Paris). 36(6-7): 671–674. doi: 10.1051/medsci/2020121.Le microbiote : un facteur clé impactant les réponses
immunitaires au vaccin contre la grippe ? Thadshagine Ganeswaran1** and Sümeyye Yayilkan1* 1Master 2 Immunologie Translationnelle et Biothérapie,
Mention BMC, Sorbonne Université, Paris,
France. MeSH keywords: Animaux, Antibactériens, Production d'anticorps, Dysbiose, Microbiome gastro-intestinal, Humains, Phénomènes du système immunitaire, Immunogénicité des vaccins, Vaccins antigrippaux, Souris, Souris knockout, Récepteur de type Toll-5, usage thérapeutique, génétique, complications, immunologie, métabolisme, physiologie |
Microbiote, antibiotiques, vaccins : trois vastes sujets qui attisent la
curiosité et suscitent des débats animés chez différents acteurs de la
société Surnommé le « second génome », le microbiote est l’ensemble des micro-organismes
présents dans notre corps. Dans l’intestin, il joue un rôle crucial dans le
métabolisme, par la dégradation des fibres et la transformation des acides aminés
non produits chez l’hôte, tels que le tryptophane en indole [1], mais aussi dans le maintien de l’homéostasie
et de l’intégrité des muqueuses intestinales [2]. De nombreuses études scientifiques récentes suggèrent un
rôle central du microbiote dans la modulation des réponses immunitaires, en
particulier dans le cadre de réactions allergiques [3] ou auto-immunes [4]. Récemment, des études ont montré que la
composition du microbiote a un impact sur l’efficacité des immunothérapies
anticancéreuses [5]. Dès l’enfance, plusieurs facteurs influencent la composition du microbiote, notamment
le régime alimentaire et le mode d’accouchement [6,7]. Cette composition peut évoluer au cours de la vie de chaque
individu. La prise d’antibiotiques (AB) à laquelle plus de 30% des nouveau-nés sont
exposés [8], a un impact
majeur sur le microbiote. Il a été rapporté qu’elle engendre un déséquilibre
microbien, la dysbiose, qui est associé à une sensibilité accrue à la septicémie
tardive chez les enfants prématurés [9]. Étant donné le rôle-clé du microbiote dans l’homéostasie du système
immunitaire, la question de son implication dans l’efficacité de la vaccination se
pose également, sachant que l’efficacité du vaccin dépend également de plusieurs
facteurs dont l’âge et le statut immunologique de la personne vaccinée. Initialement menée pour comprendre la variabilité des réponses immunitaires obtenues
après vaccination avec un vaccin antigrippal trivalent inactivé (VTI), une étude
réalisée à partir du sang de sujets sains révèle une corrélation entre
l’augmentation de l’expression du gène codant le TLR5 (Toll Like Receptor
5) 3 jours post vaccination (p.v.) et la production d’anticorps
spécifiques du vaccin 28 jours p.v. [10]. Le TLR5 est un récepteur de l’immunité innée reconnaissant
spécifiquement le flagelle bactérien. Il est connu pour avoir un rôle essentiel dans
l’homéostasie du microbiote intestinal. Les souris déficientes pour le gène codant
TLR5 (TLR5-/-
), présentent une altération du microbiote associée à un profil intestinal
pro-inflammatoire [11].
Ainsi, ce résultat inattendu a donné lieu à des études chez la souris pour
comprendre l’impact du TLR5 et du microbiote dans la réponse humorale
anti-influenza. Suite à la vaccination, une diminution de la production d’anticorps
spécifiques anti-influenza est observée chez les souris TLR5-/-
par rapport à des souris témoins. Cette même diminution est aussi observée
chez des souris axéniques (dépourvues de microbiote) ou des souris traitées par des
AB. Ces résultats suggèrent un lien entre TLR5, microbiote et efficacité du vaccin
antigrippal [11]. Sachant que les antibiotiques sont utilisés massivement, il est donc possible que le
microbiote puisse moduler l’efficacité du vaccin humain. Pour vérifier cette
hypothèse, Hagan et al. ont réalisé un profil détaillé des réponses
immunitaires anti-grippales chez des sujets traités ou non avec des AB [12].
 | Figure 1. Influence de la dysbiose sur la réponse à la vaccination
anti-grippale. Vaccination d’individus
présentant une immunité préexistante faible contre les souches de virus
utilisées dans le vaccin et traités ou non avec des antibiotiques (AB).
À l’inverse des sujets possédant une immunité préexistante importante,
le taux de séroconversion est impacté par la prise d’AB chez les sujets
présentant une faible immunité. La prise d’antibiotiques induit une
diminution du titre d’anticorps IgG1 et IgA spécifiques de la souche du
virus H1N1 présente dans le vaccin et une altération des fonctions
neutralisantes de ces anticorps. Ce schéma illustre le fait que les
traitements par AB induisent : (1) une
diminution de la charge bactérienne et une altération de la diversité
bactérienne, (2) une altération du
métabolisme des acides biliaires marquée par une diminution des acides
biliaires secondaires (plus particulièrement l’acide lithocholique),
corrélée avec (3) une signature
inflammatoire plus marquée (dont l’expression de AP-1/NR4A) et
(4) un impact différé sur la
réponse humorale suivant le statut immunologique. |
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La prise d’AB induit une dysbiose qui réduit l’efficacité de la réponse humorale
anti-grippale Le VTI est constitué de trois souches virales (H1N1-A/California, H3N2/Texas,
B/Massachusetts) induisant une réponse humorale qui se traduit par la production
d’anticorps spécifiques contre ces souches. Aucune différence significative des taux
de séroconversion (correspondant au rapport entre le taux d’anticorps spécifiques du
virus de la grippe détectés dans le sérum avant et après vaccination) n’a été
observée chez les individus traités avec des AB par rapport aux individus non
traités. Toutefois, l’ensemble des sujets présente un faible taux de séroconversion,
qui peut être lié à une immunité préexistante au virus grippal. Les chercheurs ont
donc mené une seconde analyse sur des sujets présentant une faible immunité
préexistante. Ils ont ainsi montré que, dans ce cas, les taux de deux isotypes
d’anticorps, les IgA et les IgG1, sont significativement réduits chez les sujets
traités par AB par rapport aux sujets non traités. De plus, chez les patients traités avec les AB, la fonction des anticorps spécifiques
anti-influenza produits post-vaccination est également altérée. En effet, l’affinité
et la capacité de neutralisation des anticorps spécifiques sont réduites. Tout cela
suggère que les perturbations du microbiote entraînent une réduction de la réponse
humorale en réponse à la vaccination et donc une sensibilité augmentée au virus
grippal. |
La dysbiose induit des signaux pro-inflammatoires Afin de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la modulation de la réponse
antigrippale par le microbiote, les auteurs ont par la suite analysé le
transcriptome des cellules sanguines. Ces études ont montré que la prise
d’antibiotiques est associée à une surexpression de signaux pro-inflammatoires dont
le facteur de transcription AP-1 et le récepteur NR4A. Cette expression est
maintenue plus longtemps chez les sujets traités avec les AB par rapport aux
individus témoins [12]. Les auteurs ont
également observé une augmentation de l’expression de certaines cytokines
pro-inflammatoires (l’IL-6, l’IL-8, le CXCL2) après traitement avec les AB. Ces
signatures sont similaires à celles retrouvées après vaccination chez les personnes
âgées par rapport à des individus sains [10],
suggérant que la dysbiose peut être à l’origine d’une signature inflammatoire
similaire à celle liée à l’âge. |
Les AB perturbent le métabolome sanguin Bien que la barrière épithéliale assure le confinement des microorganismes dans
l’intestin, le microbiote peut moduler le système immunitaire de deux façons :
directement, en envoyant des stimuli microbiens par la circulation systémique, ou
bien indirectement par l’intermédiaire de seconds messagers tels que des
métabolites. L’absence de différence des taux sanguins de flagelline et des titres
d’anticorps sériques anti-LPS entre les sujets vaccinés traités par AB et les sujets
vaccinés témoins, est en défaveur de l’hypothèse de la modulation de la réponse
antigrippale par une interaction directe entre le microbiote et le système
immunitaire. Le microbiote joue un rôle important dans le métabolisme, notamment par
l’intermédiaire de la synthèse d’acides gras volatils, qui sont impliqués dans la
modulation de la réponse immunitaire [13]. Il est également à l’origine de la conversion des acides
biliaires primaires (AcBI) en acides biliaires secondaires (AcBII). Par conséquent,
Hagan et al. [12] ont
par la suite analysé le lien entre le métabolome sanguin et les changements
transcriptionnels et cellulaires induits par les AB. Les auteurs ont ainsi observé
que les sujets traités par AB présentent une modification importante de leur
métabolisme par rapport aux sujets témoins. Les sujets traités avec des AB seuls
(sans vaccination) présentent une altération du métabolisme des acides biliaires
marquée par une diminution drastique des AcBII, notamment de l’acide lithocholique
(ALC)1 [14]. Remarquablement, cette diminution est
fortement corrélée à l’activation de l’inflammasome AP-1/NR4A. Ainsi, ces résultats
suggèrent un mécanisme potentiel par lequel le microbiote régule les réponses
inflammatoires, qui peuvent affecter la réponse antigrippale chez l’homme. |
Le microbiote : un adjuvant endogène ? Sachant que la majorité des études ont été réalisées sur des modèles animaux, cette
étude publiée dans Cell introduit le concept selon lequel le
microbiote est capable de moduler la réponse immunitaire en réponse à la vaccination
antigrippale chez l’homme. Deux idées phares sont mises en évidence : s’il existe
une mémoire immunitaire contre la grippe, malgré les perturbations du microbiote
induites par une prise d’antibiotiques, une réponse humorale adaptée est mise en
place. Cependant, si la mémoire immunitaire ou bien l’imprinting,
c’est-à-dire la réaction immunitaire lorsqu’une personne est exposée pour la
première fois à la grippe, n’est pas efficace, la réponse antivirale sera plus
sensible aux changements du microbiote suite aux traitements avec des AB. Ce
résultat est d’une importance cruciale, car beaucoup de vaccins sont administrés
initialement aux enfants qui sont en général exposés à de grandes quantités d’AB
[6]. Des souris traitées par AB et vaccinées contre la poliomyélite, un vaccin sans
adjuvant comme le VIT, ont une réponse humorale altérée due à la dysbiose.
Cependant, cet effet n’est pas observé pour des vaccins avec adjuvant,
antidiphtérique ou anti-VIH ou atténués comme celui contre la fièvre jaune [11]. Ces résultats suggèrent que le microbiote
pourrait avoir un rôle d’adjuvant endogène dans les vaccins sans adjuvant.
Cependant, une étude de 2014 montre que, dans le cas d’un vaccin contre le
rotavirus, des souris axéniques ou des souris traitées par AB présentent une
protection et une réponse dirigée contre le rotavirus plus durables [15]. Par conséquent, pour
avoir une meilleure compréhension de la modulation de la réponse vaccinale par le
microbiote, des études avec différents types de vaccins sur de plus grandes cohortes
d’individus soumis à différents régimes (antibiotiques ou probiotiques) sont
nécessaires. Ces études pourraient aboutir à l’élaboration de nouvelles approches
préventives ou thérapeutiques pour augmenter l’efficacité des vaccins. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données
publiées dans cet article.
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