Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool

2021


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Communications

Principe des 80/20 appliqué
à l’alcool, rapport e-santé, leviers de prévention en milieu
du travail1

Michel Reynaud
Président du Fonds Actions Addictions

Principe des 80/20 appliqué à l’alcool

La consommation d’alcool peut-être est agréable, rapporte beaucoup d’argent à l’État, fait partie de la culture, structure les territoires, représente un plaisir important pour un être de culture. L’important est l’équilibre entre la santé publique et la santé de la filière. Depuis l’élection de Monsieur Macron, la volonté affichée est de soutenir la filière, ses avantages et bénéfices de tous types. Depuis deux ou trois ans, le Président a souhaité que l’on ne culpabilise pas les Français au sujet de leur consommation et nous sommes donc obligés de durcir notre discours en matière de prévention. Sinon, nous aurions beaucoup de mal à être entendus.
Il est étonnant que soit laissée à l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) la mission de conduire la prévention et d’évaluer l’application de la législation. Pourquoi laisser à une petite association la responsabilité d’attaquer les grands groupes mondialisés, qui disposent de nombreux avocats spécialisés ? C’est totalement irréaliste. En effet, une petite association peut être présentée comme hygiéniste, souhaitant mettre les Français à l’eau.
Le principe de Pareto explique que 80 % des effets sont liés à 20 % des causes dans un grand nombre de situations. Nous avons donc intérêt à agir sur ces 20 % de facteurs majeurs pour obtenir 80 % de réussite. Ce principe, qui est un peu plus complexe que je ne l’ai indiqué, est appliqué dans de nombreux domaines : gestion des risques, gestion des personnels... Comme nous sommes dans un combat de représentation, il me semble utile de mettre ce principe en valeur.
Dans le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, il apparaît que la consommation en France est d’un peu plus de deux verres par jour et par consommateur. Toutefois, la disparité est bien plus grande. La courbe montre que 10 % des 18 à 75 ans consomment 58 % de l’alcool, 8 % consomment 50 % de l’alcool et 20 % de cette population consomment 80 % de l’alcool. Il est donc efficace d’agir sur les populations concernées.
Les alcoolo-dépendants achètent environ 50 % de l’alcool, contre 30 % pour les consommateurs à risque, devant les consommateurs modérés et les abstinents. Les deux tiers aux trois quarts des Français consomment l’alcool de façon modérée, avec un risque limité. D’après le site Vin & Société, les chiffres de vente montrent que la France regroupe 16 % de consommateurs réguliers de vin, ainsi que 51 % de consommateurs occasionnels et 33 % non-consommateurs. De fait, les jeunes ne consomment pas beaucoup de vin. Les consommations sont centrées sur de gros consommateurs, qui alimentent le modèle économique des filières alcool et vins en particulier.
Les promesses effectuées pour favoriser les consommations limitées sont forcément en contradiction avec le fait que l’argent est fourni par les consommateurs excessifs. La représentation française de ce que doit être une consommation est influencée par les 20 % de consommateurs majeurs. La société nous pousse à consommer de l’alcool comme ces derniers. Il est compliqué de prendre un repas sans vin, d’organiser un pot uniquement avec des jus de fruits. De plus, le prix de l’unité d’alcool est le moins élevé de toutes les boissons lorsque l’on souhaite prendre un verre dans un établissement extérieur. La norme repose donc sur les 20 % des gros consommateurs et non sur les 80 % qui boivent en courant des risques modérés. Pourtant, la norme n’est pas de boire dix verres de vodka ou de resservir le vin entre chaque plat.
La courbe de Jürgen Rehm, spécialiste de l’épidémiologie de l’alcool, a été publiée en 2011. Elle montre une montée exponentielle des dommages liés à l’alcool, ce qui permet de rejoindre le principe de Pareto. L’article de The Lancet a été commenté dans la presse en indiquant qu’il n’était plus possible d’assurer qu’un verre de vin ou d’alcool était bon pour la santé. En revanche, le danger majeur serait d’expliquer qu’il ne faut pas boire même un verre de vin car le message serait alors déconnecté de 80 % de la population française.
De plus, il existe un risque relatif de souffrir d’une pathologie liée à l’alcool. L’augmentation est d’un décès pour 1 000. Toutefois, toutes les études qui montrent une amélioration avec de faibles consommations d’alcool portent sur des échantillons et non sur la population en général, ainsi que seulement sur le dommage en question et non sur l’ensemble de ces derniers. Il est ainsi possible d’évoquer des améliorations des troubles cardiovasculaires chez les travailleurs de santé entre 40 et 60 ans, par exemple, ou l’amélioration du diabète chez les femmes, sans préciser que celle-ci est contrebalancée par l’accroissement du risque de cancer du sein. Globalement, la seule chose qui importe en épidémiologie de la santé publique est la mortalité globale.
Nous avons intérêt à rappeler que même si le vin et l’alcool sont bons pour le plaisir, pour la société, pour l’empathie et les relations humaines, nous ne pouvons pas affirmer qu’ils sont bons pour la santé.
Par ailleurs, il est difficile d’obtenir des données sur les dommages, moins pour la dépendance, que pour la délinquance, pour les maladies, l’atteinte du cerveau des enfants et des adolescents. L’alcool représente 41 000 morts par an, ce qui en fait la troisième cause de mortalité, la deuxième cause de mortalité évitable, la première cause de mortalité prématurée, la première cause de mortalité des 18 à 25 ans et la deuxième cause médicale d’hospitalisation en France. Les chiffres sont consensuels.
Il est difficile d’obtenir des données concernant les dommages de l’alcool, y compris à l’hôpital. C’est aussi délicat pour tous les dommages sociaux, judiciaires, pénaux, policiers car le système n’est pas fait pour qu’ils soient repérés, et encore moins pour faire le lien avec les quantités consommées.
Dans le cas d’une consommation de 10 à 50 grammes par jour, la réduire de deux à trois verres représente un gros effort personnel et social pour un effet limité. Une consommation de moins de 10 verres par semaine correspond à la norme de Santé publique France. Une consommation de moins de 20 verres par semaine, soit trois verres par jour, est la norme de l’OMS. Au-delà de 30 verres par semaine, le consommateur entre dans la zone de danger. Il conviendrait d’ajouter au message incitant à la réduction de la consommation une action sur la dé-normalisation des consommations excessives. Ce serait rentable et permettrait de placer les alcooliers face à leurs responsabilités, sachant qu’ils prétendent être favorables à une consommation modérée.
L’évolution des consommations d’alcool en France montre une diminution de trois quarts en 40 ans. Nous disposons de la courbe jusqu’en 2014 mais pas pour les cinq dernières années, où la consommation se stabilise, suite aux lois de santé qui ont conduit à amender la loi Évin. Nous accompagnons les grands mouvements sociaux. L’ANPAA n’a pas fait diminuer des trois quarts les consommations d’alcool. Notre travail est d’essayer de faire en sorte que les réductions interviennent plus rapidement et que les dommages soient moins nombreux.
Des articles ont été publiés récemment qui indiquaient que les jeunes s’alcoolisent moins. Marie Choquet le reconnaît, ajoutant néanmoins que cette évolution devra être suivie sur plusieurs années. Les raisons de cette évolution sont notamment que les réseaux sociaux incitent à davantage rester à la maison.
Il est difficile de connaître les liens entre l’importance des consommations et la gravité des dommages. À 0,5 gramme, le risque mortel routier est multiplié par deux, comme pour le cannabis. À 0,8 gramme, le risque est multiplié par 10 et la multiplication est de 35 pour 2,5 grammes.
Une publication récente de Jürgen Rehm montre que l’essentiel des mortalités est lié aux très grosses consommations, c’est-à-dire plus de dix verres par jour. Dans le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, Catherine Hill reconnaît que les consommations supérieures à six verres par jour sont des causes de cancer.
Pour le cancer, les facteurs de risque étaient notamment le tabac et l’alcool en 2000. Le lien entre cancer et alcool a commencé à être effectué, lorsque Madame Buzyn était Présidente de l’Institut national du cancer (INCa), en 2014. En 2015, les causes des cancers étaient identiques mais s’y ajoutent l’alimentation et les infections. L’alcool reste le deuxième facteur évitable de cancer. Depuis un an, la Ligue contre le cancer et l’INCa mènent une action forte sur les dangers de la consommation d’alcool. C’est très positif car la puissance de communication et de représentation du cancer est extrêmement forte. Nous pouvons donc espérer que cette action participera à donner une vision plus juste des dommages liés à l’alcool.
Parmi les conséquences de la consommation d’alcool, n’oublions pas les violences conjugales, les violences faites aux enfants. N’oublions pas la consommation chez les femmes enceintes.
Par ailleurs, il apparaît que les dangers sanitaires et sociaux de la consommation d’alcool sont majeurs dans un marché non réglementé, qu’il soit criminel ou légal. En revanche, les risques sont moins importants lorsque l’État régule.
La loi Évin a été modifiée par la loi Bachelot, elle-même amendée par la loi Touraine. Dans ce cadre, des stratégies ont été lancées d’incitation à la consommation des jeunes et des femmes, qui sont la nouvelle cible des alcooliers. En effet, en France, le secteur de la viticulture s’est rendu compte que le buveur de vin était un homme de 50 à 60 ans.
L’arsenal législatif français est déjà assez conséquent. En revanche, l’application de la loi est moins stricte.
Le combat récent a porté sur la taille du logo de la femme enceinte qui apparaît sur les bouteilles. Entre 8 et 12 millimètres, il a été décidé d’adopter une taille de 10 millimètres au final.
Pour agir, il convient de réduire la vulnérabilité des individus, réduire la nocivité des produits, accentuer le contrôle, la régulation, travailler sur les modalités de consommation, et réduire l’incitation de l’environnement à consommer.
Je vous propose quelques recommandations car j’imagine que vous serez conduits à en effectuer également sur les stratégies à mettre en œuvre pour réduire les dommages :
• le prix minimum de l’alcool est de 15 centimes l’unité d’alcool, contre 65 centimes en Irlande. Si le prix était de 50 centimes, la bouteille de vin serait de 3 euros ou 3,5 euros. Je ne pense pas que cette évolution toucherait les vins que défend la filière. Elle ne concernerait que les vins en cubitainers et les alcools, qui sont importés puis francisés pour assurer les ventes à bas prix. Le prix minimum de l’alcool constitue la meilleure façon de réduire la consommation des jeunes et des gros buveurs ;
• de plus, il serait logique que l’alcool participe au fonds de prévention Actions Addictions. Lorsque ce fonds a été mis en place, 10 millions étaient prévus pour le cannabis, grâce aux amendes – dont on peut se demander si elles seront payées – 100 millions pour le tabac et rien pour l’alcool. Je pense que nous pouvons défendre une évolution sur ce point ;
• de plus, je propose la taxation des prémix, la taxation et le contrôle de la publicité, l’application de l’interdiction de vente aux mineurs, y compris lors des Happy Hours. Pour sa part, le « mois de janvier sobre » est une bonne façon pour la population de percevoir la pression qu’il y a à consommer et de s’interroger sur sa propre consommation. Enfin, pour être cohérent, il convient d’interdire la vente aux mineurs de l’alcool, du tabac, du cannabis et des jeux.

Rapport e-santé

Dans le cadre des addictions, le treatment gap de la dépendance ou de l’abus d’alcool est énorme par rapport aux autres pathologies psychiatriques.
Les grands mouvements qui ont structuré la prévention contre les addictions ont été les suivants. Dans les années 1980/1990, la lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie était déléguée à des associations et au secteur médicosocial car la lutte contre les fléaux sociaux dominait dans les représentations de la population et des pouvoirs publics. La DGS gérait donc les centres de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie.
Les années 2000 ont permis le développement d’une approche plus scientifique autour de la reconnaissance des addictions. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, anciennement Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), avec Nicole Maestracci, a défendu ce concept. Nous avions mené un travail avec Philippe Parquet sur les pratiques addictives, suite au rapport Roques remis à Bernard Kouchner. Ces années étaient celles de la dopamine en nucleus accumbens, de l’imagerie cérébrale, de l’instauration de structures de soins dans les hôpitaux. En 1996/1998, les Équipes de Liaison et de Soins en Addictologie (ELSA) ont été constituées grâce à des crédits destinés aux équipes de liaison Toxicomanie. Des équipes de liaison Alcool puis Addictologie ont été créées. Toutefois, l’alcool est celui qui a toujours été le plus mal traité, notamment pour des raisons sociologiques.
Dans les années 2010, pour les pouvoirs publics, les professionnels et pour la population dans son ensemble, l’addiction est devenue une maladie de société. Les professionnels s’accordent sur la stratégie de réduction des risques et des dommages mais il faut une dizaine d’années pour que les acteurs se regroupent.
Les années 2020 seront celles de la révolution numérique. Cette dernière permet de renforcer la connaissance et les actions des usagers et des patients. Elle valorise d’autres acteurs de première ligne que les addictologues. La télémédecine démultiplie l’offre de services liés à la pratique. Elle permet d’optimiser les parcours de soin. Les recherches sur les Big Data et l’intelligence artificielle aideront à mieux connaître les comportements addictifs.
Laurent Karila s’est interrogé sur ce que pouvait apporter l’e-Santé. Le Canada investit beaucoup d’argent et utilise beaucoup les outils déjà disponibles en la matière. En France, nous sommes assez en retard par rapport à d’autres pays.
Dans ce domaine, l’apport le plus classique est celui de l’aide téléphonique, qui fonctionne bien en France et ailleurs pour assurer l’entraide, comme pour le tabac. Il est possible de proposer trois niveaux de sites et de plateformes internet :
• les sites informationnels et anonymes, éventuellement animés par des pairs et complétés par des forums d’entraide ;
• les sites incluant des experts (infirmiers, éducateurs, psychologues, patients experts validés...), visant la population des très grands consommateurs, afin d’évaluer leur niveau de consommation, les aider à revenir à des consommations non nocives ou pour les accompagner dans un parcours de soins qui est extrêmement compliqué ;
• les sites de télémédecine, de téléconsultation, de télésoins.
Un quatrième niveau serait celui de l’intégration dans les dispositifs territoriaux.
Aux Pays-Bas, des sites fonctionnent déjà bien pour l’auto-assistance. Les données ne sont pas communiquées aux assureurs. Aux États-Unis, la psychiatrie est le deuxième champ le plus développé en matière de télémédecine, après les accidents vasculaires cérébraux. L’amélioration des résultats enregistrés est importante si la télémédecine s’ajoute à une prise en charge classique. Cette nouvelle voie est encouragée aux États-Unis en raison du Treatment Gap.
En France, les psychologues utilisent déjà la télémédecine, pour des consultations en ligne. Les sites de prise de rendez-vous se développent. Pour la psychiatrie et l’addictologie, une start-up agit en téléconsultation et en développant les outils complémentaires nécessaires, grâce à 150 psychiatres, dont 10 ou 20 addictologues.
Les applications mobiles sont très nombreuses mais peu évaluées. Celles qui fonctionnent le mieux disposent d’un forum d’entraide associé. Les applications qui ne sont pas complétées par un parcours de soins ou soutenues par des liens avec un professionnel ou une association sont abandonnées assez rapidement par les patients. Lorsque ces applications sont évaluées dans le cadre de projets de recherche (ACHESS), elles font la preuve de leur efficacité sur de nombreux paramètres. Les applications ont toutes la même architecture : bouton panique, informations, tableau de bord, entraînement aux habitudes, liens vers les groupes de patients, réponses rapides, forums de discussion. Ces applications sont peu nombreuses à être disponibles en français. Elles sont davantage dédiées au tabac qu’à l’alcool.
Différents objets connectés existent, qui assurent la mesure de la transpiration dans le cadre de situations pénales. Des éthylomètres connectés sont disponibles notamment pour les entreprises, disposant de systèmes de reconnaissance faciale. L’expérimentation de l’éthylomètre antidémarrage s’élargit. L’on peut regretter qu’il ne s’agisse que d’équipements punitifs et non éducatifs/préventifs dans les voitures. Ce matériel existe et ne coûte pas très cher. Les conducteurs pourraient ainsi s’entraîner à évaluer leur état interne lorsqu’ils sont à 0,2 g/l ou à 0,5 g/l. Ces outils peuvent être intégrés aux différentes applications et réseaux de soins.
Sur les réseaux sociaux, nous travaillons beaucoup avec le groupe « Je ne fume plus », qui regroupe 15 000 personnes. Les principes de fonctionnement sont de qualité. Le groupe réunit des psychologues et tabacologues, qui forment des modérateurs compétents dans le maniement des traitements de substitution, des médicaments, etc. Ces communautés d’entraide fonctionnent bien pour le tabac et moins pour l’alcool.
Globalement, ces outils fournissent une évaluation populationnelle et épidémiologique, par exemple pour les admissions à l’hôpital suite à des troubles liés à l’alcool selon les régions. Il est ainsi possible de disposer d’une vue plus précise des dommages liés à l’alcool, dans le cadre de la coordination des parcours sur les territoires numériques de santé. En la matière, la France est en retard par rapport au Royaume-Uni, où différents indicateurs permettent de savoir si les personnes sont suivies, à quel moment elles ont démarré leur traitement.
L’e-santé est principalement constituée de start-ups qui développent leurs idées. La question se pose de l’articulation de ces outils avec les dispositifs de soins. En Chine, la rééducation est effectuée avec des casques de réalité virtuelle. Les chatbots, comme les serious games, se développent pour l’accompagnement mais ne remplaceront jamais la nécessité d’inclure l’humain dans le parcours. La présentation est plus agréable que les tableaux de bord des équipes de recherche. Les casques de réalité virtuelle permettent de mettre en situation de consommation (alcool, cocaïne...) et d’adapter la réponse aux modes de consommation de chacun. Ces outils peuvent parfaitement se greffer sur des dispositifs connectés au sein des réseaux.
En Angleterre, il est possible de consulter son médecin généraliste sur son smartphone. Dans d’autres pays, comme le Pakistan, le chatbot fait lui-même le diagnostic. Les Big Data permettent de prédire notre comportement. Le smartphone sait si nous sommes impulsifs, hésitants, etc. Cette évolution pourrait modifier à terme le paradigme pour les neurosciences, la santé mentale et les addictions. Ces dernières constituent un parfait marqueur du développement technologique de l’internet. La dernière évolution conceptuelle est que tous les outils doivent être présents au sein du smartphone, qui doit éventuellement communiquer avec l’hôpital. En effet, actuellement, 70 % des connexions à internet se font par le biais du smartphone.
Mes recommandations sont les suivantes :
• pour le niveau 1, c’est-à-dire l’information et la prévention et le conseil, il s’agit de créer des plateformes d’information et d’évaluation reposant sur les espaces communautaires interactifs. Sur notre portail Addict Aide, nous avons ouvert une plateforme animée par des patients experts. Il est ainsi possible de disposer d’outils d’auto-évaluation, d’information et de soutien. Le niveau 1 peut être assuré par des associations bénévoles ou légèrement soutenues, afin de répandre largement aides et informations ;
• le niveau 2 est constitué de plateformes d’orientation offrant un téléservice avec des psychologues, des patients experts, des éducateurs de santé. La téléconsultation est assurée par des non-médecins, qui sont plus nombreux et plus faciles à former. Toutefois, il se pose la question de la rémunération. Ces plateformes peuvent être mises en place par les mutuelles, qui font alors payer leur utilisation dans le cadre des contrats d’assurance aux entreprises. Il est aussi possible d’obtenir une tarification dans la zone qui se situe entre la prévention et la pathologie. Des expérimentations pourraient être menées dans le cadre de l’article 51 et l’une des missions de l’État pourrait être de développer les repérages et interventions précoces ;
• le niveau 3 est celui de la prise en charge médicale (télésoins, télémédecine, téléexpertise), grâce aux nouveaux outils accessibles (applications, casque de réalité virtuelle, chatbot...) ;
• le niveau 4 est celui de l’intégration territoriale. La recherche en santé mobile renvoie aux objets connectés, à la réalité virtuelle, aux serious games. Enfin, pour le Big Data, l’enjeu est celui de la création de bases populationnelles.
Dans tous les cas, l’e-santé constituera un échelon supplémentaire de la lutte contre les addictions.
Remis à la Mildeca le 14 mai 2019, le rapport « Addictions : la révolution de l’e-santé » indique que l’e-santé peut apporter une amélioration du service médical rendu dans la prévention, le repérage, le diagnostic et la prise en charge des addictions.

Leviers de prévention en milieu du travail

Les entreprises sont des lieux où la population est captive. Elles peuvent être protectrices ou incitatrices. L’enjeu est de faire passer les entreprises dans des stratégies positives vis-à-vis des addictions. Actuellement, la plupart des entreprises cherchent à repérer l’alcoolique ou le toxicomane le plus tôt possible et de les faire soigner. Il ne s’agit pas de travailler au plan de la prévention. Au cours des 10 à 15 dernières années, les risques psychosociaux ont donné naissance à de grands cabinets ou filiales de grands cabinets. Pour les addictions, quelques petites structures existent. Toutefois, la demande des entreprises est très limitée car ces sujets sont tabous et leur cœur de métier est de produire et non de lutter contre les addictions.
Dans les transports, des stratégies de très grande qualité ont été mises en place, de façon très discrète. Les petites entreprises ne savent pas comment s’y prendre. Pourtant, les bénéfices pourraient être importants car les addictions sont à l’origine d’une part non négligeable des accidents de travail, de trajet, des problèmes de qualité et d’ambiance au travail.
Une étude menée par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) montre que nous connaissons les entreprises les plus à risque en fonction des consommations. Nous savons également quelles actions pourraient être conduites. Dans ce cadre, il apparaît que l’alcoolisme est plutôt un marqueur de niveau social un peu bas chez les hommes et qu’il est un marqueur de niveau social plus élevé chez les femmes. Le cumul des charges mentale, professionnelle et des vulnérabilités individuelles l’explique sans doute en partie.
Pour les ressources humaines, il s’agit d’une problématique propre à l’individu. Pour les représentants syndicaux, les conditions de travail entraînent la souffrance des personnels. Pour les médecins du travail, la stratégie est celle de l’accompagnement des personnes en souffrance car ils ont des difficultés à mener des actions sur les conditions de travail. Les demandes des entreprises portent principalement sur la façon dont le dépistage peut être assuré ou quelles suites peuvent être données après un constat de consommation.
Il convient d’assurer une présentation positive, qui aille au-delà des risques psychosociaux et s’inscrive dans le cadre de la qualité de vie au travail : intérêt de la gestion du capital santé, de la non-transmission de la consommation au sein du foyer... La plateforme de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a établi des préconisations, au sein d’une synthèse de qualité. La bibliographie est accessible. Au sein d’une entreprise, différents facteurs poussent à la consommation, facteurs qui doivent donc être analysés et modifiés. La prévention doit être une stratégie d’entreprise, intégrée dans la qualité de vie au travail. Toutefois, la question financière semble prioritaire pour les entreprises. Je pense qu’il faut développer la prévention en entreprise, d’autant plus qu’elle est rentable.
Il convient de sensibiliser les principaux acteurs, de mettre en place un comité de pilotage avec ces derniers, donner les moyens à ce comité, établir un diagnostic en fonction des problèmes propres à l’entreprise, proposer des solutions et des plans d’action, mobiliser les équipes (fiches, chartes, formations), évaluer les résultats. Ce modèle classique peut être adapté aux addictions. Il me semble qu’il s’agit de l’un des secteurs où de nombreuses actions pourraient être menées. À ce titre, la plateforme RSE est un outil qui peut être mis en valeur.

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