Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool

2021


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Synthèse

Le rapport de la Cour des comptes de 2016 sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool1 souligne la nécessité d’une prise de conscience collective et propose en particulier de développer la recherche et de s’appuyer sur ses résultats. En effet, en France sont comptés actuellement 42,8 millions de consommateurs présentant des profils de consommation différents. Les niveaux de consommation d’alcool en population générale et notamment chez les jeunes demeurent élevés, leurs conséquences sanitaires et sociales restent ainsi une préoccupation de premier plan pour les pouvoirs publics : il est ainsi dénombré 49 000 morts par an pour un coût social estimé à 118 milliards d’euros.
Dans le cadre de la stratégie gouvernementale de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, la Mildeca et le ministère en charge de la Santé ont sollicité l’Inserm pour la réalisation d’une expertise collective qui permette d’actualiser les connaissances scientifiques sur l’alcool (Inserm, 2001 et 2003)2 , ses effets sur la santé, les niveaux et modalités d’usages associés à sa consommation en France ainsi que les stratégies de prévention efficaces.
Les études récentes montrent que toute consommation d’alcool est nuisible pour la santé et qu’il n’y a pas d’effet protecteur contrairement à ce qui a été mis en avant pendant longtemps. C’est pourquoi cette expertise porte sur tous les niveaux de la consommation d’alcool.
Les neuf sections de cette synthèse de l’expertise résument l’analyse de la littérature effectuée par les experts du groupe constitué dans chacune de leur discipline. Cette analyse de la littérature scientifique ainsi qu’une réflexion collective ont par ailleurs permis d’émettre des recommandations. Dans l’ordre sont abordés dans cette synthèse de l’expertise collective, les données récentes sur les niveaux de consommation, les dommages sanitaires et socio-économiques induits y compris ceux spécifiques à la période périnatale, les facteurs de risque de la consommation, puis les aspects liés aux actions de marketing et de lobbying des alcooliers. Suivent des parties consacrées à l’analyse des mesures de prévention primaire de la consommation via l’évaluation de mesures de restriction de l’offre et de la demande, la construction d’un programme d’actions publiques et ses principales mesures, des données récentes sur les actions et les programmes de prévention primaire puis les bénéfices de périodes sans alcool, enfin dans les dernières sections sont abordées la prévention secondaire de la consommation d’alcool et la prise en charge des personnes dépendantes.

Niveaux de consommation d’alcool

La France compte 42,8 millions de consommateurs actuels avec des profils de consommation différents. Or, bien que la consommation d’alcool se révèle ubiquitaire en France comme dans d’autres pays, les niveaux de consommation d’alcool sont très variables, et il est nécessaire de distinguer différentes définitions utilisées pour mesurer la fréquence, le volume et l’impact de ces consommations. Chez les jeunes, sont également mesurées la fréquence des ivresses et celle des épisodes d’alcoolisation ponctuelle importante (API, définie la plupart du temps par 6 verres ou plus en une même occasion).
Compte tenu des données suggérant que les addictions suivent un continuum, les définitions des types de consommation problématique d’alcool ont récemment évolué, les notions précédentes d’abus et de dépendance deviennent le trouble lié à l’usage de l’alcool.
Un type de consommation problématique est identifié dans le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual) comme le trouble lié à l’usage d’un produit psychoactif – dont l’alcool. Ce trouble est identifié par 11 symptômes et peut être léger (2-3 symptômes), modéré (4-5), ou sévère/addiction (6 symptômes ou plus). La multiplicité de termes peut rendre difficile la comparaison des résultats entre études. Dans cette expertise, afin de clarifier le propos, on parlera de consommation à risque (sans dépendance) pour le trouble lié à l’usage de l’alcool et de dépendance (pour les consommations à risque les plus sévères).
Le suivi des niveaux de consommation en France est très documenté grâce au dispositif de suivi des niveaux de consommation de l’alcool, comme d’autres produits psychoactifs. Chez les adultes, les enquêtes Baromètre Santé réalisées par Santé publique France renseignent régulièrement depuis 25 ans la consommation d’alcool habituelle ainsi que la consommation problématique des 18-65 ans. Chez les adolescents, les enquêtes HBSC (Health Behavior in School-Aged Children) de l’Organisation mondiale de la santé ainsi qu’ESPAD (European School Project on Alcohol and Other Drugs) et ESCAPAD (Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l’Appel de Préparation À la Défense) réalisées par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) depuis les années 2000 et pour les deux premières fusionnées récemment dans le dispositif EnClass renseignent le niveau de consommation d’alcool des jeunes de 12 à 17 ans de manière régulière (tous les 2 à 4 ans).
Ces études de suivi montrent que l’adolescence (12-18 ans) est la période au cours de laquelle les jeunes expérimentent pour la première fois l’alcool. Les chiffres de l’étude EnClass et de l’enquête ESCAPAD concordent : à la fin de l’adolescence, la consommation régulière (10 fois ou plus dans le mois) concerne entre un jeune sur dix en classe de seconde et un jeune sur quatre en terminale, et environ 8 % des jeunes de 17 ans en France, tandis qu’entre 40 et 50 % déclarent avoir eu au moins une Alcoolisation Ponctuelle Importante (API) et 16 % au moins trois API dans le mois précédant l’enquête. Ces chiffres bien qu’élevés en valeurs absolues et par rapport à ceux observés dans d’autres pays européens, sont en net recul par rapport à la période 2008-2014. Concernant les trajectoires de consommation, il semblerait que parmi les jeunes (avant 18 ans) qui ont une consommation à risque, environ 25 % poursuivent le même type de consommation au moment de l’entrée dans la vie adulte.
Les alcools les plus fréquemment consommés par les adolescents sont les alcools forts (whisky, vodka – entre 70 et 80 % de ceux qui déclarent avoir bu dans le mois précédent en ont consommé), suivis par la bière (environ 70 %), le champagne (moins de 60 %) puis le vin (plus de 50 %). Les jeunes qui déclarent boire de l’alcool le font majoritairement le week-end (90 %), avec des amis (90 %), chez eux ou chez des amis (65 %). La proportion de ceux qui déclarent consommer des boissons alcoolisées dans un bar/restaurant ou en discothèque a nettement baissé au cours du temps (entre 2005 et 2017, respectivement de 36 à 29 %, et de 32 à 19 %).
En moyenne, au cours de l’adolescence les garçons consomment toujours plus d’alcool que les filles mais le ratio entre les sexes a diminué au cours du temps, en particulier pour l’expérimentation (sex-ratio en 2017=1,02), l’usage dans l’année (1,07), et l’usage dans le mois (1,11), ou encore l’API dans le dernier mois (1,30). Les garçons ont, en revanche, toujours tendance à avoir des niveaux plus élevés de consommation régulière, c’est-à-dire 10 fois ou plus dans le mois (sex-ratio en 2017=2,62), ou de présenter des API répétées, c’est-à-dire 3 fois ou plus dans le mois (1,99) ou des API régulières, c’est-à-dire 10 fois ou plus dans le mois (4,28).
La bière (27 % de la consommation hebdomadaire) et le vin (24 %) sont les alcools les plus consommés chez les jeunes adultes (après 18 ans) en France. Outre le type d’alcool consommé, les recherches récentes menées dans différents pays industriels ont décrit la diffusion de la consommation de mélanges entre alcool et boissons énergisantes. En parallèle, la consommation d’alcool mélangé à des sodas light semble s’être répandue, notamment aux États-Unis. Ce type de mélanges présente des risques particuliers, les boissons énergisantes masquant le goût de l’alcool et diminuant ses effets somnifères, ce qui peut entraîner une augmentation de la consommation. Il est à noter qu’en France ce type de pratique n’est pas renseigné dans les enquêtes en population générale et on ne dispose pas de chiffres concernant sa fréquence.
La consommation d’alcool chez les adultes en France est d’environ 27 g d’alcool pur (c’est-à-dire la quantité d’alcool consommée indépendamment de la boisson) par personne et par jour d’après les dernières estimations. On estime qu’environ 23 % de la population auraient une consommation à risque ponctuel selon le score AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test) et environ 7 % une consommation à risque chronique ou présentant la possibilité d’une dépendance. En 2014, les prévalences estimées de consommation à risque dans la cohorte CONSTANCES étaient les plus élevées pour les sujets de moins de 35 ans : 30,7 % d’entre eux avaient un usage dangereux de l’alcool. Dans ce groupe d’âge, les étudiants semblent particulièrement à risque de fortes consommations d’alcool. Comme chez les adolescents, chez les jeunes adultes, la consommation d’alcool chez les femmes a augmenté et le sex-ratio a diminué en conséquence, ce qui est concordant avec les résultats d’études menées dans d’autres pays industrialisés.
Une forte proportion de consommation à risque d’alcool chez les personnes de plus de 50 ans : 69 % des 55-64 ans et 62 % des 65-75 ans consomment plus de 2 verres d’alcool par jour, et respectivement 80 et 81 % consomment de l’alcool plus de 5 jours par semaine, et au total respectivement 13 et 14 % des femmes et 35 et 37 % des hommes dans ces groupes d’âge dépassent les repères de consommation problématique (plus de 2 verres d’alcool par jour ou plus de 5 jours de consommation par semaine).
Depuis 2013, les niveaux de consommation d’alcool des personnes de plus de 50 ans ont augmenté, et notamment les niveaux d’API et de consommation à risque d’alcool. La consommation des personnes de plus de 50 ans pose des problèmes médicaux spécifiques, notamment en raison de la présence de comorbidités et de traitements médicamenteux.
Si la tendance concernant la transformation des modalités de consommation d’alcool en France – avec une évolution de la consommation quotidienne vers une pratique plus ponctuelle, mais marquée par un niveau de consommation qui peut être important – se confirme, la surveillance des consommations d’alcool des personnes de plus de 50 ans et leurs effets éventuels sur la santé, seront à renforcer.
Dans notre pays, les données sur la fréquence de consommation pendant la période périnatale sont disponibles de façon irrégulière et sommaire quant aux modalités de consommation. En France, en 2010, environ 20 % des femmes disaient avoir bu de l’alcool durant leur grossesse et 2,5 % avoir bu 3 verres ou plus en une occasion.
La consommation de boissons alcoolisées durant la grossesse a diminué au cours des dernières décennies. La période du début de grossesse, notamment celle où les femmes ignorent qu’elles sont enceintes, est sensible ; 8 % des femmes ont eu au moins 1 fois des consommations fortes occasionnelles en début de grossesse. Environ 7 % des femmes ont consommé des boissons alcoolisées pendant l’allaitement. La consommation est plus fréquente dans les groupes sociaux les plus favorisés et plutôt par des femmes plus âgées.

Dommages sanitaires et socio-économiques

Mortalité et coût social de l’alcool en France versus l’envergure économique du secteur

La consommation d’alcool est la 7e cause de perte d’années de vie (en bonne santé) ajustée sur l’incapacité dans le monde en 2016. L’analyse des données du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) de 2012 montre que la consommation d’alcool est la première cause d’hospitalisations en France.
L’alcool est une drogue, une molécule cancérigène et toxique pour de nombreux organes dont la toxicité est relayée en partie par son métabolite, l’acétaldéhyde. Sa consommation est responsable directement ou indirectement d’une soixantaine de maladies et l’alcool est retrouvé dans 200 items de la Classification internationale des maladies (CIM-10) utilisée dans le PMSI. Les effets de l’alcool sur la santé dépendent de la quantité et de la fréquence des consommations ainsi que du profil des consommations (épisodique, chronique). La consommation d’alcool est responsable d’une morbi-mortalité importante et constitue un des principaux facteurs responsables de la perte d’années de vie en bonne santé. Le risque de morbi-mortalité lié à l’alcool est plus élevé chez les femmes comparativement aux hommes.
Les derniers chiffres de la mortalité attribuable à l’alcool en France sont ceux de 2015. Ils sont de 41 000 décès dont 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes, soit respectivement 11 % et 4 % de la mortalité des adultes de quinze ans et plus. Ils comprennent 16 000 décès par cancers, 9 900 décès par maladies cardiovasculaires, 6 800 par maladies digestives, 5 400 pour une cause externe (accident ou suicide) et plus de 3 000 pour une autre maladie (maladies mentales, troubles du comportement, etc.). La mortalité attribuable à l’alcool par classe d’âge est de 7, 15 et 6 % respectivement pour les 15-34, 35-64 et 65 ans et plus. Ces données de mortalité ont pu être calculées grâce à l’estimation de la consommation d’alcool à partir d’un échantillon représentatif de 20 178 individus français âgés de 15 ans et plus interviewés sur leurs habitudes de consommation par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Cependant, il existe un décalage entre la consommation d’alcool rapportée dans cet échantillon (11 g/j) et les données sur les ventes d’alcool (27 g/j en 2009) qui amène à une correction de la consommation déclarée d’alcool d’un facteur de 2,4. L’étude de sensibilité (prenant en compte l’écart de la consommation déclarée, la perte ou le gaspillage de l’alcool mis sur le marché) indique alors que cette incertitude contribue à une estimation des décès attribuables à l’alcool en 2015 comprise entre 28 000 et 49 000. Lorsque l’on prend on compte cette incertitude pour toutes les années, il est difficile de comparer l’évolution des chiffres de mortalité dans le temps. Ainsi la mortalité attribuable à l’alcool était estimée à 49 000 en 2009, 33 000 en 2006, 45 000 en 1995 et 52 000 en 1985.
La proportion de décès attribuables à l’alcool chez les hommes et les femmes est plus élevée en France comparativement à d’autres pays européens. Les chiffres de 2009 concernant la mortalité attribuable à l’alcool en France indiquent un effet néfaste de l’alcool dès les faibles niveaux de consommation (entre 1 et 1,5 verre d’alcool par jour). Les risques de morbi-mortalité sont supérieurs chez les femmes comparativement aux hommes. Concernant la mortalité due à la maladie du foie liée à l’alcool, le risque de mortalité est augmenté pour des consommations très faibles (dès le premier verre).
Il existe une association statistiquement significative entre les ventes d’alcool et la mortalité liée aux cancers dans la plupart des pays et qui persiste après correction de la consommation de tabac. Une étude parue en 2017 a analysé le lien entre les tendances des consommations d’alcool dans 17 pays et la mortalité liée aux cancers. Par exemple, les auteurs montrent une corrélation avec une diminution (pour la France), une stagnation (en Angleterre) ou une augmentation (pour la Roumanie) à la fois des ventes d’alcool et de la mortalité due aux cancers de la cavité buccale, du pharynx et du larynx.
Concernant le coût de la consommation d’alcool, les pays du modèle continental, ayant un système de protection sociale proche du nôtre, perdraient 1 % de PIB chaque année (de 0,54 % à 1,49 %). Les études américaines, canadiennes, françaises et écossaises réalisées entre 1997 et 2002 montrent une certaine régularité de la charge économique que représente l’alcool par rapport à la richesse de ces pays développés (environ 1 % des PIB respectifs). Toutefois, les derniers travaux français font état d’un coût social de l’alcool en France bien supérieur : 6 % du PIB en 2010. Cette inflation serait due au renchérissement de la valeur statistique de la vie française ainsi qu’à une amélioration du système d’information permettant de mieux recenser les coûts attribuables à l’alcool.
Estimé à 118 milliards d’euros en 2010 en France, le coût social de l’alcool se compose principalement de coûts liés à la mortalité (66 milliards d’euros) et à la morbidité (39 milliards d’euros) attribuables. Lorsque les retraites non versées du fait de la mortalité et les recettes fiscales sur les produits de l’alcool sont prises en compte dans le solde des finances publiques, ce dernier présente un déficit de 3 milliards d’euros. L’alcool ne rapporte donc rien à l’État, il ampute les finances publiques. De plus, dans ce dernier exercice d’estimation du coût social, certains éléments, comme le syndrome d’alcoolisation fœtale et la prise en charge ambulatoire et hospitalière, ne sont pas ou mal pris en compte, signifiant en cela que le coût social de l’alcool pourrait être encore plus important qu’actuellement estimé.
De l’analyse coût-bénéfice de l’alcool en France, il ressort que la satisfaction monétarisée retirée de la consommation d’alcool et des profits des producteurs en France ne parvient pas à dépasser le coût des pathologies et de la mortalité. De même, les profits réalisés dans le secteur alcoolier français grâce à des positions monopolistiques n’existent pas : les marchés domestique et international apparaissent plutôt concurrentiels laissant à penser à une profitabilité « normale » du secteur. Alors que la consommation d’alcool a nettement diminué en France ces soixante dernières années (figure 1Renvoi vers), traduisant une contraction du marché, la concurrence internationale gagne effectivement des parts de marché. Le secteur alcoolier français mettait en avant encore dans les années 2000 une employabilité importante : près de 800 000 emplois directs et indirects étaient recensés sur le territoire métropolitain. Aujourd’hui, le secteur en revendique 500 000, soit 300 000 emplois de moins en une quinzaine d’années. Avec 4 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles, l’alcool semble être un contributeur important aux deniers publics, mais au vu de la fiscalité particulière appliquée sur les produits du vin, le système fiscal en vigueur ne maximise pas les potentialités de recettes.
1 : Quantité d’alcool consommé par habitant âgé de 15 ans et plus et par an depuis 1961 (en litres équivalents d’alcool pur)
Au final, l’alcool engendre un coût social très élevé et représente un secteur économique important mais en perte de vitesse. Un espace économique semble ainsi se dessiner où d’un côté, des politiques volontaristes de lutte contre la consommation d’alcool viseraient à minimiser le coût social de l’alcool en France et où d’un autre, seraient préservés des savoir-faire et l’identité de certains territoires.

Conséquences sur la santé des niveaux de consommations faibles d’alcool

Les cancers du sein, de la cavité orale, de l’oropharynx, de l’hypopharynx et colorectal contribuent le plus aux nouveaux cas de cancers attribuables à l’alcool. La plus grande proportion de cancers causés par l’alcool concerne l’œsophage et le foie. C’est le cancer de l’œsophage qui présente la plus grande fraction attribuable à l’alcool (57,7 %). Chez les hommes, ce sont les cancers de la cavité orale et du pharynx qui sont les plus nombreux. Alors que les hommes consomment plus d’alcool que les femmes, l’incidence des cancers attribuables à l’alcool est similaire entre hommes et femmes à cause du nombre important chez ces dernières de nouveaux cas de cancers du sein. Les niveaux de consommation d’alcool faible, modéré et fort sont responsables respectivement de 1,5, 1,3 et 4,4 % des nouveaux cas de cancer. Les anciens consommateurs comptent pour 0,6 % des nouveaux cas de cancer. Les niveaux de consommation faibles à modérés contribuent largement aux nouveaux cas de cancers en France en 2015 (figure 2Renvoi vers). Les niveaux de consommation faibles à modérés contribuent largement aux nouveaux cas de cancer du sein alors que les niveaux de forte consommation contribuent au cancer du foie.
2 : Nouveaux cas de cancers en fonction du niveau de consommation chez les hommes et les femmes en 2015
On constate que la réduction de 10 % de la consommation d’alcool aurait permis d’éviter 2 178 [IC 95 % : 1687-2601] nouveaux cas de cancers en 2015 en France. Or, il faut rappeler que la France est un des États membres qui a ratifié un des objectifs du plan d’action de l’OMS sur les maladies non transmissibles qui vise à diminuer justement la consommation d’alcool de 10 %. Une autre étude, réalisée en Australie, suggère que l’arrêt de la consommation d’alcool ou la diminution brutale sur 5 ans de la consommation d’alcool au niveau des repères de recommandations nationales, permettraient respectivement d’éviter 4 % ou 2 % des cancers sur une période de 25 ans.
Environ 8 % de tous les nouveaux cas de cancer sont liés à l’alcool et la consommation à des niveaux faibles à modérés contribue particulièrement à ce fardeau sanitaire. En effet, en 2018, les nouveaux cas de cancer attribuables à différents niveaux de consommation d’alcool en France en 2015 ont été estimés et l’impact d’une diminution de 10 % de la consommation d’alcool a été mesuré. Pour cela, une période de latence de 10 ans a été choisie pour le délai entre l’exposition et le diagnostic. Les niveaux de consommation d’alcool utilisés (figure 2Renvoi vers) correspondent aux niveaux de risque de consommation de l’OMS : faible (moins de 20 g/j pour les femmes et moins de 40 g/j pour les hommes), modéré (20 à 40 g/j pour les femmes et 40 à 60 g/j pour les hommes), fort (40 g/j ou plus pour les femmes et 60 g/j ou plus pour les hommes). Les résultats montrent que 27 894 [IC 95 % : 24 287-30 996] ou 7,9 % de tous les nouveaux cas de cancer sont attribuables à l’alcool.
La consommation même faible d’alcool est associée à un risque augmenté de cancers du sein indépendamment de la consommation de tabac. Une analyse portant sur 53 études avec 58 515 femmes présentant un cancer du sein a été une des premières à le révéler. L’étude anglaise « un million de femmes » montre un excès d’incidence de 15 pour 1 000 cas de cancer à chaque augmentation d’un verre standard par jour, 11 pour 1 000 étant des cas de cancer du sein. Cette augmentation du risque de certains cancers due à la consommation de faibles niveaux d’alcool chez les femmes est démontrée dans de nombreuses études, dont certaines précisent que c’est le cancer du sein qui contribue fortement à cette augmentation. En Angleterre, l’augmentation de la consommation d’alcool observée pendant la dernière décennie a été proposée comme un facteur déterminant dans l’augmentation de 30 % de l’incidence du cancer du sein (36 509 en 2003 versus 55 122 en 2015). La consommation d’alcool est associée à l’augmentation du risque de plusieurs cancers dont le cancer du sein à des doses aussi faibles que 10 g d’éthanol pur soit un verre par jour. Les recherches sur le seuil de consommation d’alcool à partir duquel un risque significatif de mortalité liée à l’alcool toute cause apparaît, convergent vers le seuil de 10 verres par semaine (soit moins de 1,5 verre par jour). Les nouvelles données sur les risques encourus dès les faibles niveaux de consommation d’alcool ont incité plusieurs pays, dont la France, à revoir leurs recommandations et à fixer des « repères » acceptables et crédibles scientifiquement. Il est frappant de constater que les résultats des études scientifiques convergent vers ce repère des dix verres standards par semaine et deux verres standards par jour.
De potentiels effets « protecteurs » des faibles niveaux de consommation ont été rapportés dans des études sur des effets de l’alcool qui dépendent de la quantité consommée et qui suivraient une courbe en « J ». Cependant, même si ces effets protecteurs existaient, ils seraient sans commune mesure par rapport à la mortalité globale causée par la consommation d’alcool. Les effets « protecteurs » à la base du célèbre « french paradox » sont en fait dus à des problèmes méthodologiques dans les études et en particulier à la présence de nombreux facteurs de confusion dont les plus critiques sont la définition du groupe témoin et le caractère déclaratif des consommations d’alcool. Une méta-analyse regroupant plus de 4 millions de personnes a montré que lorsque les ex-consommateurs sont exclus du groupe de référence et lorsque les études sont contrôlées pour leur qualité, aucune association de type courbe en J pouvant laisser croire à des effets « protecteurs » n’est obtenue, chez les sujets présentant un faible niveau de consommation d’alcool (1,3 à 24,9 g d’éthanol par jour soit moins de 2,5 verres standards par jour). Sur les 87 études retenues dans cette méta-analyse, 65 incluaient les ex-consommateurs dans le groupe de référence des abstinents, 50 incluaient les consommateurs occasionnels et seulement 13 étaient exemptes de ces biais de classification des abstinents. Cette dernière méta-analyse est une des rares à avoir analysé non seulement les facteurs confondants habituels mais à avoir aussi analysé l’influence du design (la construction) des études. Elle montre assez clairement que la prise en compte de la plupart des facteurs de confusion (tabac, origine ethnique ou raciale, abstinents, valeurs aberrantes, etc.) explique sur le plan statistique la diminution du risque de mortalité chez les consommateurs avec les faibles niveaux de consommation (les effets « protecteurs » à la base du célèbre « french paradox »). De la même manière, cette étude montre aussi que le design des études influence le risque et que, seules, les études de meilleure qualité ne montrent aucune réduction du risque (figure 3Renvoi vers). Il a cependant été souligné que cette méta-analyse pourrait avoir exclu plusieurs études de qualité et la validité de la méta-analyse a été remise en cause par des auteurs dont certains ont déclaré des conflits d’intérêt.
Des études utilisant de nouvelles méthodologies comme la randomisation mendélienne confirment cette hypothèse de l’absence des effets « protecteurs ». Ce type de méthodologie ne tient pas compte des consommations déclarées, mais permet de catégoriser les personnes en fonction des polymorphismes des gènes codant les enzymes de dégradation de l’alcool et donc d’estimer le niveau de consommation d’alcool. Les études utilisant ce type de méthodologie, et en la comparant à la méthodologie classique, démontrent sur une même population que les courbes en « J » disparaissent et deviennent linéaires montrant ainsi l’absence d’effets « protecteurs ».
Au total, des nouvelles données et des nouvelles méthodologies appliquées à l’étude de l’association entre consommation d’alcool et risques pour la santé ont fait avancer l’état des connaissances notamment sur les faibles niveaux de consommation d’alcool. Le niveau de consommation d’alcool pour lequel le risque de dommages est minimal est donc de zéro verre standard par semaine. Au niveau international, différentes institutions du champ de la cancérologie ont modifié leur message depuis quelques années en précisant qu’il n’existe pas de niveau de consommation d’alcool sans risque et que ne pas boire est la meilleure option pour prévenir le cancer. De plus, de potentiels effets « protecteurs » de l’alcool ne peuvent plus aujourd’hui être mis en avant car même si ces potentiels effets « protecteurs » existaient, d’une part lorsque les risques sur la santé sont appréciés de manière globale, ces effets seraient très largement compensés par les effets délétères de l’alcool. D’autre part, ils seraient obtenus pour des consommations ne dépassant pas les nouveaux repères de consommation construits autour de la notion de risque faible pour la santé. Enfin, de nombreux experts s’accordent et recommandent de ne pas conseiller d’initier une consommation d’alcool, même faible, à des fins supposées d’amélioration de santé chez des non-consommateurs. Les nouvelles données sur les effets des faibles niveaux de consommation doivent nous interpeller sur la nécessité de renforcer les messages d’information, de sensibilisation et de prévention. La réduction de la consommation d’alcool même lorsque les niveaux sont déjà faibles à modérés permettrait d’éviter un nombre non négligeable de décès et de diminuer l’incidence de certaines pathologies.
3 : En haut : Estimation des risques relatifs de la mortalité toute cause chez les buveurs avec des faibles niveaux de consommation comparativement aux abstinents vie-entière avec ou sans covariables dans 81 études. En bas : Estimation des risques relatifs de la mortalité toute cause chez les buveurs avec des faibles niveaux de consommation comparativement aux abstinents vie-entière après contrôle des caractéristiques des études par le choix des études

Dommages spécifiques à la période périnatale

Prévalence du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF),
repérage des enfants atteints et formation des professionnels

En Europe, la prévalence du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) est estimée à 37 pour 10 000 personnes, ce qui en fait la région à prévalence la plus élevée au monde. En France, il n’y a pas d’estimation globale disponible et les données d’EUROCAT (Registre européen pour la surveillance épidémiologique des anomalies congénitales) montrent qu’il existe de grandes différences selon les régions couvertes par les registres d’anomalies congénitales. L’évolution des connaissances en neuro-développement a conduit à une extension de la définition du syndrome, de SAF à ETCAF (pour Ensemble des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale). Le repérage des enfants concernés peut être tardif, jusqu’à 6 ans ou plus, rendant difficile la distinction entre le rôle de l’exposition in utero et celui de l’environnement familial précoce.
Pour le repérage des enfants atteints et la prise en charge, il existe des enjeux professionnels, de la néonatologie à la médecine générale, et une grande complexité diagnostique. Les progrès dans le domaine des biomarqueurs directs ont été importants ces 2 dernières décennies ; les plus performants pour attester de l’exposition prénatale à l’alcool (EPA) sont des marqueurs sur le méconium. Les travaux doivent se poursuivre pour améliorer ces biomarqueurs qui peuvent être nécessaires à des fins de surveillance, dans des sous-groupes spécifiques, ou à des fins de recherche. Il est difficile de préconiser une généralisation de l’usage de ces tests, à la lecture des connaissances disponibles. Les professionnels de la pédiatrie sont diversement formés au repérage des enfants atteints. Hormis des cas extrêmes et rares, l’identification des atteintes liées à l’EPA nécessite des examens cliniques détaillés, dès la naissance et aux étapes-clés du développement, par des pédiatres formés en première ligne et/ou des professionnels qualifiés en neuro-développement. Ces enfants porteurs de plusieurs troubles (de l’apprentissage, du comportement, sensoriels...) ne peuvent pas aujourd’hui tous bénéficier de prises en charge rééducatives à l’âge adéquat qui pourraient réduire les dommages liés à l’alcoolisation fœtale.
Les équipes soignantes, organisées en réseaux de santé périnatale ou réseaux de pédiatrie, doivent entretenir les connaissances et les formations de leurs membres pour optimiser ces repérages et prises en charge spécifiques. Outre les médecins, des psychomotricien/nes, psychologues, puériculteurs/trices, ergothérapeutes et éducateurs/trices sont partie prenante de ces équipes et doivent bénéficier et contribuer à cette formation et sensibilisation. Les enfants atteints peuvent grandir dans des familles vulnérables ou au niveau de vie précaire ou bien être confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance. Leur handicap lié aux TCAF peut se cumuler avec les pathologies plus fréquentes dans ce contexte (pathologies chroniques, obésité, malnutrition, par exemple).
Le risque lors de la période qui précède la grossesse est encore mal documenté et les connaissances scientifiques limitées : y a-t-il une période où les comportements en matière de consommation d’alcool des adultes qui voudraient devenir parents sont dangereux pour l’embryon et le fœtus ? Quelle serait la durée de cette période ? Et y a-t-il un risque pour le futur fœtus concernant l’alcoolisation du père dans la période qui précède la conception ? Ces questions sont soulevées par certaines données d’observation mais il est nécessaire de poursuivre les recherches (étiologie, biochimie, etc.) avant de formuler des messages de prévention précis et fondés sur des preuves scientifiques.
Parce que le cerveau se révèle d’une grande complexité biologique et son développement et son fonctionnement à l’âge adulte sont étroitement contrôlés par des mécanismes épigénétiques, il est nécessaire de s’attarder dans les dommages spécifiques à la période périnatale sur les troubles de l’alcoolisation fœtale et son impact épigénétique sur le cerveau.

De nouvelles avancées grâce à l’impact des données en épigénétique

Les données épigénétiques ouvrent des possibilités diagnostiques et thérapeutiques ainsi qu’en termes de prévention et de réduction des risques liés aux consommations à risque. Les mécanismes épigénétiques ont un rôle dans le développement du cerveau via leurs capacités à rendre accessibles ou non certains pans de l’information génétique contenue dans l’ADN et de permettre ainsi à la cellule « d’exprimer » ou non tel ou tel gène. L’accessibilité à l’information génétique contenue dans l’ADN est gérée par un enroulement de cette longue molécule de façon plus ou moins serrée, ce qui conduit à l’exposition de parties de cette molécule (et donc de gènes). Les machineries cellulaires sont alors capables de lire cette information, de la transcrire et de la traduire en protéines ou, au contraire, œuvrer à sa compaction. L’ADN s’enroule autour d’une unité de base qui est constituée par un petit complexe protéique (le nucléosome, composé d’histones). C’est un code de « décorations » chimiques de ces histones (acétylation, méthylation, phosphorylation, etc.), ainsi que la méthylation de l’ADN lui-même, qui vont déterminer la nature plus ou moins compacte de l’enroulement. L’ensemble de ces « décorations » chimiques sont appelées « marques épigénétiques ». Ces marques peuvent être transmises d’une cellule mère à une cellule fille, au cours des divisions cellulaires (c’est la mémoire épigénétique). Ce sont ces codes qui permettent d’ouvrir ou de fermer certains programmes d’expression de gènes cruciaux pour le développement du cerveau dans des fenêtres de temps très précises.
Il est tentant d’imaginer qu’en jouant sur l’activité des enzymes impliquées dans le dépôt de ces marques sur le génome, on pourrait effacer ces marques et retourner à une conformation normale de la chromatine, et de l’expression de ces gènes. Le problème n’est pas simple car il ne suffit pas d’exciser les marques aberrantes, mais aussi de favoriser le dépôt des marques normales, physiologiques. De façon importante, les mécanismes épigénétiques sont réversibles et cette réversibilité pourrait être l’objet de voies thérapeutiques. Toutes les étapes du développement du cerveau sont sous contrôle très étroit de mécanismes épigénétiques et l’activité neuronale elle-même est capable de modifier les marques épigénétiques.
Toute dérégulation des mécanismes épigénétiques au cours du développement du cerveau est susceptible d’augmenter le risque de développer des maladies neuropsychiatriques. Que ce soit en raison de mutations des acteurs épigénétiques, capables de déposer des marques épigénétiques, de les exciser, ou de les « lire » et de les « interpréter », ou bien suite à l’exposition à des agressions environnementales au stade fœtal, périnatal ou adulte. Parmi ces agressions, l’exposition prénatale à l’alcool (EPA) est une cause majeure d’anomalies neurodéveloppementales car elle est capable d’endommager toutes les étapes du développement du cerveau. Ces défauts contribuent à un large spectre de déficits dont la sévérité est variable, répertorié sous le nom de ETCAF.

EPA, ETCAF et perturbations épigénétiques : vers des biomarqueurs
d’exposition ou de pronostic ?

L’alcool perturbe les mécanismes épigénétiques de diverses manières : en altérant la disponibilité des « décorations » déposées sur les histones ou l’ADN, en modifiant l’abondance ou l’activité des enzymes qui les déposent ou les enlèvent et celle des acteurs épigénétiques qui les lisent et les interprètent ; en conséquence, l’alcool perturbe les mécanismes épigénétiques en modifiant l’épigénome, c’est-à-dire le profil des marques épigénétiques à l’échelle du génome.
La détermination des perturbations épigénétiques induites par l’EPA est cruciale à la fois pour comprendre au niveau moléculaire les effets de l’EPA sur l’épigénome et sur l’expression des gènes ou pour identifier des biomarqueurs d’EPA chez les jeunes enfants. En effet, les ETCAF sont très difficiles à diagnostiquer en raison de leur complexité. La détection des femmes enceintes à risque pour leur consommation d’alcool reste compliquée et restreinte (et celle de leur père l’est encore plus) et l’historique d’EPA reste souvent inconnu. Une perspective réside également dans le fait d’identifier des stratégies thérapeutiques visant à inverser (reverse) le dépôt de marques épigénétiques aberrantes, pour normaliser l’expression des gènes dans le cerveau après EPA. Les techniques de détection des marques épigénétiques ont grandement bénéficié des approches de séquençage à haut débit de l’ADN permettant de détecter la méthylation de l’ADN lui-même ou de cartographier les modifications chimiques des histones à l’échelle du génome. Elles permettront peut-être d’identifier des biomarqueurs d’exposition ou même de pronostic.
Les études restent encore très imparfaites et de nombreux freins existent encore avant de tirer des conclusions pérennes. Les cohortes d’enfants ou de collections d’échantillons biologiques fœtaux ETCAF, sont encore très restreintes et mal caractérisées en termes de données démographiques, de sexe, d’âge, d’ethnicité, de mode de recrutement d’alcoolisation ou de sevrage. Elles ne permettent pas d’exclure l’influence de facteurs génétiques ou de facteurs confondants (comme des problèmes économiques et éducationnels, des abus sexuels et de la maltraitance, une dépression chez la mère, une addiction à d’autres substances psychotropes, etc.). Les modèles animaux ont permis de s’affranchir des facteurs confondants, mais les doses et les modes d’alcoolisation (chroniques ou aigus), les fenêtres de temps après l’alcoolisation sont très divers selon les études et il est difficile d’en tirer des conclusions générales. Néanmoins, il semble que certaines régions géniques ou clusters de gènes porteurs de marques épigénétiques aberrantes suite à l’EPA soient identifiés dans un nombre d’études croissant et constituent des zones d’intérêt avec un vrai potentiel de biomarqueurs. Un autre frein à la détermination de biomarqueurs épigénétiques de l’EPA est l’inaccessibilité du cerveau à des explorations invasives. Cependant, un nombre croissant d’études montrent qu’un parallèle imparfait, mais exploitable, existe entre les perturbations épigénétiques induites dans le cerveau en développement par l’EPA et celles observées dans des tissus périphériques.
Se pose également la question du dépôt précoce de marques épigénétiques après exposition (surtout pour l’EPA) et de leur « persistance » à distance temporelle de l’alcoolisation. En effet, l’immense majorité des investigations de l’épigénome après EPA a été faite chez l’adulte. On ne peut donc savoir si les marques épigénétiques aberrantes observées sont issues de l’EPA et sont persistantes, ou si elles découlent secondairement d’une activité neuronale altérée suite à l’EPA.
Enfin, il manque à la grande majorité des études la démonstration formelle de l’impact fonctionnel de ces perturbations épigénétiques sur l’expression de gènes clés pour le développement et le fonctionnement du cerveau, démonstration nécessaire à leur validation comme biomarqueurs. Une telle validation est techniquement possible à l’avenir grâce aux nouvelles approches dites d’« édition de l’épigénome ». L’ensemble de ces considérations s’applique aussi aux consommations à risque chez l’adulte (lors de la consommation ou du sevrage).
Malgré les progrès accélérés dans ce domaine récent qu’est l’épigénétique et le potentiel thérapeutique que soulève la réversibilité des mécanismes épigénétiques, il existe encore des freins à la définition de stratégies thérapeutiques. Malgré des percées technologiques très prometteuses basées sur les approches d’édition de l’épigénome qui visent à restaurer des marques épigénétiques de façon ciblée sur les régions génomiques concernées, sans en modifier la séquence d’ADN, de telles stratégies sont en effet techniquement et éthiquement très difficiles à mettre en œuvre. Les stratégies de remédiation non médicamenteuses quant à elles, visant à réduire le risque de développer des troubles neurodéveloppementaux ou à améliorer les capacités cognitives et d’interactions sociales des patients ETCAF sont très séduisantes (stratégies d’éducation et d’apprentissage utilisant ou non les jeux vidéo et la réalité virtuelle, thérapie du contrôle cognitif, thérapie langagière et linguistique, etc.). Mais la faible taille et la définition encore imparfaite des cohortes d’une part, et, d’autre part, le nombre restreint d’études de qualité, très éclatées en termes de méthodes mises en œuvre et de qualité des analyses statistiques des résultats, empêchent de tirer des conclusions pérennes sur leurs actions et sur leur impact sur les marques d’épigénétique.

Facteurs de risque de la consommation d’alcool

Les consommations d’alcool, comme d’autres comportements en lien avec la santé, sont multifactorielles, et dues à la fois à des facteurs structurels/collectifs et à des facteurs individuels. Comme de nombreux comportements de santé, les consommations d’alcool sont réparties au sein de la population selon une distribution normale ou quasi-normale, ce qui signifie que pour réduire la consommation excessive il est nécessaire de réduire la consommation moyenne de la population. Néanmoins, la plupart des études sur les facteurs de risque ou de protection ne portent pas sur des consommations moyennes mais sur des consommations plus élevées : importantes, à risque ou problématiques.
Pour les facteurs de risque collectifs interviennent le niveau de développement du pays de résidence (plus il est élevé plus la consommation d’alcool est élevée), la culture relative à l’alcool, le contexte des consommations d’alcool ainsi que le niveau de production, de distribution et de régulation des produits alcoolisés. En particulier, des facteurs tels que la législation relative à la vente d’alcool, le prix des produits alcoolisés, la disponibilité de l’alcool, mesurée notamment par la densité des points de vente ou des boîtes de nuit ou encore les normes relatives à la consommation d’alcool, sont associés aux perceptions positives de l’alcool et aux tendances de consommation. De plus, la publicité et le marketing de l’alcool peuvent influencer les niveaux et modes de consommation (voir la partie « Marketing des produits alcoolisés » de cette synthèse). Il a également été montré que la dégradation des conditions socio-économiques, comme par exemple l’augmentation du taux de chômage peut inciter à la consommation d’alcool sous forme d’alcoolisation ponctuelle importante. Enfin, des caractéristiques sociétales comme le niveau d’équité hommes-femmes ou les discriminations vis-à-vis des personnes appartenant à des minorités ethniques ou sexuelles sont également associées à des niveaux élevés de consommation d’alcool – et en particulier de consommation à risque – à l’échelle de la population.
Au-delà des facteurs collectifs, des caractéristiques familiales ou relatives à l’entourage des personnes, peuvent également influer sur les consommations d’alcool.
Concernant les facteurs de risque familiaux/environnementaux, de nombreuses recherches documentent l’excès de risque de consommation problématique d’alcool chez les personnes qui ont des antécédents familiaux de problèmes liés à l’alcool. Chez les adolescents, les difficultés socio-économiques ou psychologiques au sein de la famille ou encore l’absence de supervision parentale, les conflits familiaux et l’exposition à la violence intrafamiliale ainsi que la proposition d’alcool par les parents sont associés aux consommations des jeunes. Enfin, la consommation d’alcool par les pairs est également un facteur de risque de consommation établi, ce qui peut en partie être dû au fait que les jeunes intéressés par la consommation d’alcool s’entourent d’autres jeunes qui ont les mêmes centres d’intérêt. Si chez les adolescents, la consommation d’alcool est un comportement de groupe, chez les adultes, au contraire, les recherches montrent que c’est plutôt l’isolement relationnel qui induit un risque élevé d’avoir une consommation problématique d’alcool.
Parmi les facteurs de risque individuels associés à la consommation d’alcool, en particulier la consommation à risque, il faut citer en premier lieu les facteurs génétiques. Les études estiment qu’entre 50 et 70 % du risque d’addiction à l’alcool est héritable, en effet la probabilité d’avoir une consommation problématique est plus importante parmi les jumeaux monozygotes que parmi les jumeaux dizygotes. Certains gènes associés à une augmentation ou une diminution du risque de consommation problématique d’alcool ont été identifiés (par exemple ALDH2), mais globalement la susceptibilité aux problèmes d’alcool semble partagée avec d’autres formes de conduites addictives, en lien avec les gènes qui déterminent les systèmes de neurotransmetteurs (par exemple les systèmes dopaminergique, opioïdergique, GABAergique, sérotoninergique, cholinergique, glutamatergique). Néanmoins il est à noter que parmi les SNP (Single Nucleotide Polymorphism) identifiés à ce jour, aucun n’explique plus de 1 % du risque de consommation problématique d’alcool. Dans l’ensemble, l’importance des facteurs génétiques augmente avec l’âge jusqu’à 25 ans environ et semble plus importante dans un contexte permissif. De plus, les facteurs génétiques interagissent avec les expériences de vie et les caractéristiques de l’environnement de vie des personnes, et les recherches actuelles examinent en détail les mécanismes épigénétiques qui pourraient contribuer aux difficultés relatives à la consommation d’alcool (voir la partie « De nouvelles avancées grâce à l’impact des données en épigénétique » de cette synthèse).
Au-delà des facteurs génétiques, de nombreuses caractéristiques des expériences vécues par les personnes ou de leurs traits de caractère, sont associées à la consommation d’alcool. Il est utile ici de distinguer les facteurs de risque individuels identifiés dès l’adolescence. Ainsi, parmi les facteurs les plus fortement associés aux problèmes de consommation d’alcool, on trouve les expériences de maltraitance ou d’abus sexuels – particulièrement au cours de l’enfance.
Par ailleurs, une orientation homosexuelle ou bisexuelle est également associée à des niveaux de consommation d’alcool élevés dès l’adolescence et tout au long de l’âge adulte – particulièrement chez les jeunes filles et les femmes et ce probablement en partie du fait des discriminations subies et de certains modes de vie plus volontiers communautaires (rencontres dans des bars ou des lieux de convivialité, réunions, regroupements de militants d’associations, etc.). Les hommes homosexuels ou bisexuels sont également plus à risque que les hommes hétérosexuels d’avoir une consommation élevée de boissons alcoolisées particulièrement dès l’adolescence. La différence est toutefois moins importante que pour les femmes.
Parmi les facteurs psychologiques, les problèmes de comportement, ainsi que l’impulsivité/faible maîtrise de soi ont été identifiés comme étant associés aux conduites addictives dont les consommations problématiques d’alcool. C’est également le cas de la recherche de sensations qui peut induire l’expérimentation précoce et le désinvestissement scolaire. Les données concernant le rôle de problèmes émotionnels sont moins concordantes, néanmoins des études ont rapporté que des symptômes d’anxiété prédisent les consommations d’alcool. Par ailleurs, des recherches récentes soulignent l’effet prédicteur de difficultés de sommeil – endormissement tardif ou problèmes de sommeil. Enfin, il a été observé au cours des dernières années que la consommation de boissons énergisantes prédit la consommation d’alcool – conjointe ou non, sans que l’on ne sache à ce jour si cette relation est causale.
Par ailleurs, des facteurs de risque spécifiques à l’âge adulte ont été observés et concernent les facteurs psychologiques, l’hostilité et plus généralement l’affectivité négative et les symptômes de dépression/anxiété. Alors que les liens entre situation sociale et consommation d’alcool chez les adolescents sont complexes, on observe des inégalités sociales marquées dans ce domaine chez les adultes que l’on prenne en compte les difficultés socio-économiques auto-rapportées ou le fait d’être au chômage. Enfin, parmi les conditions de travail, certaines sont associées à la probabilité de boire de l’alcool de manière excessive, notamment un nombre important d’heures de travail (48 h ou plus/semaine), le fait d’être en contact avec le public, et des facteurs psychosociaux défavorables (faible soutien au travail, conflits, harcèlement). Enfin, certaines activités de loisirs, et notamment l’utilisation importante des réseaux sociaux pourraient également être associées à des consommations d’alcool – et d’autres produits – élevées.
Les facteurs de protection des consommations d’alcool peuvent également se situer à un niveau collectif, familial ou individuel. Les principaux facteurs de protection collectifs sont le prix de l’alcool, la régulation du nombre et de la concentration de lieux de vente, la réduction des horaires de vente et le respect de l’interdiction de vente aux mineurs. Enfin, pour les adolescents, l’accès – physique et financier – à des activités sociales et récréatives favorables à la santé est associé à une diminution des consommations problématiques d’alcool et d’autres substances psychoactives. À l’échelle des familles, le soutien parental et le soutien aux parents et à la parentalité semblent très efficaces pour prévenir ou réduire les consommations d’alcool chez les jeunes. À l’échelle individuelle, l’investissement dans la scolarité ou dans des activités sociales et récréatives favorables à la santé (artistiques, sportives) semble protecteur. Enfin, le développement de capacités de coping (par exemple l’estime de soi, la possibilité de gérer des conflits), ou encore la spiritualité et la pratique religieuse sont des facteurs protecteurs d’importance.

Marketing des produits alcoolisés

Afin de faire évoluer les tendances de consommation à l’échelle de la population, les politiques publiques visant à réduire l’accès à l’alcool ont montré leurs preuves d’efficacité – notamment chez les jeunes – et mériteraient d’être renforcées, notamment autour du marketing des produits alcoolisés.
Les outils classiques du marketing (les 4 « P » : produit, prix, publicité, place – accès aux produits) sont mobilisés par les producteurs d’alcool pour inciter une cible large à acheter et à consommer leurs marques.
Des techniques commerciales spécifiques sont par ailleurs déployées pour toucher des profils particuliers de consommateurs : les jeunes, qui représentent l’avenir de la consommation d’alcool (ciblage avec des produits aromatisés, prix faible, vente à l’unité, publicité digitale, etc.), et les femmes, sous-consommatrices par rapport aux hommes (ciblage avec des produits légers en alcool, arômes fruités, soutien de causes féminines, etc.). En France et selon l’observatoire Kantar Media, une pige3 des investissements publicitaires des alcooliers réalisée pour Santé publique France, il est estimé que les budgets publicitaires des marques d’alcool, qui ne représentent qu’une partie des dépenses marketing, s’élèvent respectivement à 454,6, 369,2 et 208,5 millions d’euros en 2016, 2017 et 2018.
Des travaux scientifiques menés à partir des années 2000 ont analysé l’effet du marketing de l’alcool sur les jeunes. Ces études ont particulièrement étudié l’impact de la publicité qui en est une composante. La très grande majorité des recherches résumées dans trois revues de la littérature révèlent un lien positif et significatif entre l’exposition au marketing et à la publicité pour des produits alcooliques, les attitudes puis les comportements d’alcoolisation des jeunes (initiation pour les non-consommateurs, augmentation de consommation pour les jeunes consommateurs).
Ainsi, au-delà de l’influence des pairs, des parents, de la culture, l’état actuel de la recherche indique que le marketing des industriels de l’alcool joue aussi un rôle pour expliquer les comportements d’alcoolisation de cette population.
En conséquence, et afin de protéger les mineurs, les acteurs de la santé nationaux et internationaux recommandent de réguler les pratiques commerciales de l’industrie alcoolière. Pour ce faire, certains pays ont opté pour l’autorégulation : les industriels et/ou leurs représentants (syndicats, etc.) proposent des codes de bonne conduite qu’ils s’engagent à suivre en matière de communication publicitaire envers les mineurs. Il est aujourd’hui établi dans la littérature que cette solution n’est pas efficace pour protéger les jeunes du marketing de l’alcool. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de pays s’engagent dans la mise en place de lois, à l’instar de la France, précurseur en la matière en 1991 avec la loi Évin régulatrice des publicités pour les boissons alcoolisées (entre autres).
Or il s’avère que dans sa version actuelle, la loi Évin protège peu les mineurs de l’exposition à la publicité des marques d’alcool, en particulier sur certains supports (publicités et promotions dans les supermarchés, internet, affichage dans la rue, etc.). Différentes raisons expliquent ce constat. En premier lieu, la loi Évin n’est pas toujours respectée : la justice condamne régulièrement des publicités jugées illégales. En second lieu, cette règlementation a été considérablement modifiée et affaiblie depuis sa mise en place en 1991 sous l’effet du lobbying des producteurs d’alcool (l’affichage partout et la publicité sur internet sont désormais autorisés), ce qui explique qu’elle ne remplit pas pleinement son rôle de protection de la jeunesse.
Au-delà du marketing et de la publicité classiques, les producteurs d’alcool investissent internet, média très fréquenté par les jeunes. Les formats publicitaires digitaux des marques d’alcool sont protéiformes : sites de marque, réseaux sociaux, e-mails, concours, stories, etc. Sur internet, les chercheurs distinguent les contenus commerciaux qui émanent des producteurs d’alcool (sites, soutien affiché à des événements, recours à des célébrités), des messages pro-alcool diffusés par des tiers et/ou des internautes. Dans ce dernier cas, il n’est pas rare de voir des bars, discothèques, festivals, événements sportifs, internautes ou groupes d’internautes propager des messages favorables aux marques d’alcool ou à l’alcool en général. Sans lien officiel déclaré entre les diffuseurs de ces messages et les producteurs d’alcool, il est très difficile de dire si le contenu publié est réalisé dans un cadre personnel ou d’un parrainage rémunéré.
Par ailleurs, une des spécificités du marketing digital est d’inciter les internautes à s’engager et à interagir avec les publications des marques d’alcool. Cette interaction et cet engagement se font via le dépôt de commentaires, des partages, des « likes », des inscriptions à des jeux concours, etc. On parle le cas échéant d’utilisateurs « actifs » (ils s’engagent personnellement : ils twittent, re-twittent, « likent », commentent, postent et partagent du contenu pro-alcool) à l’inverse des internautes « passifs » (qui ne font que recevoir des contenus pro-alcool via les messages de leurs pairs, des publicités sur leur fil d’actualités, etc.).
Des recherches ont été menées sur l’effet de ces différents formats publicitaires sur internet, qu’ils émanent ou non officiellement des producteurs d’alcool, et qu’ils engagent ou non les internautes. Quatre synthèses de la littérature ont été publiées sur l’influence du marketing digital de l’alcool. La très grande majorité des travaux recensés établit un lien positif et significatif entre l’exposition à des contenus pro-alcool sur internet puis l’envie de consommer, la consommation déclarée actuelle ou passée, la banalisation des alcoolisations excessives et les problèmes rencontrés par les jeunes avec l’alcool. Ces recherches n’ayant généralement pas analysé le sens de ces associations, de futures études sont à mener afin de les caractériser plus précisément.
Les travaux académiques les plus récents ont analysé en particulier l’effet des messages pro-alcool diffusés officiellement par des internautes (et non par les producteurs d’alcool), partant du constat que si les jeunes sont critiques vis-à-vis des techniques commerciales déployées par des marques d’alcool sur internet et y participent rarement, ils sont plus réceptifs et s’engagent plus volontiers face à des contenus émis par des pairs. Les résultats de ces études, peu nombreuses pour le moment, suggèrent que s’engager soi-même dans la diffusion de messages pro-alcool (en comparaison avec la participation au marketing des producteurs) aurait un impact plus important sur sa consommation de boissons alcoolisées et serait favorable à l’image et l’identité des participants. De plus, être exposé à des messages et des commentaires pro-alcool diffusés par des pairs influencerait la norme perçue par rapport à la consommation d’alcool vers une banalisation.
Les particularités d’internet rendent délicate la régulation des publicités diffusées sur ce média. Le système des barrières d’âge existe : il consiste à bloquer l’accès aux sites de marque d’alcool ou à leurs réseaux sociaux dès lors que l’internaute se déclare mineur. Des études ont montré que ce dispositif est peu efficace car les jeunes mentent souvent sur leur âge pour accéder aux contenus digitaux qui les intéressent.
Certains pays se sont dotés de lois très précises sur le volet marketing digital de l’alcool. C’est le cas de la Finlande qui a adopté en 2015 une règlementation qui précise que toutes les formes de sollicitations marketing pour engager les internautes sont interdites (incitation à « liker », à poster des commentaires, à réagir sur les réseaux sociaux des marques, à s’inscrire à des concours, jeux, tirages au sort, etc.), que ces incitations émanent des industriels de l’alcool et/ou de partenaires commerciaux (bars, discothèques, influenceurs payés, etc.). Cette loi est intéressante car elle assimile les formes modernes de publicités sur internet, mais elle pose toutefois la question de la traçabilité des liens entre les producteurs d’alcool et des émetteurs de messages pro-alcool.

Lobbying de la filière alcool

La littérature concernant le lobbying de la filière alcool s’est développée à partir des années 2000. Elle analyse les stratégies, techniques et arguments mobilisés pour influencer les décideurs politiques dans un sens favorable aux intérêts commerciaux de ces firmes.
Différentes formes d’organisations ont été identifiées en tant qu’acteurs du lobbying en faveur de l’alcool. Il s’agit des producteurs d’alcool, des associations professionnelles (syndicats, représentants de filières), des organismes de relations publiques à caractère « social » financés par l’industrie de l’alcool (« SAPRO » en anglais : Social Aspects and Public Relations Organisations) dont les missions affichées sont de mener des campagnes de prévention et/ou de promouvoir la consommation responsable d’alcool, et tout autre acteur qui, à court, moyen ou long terme, s’associe à la filière alcool pour empêcher la mise en place d’une règlementation (secteur de l’hospitalité, médias, agences de publicité, de marketing, distributeurs, etc.).
Les travaux publiés explorent les stratégies déployées par ces différentes organisations pour empêcher, atténuer, retarder ou retirer des mesures adoptées ou envisagées par des gouvernements ou l’OMS et identifiées comme les plus coûts efficaces telles que la hausse des taxes, un prix minimum par unité d’alcool, la régulation de la publicité, la restriction de l’accès aux produits alcooliques (vente dans certains réseaux de distribution), etc. Une revue de la littérature montre que la filière alcool se positionne de façon spécifique pour influencer les décisions politiques. Les acteurs de la filière se positionnent comme des partenaires clefs de la prévention et des acteurs économiques responsables (diabolisés à tort par les acteurs de la santé) et dédramatisent les méfaits du produit en mentionnant qu’ils touchent une minorité de la population et que la consommation modérée de ce produit apporte des bénéfices sur la santé. En conséquence, les mesures proposées par ces acteurs du lobbying pour résoudre le problème reposent sur l’éducation à la modération, des interventions ciblées sur les publics à risque (femmes enceintes, jeunes, etc.), alors qu’ils se montrent hostiles aux mesures qui touchent l’ensemble de la population (taxes, régulation du marketing, etc.).
Il est intéressant de constater la similarité entre les stratégies et les arguments de lobbying identifiés dans la littérature internationale et ceux adoptés par les acteurs de la filière alcool en France (producteurs, syndicats, organismes de relations publiques à caractère « social » financés par l’industrie de l’alcool).
Une partie des travaux recensés sur le lobbying est consacrée en particulier à l’implication de la filière alcool dans la recherche scientifique. Les outils identifiés pour ce faire sont multiples : des créations d’instituts de recherche financés par les producteurs d’alcool, un financement en direct de centres universitaires et de chercheurs, la réalisation de recherches en interne (sur les bénéfices de la consommation d’alcool sur la santé par exemple) ou en lien avec des sociétés d’études de marché puis la diffusion d’informations « scientifiques » dans le but de toucher des cibles variées (politiques, journalistes, acteurs de la santé, grand public, etc.) à travers des colloques, des rapports et/ou les sites internet de la filière alcool.
Les motivations des compagnies alcoolières à s’immiscer dans le monde académique sont de trois ordres : 1) publier des travaux pour peser sur les débats sociétaux en confrontant les résultats de leurs propres recherches à ceux défavorables à l’alcool ; 2) donner du crédit aux résultats des recherches financées par l’alcool et publiées par des chercheurs ; 3) collaborer avec le monde universitaire, toucher ainsi des leaders d’opinion scientifiques et améliorer l’image de l’industrie de l’alcool auprès de ces publics.
Des biais et des risques de dérives engendrés par l’implication de l’industrie de l’alcool dans la recherche ont été mis à jour. Il s’agit de biais méthodologiques, de l’orientation des thèmes de recherche financés par la filière alcool (les travaux soutenus portent sur les parcours individuels alors que les facteurs environnementaux sont « oubliés »), de l’émergence d’un sentiment de réciprocité de la part des chercheurs financés puis d’un manque de transparence sur les travaux publiés et financés par la filière alcool.
Des recherches se sont également intéressées à la façon dont la filière alcool tente, en particulier, de contrer les régulations du marketing de l’alcool mises en place ces dernières décennies dans certains pays et préconisées par l’OMS. Une revue systématique a été publiée sur ce thème. Elle révèle l’existence de cinq axes stratégiques déployés par la filière alcool afin d’infléchir les décisions sur les régulations marketing : 1) la diffusion d’informations sur le sujet en faveur de l’alcool (via des rencontres directes ou indirectes avec les décideurs, des collaborations avec les gouvernements, des publications qui omettent et/ou réfutent la littérature scientifique sur l’impact du marketing sur les jeunes) ; 2) la constitution de groupes d’intérêts et d’alliances pour peser contre la mesure (groupes d’influence internes et/ou externes à la filière alcool) ; 3) la proposition de mesures alternatives à la régulation du marketing (autorégulation, programmes de responsabilité sociale des entreprises et d’éducation au goût de l’alcool des plus jeunes) ; 4) recours à des lois (remise en cause de la légalité de la mesure, mobilisation de textes internationaux pour contrer la mesure locale) ; 5) incitations/dissuasions financières (arrêt des financements dans le sport, financement de partis politiques hostiles à la régulation du marketing, cadeaux).
Outre ces stratégies, les chercheurs ont également identifié les arguments mobilisés par l’industrie de l’alcool pour contrer les régulations du marketing. Ils sont de plusieurs types : 1) la mesure est jugée inutile et redondante (l’autorégulation existe déjà) ; 2) il manque des preuves sur son efficacité ; 3) elle entraînera des conséquences économiques négatives (emploi, attractivité du pays) ; 4) la réduction des dommages liés à l’alcool est un problème complexe qui ne peut se résoudre par la régulation du marketing.
Ces différents arguments ont été retrouvés dans les discours diffusés dans les médias britanniques par la filière alcool à propos de la loi Évin au moment où l’Irlande et l’Écosse se posaient la question d’adopter une réglementation similaire (régulation du marketing finalement votée en Irlande en 2018).
Enfin, certains chercheurs ont constaté une similitude entre les stratégies et arguments de lobbying de la filière alcool et celles des compagnies de tabac pour tenter d’influencer les décisions politiques. Cela a été constaté sur le plan des stratégies globales, de l’implication dans la recherche et de l’opposition aux régulations du marketing.

Prévention primaire

Construction et principales mesures d’un programme d’actions publiques

Avec un coût social estimé à 118 milliards d’euros imputable à la consommation d’alcool, certains dénoncent les inégalités de traitement des différents produits des dépendances. Les politiques publiques actuelles ne sont pas le reflet de la dangerosité du produit « alcool ». Souvent, le poids économique du secteur et la force du lobbying alcoolier sont mis en avant pour expliquer cette spécificité de l’alcool : le marché français n’y échappe pas, que ce soit sur le marché intérieur ou à l’exportation. On voit alors se dessiner l’un des obstacles majeurs au développement d’une politique publique de lutte contre les dommages liés à l’alcool : le clivage entre santé publique et économie.
Une politique nationale ambitieuse et cohérente entre ces deux extrêmes est-elle possible ? Pour dépasser cette opposition se dessine une approche en termes de réduction des risques et des dommages liés à la consommation d’alcool. Plus précisément, l’analyse critique de la littérature existante permet de déterminer que premièrement, les mesures les plus coût-efficaces sont : les politiques de contrôle de l’offre et de la demande ; les interdictions de la publicité ; les politiques de lutte contre l’alcool au volant ; des mesures complémentaires spécifiquement à destination des mineurs. Deuxièmement, la situation des pays concernant l’adoption de lignes directrices (guidelines) est très variable selon les pays (en avoir ou non, spécifiques à l’alcool ou englobées dans une approche plus générale des addictions ou de la nutrition, etc.) mais il semble que leur impact soit d’autant plus important qu’il y a une communication importante sur les raisons qui les motivent et notamment le lien entre alcool et cancer. Troisièmement, la littérature sur les avertissements sanitaires est assez consensuelle sur le fait que l’on manque d’études d’impact sur l’apposition de messages ou de pictogrammes de prévention sur les contenants et qu’il faudrait développer les recherches en la matière. Néanmoins, on peut retenir que l’apposition des avertissements sanitaires doit s’inscrire dans une stratégie globale et cohérente, avec les quelques éléments suivants : les avertissements semblent échouer à toucher les consommateurs d’alcool les plus à risque ; les messages spécifiques (par risque, par type d’alcool, par sexe, etc.) seraient plus efficaces que les messages universels ; une rotation des messages est nécessaire pour éviter l’accoutumance et la perte d’efficacité ; la taille, l’emplacement, voire la couleur mériteraient d’être réétudiés ainsi que dans la perspective d’un étiquetage nutritionnel. Enfin, cet étiquetage ne doit pas être laissé au volontariat de l’industrie alcoolière mais doit être l’objet d’une politique publique contraignante, obligatoire et uniforme.
Quatrièmement, des recommandations consensuelles émergent de la littérature comme développer un plan global qui combine de manière cohérente plusieurs types de mesures coût-efficaces ; augmenter les moyens de la recherche, de l’enseignement et de la prévention sur l’alcool ; réguler obligatoirement et non laisser de l’auto-régulation (volontariat) en matière de prévention et d’avertissements ; former tous les types de professionnels concernés, notamment au repérage précoce et à l’intervention brève (RPIB) (voir la partie « Intervention brève » de cette synthèse).
En revanche, les débats restent ouverts sur le type d’approche la plus pertinente (ciblée sur l’alcool ou générale sur les addictions, ciblée ou universelle, individuelle ou collective), ainsi que sur l’intérêt de s’inspirer de ce qui se fait pour d’autres substances et en premier lieu pour le tabac (alcoolisme passif [les effets de la consommation d’alcool sur l’entourage du consommateur], convention internationale, etc.).
Enfin, il existe un certain nombre d’éléments nécessaires à la construction de ces politiques de réduction des risques et des dommages liés à l’alcool, comme le fait de mener un large débat social et politique ; chercher à agir sur les aspects cognitifs et culturels ; la nécessaire volonté politique de maintenir la cohérence des messages et des politiques publiques face à un lobby puissant ; le fait à la fois d’inscrire les mesures dans la durée et de trouver les moyens de rendre leur mise en œuvre effective ; le fait de construire cette approche globale en mettant le système de soins et les professionnels de santé au cœur de la réflexion et de l’action publique.

Actions sur la restriction de l’offre/demande et les prix

Les politiques de contrôle de l’offre et de la demande font partie des principales mesures coût-efficaces d’un programme d’actions publiques (cf. ci-dessus). De leur évaluation proposée par la littérature scientifique, il ressort que les mesures de restriction de l’offre et de la demande d’alcool sont des moyens efficaces de limitation de l’usage d’alcool.

La limitation de l’offre d’alcool

Ainsi, en matière de limitation de l’offre d’alcool, trois mesures phares ont été mises en œuvre et évaluées dans différents pays et permettent une mise en relief de la situation française. La restriction du nombre de débits de boissons alcoolisées s’effectue par les conditions avec lesquelles de nouveaux débits de boissons alcoolisées peuvent s’établir en un territoire donné. Alors qu’en France de fortes prérogatives sont actuellement en faveur d’une décision unilatérale des maires et des préfets, avec une législation qui vient de s’assouplir concernant la migration des licences IV à destination des aires touristiques, en Angleterre, la décision d’octroi de licence est multipartite. Ce sont en effet des commissions composées de différentes parties prenantes à l’installation de débits de boissons qui donnent ou non leur aval à de nouvelles implantations. Ces procédures ont pour effet de modifier la sociologie des tenanciers de débits de boissons et de mettre à l’agenda de la décision d’autorisation d’ouverture de fortes préoccupations d’ordre public. Il ressort également que, depuis l’instauration de ces commissions, le nombre d’admissions à l’hôpital en lien avec l’alcool a diminué dans les aires géographiques dont ces commissions ont la charge. De la même façon, en France, les maires et les préfets fixent par arrêtés les heures d’ouverture et de fermeture des débits de boissons à emporter ou à consommer sur place dans la limite de la législation nationale. Des différences territoriales existent ainsi concernant les heures de fermeture des débits de boissons. Différentes expériences étrangères de restriction ou au contraire d’élargissement des plages horaires de vente d’alcool éclairent l’impact que ces modifications peuvent avoir en termes d’usage d’alcool et de dommages associés. Que cela soit aux Pays-Bas, en Allemagne, en Norvège, en Suisse ou encore en Australie, la littérature scientifique, exploitant différentes méthodologies d’évaluation, s’accorde sur l’intérêt, sur des indicateurs de santé et d’ordre publics (baisse des consommations, diminution des agressions violentes, baisse des alcoolémies routières...), de restreindre les plages horaires de vente d’alcool, à emporter ou à consommer sur place.
Les bénéfices à limiter les consommations d’alcool des plus jeunes sont aussi clairement documentés. Les interdictions de vente d’alcool aux mineurs sont associées à une plus faible accidentologie routière, à de plus faibles consommations d’alcool et à de moindres conséquences négatives de l’usage d’alcool chez les adolescents et jeunes adultes. Des recherches tendent à montrer également les bénéfices sanitaires à long terme que produiraient de telles interdictions. Les preuves scientifiques de l’intérêt des limites d’âge élevées en matière d’accès à l’alcool sont donc aujourd’hui indubitables.
En ce sens, l’augmentation progressive de l’âge légal d’accès à l’alcool en France apparaît judicieuse.
Il n’en reste pas moins que ces mesures d’interdiction doivent être respectées. Les vendeurs d’alcool néerlandais, sur place ou à emporter, ont bénéficié de formations sur cette problématique et ont été dotés d’outils de vérification de l’âge des clients qui les ont aidés à implémenter une telle mesure. Les travaux évaluatifs montrent ainsi une amélioration constante du respect de la loi de vente d’alcool aux mineurs depuis quelques années aux Pays-Bas. Il n’empêche que certains travaux soulignent également l’intérêt d’une sanction dissuasive ainsi que l’intérêt de contrôles fréquents.

La limitation de la demande d’alcool

En matière de limitation de la demande d’alcool, ce sont bien les mécanismes fiscaux qui sont les plus largement mobilisés et évalués à l’international, et en Europe en particulier.
Il s’agit d’augmenter le prix des boissons alcoolisées, à travers une augmentation des taxes et des droits d’accises les frappant, dans le but que les consommateurs restreignent leur achat et donc leur consommation. La littérature scientifique s’intéresse ainsi aux impacts des augmentations des prix des boissons alcoolisées dans leur intensité, dans les catégories de population les plus à mêmes d’être sensibles à ces variations de prix, et finalement à leur impact en termes de santé publique. Des travaux en la matière, il ressort que les individus sont effectivement sensibles aux variations de prix des boissons alcoolisées. Collectivement, les individus se révèlent très sensibles aux variations des prix des spiritueux, sensibles aux variations du prix du vin et un peu moins à celles des prix des bières. Malgré ces différences, quand les prix augmentent les individus consomment moins.
L’élasticité-prix de la demande d’alcool diffère néanmoins selon les individus. Dans les derniers travaux en la matière, les jeunes apparaissent comme moins sensibles aux augmentations des prix des boissons alcoolisées et en particulier, les plus intensifs dans leur usage d’alcool, et ce, même si la taxe s’applique sur des types de boissons visant les jeunes consommateurs comme les ready-to-drink. Les jeunes et principalement les jeunes consommateurs intensifs mettent ainsi en place des stratégies de contournement des augmentations de taxes : ils cherchent à minimiser leur dépense pour chaque gramme d’alcool en diminuant la qualité des alcools achetés par exemple. Les consommateurs intensifs adultes auraient les mêmes stratégies que les jeunes. Les derniers travaux concluent que les gros consommateurs répondent aux augmentations des prix en substituant les produits en fonction de leur prix. Ils se dirigent tendanciellement vers des dépenses maximisant les unités d’alcool par prix payé soit en achetant plus souvent à emporter qu’à consommer sur place, soit en achetant des marques d’alcool moins cher.
Que certaines catégories de population soient nettement moins sensibles que d’autres aux augmentations de prix ne disqualifie certainement pas l’outil fiscal en tant que politique de santé publique. Cela implique tout au plus de conduire de plus amples recherches, entre autres, sur la façon dont l’industrie de l’alcool favorise les effets de substitution entre les produits d’une part, et sur la façon dont les mécanismes et designs fiscaux pourraient les limiter d’autre part. Concernant ce dernier point, tout un pan de la littérature s’attache à étudier les effets d’une taxation du gramme d’alcool pur ou de l’imposition d’un prix minimum aux boissons alcoolisées. Il est conclu des expériences et des évaluations internationales que le design fiscal importe : les politiques fondées sur un prix plancher et en particulier l’imposition d’un prix minimum par unité d’alcool sont enclines à réduire la consommation et la morbi-mortalité associée à l’alcool, aussi bien en population générale que chez les populations jeunes et celles dont l’usage d’alcool est intensif. En France, un tel mécanisme fiscal s’applique déjà sur le sucre ajouté aux boissons non alcoolisées, mécanisme qualifié de « taxe soda ». Il apparaît donc possible de mettre en place un tel système concernant les unités d’alcool contenues dans les boissons.

Mécanismes des actions de prévention : messages, comportements

Des campagnes d’information et/ou de sensibilisation sont régulièrement conduites dans de nombreux pays. Le plus souvent, les concepteurs de ces campagnes tablent sur la modification de ce que les individus ont en tête (croyances, motivations, savoirs, attitudes) pour changer les opinions et les comportements. Il a été montré que les résultats obtenus en matière de changements, notamment comportementaux, sont rarement satisfaisants lorsque les concepteurs de campagne tablent sur l’information et sur la persuasion. Même si cela ne signifie pas qu’informer ou argumenter ne sert à rien.
L’information et l’argumentation permettent au fil du temps, de modifier les savoirs, les attitudes et de provoquer des prises de conscience. Mais cette dernière n’est pas un levier de changement. Des interventions efficaces en termes de réduction de la consommation d’alcool sont, par conséquent, nécessaires. Dans ce sens, les avertissements sanitaires imposés aux alcooliers représentent une mesure intéressante sur le plan de la santé publique car ils ne coûtent rien aux États contrairement aux campagnes de prévention dans les médias qui sont onéreuses dès lors qu’elles couvrent le territoire national. De plus, la littérature a montré que sous certaines conditions de format et de contenu, ces messages sont efficaces sur les différentes variables de la persuasion (augmentation de la connaissance des risques, mémorisation, effet sur les intentions de consommation d’alcool, etc.). En France, ces messages, combinés à d’autres mesures, sont une opportunité pour augmenter la connaissance de la population sur les risques liés à la consommation d’alcool – risques pour certains peu connus : cancer du sein, maladie cardiovasculaire, etc. et faire évoluer les comportements d’alcoolisation.
Des méta-analyses montrent qu’un changement de l’intention, estimé entre moyen à fort, produit un changement de comportement estimé entre faible et moyen. Ainsi, il faut que les interventions produisent les plus grands changements dans les intentions, pour produire des changements de comportements. En outre, le changement d’intention n’est pas un bon prédicteur du changement de comportement lorsque ce dernier est mesuré environ trois mois après la mesure de l’intention.
Il est important d’identifier les facteurs de risque relatifs aux traits de personnalité (impulsivité, etc.) et aux évolutions thymiques (dépression, anxiété) afin de comprendre leurs interactions pour construire des programmes d’intervention préventifs et curatifs.
Le guide de la roue du changement de Michie décrit les différentes étapes pour résoudre un problème de comportement : de l’identification du problème (choix des priorités en fonction de la pertinence et de la capacité à faire changer, quoi changer, quand, et qui doit changer), à l’identification de l’intervention et du comportement. D’une manière générale, les chercheurs s’accordent à dire qu’il manque dans les études sur l’adhésion aux recommandations sur les risques de la consommation d’alcool la référence à des théories du changement d’attitude et aux techniques du changement de comportements afin que les recommandations en faveur de la réduction de la consommation d’alcool soient le plus efficaces possible. Pourtant certaines techniques sont particulièrement efficaces, par exemple : fournir un feedback sur sa propre performance (par exemple : par affichage graphique de la consommation en mentionnant l’équivalent d’argent dépensé ou le nombre de calories ingérées), susciter l’engagement, la comparaison sociale permettent de réduire la consommation. Ou encore, favoriser la formulation de plans spécifiques (par exemple sous la forme de mise en œuvre : « où, quand, comment ? » ou sous la forme « si... alors »).
Les chercheurs ont comparé l’effet des mises en œuvre de ces plans générés par les professionnels (par exemple : l’expérimentateur ou le thérapeute) aux plans élaborés par les participants eux-mêmes. Les mises en œuvre sont généralement plus efficaces lorsqu’elles sont dirigées par un professionnel. Lorsque l’on vise des interventions de changement de comportement à grande échelle, il est préférable de combiner des mises en œuvre avec d’autres stratégies comme l’utilisation d’un formulaire d’aide à la volonté ou « Volitional Help Sheet » où l’individu choisit le type de réalisation qu’il souhaite mettre en œuvre. La construction d’une mise en œuvre peut être efficace lorsqu’elle est incorporée dans une intervention brève. On conclut à l’efficacité des implémentations dans la réduction de la consommation d’alcool avec de plus faibles consommations dans le mois qui suit l’intervention.
Peu d’études ont évalué l’élaboration de normes perçues à l’adolescence alors que les normes sociales perçues de la consommation d’alcool sont de solides prédicteurs de cette même consommation chez les adolescents. On relève une augmentation importante des normes descriptives (se conformer aux comportements d’autrui) et injonctives (approuver la consommation d’alcool) pendant l’adolescence et qui augmentent encore avec l’âge. Les résultats suggèrent, par conséquent : 1) la nécessité d’interventions ciblant les normes perçues de consommation d’alcool au début et au milieu de l’adolescence vécue comme une période dynamique dans l’étude des normes de consommation d’alcool. Les programmes de prévention devraient inclure des feedbacks sur les normes injonctives pour en améliorer l’efficacité ; 2) que les stratégies comportementales de protection (« Protective Behavioral Strategies » ou PBSs) c’est-à-dire les comportements que les individus peuvent réaliser afin de limiter les conséquences négatives de la consommation d’alcool sont susceptibles de réduire les méfaits de l’alcool en diminuant la quantité totale d’alcool consommée.
L’utilisation de la technologie persuasive, qui vise à l’innovation comportementale, en suscitant un changement souhaitable en renforçant le comportement et/ou l’attitude, se développe aujourd’hui avec succès (e-health, M-health). Cela dans pratiquement tous les domaines de la santé et du bien-être (sites web, messages sur appareils mobiles, etc.). Des applications visant à diminuer la consommation d’alcool sont développées avec succès à condition d’utiliser des outils validés par les théories du changement de comportement (« Digital Behavior Change Interventions » ou DBCIs). Pour ce faire, il faut utiliser différentes techniques de mesure de l’engagement, de profilage de l’intervention, de communications. Plusieurs échelles permettent de mesurer l’implication ou l’engagement dans les DBCIs.
Finalement, les campagnes d’information classiques n’ont que peu d’effet lorsqu’il s’agit de changer les comportements. Au-delà des principales variables modératrices (par exemple : le milieu social ou les caractéristiques individuelles), le changement se conçoit à l’appui de modèles éprouvés pour rendre plus efficaces les campagnes de communication classiques et aujourd’hui le plus souvent digitales. Sont identifiées, dans cette partie, les principales techniques permettant ces changements ainsi que les effets de résistance possibles entraînant une inertie et une défiance. La diffusion de ces informations qu’elles soient classiques ou digitales ou encore basées sur la persuasion technologique devrait recourir, au moins en partie, à des techniques relevant d’un universalisme proportionné. Autrement dit en permettant l’équité de l’intervention par l’application de mesures universelles à l’ensemble de la population et des mesures destinées à des groupes plus vulnérables.
Pour la prévention des consommations, soit ne pas initier ou interrompre toute consommation de boissons alcoolisées lors des périodes périnatales, il y a de nombreuses difficultés à informer efficacement les femmes concernées enceintes ou qui veulent le devenir. Le « Zéro Alcool » – préconisé par diverses agences sanitaires dans de nombreux pays dont la France – n’est pas appliqué par de nombreuses femmes enceintes. En France, les professionnels de l’obstétrique sont moins vigilants auprès de leurs patientes pour le risque lié à l’alcool que pour celui lié au tabac. Globalement les campagnes de prévention atteignent assez bien leur but en termes d’information – pour ce qui est de la diffusion et des connaissances – mais n’ont pas de réelle efficacité (en quantité ou en durée) sur la réduction de la consommation. Auprès des femmes, les campagnes avec des messages explicites quant au risque médical pour le futur enfant semblent plus dissuasives que des messages positifs d’encouragement à ne pas consommer sans référence au risque fœtal.

Interventions menées dans différents pays et évaluées comme efficaces
pour prévenir la consommation d’alcool : en milieu scolaire,
dans les familles, au travail

Dans le champ des interventions de prévention de la consommation d’alcool, certaines ont montré un bénéfice pour réduire l’expérimentation et/ou la consommation d’alcool des publics visés et pour minimiser les conséquences négatives qui découlent de cette consommation. Ces interventions sélectionnées et évaluées comme efficaces pour prévenir la consommation d’alcool ont été regroupées au sein de 5 grandes catégories : 1) les interventions en milieu scolaire (ou dans l’enseignement supérieur) ; 2) les interventions conduites auprès des parents ou des familles ; 3) les interventions en milieu du travail ; 4) les interventions à composantes ou milieux multiples ; et enfin 5) les autres interventions comprenant les interventions de marketing social.

Interventions en milieu scolaire ou dans l’enseignement supérieur

Interventions génériques de développement des compétences psychosociales des élèves

Cette catégorie d’interventions consiste à développer des compétences sociales (dont la capacité à résister à l’incitation des pairs à consommer), cognitives et émotionnelles qui agissent comme des facteurs de protection contre une large gamme de comportements à risque. Ces interventions sont le plus souvent conduites en milieu scolaire durant les premières années de collège et s’adressent à l’ensemble des élèves d’une classe (Life Skills Training, Unplugged). Les interventions sont structurées autour d’un programme de travail qui se déroule sur plusieurs semaines (en général, des ateliers hebdomadaires de 1 à 2 heures sur une durée de 6 à 14 semaines), ateliers conduits par des professionnels formés (enseignants, éducateurs...). Les compétences sont travaillées en groupe par le biais de mises en situation et de jeux de rôle. Des connaissances sont également apportées sur les effets négatifs à court terme des produits ainsi que sur les normes sociales de consommation (les prévalences de consommation perçues parmi leurs pairs sont généralement surestimées et des activités visent à rectifier ces croyances). Certains programmes, à destination d’élèves présentant des facteurs de risque (The Brave), abordent des sujets spécifiques selon les problématiques rencontrées (violence, normes de genre, orientation professionnelle) et proposent des dispositifs de parrainage par des pairs plus âgés.

Interventions de développement des compétences des élèves ciblées
sur la réduction des conséquences négatives liées à la consommation d’alcool

Ces programmes travaillent au développement des compétences psychosociales auprès de collégiens de 13 à 15 ans par le biais de jeux de rôle et de discussions centrés sur les situations à risque de consommation d’alcool, sur l’identification des dommages liés à ces consommations ainsi que sur l’élaboration et la mise en pratique de stratégies d’évitement ou de réduction de ces dommages (SHAHRP, DEVS, CLIMATE Schools).

Interventions de prévention des comportements problématiques
des élèves en classe

Ces programmes sont souvent initiés plus tôt dans le cursus scolaire (maternelle ou primaire). Ils visent à réduire les comportements perturbateurs (Good Behavior Game) ou agressifs et anti-sociaux (Olweus Bullying Prevention) des élèves. Ces stratégies s’appuient sur la mise en place d’une pédagogie explicite, sur un renforcement positif des comportements attendus, sur l’influence du groupe, sur les modèles comportementaux des adultes (modèles positifs) et visent à la prise en compte par les élèves de règles partagées de bonne conduite en classe et au sein de l’établissement.

Interventions brèves destinées aux lycéens et aux étudiants

Ces interventions s’appuient principalement sur des techniques de feedback normatif personnalisé (FNP). Le FNP peut être associé à des techniques d’entretien motivationnel (BASICS).

Autres interventions en classe

D’autres interventions, le plus souvent à destination de lycéens déjà confrontés à la consommation d’alcool, s’appuient sur de simples stratégies d’engagement (Keep a Clear Head), combinent au feedback normatif des interventions par SMS (MobileCoach Alcohol), utilisent des supports de serious game (confrontant les jeunes à différents scénarios de consommation et proposant des messages de prévention adaptés à ces situations ainsi qu’une planification d’objectifs comportementaux de réduction des consommations, cf. Alcohol Alert) ou combinent des composantes multiples notamment pour des établissements accueillant des élèves en rupture avec le cursus éducatif normal (Project Toward No Drug Abuse : développement des compétences psychosociales, travail sur la motivation, amélioration des connaissances sur les conséquences de la consommation et correction des croyances normatives).

Interventions scolaires délivrées hors de la classe

Dans cette catégorie, des interventions brèves (de 1 à 7 séances) conduites par des infirmières ou des éducateurs associent différentes techniques d’intervention telles que des feedback personnalisés (Project SPORT, STARS, CHOICE), la diffusion d’informations (STARS), la rectification des croyances normatives (ATLAS, CHOICE), un travail sur les motivations (CHOICE, STARS, Project SPORT), des jeux de rôle pour développer les compétences de résistance à la pression des pairs (CHOICE, ATLAS, STARS), la planification d’objectifs comportementaux de réduction des consommations (ATLAS, InShape) ou encore des techniques d’engagement (contrats de comportements comme dans le programme STARS).

Interventions auprès des parents et familles

Intervention parentale précoce

Une intervention précoce (Nurse-Family Partnership) propose aux femmes enceintes vulnérables et le plus souvent primipares un suivi initié pendant la grossesse et jusqu’aux deux ans de l’enfant. Elle vise, par le biais de visites à domicile conduites par des professionnels de la petite enfance, à préparer un environnement favorable à la venue de l’enfant, à soutenir l’établissement d’un lien d’attachement sûr entre la mère et l’enfant (observations et guidance) et à accompagner les femmes dans la gestion des autres problématiques auxquelles elles se trouvent confrontées (santé, emploi, logement, etc.). Ce programme a montré des effets significatifs sur la consommation d’alcool des adolescents dont les mères avaient bénéficié du programme.

Interventions d’éducation parentale

Les programmes éducatifs ayant montré un bénéfice sur la consommation d’alcool visent généralement à modifier les attitudes des parents à l’égard de l’alcool (information sur les risques, sur l’influence parentale, correction des croyances normatives des parents), à les aider à appliquer auprès de leur adolescent des règles de non-consommation (conseils, techniques de communication) et à les engager à conduire avec eux des activités de loisir. Ce type de dispositif s’adresse aux parents de collégiens (Örebro Prevention Programme), de lycéens ou d’étudiants (FITSTART, Parent Handbook). Ils peuvent être mis en œuvre sur plusieurs années, utiliser les réunions parents-enseignants, les courriers aux parents ou encore être délivrés par la remise de documents ou manuels.

Interventions de renforcement des compétences familiales

Ces programmes (Strengthening Families Programme, Preparing for the Drug Free Years) associent à des volets de développement des compétences psychosociales des enfants (ateliers enfants), des volets de développement des compétences parentales (ateliers parents) et familiales (parents + enfants). Ils utilisent les mêmes techniques que les programmes de développement des compétences psychosociales des enfants (acquisition de compétences cognitives, émotionnelles et sociales par le biais d’ateliers interactifs structurés). Ces programmes visent à développer chez les parents des compétences leur permettant d’être plus efficaces dans la mise en œuvre de leurs fonctions de soutien et de supervision et à améliorer la qualité des interactions au sein de la famille.

Interventions en milieu de travail

Interventions psychosociales

Une partie de ces interventions, de 4 à 8 heures sur 1 à 3 séances (Team Awareness, TASB, Team Resilience), visent à augmenter les capacités de repérage, de soutien et d’orientation des consommateurs problématiques d’alcool par leurs pairs et à travailler sur les normes de consommation et le climat professionnel. Développées dans différents contextes (municipalités, petites et moyennes entreprises ou milieu de la restauration), elles s’appuient sur des activités interactives et le développement des connaissances. D’autres interventions centrées sur la gestion du stress dont l’intervention Yale Work and Family Stress Project (15 séances hebdomadaires de 90 minutes : résolution de problèmes, réévaluation des situations stressantes et techniques de gestion du stress) ont montré des effets sur la réduction de la consommation récente d’alcool jusqu’à 2 ans après l’intervention.

Interventions brèves

Les interventions brèves en milieu de travail, notamment celles fondées sur le seul feedback normatif personnalisé (FNP) n’ont pas fait l’objet de résultats convergents quant à leur impact positif sur la consommation. Quelques interventions ont cependant fait les preuves de leur efficacité. Parmi elles, une intervention ayant associé au FNP un volet éducatif (connaissances sur l’usage d’alcool et ses conséquences) ainsi qu’un volet de développement des compétences psychosociales a montré un effet sur la réduction des conséquences négatives liées à la consommation d’alcool chez les femmes ayant une consommation à risque.

Interventions digitales

Administrées via internet dans différents milieux professionnels et notamment dans l’armée (PATROL), ces interventions s’appuient sur un feedback normatif auquel s’ajoutent d’autres composantes telles que l’entretien motivationnel, la planification d’objectifs, un travail sur la résolution de problème ou encore sur la gestion des émotions. Deux interventions sur les 3 évaluées ont montré des bénéfices plus importants auprès des consommateurs les plus à risque.

Interventions sur l’environnement

Ces interventions visent essentiellement non pas les facteurs individuels, mais les facteurs collectifs et environnementaux, parmi lesquels les risques psychosociaux (stress, faible latitude décisionnelle, charge de travail...), les normes de consommation et l’accès aux boissons alcoolisées dans le milieu professionnel. Ces programmes pourraient être associés à des offres d’aide plus individualisées (test, dépistage, prise en charge) notamment pour les consommations à haut risque.

Interventions à composantes ou milieux multiples

Interventions en milieu scolaire et auprès des parents ou de la famille

Ces programmes reposent généralement sur un volet de développement des compétences psychosociales des enfants et un volet de développement des compétences parentales ou familiales (SFP 10-14 + LST, Montreal Preventive Treatment Program) ou d’éducation parentale (ÖPP, Parent Handbook + BASICS, PAS, STAMPP) auxquels s’ajoutent d’autres composantes. La plupart de ces programmes sont conduits en présentiel, mais certains proposent des versions administrées par CD-ROM (SODAS). Les autres composantes mobilisées dans ces interventions sont multiples : travail sur le climat scolaire et la gestion des récréations, outils visant à favoriser les relations et la communication parents-enseignants (programme LIFT), systèmes de tutorat pour renforcer les compétences scolaires (Fast Track, Raising Healthy Children), formation des enseignants (pédagogie interactive, explicite, renforcement positif des élèves) (Seattle Social Development Project) ou visites à domiciles pour les élèves les plus en difficulté (RHC, Fast Track). Ces programmes ont montré leur efficacité notamment dans les milieux les plus défavorisés.

Interventions communautaires

Les programmes communautaires résultent généralement de l’intégration de programmes comportant un volet scolaire de développement des compétences psychosociales, un volet de développement des compétences parentales et des actions sur l’environnement (par exemple : limitation de l’accès aux boissons alcoolisées) à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’une zone géographique plus étendue (région, regroupements d’écoles, de villes ou d’universités). La majorité de ces programmes (PROSPER, Communities That Care, LUMA) ne propose pas d’interventions a priori. Ils s’appuient sur la constitution d’une coalition d’acteurs et l’élaboration d’un diagnostic partagé. Sur la base de ce diagnostic, le groupe choisit une intervention ou une combinaison d’interventions parmi une liste de programmes prometteurs ou ayant déjà fait les preuves de leur efficacité pour répondre aux problématiques identifiées.

Autres interventions

Intervention de prévention sélective du risque de grossesse exposée
à l’alcool

Une intervention (CHOICES) a montré son efficacité sur la réduction du risque de grossesse exposée à l’alcool. Elle propose un suivi sur 14 semaines (4 séances de conseils utilisant une approche motivationnelle et une consultation médicale sur la contraception) à des femmes en âge de procréer et identifiées comme ayant une consommation d’alcool à risque ainsi qu’une contraception peu efficace.

Interventions visant la prévention de consommation d’alcool
des personnes âgées

Peu d’études et souvent de mauvaise qualité méthodologique sont disponibles. Des interventions brèves (entretien avec une infirmière ou un médecin + feedback personnalisé + information sur les risques liés à la consommation d’alcool ; conseils de réduction de consommation + liste des ressources et dispositifs d’aide disponibles) conduites sur une ou plusieurs séances (Projet SHARE : 3 séances de thérapie motivationnelle + feedback personnalisé + matériel éducatif + un journal de bord des consommations + conseils médicaux ou d’éducation pour la santé) ont cependant montré un bénéfice en termes de réduction de la consommation d’alcool.

Interventions de marketing social

Bien que plusieurs revues soulignent la faiblesse méthodologique des évaluations disponibles dans ce champ, des interventions de marketing social ont montré leur intérêt sur la modification d’un certain nombre de comportements en lien avec la consommation d’alcool (réduction de la consommation d’alcool, réduction de l’alcool au volant, augmentation du nombre de conducteurs « sobres » désignés). Pour optimiser son efficacité, le marketing social doit cependant répondre à plusieurs critères, en particulier avoir un objectif comportemental, segmenter et cibler la population visée et tenir compte de la balance entre l’effort demandé et les bénéfices attendus.
La prévention de la consommation d’alcool gagnerait à développer des interventions précoces visant le renforcement de facteurs génériques de protection telles que les compétences parentales et les compétences psychosociales des enfants et à travailler plus largement sur les environnements sociaux (notamment le milieu scolaire). Au-delà des effets positifs observés à long terme sur les consommations de substances psychoactives, ces interventions participent à la réduction des inégalités sociales de santé et à la prévention d’une large gamme de comportements à risque. Ces approches peuvent être développées : à destination des femmes enceintes présentant des facteurs de vulnérabilité (isolées, primipares, etc.) pour apporter un soutien psychologique et social et accompagner le développement d’un lien d’attachement sûr ; à destination des parents exprimant un besoin d’accompagnement à la parentalité avec l’objectif de renforcer leurs capacités et leur sentiment d’efficacité dans l’exercice de leurs fonctions parentales (soutien affectif et supervision) ; à destination des professionnels de l’éducation pour développer leurs outils de gestion des groupes, de régulation des comportements et d’influences positives afin de valoriser les élèves, de favoriser les apprentissages et leur permettre d’internaliser les règles de conduite en collectivité ; à destination des élèves, en milieu scolaire, afin de développer efficacement, en plus des compétences cognitives, leurs compétences sociales et émotionnelles.
Ces interventions visant principalement la prévention de l’entrée dans les consommations ou la prévention des consommations problématiques doivent être complétées par des interventions d’aide à l’arrêt ou à la réduction des risques pour les personnes déjà engagées dans des comportements de consommation que ce soit pour les jeunes ou d’autres populations (personnes âgées, femmes présentant un risque de grossesse exposée à l’alcool).

Bénéfices des périodes « sans alcool »

Le Dry January ou « Janvier Sobre » est une campagne de sensibilisation annuelle originaire d’Angleterre incitant à ne pas consommer d’alcool pendant le mois de janvier. Globalement, la réussite du Dry January est associée à des changements de consommation et une plus forte auto-efficacité persévérant jusqu’à 6 mois après, sans effets rebonds. La campagne Dry January présente, d’après l’exemple anglais, plus d’avantages que d’inconvénients à la réduction de la consommation d’alcool.
Il existe de nombreux défis d’un mois sans alcool à travers le monde. En effet, au cours des dernières années, dans de nombreux pays (Royaume-Uni, Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Belgique) ont été lancées des campagnes invitant la population à s’abstenir de consommer de l’alcool pendant une durée déterminée, en général pendant un mois. Les participants qui s’engagent dans ce type de défi souhaitent réduire leur consommation ou s’abstenir ou les deux. Contrairement aux campagnes sur le tabac qui visent l’arrêt, celles sur l’alcool ont plutôt comme objectif d’améliorer la qualité de vie, de réduire les dommages liés à la consommation d’alcool et d’inciter à réduire la consommation à long terme.
L’objectif de ces campagnes est de sensibiliser la population, et d’inviter chacun à se questionner sur son rapport à l’alcool et sur sa consommation. Le Dry January au Royaume-Uni et la Tournée Minérale en Belgique rencontrent un vif succès en termes de participation grâce notamment au fait d’envahir l’espace médiatique et des réseaux sociaux afin d’atteindre une « contagion sociale », permettant d’augmenter le nombre de participants et aussi la dissémination des connaissances sur les effets de l’alcool et les bienfaits de l’abstinence. Le Dry January procure de nombreux outils de soutien et de conseil dont un site web, des blogs, une communication via les réseaux sociaux et par e-mail, et une application mobile (« Try Dry »). Cette application comporte un agenda de consommation à l’année ainsi que des conseils sur les effets de l’alcool et les bénéfices à l’arrêt. Elle comporte en particulier des informations sur les calories évitées, les économies réalisées et elle offre la possibilité de se fixer des objectifs de consommation. Les participants qui utilisent le plus les outils mis à disposition ont une plus forte probabilité de réussir à rester abstinents durant un mois.
La motivation à l’arrêt semble augmenter en janvier, suggérant que ce mois semble idéal pour initier une intervention au niveau de la population, telle que celle du Dry January. Il est possible d’envisager que les potentiels excès pendant les fêtes du mois de décembre et l’envie de « détox » suite à ces excès, associés aux bonnes résolutions de début d’année soient la meilleure option pour mobiliser un maximum de participants autour d’une campagne « sans alcool » en janvier avec le lancement d’un défi pour ne pas consommer d’alcool.
Les bénéfices de l’arrêt temporaire de la consommation d’alcool sont nombreux. Et cela surtout dans un contexte où plusieurs études, dont celles utilisant la randomisation mendélienne (voir la partie « Dommages sanitaires et socio-économiques » de cette synthèse), ont démontré l’absence d’effets « protecteurs » des niveaux faibles de consommation, voire l’augmentation du risque de développer certaines pathologies, notamment des cancers. Parmi les effets bénéfiques à s’abstenir pendant 1 mois, on peut noter des améliorations sur des paramètres physiologiques, cognitifs, de bien-être et de qualité de vie. Les enquêtes rapportent ainsi des améliorations (figure 4Renvoi vers) en termes d’économies, de bien-être, de certains paramètres physiologiques (résistance à l’insuline, glycémie [meilleure homéostasie du glucose], cholestérol sanguin, teint et chevelure, élasticité du foie, poids et IMC, meilleure qualité du sommeil, plus d’énergie et amélioration de la pression sanguine). Du point de vue cognitif, sont rapportées des améliorations en termes de concentration et de performance au travail.
4 : Bénéfices rapportés par les participants au Dry January d’après des enquêtes en ligne en 2018
Si la littérature scientifique est riche concernant les études cliniques qui ont démontré le rôle de la consommation d’alcool dans de nombreuses pathologies, moins d’études existent concernant les effets de l’abstinence. En effet, la démonstration d’une relation causale entre la consommation d’alcool et une pathologie ne signifie pas nécessairement que l’arrêt de la consommation s’accompagne d’une diminution du risque de cette pathologie. La plupart des études porte donc sur des populations de personnes présentant des pathologies. Néanmoins, il est suggéré que l’abstinence et la prise en charge du trouble de l’usage de l’alcool pourraient être déterminantes pour la survie des patients atteints du cancer du foie. Ou encore, l’abstinence réduit significativement la récidive des fibrillations auriculaires, augmente le délai à la récidive et réduit la durée des épisodes de fibrillation.
Ces campagnes visent le grand public et notamment les personnes qui consomment au-dessus des repères de consommation. Même si elles ne visent pas les personnes présentant une consommation à risque d’alcool, ces dernières peuvent cependant participer à ce type de défi avec l’assistance d’un professionnel de santé. Ces campagnes devraient s’accompagner d’interventions complémentaires notamment par des professionnels d’autres campagnes d’information (le feedback normatif) et d’autres programmes d’intervention (comme le repérage précoce et l’intervention brève) afin d’atteindre des objectifs d’abstinence à long terme.
Les bénéfices des défis « sans alcool » constituent une opportunité à saisir. Les forces des opérations du type Dry January sont multiples avec l’opportunité de ressentir tous les bénéfices de l’arrêt de la consommation (incarnation ou embodiment), et de prendre conscience de sa propre capacité à contrôler son comportement (empowerment). Un objectif essentiel est de changer son comportement à long terme après avoir mieux appréhendé son rapport à la consommation d’alcool (pourquoi consomme-t-on ? quand consomme-t-on ?) et avoir mieux appréhendé la gestion de la pression sociale à consommer de l’alcool. Il s’agit donc d’expérimenter l’impact de l’abstinence sur son physique, son mental et la conscience de soi et de sa capacité au changement. La « contagion sociale » est un facteur clé de la réussite de ce type de campagne et de manière très intéressante on peut noter que des participants qui s’inscrivent au Dry January et qui ne réussissent pas le défi de l’abstinence pendant un mois, présentent eux aussi des effets bénéfiques à long terme.
Le message positif de la possibilité d’améliorer la santé par l’abstinence (même temporaire) est un véritable levier pour relever le défi de réduire le fardeau sociétal de la consommation d’alcool. En effet, il est important de réaliser que ce type d’opération est vu comme un moyen de régulation positive non basée sur les conséquences négatives ou la moralisation et qui vise à changer les comportements des personnes à long terme. Les autres régulations complémentaires visent notamment le rappel des risques associés à la consommation (campagnes de prévention), l’accès, la disponibilité, la publicité voire la répression (alcool au volant). Ce type de campagne représente une opportunité sans précédent de se mobiliser autour d’un mois de prévention des dommages et des risques liés à la consommation d’alcool en France, à l’instar de ce qui existe déjà dans de nombreux autres pays. Il est intéressant de noter qu’une corrélation inverse a été observée entre le nombre de participants au Dry January au Royaume-Uni et le nombre de visites aux urgences liées à l’alcool. Cette diminution de la fréquentation des urgences à cause de problèmes liés à l’alcool constituerait donc un critère de jugement intéressant pour évaluer l’efficacité des campagnes mises en œuvre. Le succès de ce type de campagne pourrait aussi passer par la mesure de l’augmentation de la productivité et de la réduction de l’absentéisme au travail lorsque les employeurs incitent leurs employés à participer au Dry January.
Fin 2019, Santé publique France qui était engagée dans l’organisation d’un Dry January en 2020 a dû renoncer à sa mise en œuvre après des décisions gouvernementales. Cette décision a déclenché une vive réaction des associations et fédérations impliquées dans le champ de l’addictologie. Elles ont décidé alors de lancer leur propre campagne nommée Le Défi De Janvier (#LeDéfiDeJanvier) – avec des outils similaires à ceux développés pour le Dry January.
Enfin, il est important de rappeler que les repères relatifs à la consommation d’alcool actuellement en vigueur recommandent de ne pas en consommer pendant au moins 2 jours par semaine, ce qui représente 104 jours d’abstinence par an soit plus de 3 mois « sans alcool » par an. Des recherches sont nécessaires pour établir les bénéfices de ces jours de non-consommation étalés tout au long de l’année comparativement à une abstinence temporaire mais continue sur plusieurs semaines. La promotion de l’abstinence et la valorisation de la non-consommation nécessitent le développement d’alternatives attractives aux boissons alcoolisées. Il ne s’agit pas simplement de recommander d’éviter l’alcool mais aussi d’expérimenter de nouvelles boissons non alcoolisées et bonnes, ou tout au moins non nocives, pour la santé.

Prévention secondaire : dépistage, intervention brève, autres interventions

Collectivement, la consommation à risque sans dépendance cause davantage de dommages que la dépendance en termes de morbidité et mortalité. La première population est 5 à 8 fois plus nombreuse que la seconde qu’il s’agisse des hommes ou des femmes.
Il est donc très souhaitable de prendre des mesures visant à favoriser un dépistage systématique de la consommation à risque, ce qui permet de mettre en place une intervention brève. Ceci est d’autant plus important que le rapport coût-efficacité des interventions brèves est bien supérieur pour la consommation à risque que ne le sont les traitements de la dépendance à l’alcool.
La preuve de l’efficacité de l’implémentation du dépistage et de l’intervention brève est bien établie lorsqu’elle est pratiquée dans la communauté (par exemple les écoles), en médecine générale et aux urgences.
L’application de mesures de dépistage systématique permet également de repérer les personnes dépendantes à l’alcool. Même si ce dépistage est très efficace, il est très peu pratiqué, en particulier en France.

Dépistage

Il existe de nombreux arguments pour une généralisation de son utilisation. Le dépistage de la consommation d’alcool (qu’il s’agisse d’une consommation à risque ou d’une dépendance) peut se pratiquer à différents moments. Il est recommandé en soins de premier recours mais a également été proposé dans les services d’urgences, lors du suivi de la grossesse, en médecine du travail ou encore via les nouvelles technologies sur de larges populations. Différents outils sont disponibles et incluent des questionnaires mais également des marqueurs biologiques. Le questionnaire de référence est l’Alcohol Use Disorders Identification Test : AUDIT. Une version française est disponible et validée ainsi qu’une version courte (AUDIT-C) incluant les 3 premières questions : la fréquence de la consommation, la quantité par occasion et la fréquence des alcoolisations ponctuelles importantes.
Si les outils de dépistage sont valides, le dépistage en lui-même est très peu pratiqué en routine. Pour qu’il le soit, des stratégies de mise en œuvre sont nécessaires. Elles montrent alors des résultats encourageants, par exemple un dépistage intégré dans le processus de soins, des rappels dans le dossier médical électronique et des mesures de performance et de contrôles de l’utilisation du dépistage par les médecins. Des campagnes nationales de promotion du dépistage ont également montré de bons résultats, par exemple avec la mise à disposition des médecins de formation et de soutien et le remboursement financier des prestations. L’utilisation de marqueurs biologiques dans le dépistage est plus controversée et dépend du type de marqueurs et du domaine d’utilisation. De nouveaux marqueurs directs (l’éthylglucuronide [EtG] et le phosphatidyléthanol [PEth]) de la consommation d’alcool offrent de meilleurs résultats en termes de sensibilité et de spécificité mais sont pour le moment peu utilisés en pratique clinique. En population générale, les questionnaires sont plus performants que les marqueurs biologiques en termes de sensibilité et de spécificité.

Intervention brève

La Short Brief intervention selon le modèle stepped care a un rapport coût-efficacité clairement établi.
Malgré les preuves d’efficacité, le dépistage et l’intervention brève ne sont pratiqués que lorsque les systèmes de santé le proposent de manière systématique. Si une consommation à risque ou problématique est détectée, une intervention brève est généralement ensuite proposée. Le terme « intervention brève » est un terme général qui inclut différents types d’interventions durant lesquelles le clinicien donne des conseils et/ou une aide psychologique visant à faire comprendre les risques et les effets négatifs de la consommation et à explorer des manières de la diminuer. Les différents modèles d’intervention brève partagent pour la plupart les mêmes fondements théoriques, c’est-à-dire les théories socio-cognitives et motivationnelles. Ces différents modèles partagent également des modalités pratiques : elles sont conçues pour être effectuées lors de consultations régulières, qui durent souvent de 5 à 15 minutes avec les médecins ou de 20 à 30 minutes avec les infirmières et, bien que de courte durée, elles peuvent être dispensées en une à cinq séances.
Une des modalités d’application, l’intervention brève électronique, est d’un faible coût et il est possible de l’utiliser en collectivité (écoles, armée, etc.) et en médecine générale, etc. Il est donc nécessaire de privilégier ces interventions (internet, applications mobiles) pour la population générale en utilisant par exemple un dépistage et une intervention brève en salle d’attente d’une consultation de soins primaires. Cela permet une réduction de la consommation chez les personnes non dépendantes à l’alcool et le repérage de celles dépendantes à l’alcool qui bénéficient ainsi de cette première mesure, et de la mise en place d’un suivi au long cours en médecine générale, avec ou sans l’appui de services spécialisés.
La pratique de l’intervention brève pour les consommateurs d’alcool à risque inclut de fait les personnes dépendantes à l’alcool. Pour ces dernières, l’intervention brève ne peut pas modifier le comportement, mais elle pourrait initier une discussion et constituer une première étape dans la prise en charge d’une dépendance à l’alcool (traitée dans la partie « Prise en charge des personnes présentant une dépendance » de cette synthèse). Il est primordial de faire appel aux services d’addictologie pour les personnes qui présentent des problèmes sévères avec l’alcool.

Autres interventions

Les difficultés dans la prise en charge des personnes présentant une consommation à risque d’alcool ou une dépendance sont de plusieurs ordres. Il s’agit d’abord d’augmenter le nombre de rencontres entre ces patients et des intervenants soignants. Les propositions de soin faites aux patients sont établies en fonction de l’impératif d’abstinence et une offre plus large permet de faciliter l’engagement dans les soins. D’autre part, et ce depuis de nombreuses années, l’objectif est de développer et d’utiliser les nouvelles techniques thérapeutiques qui ont montré leur efficacité. L’abstinence bénéficiait de méthodes thérapeutiques propres mais la réduction des risques et des dommages (RDRD) en matière d’alcool, en s’imposant comme principe, a dû s’emparer de certains outils ou pratiques ou en créer de nouveaux. Ici, l’idée est de considérer la réduction des risques sur le continuum des problèmes liés à l’alcool, tout en gardant à l’esprit qu’il y a une distinction entre consommation à risque pour la santé et dépendance à l’alcool. Pour l’ensemble des parcours de consommation, le contact avec un professionnel de premier recours est le premier objectif. La RDRD se conçoit comme une prévention – et des interventions – au cours et tout au long du comportement de consommation, ce qui implique des adaptations et des techniques différentes selon les temps de vie de l’usager (qu’il s’agisse d’un consommateur à risque avec ou sans dépendance). Ainsi, la réduction des risques ne fait pas de l’abstinence un impératif mais pour autant elle n’est pas « anti abstinence ».
Sur le plan thérapeutique, la réduction des consommations est obtenue grâce à différentes techniques et des méthodes d’entretiens, ciblant en particulier la quantification précise des boissons absorbées, et la fixation d’objectifs réalistes, adaptés aux possibilités des personnes. Des médicaments peuvent être prescrits. Les usagers sont partie prenante de cette technique et de ces objectifs. Pour cela, ils doivent être suffisamment informés de l’intérêt et des perspectives de la RDRD, et être accompagnés par des professionnels formés et engagés dans cette pratique. L’accompagnement individuel permet aussi d’aborder en consultation les « manières de boire » tels que les horaires, les rituels, etc. et de définir des projets individualisés. C’est une façon importante de réaliser des interventions de RDRD adaptées à la vie réelle, mais l’évaluation de leur efficacité est complexe. La RDRD présente des limites d’une part et nécessite des adaptations particulières pour les publics les plus précaires d’autre part. Dans plusieurs situations cliniques, les consommations, même faibles, sont déconseillées : certaines pathologies psychiatriques ou somatiques, les troubles cognitifs sévères, les personnes constatant une perte de contrôle à la moindre stimulation par l’alcool. De même, certaines populations tels que les travailleurs sur des postes à risque ou les femmes enceintes, les personnes recevant certains traitements médicamenteux, les mineurs ne doivent pas se voir conseiller une consommation modérée. À l’instar des drogues illicites (et, certainement de manière non programmée par les pouvoirs publics, pour le tabac avec l’apparition de la cigarette électronique), il s’agit d’instituer avec une RDRD de l’alcool, un pilier transversal vecteur d’une politique de prévention, de prise en charge et d’application de la loi Évin en France.
Concernant les consommateurs d’alcool à risque, les psychothérapies et les thérapies médicamenteuses constituent les axes majeurs des prises en charge, mais de nombreuses autres possibilités sont décrites. Ces autres interventions doivent être évaluées de façon solide afin d’éviter des déceptions ou des « pertes de chance ». La façon dont les professionnels, ou des personnes engagées et/ou formées, appliquent ces méthodes joue également un rôle important – l’expérience et le savoir-être étant des facteurs déterminants d’efficacité, même pour des techniques validées. Or, les comportements des soignants révèlent souvent leurs présupposés négatifs vis-à-vis des addictions : leur formation initiale et leurs représentations interfèrent beaucoup avec leur capacité d’accueil et leur façon de présenter les outils thérapeutiques (telles que les interventions des associations d’usagers ou d’anciens usagers avec par exemple en France les patients experts). Changer cet état de fait est une priorité pour améliorer les soins dans les addictions.
Les techniques d’électrostimulation (tDCS) et de stimulation magnétique répétitive (rTMS) transcrâniennes du cerveau, l’acupuncture, le neurofeedback apparaissant dans les publications analysées pour mettre en évidence un bénéfice significatif des perspectives thérapeutiques, que ce soit pour les consommateurs à risque ou les patients dépendants, sont pour la plupart décevantes. Les effectifs, la standardisation et donc la réplication des méthodes, la durée de suivi, sont le plus souvent très insuffisants pour permettre de conclure à une efficacité constante et durable.
L’activité physique au regard de la RDRD a un rôle positif sur les facteurs de risque et donc indirectement sur les consommations. Un discours fréquent en pratique clinique est de promouvoir une activité physique en prévention et en traitement des addictions. Dans une méta-analyse de 2017, l’exercice physique semble avoir un impact positif sur la consommation d’alcool et le taux d’abstinence. Cependant, l’activité elle-même est mal définie et hétérogène dans les études, les éléments argumentant son efficacité sur la réduction des consommations à moyen et long terme sont faibles : l’amélioration des comorbidités associées et du type de relations sociales semble essentielle. De fait, un travail de l’Inserm4 explore de façon précise les liens entre dépression et activité physique. Une consommation à risque d’alcool est souvent associée à un repli social, et des études observationnelles établissent une solide relation entre inactivité physique et troubles dépressifs. Ces éléments confirment l’intérêt de l’aide à l’engagement dans une activité physique, jouant alors un rôle positif sur l’humeur et l’état somatique, et indirectement sur les consommations.
Parallèlement à ces méthodes ou techniques, deux modalités d’interventions se distinguent et présentent un intérêt majeur : les interventions utilisant internet ou des applications, sur un ordinateur ou un smartphone et les groupes d’auto-support. Leur efficacité est étayée par une littérature conséquente.
Le développement quantitatif et qualitatif des interventions numériques est massif, et facilite la diffusion d’informations et les possibilités de prévention et d’accompagnement. Les données sont positives en prévention secondaire chez les consommateurs à risque pour une réduction de la consommation. L’offre est large, mais les critères de qualité et donc d’efficacité ne sont pas définis. Les années qui viennent devront voir la systématisation de critères pour la conception et le suivi des applications ; par ailleurs, leur utilisation est à définir chez les patients dépendants.
Les groupes d’auto-support, avec aux États-Unis, les Alcooliques Anonymes par exemple et la méthode des 12 étapes, représentent un socle dans le traitement des addictions. Les articles étudiant leur méthode et leur efficacité sont multiples. On note l’orientation d’une partie d’entre eux pour démontrer l’intérêt de la Foi et des références divines ; les autres insistant sur la solidarité, l’aide constante aux comportements de changements – s’apparentant alors à des techniques thérapeutiques, appliquées avec succès par des non-professionnels. L’analyse sur le rôle de ces groupes doit en effet s’intéresser à la spiritualité, et dans le même temps, s’en émanciper : les supports des groupes sont « spirituels, informationnels, émotionnels, instrumentaux ». Ces groupes, auxquels sont parfois associées les familles, agissent sur les sentiments, les capacités, les émotions des usagers, leur permettant dans un cadre de proches, de développer des visions positives d’eux-mêmes.
Toutes ces techniques participent à un meilleur accès aux soins (l’accès à internet en particulier multiplie les possibilités de messages et de consultations), et contribuent à la limitation des consommations ; leur utilisation et leur développement devraient répondre à des critères de qualité afin de permettre leur diffusion en clinique quotidienne.

Prise en charge des personnes présentant une dépendance

La dépendance à l’alcool correspond au stade le plus sévère des consommations à risque d’alcool. Pour rappel, les sujets dépendants constituent un sous-groupe minoritaire de l’ensemble des sujets présentant une consommation à risque d’alcool et la majorité des dommages liés à l’alcool concerne des sujets ne remplissant pas les critères diagnostiques de dépendance.
Il existe un défaut majeur d’accès aux soins des patients dépendants à l’alcool car seulement 10 % d’entre eux bénéficieraient de soins addictologiques. Contrairement aux idées reçues, le déficit motivationnel à changer ses comportements vis-à-vis de l’alcool n’est pas la seule explication pour rendre compte de cette situation. En effet, environ la moitié des patients se rendent à une consultation d’addictologie qui leur a été préconisée à l’occasion de leur passage dans un service d’accueil des urgences. De plus, il a été montré que la motivation aux soins se renforçait avec la sévérité du trouble. Notamment, lorsque la sévérité du trouble augmente, la probabilité d’évoquer le déni comme raison de non prise en charge diminue au profit d’autres raisons directement en lien avec des difficultés d’accès aux soins.
La dépendance à l’alcool se caractérise par son évolution chronique même si les formes moins sévères des consommations à risque d’alcool peuvent se résoudre sans rechute. Ainsi, la perception de la dépendance à l’alcool comme une maladie chronique permet d’y appliquer l’ensemble des stratégies utilisées dans d’autres maladies chroniques et destinées à en optimiser la prise en charge. Une attention toute particulière devrait être accordée à l’annonce diagnostique.
La dépendance à l’alcool nécessite donc des soins au long cours visant à prévenir les risques de rechute. Or, les soins visant à prévenir la rechute au décours de la phase initiale du traitement sont souvent insuffisants tant en intensité qu’en durée, avec des taux de rechute très élevés, vraisemblablement autour de 40 % à 60 % dans l’année. Un enjeu majeur est donc l’amélioration de l’observance au long cours afin de prévenir la rechute.
La littérature met en évidence qu’un objectif d’arrêt de l’usage, comparé à un objectif de réduction, est associé à de meilleures chances de succès en ce qui concerne la prise en charge des sujets dépendants. De plus, pour des sujets désireux d’arrêter l’usage de l’alcool, une stratégie de sevrage comparée à une réduction progressive serait associée à de meilleures chances de succès. Cependant, environ la moitié des patients dépendants ne souhaitent pas arrêter totalement l’usage de l’alcool. Il apparaît alors comme prioritaire de faciliter leur entrée dans les soins, avec des objectifs thérapeutiques pragmatiques en fonction de ce que le sujet est prêt à accepter. Pour ces patients, un objectif initial de réduction plutôt que d’arrêt de l’usage est donc à proposer. La réduction de la consommation a effectivement montré de nombreux avantages parmi lesquels la possibilité d’effectuer des entretiens motivationnels destinés à favoriser la motivation à des objectifs plus ambitieux, la prise en charge des comorbidités sociales, somatiques, psychiatriques et addictologiques et la réduction des risques et des dommages. Cependant, comme beaucoup de patients dépendants n’arrivent pas à maintenir durablement une consommation contrôlée, l’arrêt de l’usage reste l’objectif final à promouvoir pour ces patients.
Il est désormais bien établi que la dépendance à l’alcool suit un modèle biopsychosocial nécessitant une prise en charge globale. La prise en charge de la dépendance à l’alcool repose donc sur une approche multimodale. Les principales composantes de la prise en charge sont les stratégies psychothérapeutiques, médicamenteuses, de remédiation cognitive, de réhabilitation sociale et de prise en charge des comorbidités : co-addictions, troubles psychiatriques co-occurrents et pathologies somatiques. En ce qui concerne les co-addictions, le sevrage tabagique est associé à une réduction de la consommation de l’alcool chez ceux qui consomment encore ainsi qu’à une diminution du risque de rechute chez les abstinents. Le sevrage de cannabis est également associé à une meilleure efficacité de la prise en charge de la dépendance à l’alcool, y compris pour des consommations peu importantes de cannabis. D’une manière générale, une évaluation de l’ensemble des conduites addictives, incluant les addictions comportementales, est à réaliser chez tous les sujets présentant une dépendance à l’alcool afin de prendre en charge la pathologie addictive dans son ensemble. Parmi les comorbidités à prendre en charge, la littérature s’est densifiée concernant l’attention à accorder au traitement des troubles du sommeil et de la douleur. Pour prendre en compte tous ces aspects de la prise en charge, la littérature rapporte les bénéfices d’une prise en charge intégrative, par opposition aux prises en charge séquentielles ou en parallèle non coordonnées entre elles. Néanmoins, il n’existe pas de consensus sur la définition d’une prise en charge intégrative. Par exemple, il peut s’agir de considérer que toute la prise en charge doit se dérouler dans une même unité de temps et de lieu, ou bien qu’il existe une coordination entre les différents acteurs de la prise en charge. Dans tous les cas, il s’agit de prendre en charge le patient dans sa globalité avec pour finalité une amélioration de la qualité de vie des patients et de leur accès aux soins ainsi que la facilitation de leur rétablissement. Ce type d’approche est associé à une meilleure satisfaction des patients vis-à-vis des soins, une meilleure utilisation des ressources, des taux plus élevés d’arrêt de l’usage ainsi qu’un meilleur fonctionnement global sur le long terme. Enfin, il est important que la prise en charge intégrative ne soit pas déconnectée du système de soins global et des soins primaires, notamment pour faciliter le repérage précoce, l’accès aux soins spécialisés et éviter la stigmatisation des patients.
Concernant les stratégies psychothérapeutiques, l’approche motivationnelle permet d’améliorer l’efficacité des interventions psychosociales plus intensives à proposer aux sujets dépendants. Parmi ces interventions, la thérapie cognitive et comportementale (TCC), la thérapie des contingences5 et la méditation de pleine conscience ont fait l’objet de nombreuses évaluations qui montrent leur efficacité. L’efficacité de la TCC dans la prise en charge de la dépendance à l’alcool a été montrée dans de nombreuses études et dans des méta-analyses. L’accès à la TCC pourrait être en partie amélioré grâce aux programmes de TCC en ligne. Une supervision à distance par un soignant pourrait néanmoins en améliorer l’efficacité. De nombreuses publications ont montré l’efficacité de la thérapie des contingences dans la prise en charge de la dépendance à l’alcool, y compris en présence de troubles psychiatriques co-occurrents. La thérapie des contingences a également montré son efficacité dans la réduction du niveau de consommation chez des gros consommateurs n’ayant pas de demande de soins. Enfin, elle pourrait avoir une utilité pour améliorer l’observance des soins. Enfin, une littérature a émergé récemment concernant l’efficacité des programmes basés sur la méditation de pleine conscience dans la prévention de la rechute chez les patients dépendants à l’alcool. Cette stratégie thérapeutique n’étant pas focalisée directement sur l’usage d’alcool, elle pourrait convenir aux sujets ayant échoué avec d’autres stratégies ou qui sont ambivalents dans leur désir de changement. Quant à la thérapie d’exposition6 , cette thérapie comportementale n’a pas montré à ce jour d’efficacité dans la prise en charge de la dépendance à l’alcool et pourrait diminuer les capacités de contrôle inhibiteur face aux stimuli environnementaux liés à la consommation d’alcool. À ce titre, elle ne devrait donc pas être recommandée.
Pour les sujets qui y sont prêts, le sevrage thérapeutique de l’alcool permet de débuter un processus d’arrêt de l’usage complet et durable. En d’autres termes, il n’y a pas d’indication au sevrage dans les situations suivantes : absence de projet de soins au décours du sevrage, absence de désir du patient d’arrêter l’usage de l’alcool, détresse sociale, professionnelle ou émotionnelle actuelle sans évaluation approfondie préalable des bénéfices attendus de la mise en place d’un sevrage dans ce contexte. En effet, la balance bénéfice-risque à effectuer des sevrages itératifs sans projet d’arrêt de la consommation au décours n’est pas favorable. Les sevrages répétés favorisent des symptômes de plus en plus sévères et le risque de complications augmente avec le nombre d’épisodes de sevrage. Les sevrages répétés pourraient également favoriser des altérations des fonctions exécutives, notamment du contrôle motivationnel, du contrôle inhibiteur, de la flexibilité cognitive et de la prise de décision, et diminuer la cognition sociale. Par conséquent, il apparaît essentiel de préparer le sevrage thérapeutique, notamment en planifiant en amont les soins à mettre en œuvre au décours. En l’absence de soins addictologiques au décours du sevrage, au moins 80 % des patients présenteraient une rechute. Pourtant, entre 40 et 50 % des patients ne débuteraient pas de soins addictologiques après leur hospitalisation pour sevrage. Plusieurs études ont suggéré que l’anticipation des soins addictologiques avant de procéder au sevrage thérapeutique pourrait améliorer sensiblement l’observance et, par conséquent, le maintien de l’arrêt de l’usage. Par exemple, les groupes de préparation à l’arrêt de l’usage pourraient favoriser l’observance aux soins au décours du sevrage. La préparation du sevrage thérapeutique devrait également inclure la réduction de la consommation, ou à défaut la stabilisation à l’aide de stratégies motivationnelles. Cette stratégie pourrait permettre un renforcement de l’estime de soi et du sentiment d’efficacité personnelle, pouvant renforcer la motivation au changement. De plus, au moins pour les gros consommateurs, même une légère réduction de la consommation d’alcool est associée à une diminution de la mortalité et de la morbidité liées à l’alcool. Ainsi, cette stratégie permet de réduire les dommages liés à l’alcool et d’améliorer la qualité de vie des patients en attente de sevrage thérapeutique. Enfin, lorsque la consommation d’alcool a été réduite, ou du moins stabilisée, avant le sevrage, les symptômes de sevrage seraient moins sévères et le risque de complications serait diminué.
Les troubles cognitifs liés à l’alcool concerneraient au moins la moitié des patients présentant une consommation d’alcool à risque. Les troubles cognitifs les plus fréquents concernent les fonctions exécutives (planification, résolution de problèmes et contrôle inhibiteur), la mémoire épisodique, les capacités visuo-constructives et la cognition sociale. Ces troubles peuvent altérer la motivation à changer de comportement ainsi que créer des difficultés d’apprentissage. En conséquence, ils peuvent diminuer l’efficacité des stratégies thérapeutiques utilisées en addictologie, notamment les entretiens motivationnels. De plus, l’élaboration de scénarios alternatifs aux comportements automatiques présente un coût cognitif élevé. Lorsqu’il existe des troubles cognitifs, ce travail d’élaboration est donc plus difficile à effectuer. Le repérage des troubles cognitifs liés à l’alcool est donc à systématiser chez tous les patients présentant une consommation d’alcool à risque. Pour réaliser ce repérage, des échelles telles que la MoCA (Montreal Cognitive Assessment) peuvent être utilisées. Si des troubles sont repérés, un bilan neuropsychologique est à réaliser. Ce bilan permet d’évaluer la sévérité des troubles et de préciser les fonctions cognitives qui sont altérées. Lorsque les troubles sont légers à modérés, l’objectif de la remédiation cognitive est la récupération des fonctions cognitives, notamment des fonctions exécutives et de la mémoire de travail. La remédiation cognitive est alors à débuter dès la fin de la période de sevrage. Lorsque les troubles sont plus sévères, l’objectif est la préservation des fonctions cognitives dans une optique de maintien de l’autonomie et d’amélioration de la qualité de vie.
Il existe des liens bilatéraux entre la consommation d’alcool à risque et l’absence de domicile fixe. Y compris chez des sujets présentant un trouble mental sévère, l’existence d’un trouble de l’usage de substance serait associée à un risque supplémentaire d’être sans domicile fixe. De plus, la mortalité toutes causes confondues des sujets présentant une consommation d’alcool à risque serait au moins doublée en l’absence de logement fixe. De nombreuses études dont des méta-analyses ont montré l’efficacité d’interventions focalisées sur la reprise d’un domicile fixe dans l’amélioration de la santé mentale, incluant l’usage de substances. Étant donné qu’il est particulièrement difficile d’inscrire un patient sans domicile fixe dans des soins addictologiques tant l’observance est difficile, l’accès à un domicile devrait précéder la mise en place des soins addictologiques (modèle théorique du Housing First), plutôt que de considérer que l’accès au logement doit être conditionné au préalable par une bonne observance des soins. L’accès au logement sans condition est à associer à un accompagnement intensif multidisciplinaire dans l’esprit d’une approche intégrative.
Chez certaines personnes marginalisées, sans hébergement, consommant par exemple des alcools non comestibles ou dans des conditions dangereuses, et étant dans l’incapacité de limiter leurs usages, le fait de créer ou de maintenir du lien et de prioriser la « mise à l’abri » amène à proposer de façon organisée (à l’image des MAP canadiens « managed alcohol program ») des boissons dont la quantité, le type et les heures sont convenus. Cette RDRD n’évolue pas dans le champ de la réduction, mais bien dans l’aide à l’aménagement des consommations, dans une prévention des accidents liés à des alcoolisations dangereuses, chez une personne isolée par exemple. Les bénéfices évalués sont sociaux et non addictologiques, et ouvrent des perspectives d’interventions en pratique clinique.
Enfin, une littérature récente émerge concernant la recherche de facteurs prédictifs de succès de la prise en charge. Certains déterminants tels que le sexe, l’âge, l’intensité de la détresse psychologique et l’existence de biais cognitifs pourraient en effet être pris en compte dans l’adaptation des stratégies thérapeutiques. Ces recherches devraient être poursuivies afin d’aboutir à des prises en charge plus personnalisées, notamment destinées à intensifier les soins chez les sujets présentant un risque plus élevé de rechute.

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